Une inscription dans le nouveau roman historique hispano-américain ?

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À la découverte d’un paratexte second : l’intérieur du livre

Dans Leonora, le rabat de la première page de couverture présente une photographie en noir et blanc de petit format d’Elena Poniatowska, pour que le lecteur mexicain opère la reconnaissance de l’écrivaine grâce à une image qui est assez médiatisée et sous laquelle un texte présente l’auteure, son œuvre et les Prix qu’elle a remportés. Quels sont les éléments mis en exergue et comment contribuent-ils à poser un pacte de lecture attirant et confortable ? La maison d’édition rappelle qu’elle est née en 1932 en France, mais que, lorsqu’elle avait neuf ans, sa famille s’est installée définitivement au Mexique, où elle a mené une carrière journalistique brillante puisqu’elle a reçu le Prix National de Journalisme en 1978. Pour informer le lectorat de la qualité littéraire de l’auteure mexicaine, on nous signale que huit universités lui ont remis le titre honorifique de Doctor Honoris Causa et qu’elle a reçu en 2002, du gouvernement mexicain, le Prix National de Linguistique et de Littérature, qui récompense un écrivain pour la qualité culturelle, artistique ou linguistique de son œuvre littéraire. Il n’y a ainsi pas de doute sur la reconnaissance tant journalistique que littéraire d’Elena Poniatowska comme nous le rappelle la mention de dix romans accompagnés des récompenses obtenues aussi bien au Mexique (Prix Mazatlán, Rómulo Gallegos) qu’en Espagne (Premio Alfaguara). Sa notoriété n’est pas restreinte seulement aux pays hispanophones puisque « [s]u obra ha sido traducida a más de una decena de idiomas ». Le lecteur découvre ensuite qu’elle s’est essayée à d’autres genres comme des entretiens, des essais et des chroniques avant d’être informé à nouveau que « su trayectoria como periodista y escritora ha sido reconocida con múltiples premios nacionales e internacionales »87. Systématiquement, les deux univers – journalistique et romanesque – dans lesquels s’inscrit l’auteure sont mis en avant, les rendant, de la sorte, perméables.
En outre, le rabat de la quatrième de couverture comporte huit textes critiques qui renvoient à l’auteure et non à Leonora en particulier. Les sources ou autorités citées sont garantes de la reconnaissance d’Elena Poniatowska dans le monde culturel mexicain et espagnol (c’est son lectorat de prédilection). Sont introduites les particularités de sa personnalité et de son écriture. Trois écrivains mexicains éminemment connus renforcent l’adhésion sollicitée par cet élément du péritexte chez le lecteur : Octavio Paz qualifie son langage de poétique, tout comme Sergio Pitol, lequel s’attache d’une part à son écriture qu’il compare à la musicalité de Chopin et de l’autre à son engagement. Carlos Fuentes loue l’attention qu’elle porte aux femmes connues et méconnues et les portraits qu’elle en fait, qui constituent « una gran galería biográfica del ser femenino ». Son rayonnement international est confirmé par les citations de deux écrivains espagnols : Antonio Muñoz Molina la définit comme « una excelente escritora », alors que Jordi Soler souligne l’oralité chez Elena Poniatowska : « Las páginas de sus libros son como estar oyéndola platicar, su literatura nos ha enseñado que es posible escribir como se habla. » Enfin, deux références du monde du journalisme mettent l’accent sur le caractère indissociable de la littérature (biographique, féminine et orale) et de la fiction chez l’auteure mexicaine. Le Publishers Weekly88 affirme que « Poniatowska ha hecho una forma de arte mezclando periodismo y ficción » et Winston Manrique89, journaliste de El País, estime que « [e]s una mujer que acrecienta la tradición en América Latina de la comunión entre periodismo y literatura o literatura y periodismo. Da igual el orden. El tiempo ha borrado las fronteras ». À nouveau, il nous semble révélateur que des citations d’hommes littéraires côtoient celles de journalistes. On nous donne l’image d’une écrivaine aux multiples talents dont l’activité scripturale mêle savamment la biographie, le journalisme, la littérature ; ce qui a pour effet d’en faire un genre hybride à la croisée de ses compétences.

Les intertitres et la table des matières : entre présence et absence

Il s’agit là d’un autre outil péritextuel susceptible de renseigner le lecteur sur le genre de l’ouvrage dont il s’apprête à découvrir le contenu.
L’intérêt pour cet élément est d’autant plus signifiant que dans Tinísima, le lecteur se trouve précisément confronté à une absence de table des matières dont l’origine peut être attribuée au fait que ce sont des photographies qui ouvrent les chapitres et non des titres. Logiquement, pour Querido Diego…, douze lettres datées rythment la lecture, mais cette division n’apparaissant pas dans la table des matières des éditions que nous avons choisies, nous n’en tiendrons pas compte ici. En revanche, à la fin de Leonora, se trouve une table des matières qui reprend la numérotation des cinquante-six chapitres titrés en espagnol, en anglais ou en français, dont les exemples suivants illustrent le jeu polyglotte : Chapitre 4 : « Miss Penrose », chapitre 7 : « Saint-Martin d’Ardèche », chapitre 8 : « La amenaza del ruiseñor », chapitre 56 : « What is death like ? ». Les intertitres constituent un élément du péritexte éditorial et sont accessibles : « […] au public déjà restreint des feuilleteurs, et des lecteurs de tables des matières […] »90. Certains nous apportent des informations spatiales : « Crookhey Hall », « Saint-Martin d’Ardèche », « Madrid », « Santander », « Nueva York », México », et d’autres renvoient à des personnes : « Miss Penrose », « Max Ernst », « Los doctores Morales », « Renato Leduc », « Remedios Varo ». À la lecture des titres des chapitres, le lecteur peut suivre les étapes qui jalonnent la vie de Leonora Carrington : son enfance au Royaume-Uni, son internat à l’Académie de Miss Penrose, son entrée à la Cour d’Angleterre, son amour fou pour Max Ernst, son internement à l’asile de Santander, etc. Ces intertitres peuvent ainsi proposer un éclairage sur le(s) genre(s) de Leonora pour un lecteur connaisseur de la vie de l’artiste. En effet, la restitution des moments phares de la vie de cette femme concourt à un ancrage dans le réel et aiguille vers la biographie dans la mesure où ils sont en adéquation avec le contenu du roman91.

Les éléments de clôture du livre

Dans son premier contact avec l’œuvre, la curiosité du lecteur peut l’amener à consulter également les pages qui précèdent la table des matières, avant d’entrer dans le texte. Elena Poniatowska lui laisse une certaine liberté puisqu’elle ne donne aucune consigne de lecture dans une instance préfacielle. Toutefois, elle fait le choix de mentionner sa méthodologie, son cheminement et ses lectures dans les
Remerciements » de Tinísima et Leonora et dans l’épilogue de Querido Diego…, qui donnent de nombreuses pistes sur le genre de l’ouvrage. Selon Marta Cichocka92, la postface peut renfermer trois objectifs de l’auteur.e, à savoir : remercier les personnes ayant facilité l’accès aux informations, préciser les termes du contrat de lecture et/ou dévoiler quelques secrets de son atelier. Nous verrons que les ouvrages que nous étudions rassemblent ces trois caractéristiques. Dans Querido Diego…, le rôle de la postface est fondamental car c’est grâce à elle que le lecteur peut déchiffrer certains éléments intertextuels comme les emprunts à La fabulosa vida de Diego Rivera : « Bertram Wolfe, a quien estas cartas le deben mucho de su información, consigna en La fabulosa vida de Diego Rivera que […] » (QD, 72). Les lettres fictionnelles de Querido Diego… s’inspirent donc d’une biographie, celle du grand ami communiste de Diego Rivera.
Nous proposons de développer ce qui, dans Leonora, constitue un appareil signifiant de clôture du livre. Tout d’abord, c’est la section « Bibliographie » qui attire l’attention sur les lectures préalables à la rédaction et les sources à la base de la conception de l’ouvrage. Elle interpelle par son hybridité, caractéristique que nous serons amenée à observer plus loin de façon approfondie. Elle compte cent soixante-quinze références dans quatre langues (espagnol, français, anglais, allemand) ayant trait la culture générale, la poésie, la peinture, au contexte historique, au Mexique des Tarahumaras, à la civilisation irlandaise et celte, etc. Les références bibliographiques sont importantes et variées, il convient donc de les regrouper par thématiques. Les écrits
des et sur les personnages93 ont permis à Elena Poniatowska d’acquérir une vision de l’intérieur grâce à leur point de vue personnel ; la vision extérieure naît, quant à elle, des textes des contemporains ou des critiques sur des figures historiques qui apparaissent dans le roman (dont André Breton94, Benjamin Péret95, Max Ernst96, Edward James97, Renato Leduc98, Peggy Guggenheim99, Robert Capa100). Dix ouvrages sur Leonora et/ou Max Ernst, comme ceux de Julotte Roche – Max et Leonora, qui est un récit d’investigation –, de John Russell – Max Ernst Life and Work –, de Stefan Van Raay, Joanna Moorhead et Teresa Arcq – Carrington Leonora, Varo, Remedios y Horna, Kati.

L’intergénéricité : une ligne de partage fluctuante

L’analyse du péritexte a suggéré quelques pistes en vue d’un cadrage générique (nécessaire à l’établissement d’un contrat de lecture) qui demeure toutefois équivoque car les informations disposées en périphérie du texte sont parfois contradictoires. Nous nous centrerons cette fois sur les indices textuels pour montrer que l’écriture poniatowskienne se nourrit de nombreux genres (le roman, la biographie, la chronique…) sans toutefois se consacrer exclusivement totalement à l’un d’eux. Une analyse des différents procédés d’écriture exploités par Elena Poniatowska permettra de mettre en exergue cet espace dans lequel plusieurs modalités se côtoient. Comme c’est le cas des récits non-fictionnels dont l’enjeu réside dans la difficulté à réconcilier, d’une part, la fiction qui décrit des faits ayant réellement eu lieu et dont le lecteur a connaissance (comme Operación Masacre de Rodolfo Walsh) et, d’autre part, l’impossibilité de les refléter fidèlement. Il est donc pertinent de prendre en considération ce que dit Ana María Amar Sánchez des récits non fictionnels : no es posible leer los textos como novelas “puras” quitándole el valor documental; pero tampoco puede olvidarse un trabajo de escritura que impide considerarlos como meros documentos que confirman lo real117.
Outre la littérature de témoignage et ce que la critique désigne comme non fiction, les ouvrages du corpus convoquent également un questionnement sur l’intégration de l’Histoire dans la fiction, donc le genre du roman historique.

Une réécriture de l’Histoire ?

Discours historique et métafiction historiographique : un rappel théorique

Le discours historique constitue la version considérée comme valide de la part des institutions, des gouvernements, des pouvoirs, et celui des manuels scolaires prétend donner un contenu vrai des faits du passé. Les historiens construisent l’objectivité de leur discours au moyen de procédures critiques et de techniques de recherches ainsi que d’un protocole méthodologique rigoureux (des concepts et des outils, notamment statistiques, qualitatifs et quantitatifs) qui garantissent une scientificité de leurs productions. Ainsi, sous la forme d’une narration, le discours historique induit une vérifiabilité légitimée par des citations, des références, des notes de bas de page et par tout l’appareil de renvois permanents à un langage premier (un matériau dit de première main). Aux États-Unis, au cours des années 1980, émerge une critique radicale de l’Histoire en tant que discours pouvant prétendre dire le vrai et le réel du passé. Le linguiste américain Hayden White, spécialiste de la « poétique historique », s’est intéressé à la manière de faire et d’écrire l’Histoire dans son article « The Burden of History »118, qui traite de l’utilité de l’Histoire dans le monde contemporain, avant de publier son œuvre majeure, Metahistory, qui remet en question l’objectivité historique sur laquelle se fonde le métier d’historien119. David Schreiber et Marc Aymes en rappellent l’une des idées centrales : [c]’est la structure verbale elle-même qui vient donner aux événements historiques non seulement leur signification mais aussi leur statut d’événement réel. Dès lors, il n’est pas nécessaire de prendre en compte la visée référentielle du texte historique pour en comprendre le fonctionnement et celui-ci ne diffère pas fondamentalement du texte de fiction ou même des grandes constructions philosophiques de l’histoire dont l’emphase stylistique – au sens que White donne au mot style – n’est qu’une forme parmi d’autres. Il n’y a donc aucune raison de séparer la réflexion sur l’écriture de l’histoire des modalités d’écriture de la fiction120.
Selon Hayden White, l’objectif de l’historien n’est pas de faire revivre le passé, mais bel et bien de nous libérer de ce qu’il appelle le « fardeau de l’histoire ». La dichotomie science-littérature est rompue, permettant une réflexion sur l’importance de l’imagination historique dans la représentation du passé. La pensée et le travail de White trouveront un prolongement dans ce que la chercheure canadienne Linda Hutcheon désigne par « métafiction historiographique », qui « […] would not seek to place itself in a position between theory and practice on the question of history, but rather would seek a position within both »121. La métafiction historiographique implique d’occulter la capacité d’offrir un discours objectif sur l’Histoire, ce notamment parce que la nature de l’Histoire est indissociable de l’identité de l’historien, de ses opinions et de sa culture. La subjectivité est donc inéluctablement inhérente à l’écriture historique du simple fait qu’elle est produite par un « sujet ». De plus, comme le revendique l’écrivain mexicain Carlos Fuentes, la littérature serait en mesure de combler les vides de l’Histoire, lacunes dont les historiens eux-mêmes signalent l’existence122 : La gigantesca tarea de la literatura latinoamericana contemporánea ha consistido en dar voz a los silencios de nuestra historia, en apropiarnos con palabras nuevas de un antiguo pasado que nos pertenece e invitarlo a sentarse a la mesa de un presente que sin él sería la del ayuno123.
Cette déclaration sous-entend qu’une partie de l’Histoire nationale est occultée ou détournée par le discours officiel. Carlos Fuentes considère que la littérature constituerait une promesse de réparation et de comblement mémoriel face à une insatisfaction générée par l’Histoire officielle ou les études historiographiques. Il est donc primordial d’examiner les genres qui proposent une reconstruction de l’Histoire où la fiction s’érige comme moyen de connaissance historique, voire de remise en question des productions historiographiques ou biographiques. En quoi ces genres sont-ils, in fine, une projection de la réalité historique, empreinte d’intentions propres à chacun de ses auteurs ?
La dialectique réalité-fiction est au cœur de la métafiction comme le mentionne Marta Cichocka qui, dans son ouvrage de référence, cite Patricia Waugh :
Metafiction is a term given to fictional writing which self-consciously and systematically draws attention to its status and as an artefact in order to pose questions about the relationship between fiction and reality124.
Le caractère réflexif de l’écriture est primordial dans ces ouvrages qui questionnent la version officielle et qui laissent ainsi la place à un autre type de discours s’ouvrant à des interprétations différentes, comme c’est le cas avec l’essor du nouveau roman historique hispano-américain dans lequel les notions de fiction et d’Histoire s’entrecroisent.

Les personnalités : un double enjeu

Ainsi, nous envisagerons quels acteurs historiques connus sont présents dans l’écriture fictionnelle de Poniatowska afin de proposer une première approche des personnages du corpus. Nous allons voir comment s’effectue le passage d’une légitimité historique (en tant que récit crédible) à une légitimation de l’auteure (en tant qu’écrivaine). Cela nous permettra également de constater que les personnalités en question peuvent être à la fois des « produits » et des « producteurs » de l’Histoire.

Une légitimité historique : un ancrage dans le monde réel

La présence des femmes que nous avons déjà signalées dans l’Histoire est souvent ramenée à leurs illustres conjoints ou amants et le fait qu’un très grand nombre de figures historiques soient citées contribue à rattacher les ouvrages à des romans historiques comme le notifie la quatrième de couverture de Tinísima et de Leonora :
Tina Modotti compartió sus cuarenta y seis años de vida con personajes hoy legendarios como: Edward Weston, Diego Rivera, Xavier Guerrero, Julio Antonio Mella, Vittorio Vidali.
Leonora vivió la más turbulenta historia de amor con el pintor Max Ernst. Con él se sumergió en el torbellino del surrealismo, y se codeó en París con Salvador Dalí, Marcel Duchamp, Joan Miró, André Breton o Pablo Picasso […].
Pour Tinísima, la maison d’édition qualifie les hommes qui entourent Tina Modotti de légendaires ». En effet, un nombre très important de personnalités artistiques et politiques gravitent autour de la photographe et ce type de fréquentations se vérifie aussi dans le cas de Leonora Carrington. L’écriture s’en empare pour les intégrer au cercle des personnages féminins élaborés par Poniatowska. Edward Weston fait partie des pionniers de la photographie, Xavier Guerrero130 est un muraliste mexicain qui, certes, n’a pas joui de la même notoriété que le grand maître Diego Rivera ; Julio Antonio Mella est une figure emblématique de la révolution cubaine, et Vittorio Vidali s’est rendu célèbre sous le pseudonyme de Carlos Contreras alias « Commandante Carlos » du légendaire cinquième régiment pendant la guerre civile espagnole. Dans Leonora, nous avons recensé plus de 240 personnages dont la quasi-totalité a un référent dans la réalité, ce qui a pour effet de les ancrer dans l’Histoire, en particulier dans le domaine artistique ; ainsi, l’auteure recrée une ambiance et rend compte notamment de l’émulation caractéristique de cette période. C’est en nommant cette pléthore de personnalités qu’Elena Poniatowska montre à son lectorat qu’elle domine son sujet et rend hommage aux hommes et aux femmes connus et anonymes qui ont fait l’Histoire artistique du Mexique.

Une relecture centrée sur la femme

Il apparaît dans ce qui précède que Tinísima et Leonora ont en commun le souci de l’auteure de convoquer dans la diégèse, par le biais d’un ensemble de personnages, tout un monde idéologique et artistique caractéristique de l’époque. Au-delà de cette panoplie, une focalisation sur l’individualité générique féminine s’impose vite, que nous nous proposons d’aborder sous l’angle théorisé par Fernando Aínsa dans son article
La reescritura de la historia en la nueva narrativa latinoamericana »136. Selon lui, le nouveau roman historique hispano-américain : « se caracteriza por efectuar una relectura del discurso historiográfico oficial cuya legitimidad cuestiona »137. En tant que relecture du discours historiographique officiel, ce genre littéraire vise à donner un sens à une actualité, à justifier une identité ou à rendre justice aux personnages marginalisés en faisant d’eux des héros romanesques. Cette mise en valeur de ce(ux) que le discours dominant a écarté(s) se modélise ostensiblement chez Elena Poniatowska par une volonté de redonner de la considération à des femmes restées dans l’ombre de certains
Grands Hommes »138. En effet, dans l’historiographie existante, Leonora Carrington est traditionnellement reléguée au statut de « compagne » de Max Ernst, Tina Modotti à celui de « disciple » du photographe Edward Weston et Angelina Beloff est « une des épouses » de Diego Rivera. Elena Poniatowska procède à un changement de perspective en campant le personnage féminin et sa voix au cœur du discours narratif. Le discours dominant n’est plus seulement masculin et cette autre écriture de l’Histoire permet de réhabiliter ou de rendre hommage à des femmes qui ont participé à l’Histoire culturelle mexicaine. Celles-ci sont mises au premier plan, mais ne sont pas pour autant transformées en héroïnes, au sens épique du terme.
Par ailleurs, Fernando Aínsa constate que « [e]sta abolición de la distancia épica se traduce en una deconstrucción y “degradación” de los mitos constitutivos de la nacionalidad »139. Or, le grand mythe national qui traverse les trois ouvrages de notre corpus se nomme Diego Rivera. Le muraliste mexicain revêt différents visages : il est un camarade politique dans Tinísima, une connaissance qui évolue dans un milieu bourgeois-bohème dans Leonora et un mari égoïste dans Querido Diego…, où son image est écornée puisque, comme Carmen Perilli le souligne à propos du texte poniatowskien, « […] su egoísmo, su infantilismo, su insensibilidad, su incapacidad de proteger al otro erosionan el mito […] »140

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Table des matières

 REMERCIEMENTS
INTRODUCTION PREMIÈRE PARTIE
La fabrique du livre : l’hybridité générique à l’œuvre
1. Le paratexte : incidences sur la détermination générique et contradictions
1.1 Le livre comme objet : un premier pas vers la conception et la réception du projet auctorial
1.1.1 La représentativité de la maison d’édition
1.1.2 Les questions suscitées par les choix équivoques de l’auteure et de la maison d’édition
1.1.3 Ce que le nom de l’auteure implique comme reconnaissance préalable
1.2 La page de couverture : un jeu entre énigme et identification
1.2.1 Le titre, un indice générique ?
1.2.2 Comment les illustrations conditionnent-elle la lecture ?
1.3 La quatrième de couverture et ses résumés : une élucidation du genre ?
1.4 À la découverte d’un paratexte second : l’intérieur du livre
1.5 Les intertitres et la table des matières : entre présence et absence
1.6 Les éléments de clôture du livre
2. L’intergénéricité : une ligne de partage fluctuante
2.1 Une réécriture de l’Histoire ?
2.1.1 Discours historique et métafiction historiographique : un rappel théorique
2.1.2 Une inscription dans le nouveau roman historique hispano-américain ?
2.1.3 Les personnalités : un double enjeu
2.1.3.1 Une légitimité historique : un ancrage dans le monde réel
2.1.3.2 Une légitimation de l’auteure : un procédé d’écriture rassurant

2.1.3.3 Une relecture centrée sur la femme
2.1.4 La question de la vérité
2.1.4.1 Du vrai au vraisemblable et inversement
2.1.4.2 Le « vrai » à contre-usage
2.1.5 Fictionnalisation des événements historiques et des lieux
2.1.5.1 La France en guerre
2.1.5.2 L’Espagne franquiste
2.1.5.3 Les États-Unis
2.1.5.4 Le Mexique
2.2 Tinísima : un roman-témoignage ?
2.2.1 Émergence et description du genre, quelques exemples représentatifs
2.2.2 Le particularisme d’Elena Poniatowska
2.2.3 Ses professions antérieures : incidences sur son travail d’écrivaine
2.3 Tinísima : une chronique ?
2.3.1 La chronique dans la production d’Elena Poniatowska
2.3.2 Une subjectivité assumée ?
2.3.3 La preuve par l’image
2.4 Querido Diego…, Tinísima, Leonora : une intention biographique
2.4.1 Une instance préfacielle inversée
2.4.2 Séquentialité temporelle
2.4.3 Distanciation du biographé
2.4.4 Quelle biographie ?
2.4.4.1 Biographie fictionnelle et fiction biographique
2.4.4.2 Fictionnalisation des personnes réelles ou
référentialisation des personnages ?
2.5 Une intention romanesque face à ses détracteurs

DEUXIÈME PARTIE : La fabrique du texte : rencontre des voix et des arts
1. Une écriture polyphonique pour une multiplicité des possibles
1.1 Une polyphonie narrative
1.1.1 L’éclatement du temps dans Tinísima
1.1.2 Changements de narrateur et de personne
1.1.3 Changements de focalisation
1.2 Un espace de rencontre entre plusieurs discours inducteur de polyphonie
1.2.1 Les passages exceptionnellement exempts d’interruption
1.2.2 La fragmentation par le discours direct
1.2.3 Un enchevêtrement des discours
1.3 Diversification de l’appareil documentaire
2. Une écriture dialogique
2.1 Transcriptions de voix réelles
2.1.1 Les conversations informelles avec des témoins impliqués
2.1.2 La dimension culturelle à travers les voix du quotidien
2.1.3 La retranscription différée d’entretiens
2.1.4 Les enregistrements
2.2 Multiplicité et variété des voix
2.2.1 Les niveaux de langues
2.2.2 Les mexicanismes
2.2.3 Bivocalité et parodie
vs langage érotique
2.2.4 Le langage artistique
2.2.5 Langues étrangères, une hybridité linguistique

2.2.5.1 Le français
2.2.5.2 L’anglais
2.2.5.3 L’italien
2.2.5.4 Le náhuatl
2.3 Une autofiction dissimulée ?

3. Les modalités diverses de l’intertextualité et de l’intermédialité
3.1. Le journal intime d’Edward Weston
3.2. Les journaux d’époque
3.3. Les lettres
3.3.1 Lettre d’amour de Leonora à Renato Leduc
3.3.2 La correspondance de Tina Modotti
3.3.2.1 Lettre de rupture de Tina Modotti à Xavier Guerrero
3.3.2.2 Lettres de Tina Modotti à Edward Weston
3.3.3 Les lettres fictives de Quiela à Diego Rivera
3.4 Les photographies
3.4.1 Une constante dans l’œuvre poniatowskienne
3.4.2 Classification des photographies de
Tinísima
3.4.3 Les photographies de Tinísima : le choix de l’auteure
3.4.4 La photographie introductive : un va-et-vient avec le texte
3.5 L’ekphrasis, une confluence interartistique
3.5.1 Ekphrasis des photographies dans Tinísima
3.5.2 La valeur des ekphrasis dans Leonora
4. Les visées de l’intertextualité
4.1 Dialogues intratextuels
4.1.1 Massacre de Tlatelolco
4.1.2 Le tremblement de terre de 1985
4.1.3 Les femmes de Juchitán
4.2 Dialogues intertextuels
4.2.1 Une culture universelle
4.2.2 La guerre civile en voix
4.2.3 La guerre civile en vers
4.2.4 Alice au pays des surréalistes

TROISIÈME PARTIE : La fabrique des personnages : les femmes artistes de la fiction poniatowskienne

1. Les femmes et leur position dans la société
1.1 Être femme : des contraintes
1.2 Les parcours individuels
vs les stéréotypes
1.2.1 Leonora Carrington : s’affranchir
1.2.1.1 Un rôle prédéterminé
1.2.1.2 Harold Carrington : le père dominateur
1.2.1.3 Renato Leduc et les stéréotypes de la femme mariée
1.2.1.4 Max Ernst et les stéréotypes de la femme au foyer
1.2.1.5 Les Docteurs Morales : une soumission physique et morale
1.2.2 Tina Modotti : du sexe symbole à la spartiate communiste
1.2.2.1 Les Etats-Unis : une icône sensuelle
1.2.2.2 La jouissance
1.2.2.3 Une transformation en deux temps
1.2.3 Quiela : « l’ange du foyer » prend son envol
1.2.3.1 Quiela, l’épouse soumise
1.2.3.2 La part d’ombre de Diego Rivera
1.2.3.3 Une question de place et d’espace

2. Une construction identitaire empreinte de mexicanité
2.1
Leonora : le Mexique comme échappatoire à l’enfermement
2.2
Tinísima : Le Mexique : un pays, deux facettes
2.2.1 Un lieu synonyme de liberté et de splendeurs
2.2.2 L’autre Mexique
2.3 Querido Diego, te abraza Quiela : le Mexique phantasmé
3. Une construction de la femme en tant qu’artiste
3.1 Tina Modotti : une pionnière de la photographie
3.1.1 Tina élève et modèle
3.1.2 Indépendance photographique et reconnaissance
3.2 Quiela : de spectatrice à actrice
3.2.1 S’identifier à l’homme pour exister ?
3.2.2 Une corporéité retrouvée, une re-naissance artistique
3.3 Leonora Carrington : une identité artistique unique
3.3.1 Un désir précoce
3.3.2 Une intronisation chez les surréalistes
3.3.3 Influences-collaborations
3.3.4 Leonora, cavalier seul
3.3.5 L’expérience de la folie
3.3.6 Le monde intérieur de Leonora
4. L’écriture du corps liée à la question identitaire
4.1 Le(s) féminin(s) en question dans
Tinísima
4.1.1 Ève ou Marie ?
4.1.1.1 Lectures visuelles
4.1.1.2 Lectures textuelles
4.1.1.3 Conjonctions et disjonctions entre l’image et le text
4.2 La nudité dans Tinísima et Leonora
4.3 L’usage des plaisirs
4.4 Une corporéité signifiante
4.4.1 Tinísima : un corps qui périclite
4.4.2
Leonora, une corporéité multiple
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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