L’intervention de l’Etat : l’évaluation des universités
Cette partie est principalement consacrée à l’analyse des formes d’intervention du gouvernement sud-coréen auprès des universités à travers les systèmes d’évaluation et les subventions financières. Pour ce faire, elle s’appuie pour bonne partie sur le mémoire de master de sciences de l’éducation de Pak Chinyŏng de l’université nationale de Séoul intitulé « Taehak p’yŏngga chŏngch’aegŭi pyŏnhwawa chisoge taehan chedojŏk punsŏk ». En effet, ce travail de recherche offre un bilan synthétique de qualité sur l’évolution des formes et des rôles joués par l’évaluation des universités et sur leur lien avec les politiques gouvernementales relatives à l’enseignement supérieur.
De 1948 à 1960, le nombre des universités en Corée du Sud a cru à un rythme soutenu. En effet, durant l’occupation japonaise (1919-1945), le nombre de Coréens autorisés à suivre des études supérieures était maintenu à un niveau très faible. Après la Libération, le désir des Coréens qui, jusqu’alors ne pouvaient pas suivre d’études, s’est exprimé. Entre 1948 et 1961, le nombre d’universités est passé de 42 à 71. A cette époque, le gouvernement n’était pas capable d’assurer à lui seul l’établissement de nouvelles universités, trop absorbé par la reconstruction du pays, d’autant que la demande de formations supérieures a augmenté drastiquement sur la même période. Pendant cette période de forte croissance du nombre d’universités, certaines universités privées manquaient de moyens, d’équipements, d’enseignants et de personnel administratif formé. Malgré cela, l’Etat n’est pas intervenu pour soutenir les universités privées. A la fin des années 1950, le gouvernement a commencé à réglementer les universités et à établir un système d’enseignement supérieur dont bien des aspects, comme la structure financière et les modes d’évaluation des universités, sont fondés sur le modèle américain.
La multiplication du nombre d’universités privées s’est accompagnée d’une augmentation du nombre d’universités « déficientes » (부실대학, 不實大學). Après le coup d’Etat militaire du 16 mai 1961, le chef d’Etat, Park Chunghee38 a mis en oeuvre une politique particulièrement interventionniste à l’égard des universités privées. Entre 1961 et 1963, le gouvernement avait réduit le nombre d’étudiants du pays de 90 000 (71 universités) à 66 000 (50 universités). De même, il avait mis en place un contrôle des examens d’entrée, évalué les professeurs et renforcé les sanctions et les peines encourues en cas de corruption des directeurs d’universités. Cette politique avait mené à une prise de conscience des Coréens de la corruption endémique dans le milieu universitaire et de la croissance incontrôlée du nombre d’universités. Cependant, en agissant ainsi, le gouvernement avait violé la liberté et l’indépendance des universités. Il s’était par ailleurs contenté de contrôler le nombre d’universités, la qualité de leurs cours restant une préoccupation secondaire dans le cadre de ces mesures.
A partir des années 1970, le gouvernement a commencé à évaluer les parcours des universités pour améliorer la qualité de leurs cours. Cette évaluation des universités est à l’origine de celle encore en vigueur aujourd’hui. A cette époque, des projets gouvernementaux ont été mis en place dans le but de développer les universités en province et de promouvoir la coopération entre les entreprises et les universités, d’utiliser efficacement les finances publiques dans le domaine de l’éducation, et de répartir les rôles entre les universités. Les politiques d’éducation supérieure pendant cette période se sont focalisées sur la formation des étudiants en s’adaptant aux particularités régionales et en fournissant des aides financières aux universités privées.
Dans les années 1980, la croissance économique s’est accompagnée d’une nouvelle hausse du nombre de personnes souhaitant suivre des études supérieures. Cette tendance a rendu l’accès aux universités plus difficile et compétitif. Le marché des cours particuliers (사교육, 私敎育) s’est rapidement développé, induisant un creusement des inégalités scolaires entre les enfants de familles ayant les moyens d’y recourir et les autres. Le gouvernement a commencé à autoriser la création de nouvelles universités et à supprimer le quota des étudiants en première année remplacé par un quota de type numerus clausus pour les diplômés. La réforme de l’éducation du président Chŏn Tuhwan (全斗煥 ; mandat : 1980-1988) a été adoptée en 1980 pour faciliter l’acceptation de son régime militaire. Les politiques éducatives étaient donc modifiées en fonction de l’opinion publique afin de maintenir un niveau minimal de légitimité à son gouvernement.
Pendant la présidence de Kim Youngsam (金泳三 ; 1927-2015), à la tête du gouvernement « civil » de 1993 à 1998, la liberté et l’indépendance des universités ont été renforcées.
L’objectif de la réforme du 31 mai 1995 du gouvernement Kim était de promouvoir une éducation conforme à l’ère de la mondialisation et de l’informatisation. Il a limité l’ingérence directe de l’Etat dans les affaires des universités privées et établi des critères objectifs d’autorisation pour fonder de nouvelles écoles supérieures. A cette époque, le nombre d’universités a de nouveau augmenté. Le Ministère de l’Education (교육부, 敎育部), institution établie en 1990, a commencé à évaluer les universités pour conditionner l’accès aux subventions de l’Etat.
La crise financière de 1997 43 a également influencé la politique éducative. La reconstruction du système universitaire était un sujet social important pour développer la qualité des travaux de recherche au niveau master, la liberté et la responsabilité des universités.
L’objectif du gouvernement était de varier les rôles des universités (éducation supérieure, mais également synergie économique pour le développement des régions, collaboration avec des industries, etc.) en utilisant les subventions publiques comme incitation. Cette dernière dépendait du résultat de l’évaluation des universités qui prenait notamment en compte le bien- être des étudiants via le développement et la promotion d’activités culturelles et sportives pour les étudiants.
A partir du gouvernement de Roh Moohyun (盧武鉉 ; 1946-2009) de 2003 à 200845, la politique éducative s’est orientée vers la mise en compétition des universités tout en garantissant leur liberté. Le gouvernement a mené une politique de mise en concurrence à travers les évaluations, et accordé des subventions uniquement aux universités d’excellence. Le slogan du gouvernement du président Roh était « Réalisation de l’éducation universitaire compétitive basée sur l’autonomie des universités » (자율에 바탕을 둔 경쟁력 있는 대학교육의 구현). Autrement dit, les universités avaient plus d’autonomie mais se retrouvaient dans le cadre d’un mécanisme de marché concurrentiel.
La politique de l’enseignement supérieur en Corée du Sud a évolué d’une intervention directe et forte vers une intervention incitative actuelle, fonctionnant à travers une politique d’accès aux subventions publiques. Pour calibrer son intervention, le gouvernement a commencé à évaluer les universités à partir de l’année 199447. On constate que la politique éducative en Corée du Sud change en fonction de la situation politique et de l’opinion publique d’un gouvernement à l’autre, sans considération pour la neutralité et la continuité du système éducatif.
Depuis l’année 2012, l’évaluation des universités pour le compte du gouvernement est confiée à plusieurs organisations telles que le Conseil coréen des universités, Han’guk taehaekkyo hyòphoe (한국대학교협의회), un conseil (협의회, 協議會) dédié à la collaboration entre les universités et le développement de l’éducation supérieure, la Fondation nationale de la recherche coréenne, Han’guk yòn’gujaedan (한국연구재단, 韓國硏究財團), une organisation gouvernementale pour financer les projets de développement de l’éducation, et enfin l’autoévaluation des établissements (자체평가, 自體評價). Un autre objectif de la délégation de l’évaluation des universités à ces différentes organisations est de varier les critères et modèles d’évaluation et d’auto-évaluation. Cependant, l’évaluation pour accéder à l’aide financière de l’Etat est organisée séparément par le gouvernement. Cette dernière est la plus cruciale pour les universités, car elle revêt un caractère plus « objectif ». Les universités communiquent donc les résultats de cette évaluation pour justifier leur niveau d’excellence et attirer les meilleurs étudiants, s’assurant du même coup un bon résultat aux évaluations des années à venir. L’Etat évalue les universités en fonction de leur alignement avec la politique gouvernementale. Les universités reçoivent donc des subventions dès lors qu’elles coopèrent avec l’Etat.
Au sein du gouvernement, il existe différents types d’évaluations en fonction du domaine noté (recherche, enseignement, bien-être, etc.). Autrement dit, il n’existe pas d’évaluation unique et synthétique comme celles des journaux sud-coréens. A l’heure actuelle, le gouvernement intervient toujours dans la gestion des universités à travers des incitations financières.
La constitution d’une élite universitaire sud-coréenne détentrice de diplômes américains
Kim Jongyoung, professeur de sociologie à l’Université Kyunghee, titulaire d’un master et d’une thèse à l’Université de l’Illinois aux Etats-Unis, s’est entretenu avec des Coréens qui ont fait leurs études aux Etats-Unis. Il a suivi leurs trajectoires sociales et transnationales après leurs études. Il a publié en 2015 un ouvrage de recherche sur les élites coréennes qui ont un diplôme américain intitulé Chibaebannŭn chibaeja: Miguk yuhak-kwa Han’guk ellit’ŭ-ŭi t’ansaeng (지배받는 지배자: 미국 유학과 한국 엘리트의 탄생, Dirigeants dirigés: les études aux Etats-Unis et la naissance des élites coréennes). D’après lui, les diplômes américains produisent plus de sens et ont un plus grand effet en Corée du Sud qu’au Japon, au Royaume-Uni ou en France. Ces diplômés tendent à travailler en Corée du Sud ou aux Etats-Unis. Il souligne que le pouvoir « intellectuel » dans la société et dans le monde universitaire sud-coréen est indissociable des diplômes américains. Depuis la Libération, les titulaires d’un diplôme obtenu aux Etats-Unis sont privilégiés dans l’enseignement et la recherche en Corée du Sud. De même, les hiérarchies officieuses « non-académiques », telles que celles des réseaux d’anciens étudiants d’une même école (학연, 學緣), dominent le monde académique dans la société sudcoréenne.
Entre 2012 et 2013, Kim Jongyoung a relevé que 70 627 Coréens étudiaient aux Etats-Unis.
Les Sud-Coréens sont la 3e nationalité étrangère la plus représentée dans les universités américaines après la Chine (235 597 personnes) et l’Inde (96 754 personnes). Si l’on rapporte ces données à la taille de leur population, le nombre des Sud-Coréens qui choisissent d’étudier aux Etats-Unis est significativement plus élevé que celui des étudiants chinois ou indiens. Une partie des Coréens désire partir étudier aux Etats-Unis pour obtenir un diplôme américain. Cette tendance n’est pas seulement due à l’hégémonie des universités américaines, mais également associée à des éléments sociaux, culturels et historiques. L’une des principales raisons de l’idéalisation de l’éducation américaine par les Sud-Coréens tient au statut des élites qui ont étudié aux Etats-Unis après la Libération, l’importance de l’anglais dans le système des concours, le pouvoir économique et les relations géographiques et diplomatiques entre la Corée du Sud et les Etats-Unis.
Du fait de l’idéalisation de l’éducation américaine dans le milieu de l’enseignement supérieur, les doctorants qui ont fait leur thèse aux Etats-Unis sont davantage recrutés par les universités sud coréennes. La majorité des professeurs des 10 meilleures universités sudcoréennes du classement du journal Chung’ang Ilbo (중앙일보, 中央日報), ont obtenu leur licence en Corée, puis leur master et leur doctorat aux Etats-Unis. Par exemple, en 2011, 76,5% des nouveaux professeurs recrutés dans le département d’économie (경제학과, 經濟學科) des dix meilleures universités sud-coréennes ont validé leur doctorat aux Etats-Unis.
Les universités préfèrent les professeurs capables de publier des articles en anglais pour augmenter la visibilité de leurs travaux de recherche au niveau mondial. Le niveau d’anglais est donc devenu l’un des critères déterminants du recrutement des professeurs d’université. En conséquence, les universités les plus réputées insistent sur le fait de donner leurs cours en anglais et imposent la rédaction des mémoires et des thèses en anglais. Dans ce contexte, il est donc normal que les diplômes américains soient considérés plus favorablement que les diplômes coréens.
En 2003, 90% des spécialistes universitaires d’enseignement et d’éducation (교육학과, 敎育學科) ont également été diplômés aux Etats-Unis. Il ressort des entretiens menés par Kim Jongyoung de 2000 à 2015 auprès de professeurs sud-coréens que les universités sud-coréennes considèrent que les diplômes de leurs professeurs influent directement sur l’image qu’elles renvoient de leur établissement. La réputation de l’université où ils ont étudié représente une garantie symbolique du niveau du département et de l’université où ils enseignent. C’est l’une des raisons pour lesquelles les gens préfèrent les diplômes étrangers, en particulier américains.
Un autre avantage caractérisant les professeurs diplômés aux Etats-Unis comparés à leurs homologues titulaires de diplômes coréens est le fait qu’ils sont capables de donner des cours en anglais. Kim Doesik, professeur de philosophie à l’Université Konkuk, a critiqué le fait que les universités encouragent les professeurs à donner des cours en anglais. En 2008, l’Institut supérieur coréen de science et de technologie (KAIST ; 한국과학기술원, 韓國科學技術院 ), toujours actuellement la meilleure école de sciences et de technologie en Corée du Sud, a décidé de dispenser l’ensemble de ses cours en anglais56. Ce mouvement d’anglicisation avait déjà été amorcé deux ans avant cette prise de décision formelle. Pour ce faire, l’Institut a proposé une prime aux professeurs qui donnaient leurs cours en anglais. Entre 2006 et 2011, le KAIST a progressivement supprimé les cours en coréen et les a remplacés par des cours animés en anglais.
Cette mesure ne concernait pas uniquement les filières anglophones, mais s’est étendue à toutes les spécialités de cette école. Le taux élevé de suicides au KAIST à cette époque montre le niveau de stress induit par cette mesure. Entre 2000 et 2011, 16 étudiants coréens se sont suicidés. Parmi ces 16 étudiants, 11 sont passés à l’acte en 2011. En 2010, 91% des cours au KAIST, 40% des cours de l’Université Korea et 34% des cours de l’Université Yonsei étaient en anglais. Malgré la souffrance des étudiants et la communication inefficace pendant les cours, l’anglais se substitue progressivement au coréen dans les universités.
Comme l’anglais n’est pas seulement une langue étrangère, mais une langue influente et obligatoire dans l’éducation universitaire, on constate que les diplômes de pays occidentaux, particulièrement américains, facilitent l’entrée des professeurs dans le monde des universités en Corée du Sud, car les diplômes américains garantissent de surcroît une bonne maîtrise de l’anglais. L’anglais est donc devenu l’une des caractéristiques du groupe des élites du milieu de l’enseignement et de l’éducation supérieure. La maîtrise de l’anglais est quasi obligatoire pour devenir professeur en Corée du Sud. En 2008, le professeur Kim Doesik a témoigné du fait que les professeurs sont payés deux fois plus s’ils donnent leurs cours en anglais.
Nous avons étudié l’intervention de l’Etat dans l’éducation supérieure au travers du système d’évaluation et de subvention. Nous avons également évoqué les avantages que peuvent conférer les diplômes américains en Corée du sud. Afin d’analyser plus avant la montée en puissance de l’usage de l’anglais dans l’enseignement supérieur, la partie suivante abordera les modalités d’entrée à l’université en Corée du sud. Du fait du lien étroit entre les universités et la réussite sociale, l’entrée à l’université est un sujet sensible et éminemment politique, car les universités doivent maintenir un certain niveau d’impartialité dans leur processus de sélection.
L’entrée à l’université : un sujet politique sensible
Bien que l’éducation soit un service aux propriétés particulières, la hiérarchie des universités peut être analysée selon la nature des relations entre les étudiants et les universités qui peuvent s’apparenter à celle entre consommateurs et producteurs – entre demandeurs et prestataires de services. La majorité des parents d’élèves sud-coréens font des efforts pour que leurs enfants entrent dans une université bien classée dans la hiérarchie car ils croient que les universités bien classées garantissent les meilleurs salaires et la stabilité de la vie professionnelle. Si cette croyance est vraie, les cours particuliers constituent un choix rationnel, tant qu’en tant qu’investisseur qu’en tant que consommateur, pour assurer à ses enfants une meilleure rémunération future. En incluant les universités professionnelles (parcours en deux ans), le nombre de places disponibles dans les universités excède le nombre d’étudiants postulant. Le diplôme de la licence n’est pas important en soit, mais l’université émettrice du diplôme joue un rôle central dans la détermination du parcours professionnel.
En Corée du sud, la réputation de l’université est l’un des éléments déterminants pour le parcours professionnel. La notoriété des universités sud-coréennes n’est pas homogène, mais au contraire très hiérarchisée. La hiérarchie des universités ou des filières est donc intimement liée à la vie professionnelle et au positionnement des étudiants et des diplômés dans l’échelle sociale. Nous allons ici analyser le classement des universités et des spécialités à l’intérieur d’une même université. Nous détaillerons ensuite le pouvoir symbolique qu’incarne le fait d’étudier ou d’obtenir son diplôme dans certaines universités prestigieuses avant de nous intéresser à leurs rôles comme lieux privilégiés de reproduit.
La hiérarchisation des universités sud-coréennes
En tant que prestataire de services, l’espérance de vie d’une université est déterminée par le nombre d’élèves qualifiés qu’elle forme, et à leur insertion sur le marché du travail, pour continuer à avoir des nouveaux étudiants. La compétition entre les universités pour attirer les meilleurs étudiants devient chaque année plus rude, car la capacité des universités existantes à accueillir des étudiants excède le nombre de nouveaux étudiants. La compétition entre les étudiants et entre les universités résulte pour une bonne partie de la hiérarchisation des universités. Cette hiérarchie est connue de tous et assimilable aux classements des universités réalisés par les principaux journaux coréens. Ce classement s’est construit sur le long terme et ne peut être modifié rapidement. Dans cette évaluation, les universités publiques restent tendanciellement au-dessus des universités privées, notamment en province, et les universités séoulites sont généralement mieux classées que les universités provinciales. Le cas de Séoul est spécifique. L’Université nationale de Séoul occupe généralement la première place des classements, suivie de près par une dizaine d’universités privées. Les autres universités publiques séoulites ne sont généralement pas présentes dans le haut des classements. La hiérarchie des universités séoulites et provinciales semble trouver son origine dans les taux de chômage plus élevés parmi les diplômés des universités de province.
Le changement de département au sein d’une même université est plus simple que le changement d’établissement, si bien que les étudiants accordent moins de valeur à la spécialité qu’ils souhaitent rejoindre. En effet, une stratégie classique chez les étudiants consiste à chercher à intégrer une université plus renommée en ciblant volontairement une spécialité peu prisée, pour laquelle la compétition est moins rude, dans l’espoir de changer de spécialité une fois acceptés par leur nouvelle université. Kim Jinyeong, professeur d’économie et de gestion, a publié en 2006 une recherche sur la hiérarchie des universités établie selon la note obtenue au sunŭng (대학수학능력시험, 大學修學能力試驗) par les admis en première année62. Les changements dans le classement sont plus marqués lorsque l’on considère les universités les moins bien notées selon cette classification par la note du sunŭng. Autrement dit, le rang des meilleures universités n’a pas ou peu varié depuis 1994 et seules les universités les moins bien classées ont vu leurction des élites en Corée du sud.
Le Chung’ang Ilbo évalue les universités selon la production de recherche de leurs professeurs (sur 100 points) ; les moyens mis à disposition des étudiants comme les bourses, les résidences universitaires, le nombre de livres à la bibliothèque, le nombre et la diversité des étudiants et des professeurs étrangers, ainsi que les programmes d’échange (sur 100 points) ; la formation des étudiants et les débouchés professionnels (sur 70 points), et enfin, selon la réputation de l’université, en prenant en compte l’évaluation de l’université par les entreprises qui ont mené des projets de recherches avec elle et la contribution à la vie et l’activité de sa région (sur 30 points). Bien que le niveau de la recherche soit l’un des critères importants, les autres facteurs jouent chacun un rôle dans l’évaluation des universités.
Ainsi, cela montre que l’université en Corée du Sud n’est pas seulement dédiée à des objectifs de recherche. Elle est un lieu de formation professionnelle et de recherche, qui contribue au développement de la société et qui doit offrir de bonnes conditions tant en termes de la qualité des études qu’en termes d’infrastructures et équipements. De même, afin d’être mieux classées, les universités doivent attirer des étudiants et des professeurs étrangers en développant des programmes d’échange avec des établissements d’enseignement supérieur étrangers. Les classements prépondérants des grands quotidiens de presse et leurs critères d’évaluation induisent une standardisation des politiques et des grandes orientations stratégiques des universités. Les universités font en général des efforts dans la même direction et pour les mêmes objectifs.
La hiérarchisation entre les spécialités et la disparition de départements
Les universités sud-coréennes ont tendance à hiérarchiser les départements en leur sein. Les départements ne se développent pas de manière homogène dans une université donnée. Aussi, lorsqu’on analyse les notes que les étudiants des départements de médecine, de pharmacologie et de médecine traditionnelle coréenne ont obtenu au Suneung on note que les meilleurs élèves du secondaire qui s’intéressent aux sciences choisissent en priorité ces départements. Ils sont donc de fait en haut de la hiérarchie des départements des sciences, car prisés par les meilleurs lycéens. Les départements de gestion et de pédagogie sont les plus compétitifs parmi les sciences humaines (문과, 文科). Ces tendances sont notamment dues aux débouchés professionnels de chaque filière. L’un des rôles des universités en Corée du Sud est de former des étudiants pour qu’ils obtiennent un travail auquel ils aspirent après leurs études. L’insertion professionnelle joue donc un rôle considérable dans l’évaluation et la notoriété des universités.
Les universités sud-coréennes sont donc dépendantes du marché du travail. Cela alimente des inégalités entre les études dites « professionnalisantes » et « non-professionnalisantes ».
Ainsi, les départements de Lettres sont les plus susceptibles d’être affectés par la hiérarchie des départements établie en fonction du lien entre les études et les débouchés professionnels.
Les universités ont commencé à fonctionner comme des établissements à but lucratif. De même, depuis la fin des années 1990, le gouvernement a mis l’accent sur le fait que les universités doivent être compétitives et collaborer avec les entreprises afin d’offrir plus de débouchés professionnels aux étudiants. Cela influence les évaluations menées par le gouvernement pour les subventions financières, et par les journaux considérés comme les plus crédibles par les étudiants et leurs parents.
Le pouvoir symbolique des universités : lieu de reproduction des élites en Corée du Sud
Les diplômes des meilleures universités sont considérés comme accréditant un statut social élevé en Corée du Sud. Ces inégalités socio-économiques induites par les diplômes restent sujettes à débat. Le nom des universités dans lesquelles un Sud-Coréen a été formé est perçu comme un des critères permettant d’évaluer sa compétence. Les Coréens qui n’ont pas réussi à avoir de diplôme dans un établissement réputé ont moins d’opportunités pour déployer leurs compétences. Les diplômés d’écoles réputées justifient leurs avantages sociaux en mettant en avant les efforts qu’ils ont dû déployer pour obtenir leur diplôme et accéder au niveau de réussite scolaire correspondant. Ils ne prennent généralement pas en compte les facteurs sociaux qui ont influencé leur succès social. La notion de « méritocratie » – quoi que discutable – est profondément ancrée dans les perceptions des Sud-Coréens.
L’article intitulé « Influence des parcours universitaires sur le premier emploi occupé par les diplômés » montre le rapport entre les parcours universitaires et le premier emploi des diplômés. Son auteur, Kim Sònghun, est maître de conférences à l’Université féminine Ewha (이화여자대학교, 梨花女子大學校). Il a intégré à son étude les 30 meilleures universités du classement du Chung’ang Ilbo de 2005. Il a analysé l’influence des diplômes sur la satisfaction des diplômés dans leur premier emploi, en termes de salaire et de taille d’entreprise pour les indices objectifs, et de travail souhaité pour les indices subjectifs. En ce qui concerne le choix du classement du journal, l’auteur a précisé qu’il était celui qui avait la plus grande influence et reflétait le mieux la réputation des universités. L’auteur a également utilisé l’étude sur le travail en Corée du Sud conduite par le Ministère de l’emploi et du travail (고용노동부, 雇傭勞動部), intitulée Korea labor and income panel study76 (한국노동패널조사). Cette étude a débuté en 1998. Il s’agit d’une série d’enquêtes annuelles sur les activités économiques et sociales, les déplacements liés au marché du travail, la consommation, les formations professionnelles, etc. menées auprès des membres de 5 000 ménages âgés de plus de 15 ans, dont 4 582 ménages dans des villes de 50 000 habitants ou plus, et 418 ménages dans des villes de 20 000 à 49 999 habitants. Kim Sònghun a utilisé les données de l’année 2005 de ces enquêtes dans le cadre de ses recherches.
Selon lui, les diplômés des dix meilleures universités ont 65,5% plus de chance d’obtenir un contrat à durée indéterminée dans une entreprise de plus de 300 employés comme premier emploi par rapport aux diplômés des universités qui ne sont pas présentes dans les 30 premières universités du classement. De même, les diplômés des universités classées 11e à 30e ont 73,4% plus de chance de décrocher un contrat à durée indéterminée dans une entreprise de 300 employés ou plus par rapport aux diplômés des universités classées en dehors des 30 universités occupant le haut du classement. Le fait que les diplômés des 11e à 30e universités aient légèrement plus de chance d’accéder à un contrat à durée indéterminée dans une grande entreprise pour leur premier emploi peut par exemple s’expliquer par la proportion de diplômés des 10 premières universités du classement choisissant de s’adonner à la recherche. Par ailleurs, les diplômés d’universités d’élite sont parfois perçus comme trop libres penseurs et moins malléables. Cela peut également expliquer une part de ce léger écart.
Cet article confirme tout de même le bien-fondé de la perception sociale concernant la relation entre la réputation de l’université et le parcours professionnel. De même, cet article souligne que la note est moins influente que la notoriété de l’université. Les diplômés des universités les mieux classées commencent en général leur premier travail avec un salaire plus élevé que ceux des universités qui ne font pas partie du « Top 30 ». D’après Kim Sònghun, cette tendance s’explique par le fait que les meilleures universités parviennent à recruter les meilleurs étudiants plutôt qu’à leur proposer les meilleurs programmes de formation.
Autrement dit, il s’agit davantage d’un effet de sélection que d’une qualité exceptionnelle des enseignements. Par ailleurs, l’effet de symbole doit également être conservé à l’esprit. Il est possible que les grandes entreprises soient plus enclines à offrir des contrats à durée indéterminée à des diplômés d’universités réputées en fondant simplement leur décision sur la réputation du diplôme, faisant confiance au système de sélection et de formation de ces universités. Elles seraient donc moins attentives aux potentiels défauts des candidats comparativement à ceux issus d’universités moins réputées.
L’augmentation du nombre d’étudiants étrangers
A partir à la fin des années 1990, les universités sud-coréennes ont cherché à accueillir des étudiants étrangers. Cette période correspond au moment où le gouvernement a mis l’accent sur le phénomène de la mondialisation et sur son importance pour la Corée du Sud.
Le nombre d’étudiants étrangers n’a cessé d’augmenter depuis le début des années 2000, passant de 16 832 en 2004 à 123 858 en 201786. En 2012, le gouvernement a amorcé un projet intitulé « Study Korea 2020 » dont le but est d’augmenter le nombre d’étudiants étrangers pour atteindre 200 000 étudiants à l’horizon 2020. Afin d’atteindre cet objectif, le gouvernement entreprend plusieurs projets, comme des bourses, des aides pour les étudiants en programme d’échange et l’organisation de programmes d’échange en été. Selon un communiqué de presse du Ministère des sciences et technologies (과학기술부, 科學技術部) en 2012, à travers le projet « Study Korea 2020 », le gouvernement cherche à attirer des étudiants d’excellence du monde entier et offre des subventions financières pour leur installation en Corée du sud.
Il existe des motivations communes aux universités pour s’internationaliser, mais aussi quelques singularités. Selon l’article intitulé « Formes des réactions et des stratégies des universités face à l’internationalisation selon leur type et leurs caractéristiques : étude de cas de quatre universités », les quatre universités étudiées dans cet article considèrent toutes que l’internationalisation est un élément important pour le développement et leur gestion. Elles sont conscientes du risque considérable induit par la forte compétition entre les universités couplée à la baisse de la natalité, et donc de la population étudiante, et du danger qu’elles encourent si elles n’offrent pas rapidement une réponse adaptée à cette tendance. Cet article montre également que l’une des motivations pour s’internationaliser est de pallier le manque à gagner caractérisé par le ralentissement démographique sud-coréen. Il est en effet de plus en plus difficile de recruter des étudiants pour certaines universités à cause de la baisse de la population étudiante dans son ensemble. Comme les ressources financières principales des universités sont les frais d’inscription des étudiants, leur nombre joue un rôle important pour leur gestion financière et administrative. En ce qui concerne les universités moins compétitives, l’internationalisation apparaît comme une opportunité pour améliorer leur évaluation à la fois par les médias et par l’Etat tout en complétant leurs ressources financières.
Afin de réaliser leur objectif, plus ou moins identique, les quatre universités étudiées dans cet article ont ouvert un département administratif dans lequel des employés maîtrisant l’anglais travaillent pour l’internationalisation de leur établissement. Cette tendance influence les acteurs des universités ; les étudiants, les professeurs et le personnel. Certaines écoles obligent par exemple les étudiants à suivre un certain nombre de cours dispensés en anglais et prennent en compte le niveau d’anglais lorsqu’elles recrutent des professeurs et des employés.
|
Table des matières
Introduction
I. La montée en puissance de l’usage de l’anglais dans l’enseignement supérieur en Corée du sud
I.1. Les mécanismes et l’organisation du système d’enseignement supérieur sud-coréen
depuis l’introduction de l’anglais dans le pays
I.2. L’entrée à l’université : un sujet politique sensible
I.3. L’internationalisation des universités sud-coréennes
I.4. Enquête auprès de professeurs sur les cours de spécialités dispensés en anglais
II. Cas pratique de l’utilisation de l’anglais en tant que modalité de sélection : le concours d’admission passerelle inter-universitaire
II.1. Fonctionnement du concours d’admission passerelle inter-universitaire
II.2. Le parcours universitaire des étudiants qui ont changé d’établissement supérieur
II.3. Le point de vue des professeurs universitaires : enquête auprès de professeurs au sujet jjfdu concours
II.4. La pertinence de l’usage de l’anglais en tant que modalité de sélection des étudiants
III. Une idéologie académique construite autour de la maîtrise d’anglais
III.1. La rationalisation de la prédominance de l’anglais dans l’enseignement supérieur
III.2. L’anglais, un outil de la reproduction sociale des élites universitaires
III.3. La maîtrise de l’anglais est-elle universellement importante ? Comparaison du rôle ccddddde l’anglais dans l’enseignement supérieur français et coréen
Conclusion
Bibliographie
Annexes
Table des matières
Télécharger le rapport complet