Dans l’Aquitaine « celtique » : ni retour à des cadres préromains ni attachement inconditionnel à l’Empire
La disparition du cadre politique impérial et ses conséquences
Deux thèses ont longtemps privilégié le retour à des pratiques antérieures à la romanité après la disparition de l’Empire romain d’Occident. Selon la première, l’intégration à l’Empire aurait été uniquement politique, sans modification profonde des cadres ethniques et civilisationnels . Quant à la seconde, elle soutenait que l’affaiblissement de l’Empire aurait entrainé un retour en force des particularismes locaux dès le IIIe siècle . Le résultat final aurait été le même dans les deux cas : le retour à une situation antérieure à la conquête romaine. A l’appui de ces théories, on a évoqué des éléments toponymiques, notamment le fait que l’ethnique s’impose à la fin de l’Empire romain pour désigner le chef-lieu de cité . Mais ce pointa été réinterprété à juste titre par J.-P. Bost et G. Fabre comme le triomphe du chef-lieu sur la cité et non l’inverse . Les révoltes bagaudes, parfois présentées comme le symptôme d’un retour d’un « nationalisme » gaulois ,sont aujourd’hui analysées avec plus de prudence : elles n’étaient probablement pas anti-romaines . Surtout, la personnalité ethnique –le fait de se présenter comme civis d’une cité –disparaît assez rapidement à l’époque franque au profit du simple toponyme.
Il y a donc eu une recomposition des identités dont les modalités concrètes nous échappent en grande partie. Selon M. Rouche, le succès de la romanité sur ces populations aquitaines « gauloises » aurait été très fort . L’auteur souligne à juste titre le rôle de l’« Empire des Gaules » dans la défense de la romanité . Au IV e siècle, l’auteur voit une « fidélité politique » dans l’attachement à la culture gréco-romaine d’aristocrates comme Ausone .
Il semble néanmoins que l’attachement réel à la civilisation romaine ait été mal interprété.
En effet, au niveau politique, il convient de souligner la rupture progressive, au Ve siècle, du consensus fondamental entre les élites locales gallo-romaines, d’une part, et le pouvoir central, d’autre part, incapable d’assurer la sécurité mais qui continue à prélever des impôts . Cela n’empêche pas un attachement réel à l’identité romaine, fondée sur la culture et le style de vie
–qui permet sans doute une distinction ethnique par rapport aux barbares, sans qu’elle soit nécessairement absolue puisque la satire semble également toucher ceux qui singent les Romains , et, surtout, une distinction sociale par rapport au reste de la population . C. Badel souligne l’attachement au rang de la nobilitas qui célèbre en particulier le grade d’illustris, le plus élevé de la hiérarchie sénatoriale, notamment chez Ausone . Elle reste fidèle, au moins en apparence, au modèle patricioconsulaire malgré la rareté des charges qui oblige à trouver des substituts comme les grandes préfectures et l’épiscopat . Il convient, comme aux premiers siècles de notre ère, de suivre les vertus des ancêtres en faisant carrière sous peine de voir la memoria familiale s’effacer. Cette continuité apparente ne masque pas la réalité d’une rupture politique avec l’idéal de l’Empire où des prétendants au trône impérial ont utilisé très imprudemment des peuples barbares au profit de leurs intérêts personnels . La retraite sur l’Italie du pouvoir
central, après les guerres civiles des années 383-394, a été très mal perçue par les élites gauloises et pourtant renforcée après le sac de Rome par Alaric en 410 . On peut évoquer la fin du consensus à la base de l’Empire . Les élites locales trouvent plus simple d’accepter une autorité barbare , après l’échec du nouvel Empire des Gaules sous protection barbare qui avait remplacé la dynastie théodosienne (assassinat de Valentinien III en 455) . L’analyse de M. Rouche en termes de « séparatisme gaulois » et de « patriot(isme) romain » paraît donc quelque peu anachronique . Sidoine Apollinaire ne peut plus être considéré comme « un partisan de Rome » ni comme un « Romain de cœur » . L’enjeu essentiel est bien plus pragmatique : il s’agit de préserver sa position sociale, voire sa vie, dans une stratégie qui s’adapte aux circonstances. Ainsi, les panégyriques de Sidoine flattent tour à tour l’homme fort du moment, y comprisTheodoric.
La dissolution du modèle nobiliaire antique
Quant à l’identité nobiliaire romaine, elle disparait plus précocement que ne l’ont affirmé la plupart des historiens médiévistes, qui défendent une persistance du modèle de la « noblesse sénatoriale » jusqu’à Grégoire de Tours , considéré comme le dernier représentant de la romanité. Pour C. Badel, des transformations profondes ont eu lieu avant même l’époque de Fortunat et de Grégoire (vers 570-vers 590) . En effet, la thèse d’une continuité entre le clarissimat antique et la noblesse médiévale paraît difficile à tenir.
L’expression « noblesse sénatoriale » est déjà inexacte puisque tous les sénateurs ne faisaient pas partie de la nobilitas . Si, chez Fortunat, une ascendance sénatoriale paraît capitale, son poème en l’honneur de Léonce II, évêque de Bordeaux, entretient à dessein le flou sur les charges occupées par ses aïeux – des potentes, des proceres – sous des apparences de maintien des traditions (en particulier le stemmaqui rassemble les ancêtres prestigieux). Car il n’y a plus,depuis un siècle, de possibilités d’accès aux magistratures pour l’aristocratie gauloise, ni de Sénat –contrairement à l’Italie d’où Fortunat est issu. Chez Grégoire, si le terme senatorest fréquemment attesté, il n’est associé qu’une fois à la nobilitas pour les nobles de son temps . La noblesse contemporaine forme dans son œuvre un « conglomérat hétérogène » où l’on trouve un sénateur, trois Francs et deux personnages pour lesquels rien n’est précisé. Il insiste sur des valeurs comme la gloire au combat,la richesse et, plus rarement, sur l’exercice d’une charge publique. Contrairement à l’opinion de M. Rouche, qui suppose une conscience ethnique forte des Gallo-Romains, il semble que Grégoire ne se considérait pas comme Romain . S’il maintient le nom de Novempopulanie, il désigne par ailleurs les deux Aquitaines (I et II) comme « la Germanie jumelle ». Cette expression curieuse montre plus un statut de sujet du roi franc que de représentant de la romanité . Derrière les visions divergentes de Grégoire et de Fortunat, liées à leurs origines, on peut conclure, avec C. Badel, à une « phase de transition qui assiste à la dissolution d’un modèle social » . Les points communs sont réels : la noblesse devient une distinction personnelle et non un groupe, ce qui empêche une frontière nette.
Aucune fonction anoblissante précise n’est évoquée, à l’exception de l’épiscopat. Durant cette époque charnière, la fusion des élites gallo-franques est en cours. Des nobiles barbares sont attestés chez les deux auteurs (la moitié des références de Grégoire même si l’échantillon est très faible) malgré, parfois, une certaine mise à distance. Dans le dernier tiers du VIe siècle, la noblesse gauloise rassemble toutes les aristocraties. Au VII e siècle, on peut considérer que la noblesse romaine a définitivement disparu. Elle a été remplacée comme modèle par d’autres stratégies mémoriales comme les nécropoles ou les monastères familiaux . C. Badel a raison de s’inscrire en faux contre la thèse continuiste de K.-F. Werner. Pour le grand historien allemand, la nobilitas aurait regroupé l’ensemble de la militia, reconnaissable au port du cingulum, attaché aux services civil et militaire de l’Empire tardif . Les héritières de cette noblesse seraient la noblesse de service du haut Moyen Ageet la militia chevaleresque. En réalité, la militia n’a jamais été un foyer de noblesse et cette thèse minore par trop la part de l’hérédité. Les idées de prestige de la naissance et du devoir d’imiter les vertus des ancêtres peuvent par contre être considérées comme le legs de la nobilitasantique à sa fille médiévale. A l’inverse, nous ne comprenons pas que C. Badel fasse une exception pour l’Aquitaine, qui aurait gardé plus longtemps le modèle nobiliaire antique, alors même que Fortunat et Grégoire de Tours appartiennent à cette région et sont au cœur de son argumentation . Même si nous contestons la thèse de D. Barthélémy sur les racines « germaniques » de la chevalerie médiévale, l’historien décrit à juste titre « une aristocratie (aquitaine et burgonde) de grands propriétaires (…) au service des rois mérovingiens (…) tout aussi vindicatifs et martiaux que les ‘Francs’, et (qui) ont avec eux des liens ou des rivalités de famille et de faction ».
Les Aquitaines : une marche disputée entre Goths et Francs mais des identités peu visibles
La position stratégique des Aquitaines, entre monde hispanique et franc, en fait non seulement un enjeu militaire et politique mais aussi un territoire ouvert à de multiples influences, susceptibles d’agir sur les identités des populations locales.
Les limites de la toponymie et de l’archéologie
Le rôle de l’éphémère royaume wisigothique de Toulouse (416-507), dans l’identité aquitaine et wasconne, est discuté. Si la modestie quantitative de l’apport barbare n’est pas contestée, les modalités de l’intégration des Goths restent très débattues. Le débat porte sur l’interprétation du foedus conclu avec l’empereur Honorius en 416 : a-t-il attribué des terres en pleine propriété aux nouveaux venus ou bien des revenus fiscaux dans le cadre des mécanismes de l’hospitalitas qui assurait le cantonnement des soldats romains ? Le niveau des tensions liées à d’éventuelles expropriations ou partages forcés de terres est également très discuté. Une position moyenne nous paraît préférable : les conflits ont été réels mais pas systématiques . Des barbares ont acheté des propriétés gallo-romaines.
La toponymie a été également utilisée . Les terminaisons en enset anx renverraient à une garnison ou à une famille wisigothique (comme Tonneins, Saint-Gaudens). Des racines auraient la même origine, par exemple mark(frontière) que l’on retrouve dans Margestau, Marquestau et surtout got, identifiable dans de nombreux toponymes aquitains, par exemple Gouts, Goudon, Gotz. Malheureusement, les premières attestations écrites de ces toponymes ne remontent pas au-delà du XIVe siècle. Des emprunts ont pu avoir lieu, étant donné l’important hiatus chronologique, et il serait imprudent de voir derrière chaque nom de lieu une ancienne « colonie barbare ». Pourtant, au vu de leur nombre, ces toponymes confirment une présence gothique dans la région.
L’arianisme et la culture gothique, insolubles dans l’identité aquitaine ? Un débat faussé
L’opposition religieuse entre Goths ariens et Aquitains nicéens aurait également pu jouer un rôle dans la construction des identités régionales. Ainsi, Grégoire de Tours évoque un roi goth Athanaric, arien persécuteur, qui aurait été puni par la perte de son royaume au milieu du IV e siècle. Ils’agit probablement d’un amalgame volontaire, censé annoncer la victoire de Clovis, avec Alaric II. Dans les années 460, le roi Euric, que Grégoire assimile à un envahisseur venu d’Espagne, au mépris de toute réalité historique, est censé multiplier les exécutions, les peines de prisons et les exils de prêtres contre tous les nicéens, en particulier en Novempopulanie et dans les deux Aquitaines (dont le chef-lieu était Bordeaux). Au début du VIe siècle, la défense de la vraie foi contre les troupes hérétiques (hereticas acies) aurait été la principale raison de l’intervention militaire de Clovis qui pouvait compter sur beaucoup de partisans dans toute la Gaule . Certains historiens, notamment R. Mussot-Goulard et M. Rouche, insistent sur la réalité de ces persécutions qui auraient renforcé l’identité des Aquitains, profondément nicéens, face aux Wisigoths et donc facilité la conquête franque. Outre Grégoire de Tours, ils s’appuient généralement sur des sources hagiographiques peu fiables . Cette confiance nous paraît excessive. N’oublions pas que Grégoire est une source profranque qui cherche à décrédibiliser tous les adversaires de Clovis, notamment ses rivaux wisigoths. Il interprète d’ailleurs de manière abusive la lettre de Sidoine Apollinaire au pape Basilius, dans laquelle l’évêque de Clermont regrette certes l’arianisme d’Euric, mais tout en reconnaissant la légitimité de son pouvoir et sans évoquer précisément de persécution.Certes, des évêchés sont privés de titulaires mais sans doute par la mort naturelle de leurs occupants et si des églises sont fermées par des ronces, c’est parce qu’elles sont abandonnées sans qu’il faille y voir l’intervention du roi. Sidoine n’évoque d’ailleurs que deux exils d’évêques, Crocus et Simplicius, mais sans mentionner de motif précis –ils étaient probablement politiques et ont été maquillés en persécution religieuse par Grégoire. L’arianisme gothique était bien sûr soutenu par le pouvoir ce que regrette Sidoine sans acrimonie excessive contre Euric.
Loin de l’unanimité profranque au nom de la défense de la vraie foi, idée qu’il a pourtant défendue au chapitre précédent, Grégoire évoque incidemment les divisions politiques profondes de la société aquitaine : Quintien, évêque de Rodez, avait dû fuir sa ville du fait de son soutien aux Francs que lui reprochaient la population et les Goths. De même, l’évêque de Tours est obligé de reconnaître, à mots couverts, la coupure de l’aristocratie qui transcendait, au moins en partie, les désaccords religieux : le fils d’Apollinaire –nicéen – et certains sénateurs d’Auvergne ont combattu au côté des Wisigoths à Vouillé et les Francs ont dû conquérir l’Auvergne. Par ailleurs, il est probable que l’arianisme ait remporté un certain succès auprès d’une partie, difficile à évaluer, des populations aquitaines. Un passage du Gloria Confessorumde Grégoire peut être interprété comme une tentative de décrédibiliser l’arianisme qui ne s’expliquerait pas si ce dernier n’avait eu aucune popularité. L’évêque de Tours évoque la persécution d’un prêtre nicéen par un prêtre arien qui lui aurait interdit de baptiser –ce qu’il aurait malgré tout pu continuer à faire discrètement . La fin du texte prouve le caractère polémique de l’extrait puisque tous les enfants baptisés par le prêtre arien sont censés mourir avant la fin de la Pâquesalors que les autres continuent à vivre.
Un rôle central des Wascons en Novempopulanie aux VIe et VIIe siècles ?
Cette hypothèse repose surtout sur le témoignage de Grégoire de Tours qui décrit des raids de montagnards qui auraient eu des conséquences catastrophiques. L’absence de confirmation archéologique amène aujourd’hui les historiens à rejeter l’idée, longtemps défendue, d’une invasion massive . Pourtant, R. Mussot-Goulard soutient l’hypothèse d’un rôle fondamental de populations montagnardes, même si elles auraient eu des origines diverses, dans la genèse de la Wasconie au VIe siècle. Cependant, le fait que le nom de Wasconie ait remplacé celui de Novempopulanie interpelle. Faut-il croire en la naissance d’une patria Wasconum ou est-ce un pur décalque de la patria Francorum des sources franques ?
Grégoire de Tours : un témoignage peu fiable, inscrit dans une tradition historiographique
Concernant la fiabilité du témoignage de Grégoire, il nous paraît sujet à caution d’autant que nous avons déjà vu que l’auteur n’hésitait pas à présenter les Wisigoths comme des envahisseurs venus d’Espagne –ce qu’ils n’étaient bien évidemment pas. Nous pensons que l’évêque de Tours a utilisé à des fins politiques profranques une gens espagnole antique –les Vascones– en jouant sur le topos d’une proximité entre Aquitains et Ibères . Grégoire aurait voulu rejeter l’ancienne Novempopulanie, souvent révoltée contre les Francs, dans la barbarie . Ce choix des Vascones n’est pas fait au hasard. L’évêque de Tours avait eu des contacts avec l’ambassadeur wisigoth et,en 579, il avait conduit à Tolède la princesse Ingonde auprès de son époux, Herménegild. Les révoltes vasconnes, côté espagnol, lui étaient donc probablement connues. Cela facilitait l’identification entre la situation des deux piémonts pyrénéens et l’ethnicisation du faible contrôle franc en Novempopulanie . Ce faisant, Grégoire s’inscrivait dans la tradition antique, qu’il enrichissait, des Vascons, barbares, montagnards et païens. Ces clichés littéraires, à visée polémique, remontent à la fin du IV e et au début du V e siècle. Ainsi, la correspondance versifiée entre Paulin de Nole et Ausone (fin IV e) peut fournir un premier jalon . Le rhéteur de Bordeaux reproche à son ami son retrait du monde –il avait vendu tous ses biens – pour embrasser l’état monastique. Il l’accuse d’avoir fui loin de la civilisation pour les « gorges de Vasconie ». Il ne faut bien évidemment pas prendre l’affirmation au sens strict. Jamais Paulin ne s’est établi dans la montagne. Il le souligne d’ailleurs dans sa réponse puisqu’il vit à proximité des cités de Saragosse, Barcelone ou Tarragone. Le portrait des Vascons ne correspond donc à aucune réalité ethnographique.
La dimension de jeu littéraire est bien évidemment très présente . Depuis Pline, le saltus montagnard, associé aux Vascons, personnifie l’état de barbarie . Dans sa lettre, Paulin développe ce cliché : les Vascons seraient une gens barbara (v. 220, voir aussi v. 209), amorale (improbitas, v. 202 ; latronum, v. 208 ; iniquos, v. 213), à l’écart du genre humain (feritate, v. 210, est une allusion à la bestialité comme inhumano hospite, v. 214-v. 215).
Elle serait le portrait fidèle de son environnement, une nature désolée (saltus vastosv. 203, iugisv. 208), non domestiquée par l’homme, donc sans cultures agricoles, à l’opposé des campagnes proches des villes d’Hispanie (v. 217 et v. 226). Toutes les villes attribuées à la Vasconie, Calagurris, Bilbilis et Ilerda, sans guère de respect pour la géographie – preuve que Vascon est une ethnicisation de tout « montagnard barbare » – deviennent montagneuses ou en ruine (v. 223-224) . Paulin ne fait pas explicitement des Vascons des païens mais cela est sous-entendu, comme sa capacité supposée à les convertir s’il était parmi eux . Un peu plus explicitement, d’autres auteurs contemporains d’Ausone et de Paulin, Prudence et Jérôme, ont complété la barbarie vasconne en lui rajoutant le paganisme, même si cela reste très marginal. Dans son œuvre hagiographique, l’auteur du Peristephanon, quand il évoque le martyre de saint Cyprien, à Calagurris, ville dont il était lui-même originaire, fait du paganisme une ancienne caractéristique des Vascons –quand ils persécutaient les chrétiens. Quelques vers plus loins, il précise cependant que les martyrs protègent désormais les habitants de Calagurris, devenue chrétienne . Quant à saint Jérôme, son Contre Vigilance, est un pamphlet, publié vers 404, contre un théologien aquitain qui refusait le culte des reliques . Les Vascons ne sont cités qu’associés à d’autres ethnies (Arvaques, Celtibères) censés avoir constitué le peuplement de la cité des Convènes dont Vigilance est issu. Jérôme rejette sur ces origines barbares –on retrouve les topoisur les brigands et les montagnards vivant sur les sommets –le caractère selon lui diabolique de son contradicteur, coupable de s’en prendre aux églises. Cependant, vu la nature polémique du document, il serait abusif de faire du paganisme une caractéristique du mos inditusvascon. Par contre, Grégoire de Tours, lecteur probable et sélectif, comme nous l’avons déjà vu, a pu être incité par ce passage à attribuer aux Wascons une violence extrême –il en fait de redoutables pillards –ce qui n’était pas leur trait majeur,dans les descriptions des IV e et Ve siècles, où domine l’idée de barbares qui vivent à l’état de nature, sans organisation sociale ni sédentarisation . Pour autant, les églises ne sont pas explicitement désignées comme des cibles chez Grégoire, à l’inverse de l’ager (vignes, champs), symbole de la civilisation romaine. L’évêque de Tours a donc repris la tradition préexistante tout en l’enrichissant d’une nouvelle dimension.
Une prise d’autonomie politique plus marquée à la fin du VII e siècle mais des marques d’identité qui restent ténues
La Wasconie et l’Aquitaine continuent à s’affirmer comme principautés périphériques, grâce à leur éloignement des centres du pouvoir et, selon toute vraisemblance, à l’absence de troupes franques installées à demeure. Comme de nombreux historiens l’ont déjà souligné, cette situation n’est pas exceptionnelle dans le monde franc.
Elle est similaire à celle de laBretagne, de laProvence ou des marges orientales comme la Bavière ou la Thuringe. Des chefs autonomes s’affirment avec d’autant plus de facilité que le pouvoir franc connaît une éclipse,à partir de 650,du fait de la reprise des tensions entre la Neustrie et l’Austrasie. Une intervention militaire franque devient improbable. Le contexte de la fin de la dynastie mérovingienne offre également un moyen de négocier son autonomie –le regnum d’Aquitaine aurait été promis à son duc en 718 – selon la continuation de Frédégaire et un argument à opposer aux Carolingiens, après leur installation sur le trône en 751. Nous retrouvons les tendances centrifuges de l’aristocratie qui s’affranchit d’un pouvoir lointain,jugé plus coûteux qu’utile depuis la fin de l’Empire romain d’Occident . Cette prise d’autonomie politique, indéniable, débouche-t-elle sur la création d’une identité régionale ?
Un brouillage des ethnonymes dans les sources franques pour dénigrer les Aquitaines indépendantes
Un portrait encoreplus à charge des Wascons, barbares païens hérités de l’Antiquité
Les Wascons sont parfois affublés, dans les sources franques, d’étiquettes ethniques antiquisantes (Vaccei, Vaceti) qui relèvent en partie d’un jeu littéraire à la mode mais poursuivent aussi des objectifs politiques indéniables. Nous pouvons ainsi recenser quatre attestations, reprises des Vaccei d’Isidore, dont une, probablement, dans le Liber generationis I,sous la forme Voccei . Toujours est-il qu’on le retrouve dans trois Vitae, difficiles à dater d’où l’impossibilité de se prononcer concernant les éventuelles filiations de l’une à l’autre . Ainsi, dans la Vita Eligii Episcopi Noviomagensis, l’éloge de Dagobert, au moment de sa mort (639) s’accompagne de la mention des ferocissimos etiam Vacaeos dicioni propriae hostili gladio subactos . Malgré la reprise de l’ethnonyme d’Isidore, ce ne sont plus les Vascons,certes turbulents mais faciles à réprimer,mais bien des personnages sanguinaires (ferocissimos) dans la lignée de la tradition héritée de Jérôme, de Prudence et surtout de Grégoire de Tours comme nous l’avons déjà vu.
L’affirmation de victoire, destinée à rehausser les mérites du roi mérovingien, ne correspond pas à la réalité de la domination franque, à éclipse. Quant à la Vita Amandi Episcopi , elle présente une double attestation, d’abord destinée à localiser les Wascons (Vaccensibus et Pyrenaeis montibus) sur le mode antiquisant d’Isidore, comme le faisait, à la même époque, la chronique mozarabe . Cela renvoie au mos inditusdes montagnards, pasteurs et nomades, autrement dit barbares. Ce portrait implicite est aggravé dans le passage suivant, l’un des rares aussi long à avoir été consacré aux Wascons –cette fois-ci nommés sous leurs deux ethnonymes. Le titre annonce un portrait à charge : De eo quod, dum gentem Wasconorum verbum Domini admoneret, ab eis repulsus sit et de mimilogo a daemone erepto (« Du fait que, pendant qu’il rappelait la parole du Seigneur au peuple des Wascons, il fut repoussé par eux et qu’un plaisantin fut emporté par le démon »).
L’explication pseudo-étymologique qui fait de Vaceiale terme ancien pour Wascons est visiblement reprise d’Isidore . L’auteur synthétise ici tous les clichés attachés aux Wascons, décrits comme des barbares. Dans la tradition de Jérôme et Prudence, même si nous avons vu que ces auteurs ne généralisaient pas , les Wascons seraient des païens (idola etiam pro Deo coleret), ce qui ne tient pas à cette époque.
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Table des matières
Dédicace
Remerciements
Introduction
PREMIÈRE PARTIE – I. LES ORIGINES SUPPOSEES DE DEUX IDENTITES ETHNIQUES DANS LE PASSE IMPÉRIAL ETLES APPORTS BARBARES
1. UNE « IDENTITE REGIONALE »ATTESTEE EN NOVEMPOPULANIE ?
1. 1. Les témoignages difficiles à analyser de l’historiographie antique
1.2 La question très complexe de la langue aquitanique
1. 3 L’inscription d’Hasparren : un marqueur d’identité régionale et de capacité d’intégration
2. DANS L’AQUITAINE « CELTIQUE » :NI RETOUR A DES CADRES PREROMAINS NI ATTACHEMENT INCONDITIONNEL A L’EMPIRE
2.1 La disparition du cadre politique impérial et ses conséquence
2. 2 La dissolution du modèle nobiliaire antiqu
3. LES AQUITAINES :UNE MARCHE DISPUTEEENTRE GOTHS ET FRANCSMAIS DES IDENTITES PEU VISIBLES
3.1 Les limites de la toponymie et de l’archéologie
3.2 L’arianisme et la culture gothique, insolubles dans l’identité aquitaine ? Un débat faussé
BILAN
DEUXIEME PARTIE – II. SEPARATION D’UNE IDENTITE WASCONNE ET D’UNE IDENTITE
AQUITAINE OU BROUILLAGE DES ETIQUETTES ETHNIQUES (VI E -768) ?
1. UN ROLE CENTRAL DES WASCONS EN NOVEMPOPULANIE AUX VI E ET VII E SIECLES ?
1.1 Grégoire de Tours : un témoignage peu fiable, inscrit dans une tradition historiographique 55
1.2 L’ethnicisation de révoltes nobiliaires à répétition : 59
2. UNE PRISE D’AUTONOMIE POLITIQUE PLUS MARQUEE A LA FIN DU VII E SIECLE MAIS DES MARQUES D’IDENTITE QUI RESTENTTENUES
2. 1 Des sources littéraires lacunaires et cryptées
2. 2 Un faciès archéologique spécifique à l’Aquitaine à partir du VII e siècle ?
3. Un brouillage des ethnonymes dans les sources franques pour dénigrer les Aquitaines indépendantes
3. 1 Un portrait encore plus à charge des Wascons, barbares païens hérités de l’Antiquité
3. 2 Des Aquitains romains ou transformés en Wascons par les Francs ?
BILAN
TROISIEME PARTIE – III. LA CREATION DE DEUX PEUPLES (V. 781-888) ?
1. UNE IDENTITE AQUITAINE FONDEE SUR UN ROYAUME PERIPHERIQUE CAROLINGIEN ?
1. 1 Unemémoire monastique qui laisse peu de place au particularisme aquitai
1. 2 Une mémoire laïque ? Le Waltharius, les « légendes des Aquitains » et le costume ethnique
1. 3 Un antagonisme entre Aquitains et Francs révélateur de rivalités ethniques ?
2. UNE IDENTITE WASCONNEFONDEE SUR L’AUTONOMIE POLITIQUE OU SUR UNE DYNASTIE ETHNIQUE ?
2. 1 Loup, prince territorial ou ethnique ?
2.2 L’épisode de Roncevaux : le signe d’une identité wasconne inassimilable dans l’ensemble franc ?
3. UN POUVOIR WASCON PLUS QU’UN PEUPLE WASCON ?
3.1 Un pouvoir autonome wascon entre tentatives avortées d’intégration et stigmatisation ethnique
3.2 La Wasconie, de la principauté élective à la division à partir de la disparition de Sanche Loup ?
3. 3 Une intériorisation de l’identité wasconne à partir du principat de Sanche Sanche dit Mitarra ?
BILAN
Conclusion
Bibliographie
Résumé
Table des matières
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