Une géo-histoire de la périurbanisation

Le périurbain en question

L’espace périurbain : une réalité plurivoque

Les tentatives de définition de ce nouvel espace gagné sur le rural où se sont massivement construites des maisons individuelles se sont multipliées ces dernières décennies. Le périurbain fait partie des mots que l’on avance, sans toujours savoir quelle signification on lui donne. Cet espace est, tour à tour, associé à des représentations positives puis négatives. Pour ce faire, il convient d’interroger celles-ci, qu’elles soient positives, négatives ou homogénéisantes ?

Ainsi, d’après G. BAUER et J.M ROUX (1976), ils définissent la « rurbanisation » comme « le déploiement et la dissémination des villes dans l’espace ». Leurs analyses évoquent le fait que des personnes sont désireuses de travailler en ville, tout en préférant le mode de vie rural. Ils mentionnent que « même la moins rapide dissémination des villes dans l’espace a donc changé fondamentalement le rapport des habitants et de leur espace géographique ». Pour eux, la « rurbanisation » est d’abord le déversoir d’une croissance démographique qui ne peut trouver place au centre des villes pour de simples raisons d’espace. Elle se caractérise par un espace situé entre ville et campagne où il faut avant tout, dans leurs critiques, cesser de croître l’urbain, si l’on souhaite garder le caractère rural de nos territoires.

Parallèlement, M. VANIER (2000) va consacrer le terme de « tiers espace » pour caractériser ce phénomène, et souligner le continuum de situations intermédiaires de première génération, n’ayant donné lieu à aucune forme d’institutionnalisation particulière. Ce « tiers espace » croît rapidement, « dans les périphéries des métropoles, le long des grands couloirs de circulations, ou dans les interstices des réseaux de villes petites et moyennes qu’ils polarisent ». Selon lui, l’espace périurbain n’a pas attendu qu’on le nomme pour s’affranchir d’une territorialité propre.

Autre concept, d’après B. SECCHI dans L’émergence de la ville diffuse (2002), qui évoque le terme de « ville diffuse, dispersée qui sera l’icône du XXIe siècle ». La « ville diffuse » va de pair avec un mode de vie fondé sur la maison unifamiliale avec jardin. Elle est d’abord caractérisée par la présence de maisons individuelles et la forte présence de la campagne, où elle s’étend, sans que cette dernière disparaisse. B. SECCHI évoque, comme bien des auteurs, une campagne et une urbanisation qui s’entremêlent, constituant ce qu’il qualifie une « peau de léopard». L’absence de centre domine dans ce concept à la différence du terme périurbain, qui admet et insiste sur la dépendance des rapports avec le centre. Le concept fait d’autant plus référence aux entreprises, services et équipements présents sur le territoire, et pas seulement à l’accroissement des logements.

Ces concepts font clairement apparaître la diversité des analyses concernant les espaces péri-urbains, qui rendent compte, à la fois de la diffusion du phénomène à l’échelle nationale, et finalement, de ses singularités selon les divers contextes locaux et nationaux. Cet emboîtement d’échelle transforme les caractéristiques morphologiques de ces territoires avec une « interpénétration » du rural et de l’urbain, leurs liaisons avec le centre urbain et leurs évolutions à terme. Le contexte local aurait une place prépondérante pour appréhender ce mécanisme. Le périurbain s’avère être un laboratoire d’autres modes de vie qui ne peuvent être évalués à l’aune des modèles d’urbanité issus des villes-centres (Charmes et al., 2013). Les communes de cet espace périurbain ne possèdent évidemment pas tous les attributs symboliques et fonctionnels des villes – et a fortiori des centres ville -, mais on observe une réelle envie de gagner en urbanité, tant dans leurs paysages ou dans la morphologie de leurs centres-bourgs, mais sans pour autant faire disparaître complètement les composantes rurales. Ces espaces confirment leur attractivité, du fait qu’ils offrent la possibilité de concilier un minimum d’urbanité et l’accès à une maison individuelle.

D’après M. VANIER, Dans l’épaisseur du périurbain (2012, pp. 211 – 218) : « on peut alors avancer que le périurbain est une situation, la périurbanisation un processus, et la périurbanité un attribut » (au sens neutre du terme).

Des premières traces de villégiature à un espace périphérique sous dominance urbaine 

La première vague périurbaine est présentée comme un phénomène de villégiature aristocratique, puis bourgeoise, à l’époque contemporaine, qui fut conditionnée par le développement des chemins de fer dès le second tiers du XIXe siècle, et par la même occasion, qui est couplée au développement des formes urbaines balnéaires (Trouville-Deauville, Vichy, la Côte d’Azur). Ce phénomène va se répandre dans les environs des grandes villes – en particulier dans les secteurs de fortes aménités paysagères et il va servir, bien souvent, de levier à l’amorce de ce que l’on nomme aujourd’hui la périurbanisation (Faure, 2005).

Quelques décennies plus tard, les premières cités jardins, transférées du concept théorisé par l’urbaniste britannique Ebenezerd HOWARD, vont être construites. Ce modèle urbain va progressivement démocratiser la petite maison avec jardin comme le modèle social, voire idéal de vie à atteindre ; celui que nous connaissons encore aujourd’hui .

Cette vague va se poursuivre jusqu’à l’entre-deux-guerres en lien avec l’industrialisation, selon des modalités plus désordonnées et au gré des opportunités. Les usines migrent vers la périphérie pour un besoin d’espace et en raison des nuisances qu’elles génèrent (bruits et odeurs). Ces installations industrielles en périphérie des villes vont générer un regroupement de familles issues des classes ouvrières qui se logent dans des petits immeubles proches. Les lotisseurs vont être les premiers aménageurs de l’espace et favoriser une dispersion de l’habitat, un mitage, qui résulte d’une absence de tout contrôle étatique et de tout cadre législatif.

Les mouvements sociaux et la crise du logement vont s’accentuer durant cette période, pour cause, la construction très réduite de logements conduisent au vote de la loi Loucheur (1928). Elle prévoyait la construction sur cinq années de 200000 HBM (Habitat Bon Marché) et 60 000 logements à loyer moyen. Cette loi va avoir un impact considérable sur le développement et la consolidation d’une « banlieue pavillonnaire » dans les périphéries immédiates de nombreuses villes. Ce mécanisme s’inscrit dans l’esprit de deux dispositions législatives précédemment instaurées : la loi Siegfried (1894), qui a finalement ouvert la voie en proposant des mesures fiscales en faveur de l’accession à la propriété ; et la loi Strauss (1906) qui a permis aux communes de financer le logement social et défini le prix des loyers moyens : une réelle renaissance d’une action publique et étatique favorisant le logement social – un logement social d’abord pavillonnaire.

Les banlieues se transforment et les communes rurales continuent de s’urbaniser, plus ou moins vite selon le rythme de l’industrialisation des villes. Les cités jardins vont aussi être érigées afin de décongestionner les grandes villes industrielles surpeuplées et désorganisées. Cet enchevêtrement de mesures n’a fait que renforcer le désir d’accéder à la maison individuelle avec jardin : un pas vers la diffusion d’un modèle sociorésidentiel qui prendra son essor, en France, après la Seconde Guerre mondiale.

Dès les années 50, des zones pavillonnaires vont progressivement apparaître et parfois même se densifier – en lien avec la mise en œuvre du Plan Courant. En 1953, le Ministre de la Reconstruction et du Logement, Pierre Courant, fait voter une loi qui met en place une série d’interventions (que l’on nomme « Plan Courant ») facilitant la construction de logements, tant du point de vue foncier que du point de vue du financement (primes à la construction, prêts à taux réduit, etc.). Ce plan va officialiser les premières Zones d’Aménagement Concerté (ZAC). Les dégâts urbanistiques, que va alors causer la prolifération anarchique des banlieues pavillonnaires, vont largement être critiqués. Les Congrès Internationaux d’Architecture Moderne (CIAM), dont la figure médiatique est LE CORBUSIER, vont privilégier le logement collectif au détriment du logement individuel ; entre le milieu des années 1950 et le milieu des années 1970, la production est marquée par un urbanisme de barres et de tours, inspirée des leçons de l’architecture moderne précédemment citée.

Ces grands ensembles ont avant tout permis un large accès au confort moderne (eau courante chaude et froide, chauffage central, équipements sanitaires, ascenseur, etc.) notamment pour les ouvriers des banlieues, les résidents des habitats insalubres, les rapatriés de la guerre d’Algérie et la main-d’œuvre des grandes industries. Ils génèrent aussi une rupture morphologique urbaine, ce mode d’habitat ne va pas tarder à être revendiqué par des personnes que la croissance de leurs revenus va inciter à réclamer de meilleures conditions de vie et d’habitation. Rapidement, ces mêmes personnes vont préférer une maison individuelle avec jardin.

Rétrospective et retour sur l’histoire des trois principales aires urbaines normandes

Caen, une ville marquée par sa reconstruction

Caen est une ville sortie de l’écrin de sa vallée dans l’entre-deux guerre (Poussard, 1994). La reconstruction achevée, les grands ensembles de logements encadrent l’agglomération caennaise et en dessinent ses contours : Calvaire Saint-Pierre, Guérinière, Grâce de Dieu… Dès la fin de la guerre, on peut affirmer que Caen est devenue une « grande » ville ; sa population a doublé (61 334 en 1936 ; 110 266 en 1968, d’après l’INSEE). L’amélioration des conditions de vie s’avère indiscutable et de nouvelles activités s’y sont alors implantées. On distingue une urbanisation, qui a happé les communes anciennement rurales avoisinantes pour accueillir des nouveaux résidents caennais, créant successivement trois couronnes périphériques . Les premières années d’après-guerre, l’urbanisation s’est développée de manière radioconcentrique ; d’abord dans la ville centre, ensuite dans les autres communes de plus en plus éloignées qui constituent aujourd’hui l’aire urbaine. La reconstruction caennaise a-t-elle été un facteur de développement ?

Après la vague de reconstruction du centre-ville caennais, la nécessité de production de logement s’est traduite par la croissance urbaine autour de la ville, gagnant progressivement, par différentes phases, les différentes communes rurales. Dans les années 1955, la reconstruction de la ville centre s’achève et apparaissent alors les premiers grands chantiers d’immeubles d’habitats collectifs : la Guérinière et la Grâce de Dieu.

Parallèlement, on observe des logements qui sortent de terre dans les communes périphériques. Suit alors une réflexion autour d’une nouvelle définition de l’espace caennais incluant alors le développement de son agglomération. Néanmoins, durant ces années, la construction architecturale sur l’ensemble métropolitain et en Normandie semble adopter la stratégie des grands ensembles collectifs ; elle vise notamment à accueillir les rapatriées d’Afrique du Nord, mais également héberger les travailleurs en masse du secteur industriel. Tout est nouveau sur ces anciennes terres agricoles. On y retrouve que peu d’équipements et de services, des quartiers qui ne semblent pas être réellement fédérés. Le phénomène de périurbanisation n’atteint alors pas automatiquement toutes les communes, mais bien celles qui desservent le mieux le centre de l’agglomération : « Alors que les principales circulations, fort épisodiques, traduisaient encore il y a peu les activités agricoles de la commune, ce sont maintenant, matin puis soir, des files de voitures des nouveaux résidents partant passer leur journée à la ville, puis y revenant pour le repos, qui rythment la vie des villages que l’urbanisation a rejoints puis dépassés » (A. POUSSARD et al, 1994).

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction générale
Positionnement scientifique
Démarche méthodologique
Une pluralité d’approches géographiques
Une méthode mixte : une complémentarité opérationnelle
Premières hypothèses et raisonnements
Première partie : Une géo-histoire de la périurbanisation
1. Le périurbain en question
1.1. L’espace périurbain : une réalité plurivoque
1.2. Des premières traces de villégiature à un espace périphérique sous dominance urbaine
1.3. Rétrospective et retour sur l’histoire des trois principales aires urbaines Normandes
1.3.1. Caen, une ville marquée par sa reconstruction
1.3.2. Du centre à la périphérie
1.3.3. La Normandie
1.3.3.1. Rouen « métropole »
1.3.3.2. Le Havre, une ville deux fois reconstruite en cinq décennies
1.3.4. Un modèle périurbain de distribution des villes et de relation hiérarchique
1.3.5. La périurbanisation s’étend toujours de plus en plus loin
Deuxième partie : Qualification des espaces périurbains normands au travers d’une lecture croisée de leurs agences d’urbanisme
2.1. Morphologie, contours et dynamique périurbaine
2.1.1 Les contours de l’urbanisation et l’évolution des modalités
2.1.2. L’évolution démographique dessine une périphérie variée
2.1.3. La vision des directeurs des agences d’urbanisme de leur territoire
2.2) Les différentes logiques morphologiques, sociologiques et leurs articulations avec les traces existantes
2.2.1. Reconfiguration de l’occupation spatiale et des densités de population
2.2.2. Une sectorisation sociale de l’espace périurbain
2.2.3. Foncier, une ressource territoriale pour le développement
2.2.4. Des politiques d’aide à l’accession à la propriété à l’épreuve de la crise
2.3. Quelle(s) enjeu et perspective(s) d’évolution(s) ?
2.3.1. La géographie sociale de ces espaces – quelle évolution ?
2.3.2. Quelles perspectives d’évolutions et modalités de gouvernance de ces espaces en interne et avec l’EPI central ?
Troisième partie : approcher les effets de contextes et de situations
3.1. Présentation des communes périurbaines retenues dans leurs paysages institutionnels
3.2.1. Caractéristiques des intercommunalités et des communes enquêtées
3.2.2. Une vision du maire de leur territoire
3.2.3. Caractérisation des communes
3.2. Contextualisation et cadre de vie
3.2.1. Démographie sociale : entre vieillissement et renouvellement de la population
3.2.2. Densités vécues et formes urbaines
3.2.3. La programmation de logement : entre construction et accessibilité
3.3. La gouvernance communautaire et les relations intercommunales
3.3.1. Les relations entre communes et communautés
3.3.2. Entre territoire de la centralité et de la ruralité
3.3.3. Perception de l’avenir
Conclusion générale
Bibliographie

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *