Une évaluation du potentiel didactique de l’enseignement de l’espéranto à l’école secondaire

La situation du français

             Cette étude part de la constatation d’une situation particulière du français à Madagascar. Celle-ci présente deux aspects qui semble être en discordance, voire contradictoires : d’un côté la langue jouit d’un préstige et d’un statut important au sein d’une société malgache moderne et dynamique intégrée dans différentes structures internationales, telle la francophonie. D’une autre part, elle soulève certaines problèmatiques en rapport à une société qui peine à s’enrichir du contact des langues, aussi bien d’un point de vue économique que culturel. Ce paradoxe résume la situation du français à Madagascar : une langue de la réalité quotidienne mais également une langue d’ouverture pourtant mal exploitée voir marginalisée dans les pratiques. Nous reviendrons plus tard sur ce dernier point. Ce paradoxe apparait d’autant plus manifeste en considérant les objectifs de développement associés à l’apprentissage des langues étrangères, ce qui accorde au français un statut particulier. Le français pèse d’un certain poids, à des des degrès divers, dans le quotidien de tout un chacun à travers ses manifestations diverses et variées (langue d’institution, du vocabulaire scientifique et spécialisé, des médias, de l’identité jeune, etc.) rendant ainsi son usage quasiincontournable. Selon une étude menée dans le cadre du programme « Langues nationales, Français et Développement », la place du français dans une société peut se définir selon une dualité entre le pouvoir conféré à cette langue (status) et la réalité de son usage (corpus). La présence du français à Madagascar se caractérise ainsi par « un indice de status élevé » alors même que sa pratique est restreinte à des cadres spécifiques souvent associée au prestige. Cette opposition status/corpus est retenue par le programme « Langues Africaines, Français et Développementdans l’Espace Francophone » (LAFDEF) comme un outil conceptuel pour décrire la pluralité des situations au sein de l’espace francophone. La disparité des usages du français est envisagée comme problématique pour le développement des pays membres d’une structure Francophone dont la cohésion est assurée par une unité linguistique. Chaudenson et Rakotomalala, (2004). Pour ces chercheurs, une compréhension de la Francophonie passe par l’évaluation des dynamiques internes parfois très différentes, en œuvre sous l’apparente réalité unique du terme dans laquelle on regroupe des situations finalement très différentes. Cette évaluation s’emploie à décrire, pour chaque pays membre, la présence du français au sein des institutions diverses telles que l’école, les médias et les organes étatiques. Retenus en tant que critères d’une grille, des points sont attribué à chacun de ces cadres rendant compte des fonctions officielles attribuées au français. La somme de ces points constitue l’indice de status de l’usage de la langue. A cet indice on oppose la connaissance et la pratique réelle de la langue au niveau de la population. A partir notamment des critères de compétences et de production langagière, le même procédé de notation est appliqué. Il en ressort qu’à Madagascar, l’indice de status est en surrefficience par rapport à l’indice de corpus. En d’autres termes, le poids du français dans la société à travers les fonctions qu’il occupe ne correspond pas au niveau de compétence et à l’usage attesté de la langue dans les pratiques. Si le français demeure la langue consacrée dans les sphères socioprofessionnelles touchant au pouvoir et au savoir, une grande majorité de la population se retrouve exclue (ou s’excluent eux même en étant incapable de s’identifier dans cette langue) d’une part importante des activités de leur pays en raison de leur lacune. Selon les statistiques de l’Académie malgache portant sur l’usage du français, 0,57 % de la population malgache parlent uniquement le français, 15,87 % le pratiquent occasionnellement et 83,61 % ne connaissent que le malgache. On peut décrire la pratique du français comme étant, d’un côté, une réalité intégrée aux pratiques quotidiennes de l’individu, et de l’autre, une langue véhiculaire associée au prestige. En raison des enjeux importants associés à la pratique du français, l’usage de la langue devient potentiellement un terrain favorable à l’insécurité et l’aliénation du fait de parler une langue à laquelle on ne s’identifie pas. Ainsi, la pratique du français présente deux aspects en discordance : un outil de développement, d’une part, mais qui handicape la grande majorité en demeurant, traditionnellement et dans l’imagination, la chasse gardée de l’élite. En effet, le français jouit d’un prestige qui transparait dans plusieurs domaines : professionnel puisque le français est une langue de travail dominante, économique puisqu’une part importante des transactions se fait par l’intermédiaire du français et sur la base d’une devise qui peine à s’émanciper, et enfin sur le plan politique puisque le français à Madagascar relève de stratégies politiques d’ouverture et de coopération. Il en advient que le français est un outil quasi-indispensable à l’individu souhaitant s’intégrer et s’élever socialement alors même que le rapport au français est souvent tendu rendant ainsi parfois son appropriation et son maniement difficiles. Néanmoins, la raison majeure que nous retiendrons pour expliquer ce rapport au français malaisé se retrouve dans la qualité de l’enseignement des langues en général qui varie beaucoup selon les moyens et la localité (milieu urbain ou rural). Par ailleurs, au lieu d’aider l’apprenant à s’affranchir d’une vision conflictuelle, handicapante à la circulation des idées, souvent l’enseignement proposé ne fait qu’exacerber la compétition entre les langues et perpétuer ainsi les clivages sociaux.

L’insécurité linguistique : un frein économique

              Parallèlement à ce constat indiquant une revitalisation du français la pratique de cette langue se heurte toujours à l’inertie de l’opinion commune, selon qui le français demeure une langue étrangère. Souvent les productions langagières issues de la rencontre du français et du malgache suscitent des images évoquant l’impureté de ces parlers ou l’aliénation de ceux qui y ont recours. Ce contexte bi-plurilingue caractérisé par la diglossie et la stigmatisation de certaines formes langagières peut solliciter chez l’individu une réévaluation constante de ses pratiques en se référant à celles perçues comme étant détentrices de la légitimité ou de la norme. Il en résulte que l’apprentissage et la pratique d’une langue étrangère se font généralement non sans une certaine appréhension. Comme le signale Francard, la crainte de se situer à l’écart de ces modèles établis peut étouffer l’épanouissement des pratiques en favorisant l’insécurité linguistique. L’insécurité linguistique [est] la prise de conscience, par les locuteurs, d’une distance entre leur idiolecte (ou leur sociolecte) et une langue qu’ils reconnaissent comme légitime parce qu’elle est celle de la classe dominante, ou celle d’autres communautés où l’on parle  un français « pur », non abâtardi par les interférences avec un autre idiome, ou encore celle de locuteurs fictifs détenteurs de LA norme véhiculée par l’institution scolaire. Francard, 1993. En l’occurrence, si les parlers mixtes, forme principale que revêt la pratique du françaisnotamment à travers le variaminanana, sont devenus un moyen d’expression majeur dans la société malgache, ils continuent néanmoins à faire face à diverses formes de stigmatisation en raison du peu de reconnaissances qui leur sont accordées. Toutefois, ces productions marginales ou marginalisées constituent une forme intermédiaire par laquelle passe l’appropriation du français et leur inhibition peut représenter dans une certaine mesure un obstacle à l‘épanouissement d’un plurilinguisme effectif. L’insécurité linguistique et la frustration qui peut s’en accompagner ont potentiellement des répercussions sur le rapport à la langue et au plurilinguisme en général. Dans un environnement socioprofessionnel où les compétences sont souvent en décalage avec ce qui est retenu comme modèle, l’individu aura tendance à éviter le recours au français tout en s’efforçant de maîtriser la langue. Cette langue étant perçue soit comme le terrain de l’élite soit comme un phénomène étranger auquel il est difficile de s’identifier. Les médias en tant que baromètre de la dynamique sociale dressent parfois un portrait fidèle du quotidien et des paradoxes de la vie moderne. L’extrait suivant a été lu et tiré d’un article paru dans un journal local durant la tenue du Sommet de la Francophonie à Madagascar, il rend compte du rapport complexe que l’individu entretient avec la langue française. « Haïr » la langue française, toujours considérée comme la seule langue de Gallieni et « espérer » que ses enfants usent du français avec perfection. Une contradiction qui prend des racines lointaines, sans doute quelque part dans un passé commun où les plaies n’ont pas encore cicatrisé (…). Extrait d’un article consulté sur le site du quotidien L’Express de Madagascar.

Une didactique du français dépassée

              Dans une large mesure la dimension culturelle est négligée dans l’enseignement des langues à Madagascar. L’enseignement d’une langue se focalise dans la transmission des règles censées être directement liées à la maîtrise de la langue sans considération de certains paramètres secondaires pourtant tout aussi importants dans le développement d’une capacité communicationnelle. On pourrait décrire cette approche « traditionnelle » comme une méthode d’enseignement axée sur une approche normative s’appuyant essentiellement sur les règles grammaticales afin d’expliquer, faire comprendre et faire pratiquer la langue. Elle délimite l’apprentissage de la langue sur elle-même et tend à éviter autant que possible les interférences avec des éléments considérés secondaires ou étrangers. A Madagascar, l’enseignement des langues est par défaut calqué sur des modèles privilégiant, à l’expressivité et l’épanouissement individuel, le respect des normes et des règles d’usage selon des critères difficilement accessibles pour la majorité. En raison de ces contraintes, cette vision pourrait potentiellement pérpétuer un système élitiste et étouffer l’appropriation du français à travers des pratiques plurilingues décomplexées. De même, les classifications modernes remettent en question l’approche dite traditionnelle en raison des nouvelles perspectives apportées par les progrès en socio-psychologie. En l’occurrence la plupart des théoriciens de l’interculturel s’accorde à dire que la didactique des langues devrait être envisagée dans le sens plus large de didactique des langues cultures. Cette réflexion est par exemple reprise par Rana Kandeel (2013) qui propose d’envisager l’enseignement du français dans le milieu universitaire jordanien au sein d’une didactique du Français Langue et Culture Etrangère (FLEC). Selon cet auteur, « On ne pourrait pas parler d’une didactique de langue étrangère sans une didactique de sa culture ». L’intrication des concepts de langue et de culture est souvent un point négligé de la didactique, surtout dans un contexte malgache où l’adoption et l’enseignement du français revêt plus d’enjeux politiques que d’une approche interculturelle.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I-POUR UNE APPROCHE CONTEXTUELLE DE L’ENSEIGNEMENT DES LANGUES
Chap.1. PRESENTATION DU CONTEXTE : POLITIQUE ET REALITE DU PLURILINGUISME A MADAGASCAR
1. La dimension francophone
2. Les problématiques liées à l’intégration du français
3. La quête d’une didactique des langues adaptées au context
Chap.2. VERS UNE PROBLEMATIQUE CONTEXTUALISEE DE L’ENSEIGNEMENT DE L’ESPERANTO A MADAGASCAR
1. Présentation historique de l’espéranto
2. Définition de l’espéranto selon une approche contrastive
3. Les objectifs de la langue
4. Les particularités didactiques de l’espéranto
5. Les études effectuées sur le potentiel médiateur de l’espéranto
6. Hypothèses
7. Problématiques
Chap.3. CADRAGE CONCEPTUEL PLURIDISCIPLINAIRE
1. La compétence interculturelle
2. Les représentations sociales
3. La conscience linguistique
4. La valeur propédeutique
PARTIE II-UNE ETUDE SUR LE POTENTIEL DIDACTIQUE DE L’ENSEIGNEMENT DE L’ESPERANTO
Chap.1. PRESENTATION DU TERRAIN ET PROCEDURE D’ENQUETE
1. Choix du terrain
2. Positionnement et stratégies d’enquête
3. Dispositif d’enquête
4. Déroulement de la pré-enquête
5. Le choix de méthodes d’enquête
6. Evaluation de l’espéranto comme outil de renforcement des compétences interculturelles
7. Description du procédé de recueil des représentations
8. Remise en question de la valeur propédeutique de l’espéranto
Chap.2. PRESENTATION ET INTERPRETATION DES RESULTATS
1. Les représentations liées au pôle français
2. Les indices de compétences translinguistiques
3. Interprétation des données
4. Bilan et perspectives

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