Une étude diachronique du suffixe -ard

« Dès les origines, il est visible que la richesse du français comme des autres langues romanes consistera surtout dans la dérivation » – Ferdinand Brunot (1905 : 276 ) .

Parmi les langues romanes, le français est la langue romane qui s’est le plus éloignée de la langue mère latine (Huchon 2002 : 11), en partie à cause de l’influence des langues germaniques, notamment du francique. Le territoire de la Gaule fut touché par les grandes invasions des tribus germaniques autour du Ve siècle, dont les Francs étaient les plus dominants (Wartburg 1993 : 56). Or la langue gallo-romane ne fut pas remplacée par la langue des envahisseurs comme l’avait été le gaulois par le latin ; le francique coexistait avec le parler roman avant de disparaître presque entièrement quelques siècles plus tard (Huchon 2002 : 51). Il a pourtant laissé plus de 600 mots dans le vocabulaire français, entre autres dans le domaine de la vie rurale (blé), des parties du corps (échine), de l’habillement (écharpe), des sentiments ou du caractère chevaleresque (hardi), de l’armement (épieu), de la guerre (trêve) et des couleurs (bleu) (Perret 2016 : 35-36). Au-delà des mots, les Francs ont donc également fourni à la langue française le préfixe mé- (mécontent) et les suffixes -aud (badaud), -an (paysan) et -ard (vieillard) (Perret 2016: 36). Dans ce mémoire, nous visons à examiner ce dernier suffixe, -ard, de plus près. Le Petit Robert dit à propos de ce suffixe qu’il est un « [é]lément, d’origine germanique, de noms et d’adjectifs auxquels il donne une nuance péjorative ou vulgaire » (2007 : 133). Cela soulève les questions suivantes : Est-ce cela le cas avec les mots se terminant en -ard dès les origines ? Dans quel genre de mots est-il attesté ? Y a-t-il des cas où il n’est pas employé péjorativement ? Et comment le sens des mots médiévaux en -ard ont-ils évolué avec le temps ? Notre hypothèse de départ est que le suffixe – ard état dès le début teinté d’une nuance péjorative en français, ce qui reste à examiner.

Méthode et matériaux

Dans cette introduction, nous avons consulté les ouvrages suivants : Histoire de la langue française, T.1 De l’époque latine à la Renaissance (1905) de Ferdinand Brunot, Évolution et structure de la langue française (1993) de Walther von Wartburg, Histoire de la langue française (2002) de Mireille Huchon, Introduction à l’histoire de la langue française (2016) de Michèle Perret et Le nouveau Petit Robert (2007) de Paul Robert. Pour le côté théorique de ce mémoire, nous consulterons surtout la Grammaire méthodique du français (2009) de Martin Riegel, Jean-Christophe Pellat et René Rioul, la Grammaire historique de la langue française (1908) de Kristoffer Nyrop, Éléments de linguistique romane (1967) d’Édouard Bourciez (1967), La dérivation suffixale en français (1999) de Jean Dubois et Françoise DuboisCharlier. Nous consulterons également l’Histoire de la langue française (1930) d’Albert Dauzat et de L’aventure des mots français venus d’ailleurs (1997) d’Henriette Walter. L’étude intitulée Le sens péjoratif du suffixe -ard en français (1910) de Kurt Glaser, qui semble être le seul ouvrage dédié uniquement à ce suffixe, a mérité une section à part dans le cadre théorique. Comme corpus pour l’étude, nous emploierons la base Frantext Moyen Français, des textes médiévaux en accès libre. Il est constitué de 219 textes en moyen français qui ont servi pour créer la première version du Dictionnaire du Moyen Français. Le DMF est un dictionnaire électronique dont la version actuelle, lancée en février 2016, contient 61 720 entrées et 470 125 exemples. Dans les entrées du DMF, on retrouve des synthèses des définitions faites par d’autres dictionnaires, avec des liens vers les articles de ceux-ci.

Nous nous servirons de cette base de données pour analyser l’évolution des mots se terminant en – ard. Plus précisément, nous analyserons tous ceux qui sont attestés dans les textes de Frantext Moyen Français entre 1330 et 1502. Comme l’ancienne forme de -ard était -art, devenu -ard sous l’influence du féminin -arde (Nyrop 1908 : 166), nous chercherons tous les mots se terminant par -art et -ard. Nous délimitons le travail en excluant le cas sujet (-ars), les formes féminines, le cas sujet le pluriel, les noms propres et les mots dont la terminaison -ard coïncide avec une forme identique venue d’ailleurs. Or bien que nous n’ayons pas activement cherché les mots au pluriel, ils figurent parfois dans les exemples tirés des textes. Ensuite nous tracerons l’étymologie des mots relevés et leur arrivée dans la langue française en regardant l’information des dictionnaires de plus près. Dans ce but, nous consulterons surtout les dictionnaires suivants : le Französisches Etymologisches Wörterbuch (FEW, 1922-2002) de Walter von Wartburg, le Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe (1881-1902) de Frédéric Godefroy, le Dictionnaire historique de la langue française (2006) d’Alain Rey, Le nouveau Littré (2007), le Dictionnaire du Moyen Français (DMF) ainsi que le Trésor de la Langue Française Informatisé (TLFi). Dans des cas isolés, nous avons également consulté les ouvrages suivants : le Dictionnaire érotique: ancien français, moyen français, Renaissance. (2003) de Rose M. Bidler, le Dictionnaire étymologique de la langue française (1960) d’Oscar Bloch et Walther von Wartburg, l’article The Etymology of Goliard (1967) d’Edward G. Fichtner, le Nouveau dictionnaire étymologique et historique (1964) d’Albert Dauzat, Jean Dubois et Henri Mitterand, le Dictionnaire étymologique des noms de famille et prénoms de France (1989) d’Albert Dauzat, le Dictionnaire de l’ancien français (2004) de Julien Algirdas Greimas, le Dictionnaire du moyen français: la Renaissance (1992) de Julien Algirdas Greimas et Teresa Mary Keane, le Dictionnaire des étymologies obscures (1982) de Pierre Guiraud, le Dictionnaire du français médiéval (2015) de Takeshi Matsumura ainsi que le Dictionnaire Étymologique de l’Ancien Français (DEAF) en ligne. Pour bien saisir leur valeur, nous examinerons également le contexte dans lequel les mots relevés s’emploient. Dans ce but, nous avons parfois eu besoin de consulter des ouvrages externes traitant des textes où ils apparaissent : La chanson de Roland. 2, Commentaires (1927) de Joseph Bédier, Le mystère de saint Martin 1496 (1979) d’Andreu de La Vigne, The treasure of the city of ladies, or, The book of the three virtues (1985) de Christine de Pizan, Registre criminel du Châtelet de Paris, du 6 septembre 1389 au 18 mai 1392 (1865) d’Henri Duplès-Agier, Alain Chartier, his work and reputation (1975) d’Edward Joseph Hoffman, Le Mesnagier de Paris (1994) de Georigine Brereton et Janet Ferrier, Les quinze joies du mariage: les XV joies de mariage (2009) de Carmelle Mira, Étude sur les miracles de Notre-Dame par personnages (1926) de Marguerite Stadler-Honegger, Le Testament Villon. 2, Commentaire (1974) et Le Lais Villon et Les poèmes variés. 2, Commentaire (1977) d’Albert Henry et Jean Rychner. Le fait que beaucoup de mots n’apparaissent qu’une seule fois dans le corpus complique notre travail. Ainsi, il est difficile de tirer des conclusions générales sur leur emploi.

Cadre théorique

La dérivation suffixale en -ard

En ajoutant un ou plusieurs affixes – préfixes ou suffixes – à un morphème lexical appelé la base ou le radical, on forme des mots (Riegel & al 2009 : 901). Cette base peut être de nature nominale, adjectivale ou verbale, mais également être considérée comme étant porteuse d’une notion syntaxiquement indéterminée, n’appartenant à aucune classe syntaxique précise (Riegel & al 2009 : 901). Or en général, la catégorie grammaticale des mots dérivés par suffixation est différente de celle de leur mot base quand celle-ci est employée comme mot simple, comme dans le cas de fort devenu fortifier (Riegel & al 2009 : 901). C’est ainsi le suffixe qui détermine la catégorie grammaticale d’un mot dérivé. Les suffixes eux-mêmes, par contre, ne « peuvent jamais s’employer de manière autonome en dehors des mots dérivés » (Riegel & al 2009 : 903). Contrairement aux constituants d’un mot composé, les suffixes sont des opérateurs sémantiques qui spécifient le type d’opération sémantique à effectuer sur le sens du radical pour construire le sens global du mot dérivé (Riegel & al 2009 : 903-904). La dérivation suffixale peut être faite sur des mots empruntés, comme c’est le cas dans briefing qui est la base du verbe débriefer en français (Riegel & al 2009 : 901). Elle peut également être exécutée sur des sigles tels que S.M.I.C. (Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance) créant ainsi smicard, personne payée au S.M.I.C. (Riegel & al 2009 : 901). Le suffixe -ard peut être employé pour créer des formes agentives et instrumentales ainsi que des substitutions suffixales (Dubois & Dubois-Charlier 1999: 61). Les agentifs « sont issus de verbes d’action à sujet Nhumain (nom de personne, quelqu’un) » et peuvent être réalisés avec des verbes intransitifs (brailler, « Paul est un braillard »), des verbes pronominaux (se vanter, « Paul est un vantard ») ou bien des verbes transitifs (cumuler, « Paul est un cumulard »). Dubois et DuboisCharlier contrastent les agentifs en -ard avec ceux en -eur, en disant que ces premiers sont « parfois plus usuels quand le verbe lui-même a un sens dépréciatif » (1999 : 61), cf. pleurnicher → « Paul est un pleurnichard », plutôt que pleurnicheur. Les formes instrumentales sont « les simples survivances d’un état ancien » (fouchard, une serpe à deux tranches) et sont parfois utilisées en argot de métier : « Cet appareil est un mouchard » (Dubois & Dubois-Charlier 1999 : 62). Le suffixe -ard peut également se substituer à un suffixe neutre pour donner au mot une valeur péjorative (chauffeur → chauffard, quelqu’un qui conduit mal) ou bien s’ajouter à « des noms d’agents basiques comme flicard de flic », pour renforcer la valeur péjorative (Dubois & Dubois-Charlier 1999 : 62).

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Table des matières

1. Introduction
2. Méthode et matériaux
3. Cadre théorique
3.1 La dérivation suffixale en -ard
3.2 Origines du suffixe -ard
3.3 L’étude de Kurt Glaser
4. Les mots en -ard
4.1 Mots péjoratifs
4.2 Bilan des mots péjoratifs
4.3 Mots non-péjoratifs
4.3.1 Couleurs
4.3.2 Mots corporels
4.3.3 Animaux
4.3.4 Mots inanimés
4.3.5 Mélioratifs
4.4 Bilan des mots non-péjoratifs
5. Bilan et discussion
6. Conclusion
Bibliographie
Ouvrages consultés
Ressources électroniques

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