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L’alternative des systèmes alimentaires de proximité
Face à ces faiblesses sanitaires, les systèmes alimentaires de proximité aussi appelés les systèmes alimentaires territorialisés, sont appréciés. Ils apparaissent comme un système alternatif face aux défaillances des circuits conventionnels ou industriels. Les systèmes alimentaires de proximité permettent la relocalisation de l’alimentation à l’échelle d’un territoire en répondant aux enjeux du développement durable. Cette territorialisation de l’alimentation inclut les organisations de production, de transformation, de distribution, de consommation, de gestion des déchets et leurs interrelations qui vont se situer sur un même territoire (Duru M., Duvernoy I., N’diaye A., Page A., 2018). De nombreux auteurs montrent dans leurs ouvrages les bénéfices de ce système qui mettent en avant la durabilité :
– Des bénéfices économiques : dans un système alimentaire de proximité, les agriculteurs maîtrisent les prix de vente de leurs produits et se rémunèrent mieux. Les consommateurs, à travers ce système, décident à qui profitera l’argent qu’ils dépensent et choisissent un circuit avec un minimum d’intermédiaires, ce qui permet de réduire les charges et de payer les produits au juste prix. Enfin, ce système est avantageux pour les économies locales car, de l’emploi peut être créé notamment pour la vente de ces produits.
– Des bénéfices sociaux : avec un système alimentaire de proximité, la transparence de la provenance et des modes de production est de mise. Ainsi, des liens sociaux vont se former entre producteurs et consommateurs. Avec ces échanges, les producteurs ont l’opportunité d’obtenir les avis des consommateurs sur les produits donc une reconnaissance et une valorisation de leur travail. De plus, dans ce système, les consommateurs peuvent se nourrir d’aliments sains et bons pour la santé avec des produits de base peu ou non transformés. Enfin, les bénéfices sociaux sont également relatifs à l’éducation. À travers un système alimentaire de proximité, il est simple de comprendre les bénéfices que permettent la consommation de produits disponibles localement plutôt que de consommer des produits dont la provenance est inconnue ou lointaine.
– Des bénéfices environnementaux : en utilisant un système alimentaire de proximité, le consommateur apporte un soutien aux petites exploitations qui privilégient ces circuits. Une réduction de gaz à effet de serre est également apportée puisque l’acheminement des produits reste dans un périmètre restreint (Mundler P., Rouchier J., 2016).
Malgré la crise du Covid-19 que l’on traverse actuellement en France, ces systèmes alimentaires ont trouvé l’opportunité de se développer car ce contexte a entrainé des impacts sur l’alimentation. Olivier De Schutter1, témoigne dans un article du Monde (12 mai 2020) des difficultés rencontrées lors de la pandémie. Les restrictions de la liberté de circuler entre les pays ont fragilisé l’approvisionnement de produits agricoles car la main-d’œuvre migrante ne pouvait pas se déplacer et donc ne pouvait pas assurer les récoltes. De plus, la fermeture des écoles et des restaurants a impacté directement les agriculteurs qui ont perdu des clients et des moyens d’écouler leurs stocks. Enfin, les restrictions aux exportations de certains pays comme la Russie et le Vietnam font diminuer la disponibilité de produits, notamment des céréales. Dans ce même article, l’auteur précise que cette crise a permis de montrer des fragilités des systèmes alimentaires mondialisés et l’importance de soutenir les agriculteurs qui peuvent répondre au manque de produits : « Beaucoup de pays prennent conscience qu’ils doivent produire des denrées plus diverses pour satisfaire leurs besoins de consommation interne et que la dépendance aux importations à flux tendu créé un risque. On entend des appels de plus en plus nombreux à une reconquête non pas d’une autarcie, mais d’une diversification et reterritorialisation de l’agriculture pour que chaque pays puisse satisfaire davantage ses propres besoins » (Gérard M. 2020).
D’après l’institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement (INRAE), la reterritorialisation de l’alimentation permet une reconnexion entre l’agriculture, l’alimentation et le territoire. Elle est soutenue par les collectivités qui mettent en place des Projets Alimentaires Territoriaux (PAT) depuis la loi d’avenir agricole de 2014 (INRAE, 2020). Pour le ministère de l’agriculture et de l’alimentation, la définition d’un PAT est la suivante : « Les Projets Alimentaires Territoriaux s’appuient sur un diagnostic partagé faisant un état des lieux de la production agricole et alimentaire locale, du besoin alimentaire du bassin de vie et identifiant les atouts et contraintes socio-économiques et environnementales du territoire. Elaborés de manière concertée à l’initiative des acteurs d’un territoire, ils visent à donner un cadre stratégique et opérationnel à des actions partenariales répondant à des enjeux sociaux, environnementaux, économiques et de santé » (Ministère de l’agriculture et de l’alimentation, 2017).
Cette alternative aux systèmes mondialisés possède trois types de circuits de distribution : les circuits longs, courts et directs. Les circuits de distribution correspondent au chemin emprunté par les produits de leur production à leur consommation. Chacun a ses propres caractéristiques et permettent de faire les achats de produits locaux avec une plus ou moins grande proximité avec le producteur.
Circuits longs, courts ou directs : différents circuits de distribution
Dans les systèmes alimentaires de proximité, le consommateur choisit un produit dont il connaît le circuit parcouru. Dans le circuit long, au moins deux intermédiaires – grossistes et détaillants – interviennent entre le producteur et le consommateur. Le circuit court, lui, met en scène un seul intermédiaire entre le producteur et le consommateur. Malgré la présence d’un seul intermédiaire dans le circuit, la traçabilité du produit est prise en compte. Enfin, le circuit direct correspond à une vente entre producteur et consommateur. Dans ce cas, le consommateur bénéficie des conseils du producteur et peut l’interroger sur les modes de production des produits.
Bien que les différentes crises aient donné raison aux circuits courts, ces derniers ont toujours existés. Les paysans ont toujours échangé de la main à la main ou bien en vendant à des détaillants. Cependant, après la Seconde Guerre mondiale, lorsque le pays a été détruit, la priorité était de nourrir la population. Pour y parvenir, des moyens industriels ont rendu les pratiques de circuits courts plus rares :
Les magasins alimentaires de produits locaux de la Manche « On s’est inspiré pour cela du modèle agricole américain, fait de mécanisation, d’agrandissement et de spécialisation des fermes, d’intensification à base d’intrants chimiques, de concentration de l’industrie agroalimentaire et des circuits de distributions entre les mains de quelques grands opérateurs. Les produits de la terre ont ainsi radicalement changé. » (Philipon P., 2017)
De plus, durant la période des Trente Glorieuses, le contexte n’était plus propice aux circuits courts ni aux circuits directs à cause du développement des hypermarchés et des déplacements en voitures. Les familles ont favorisé les grandes surfaces dont l’achat d’un grand nombre de produits dans un même lieu est synonyme de gain de temps. Au même moment, l’accès à des produits alimentaires moins chers et l’essor des dépenses liées aux loisirs ont conduit à une diminution de la part consacrée dans le budget familial : « La part de l’alimentation dans le budget familial baisse continuellement, passant de près de la moitié dans l’immédiat après-guerre à moins d’un tiers en 1960, et arrivant aujourd’hui à moins de 15%. » (Philipon P., 2017)
C’est donc à partir des années 1970, avec les prémices de l’exode urbain que les circuits courts ont été réactivés dans les pratiques des consommateurs. En quête d’un retour à la terre et de rupture avec la société de consommation. Au même moment, les producteurs étaient de plus en plus nombreux à s’orienter vers les circuits courts pour diversifier leurs modes de commercialisation. Dans les systèmes alimentaires de proximité, les circuits directs, courts et de proximité sont des types de distribution privilégiés et proches. Les circuits courts ont une définition floue et limitée. Le ministère de l’agriculture et de l’alimentation intègre les circuits directs dans la définition des circuits courts. Il les définit comme un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’effectue par vente directe du producteur au consommateur ou par vente indirecte avec un seul intermédiaire. Cette notion se définit donc exclusivement par le nombre d’intermédiaires entre le producteur et le consommateur. La distance kilométrique de la provenance des produits n’est pas prise en compte, c’est donc pour cela que les circuits de proximité y sont souvent associés. Ces derniers prennent en compte les distances géographiques que parcourent le produit du producteur à son consommateur. La distance retenue pour les circuits de proximité est généralement limitée à 150 km d’après l’ADEME (ADEME, 2012). Une distance de 80 km est également évoquée dans des réglementations sanitaires de vente directe. Elle correspond à la distance où le producteur de denrées animales n’est pas obligé d’utiliser des équipements très élaborés tels que des véhicules réfrigérés pour transporter les produits et où des agréments de l’Union Européenne ne sont pas obligatoires. Ces distances permettent donc de donner une estimation de ce qui est attendu dans les circuits de proximité.
Un article de la revue des sciences de gestion (2016) approfondie également la définition des circuits courts en indiquant certains bénéfices de ce circuit de distribution : « Les circuits courts privilégient les relations de proximité entre consommateurs et producteurs (C. Hérault-Fournier et al, 2012). Les circuits courts concernent les modes de distribution qui comprennent au maximum un intermédiaire. Ils visent à réinstaurer la confiance des consommateurs en leur permettant d’échanger directement avec les producteurs sur la qualité des produits, d’en vérifier la fraîcheur et l’authenticité (H. Renting et al, 2003). Du côté des producteurs, ils leur apportent une rémunération plus juste de leur production, à la fois en évitant un nombre d’intermédiaires importants et en leur accordant la possibilité de transformer eux-mêmes leurs produits. » (Jaeck M., Jaouen A., Joly C. et al., 2016)
Des modes de commercialisation viennent s’ajouter à la définition des circuits courts et de proximité de par leur diversité et de par l’implication de différents acteurs.
Une multitude de modes de commercialisation qui interroge
Comme dit précédemment, deux circuits de distribution font partie des circuits courts : la vente directe du producteur au consommateur et la vente indirecte avec au maximum un intermédiaire entre ces deux acteurs. Les circuits courts ne se réduisent pas à la vente à la ferme ou sur les marchés. Une multitude de modes de commercialisation permet aux consommateurs de choisir le lieu de leurs achats de produits locaux. Cette diversité qui est illustrée par la figure II et la figure III est également une chance pour les producteurs engagés dans une démarche de circuits courts qui peuvent diversifier leurs débouchés. Cependant, tous ces débouchés forment de la concurrence pour les producteurs et les obligent à trouver des modes de commercialisation stratégiques qui correspondent aux pratiques des consommateurs.
Le contexte de la zone d’étude
Le département de la Manche : un territoire agricole
Un rapport sur les circuits courts et de proximité en Basse-Normandie publié par le Conseil Économique, Social et Environnemental Régional (CESER) de Basse-Normandie en 2015 est un document essentiel à la rédaction de cette partie. Une multitude de données sur ce sujet provenant du Recensement Agricole de 2010 ont été utilisés. (CESER Basse-Normandie, 2015)
La Manche est un département de la région de Normandie qui se situe à l’ouest du Calvados et est bordé par la mer du même nom. Cette situation en fait sa particularité puisque le département de forme péninsulaire est bordé par 355 km de littoral. Ce département est essentiellement rural car « 54 % de la population réside dans des communes de moins de 2 000 habitants » en 2013 (La préfecture et les services en région Normandie, 2015). La particularité de se situer entre terre et mer est un atout pour ce territoire agricole puisque l’on y trouve une diversité de produits locaux.
Cette diversité offre la possibilité aux habitants du département de consommer local et d’utiliser des systèmes alimentaires de proximité. Pour cela, les producteurs doivent notamment s’engager dans les circuits courts en proposant de la vente sur les marchés, à des commerces détaillants ou bien encore en proposant de la vente à la ferme. La carte I illustre le nombre d’exploitations en circuits courts par canton dans l’ancienne région Basse-Normandie. Ces données qui proviennent du Recensement Agricole de 2010 montrent que la Manche est le département de ce territoire qui compte le plus d’exploitations ayant recours à ce circuit de distribution et que la proximité des littoraux tient un rôle important. Ce facteur s’explique par le fait que les espaces proches des littoraux sont des espaces touristiques qui attirent une population à la recherche des spécialités locales. Ce constat est aussi mis en avant dans la publication n°57 de l’AGRESTE données de Basse-Normandie publiée par la Direction Régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Frorêt (DRAAF) (2012) : « Dans la région, plus que la présence des agglomérations, la fréquentation touristique semble déterminer le choix de ce type de distribution. » (DRAAF, septembre 2012)
La carte I montre également que les producteurs de ce territoire ne sont pas des adeptes des circuits courts puisque les cantons en comptent majoritairement moins de 21 % des exploitations et puisqu’en 2010, il n’y avait seulement que 8 % des exploitations qui utilisaient ce mode de commercialisation contre 14 % en France (Agreste Basse-Normandie, 2012).
Parmi ces exploitations, il est pertinent de définir la diversité des produits agricoles disponibles en circuits courts sur le territoire. Pour cela, les données du Recensement Agricole de 2010 ont été mobilisées. Afin de présenter des données plus récentes, Anne Manach2 m’a transmis des données actualisées qui ont été identifiées par la Chambre d’Agriculture de la Manche. Les exploitations de viandes et précisément de viandes bovines sont les exploitations agricoles les plus nombreuses dans le territoire à commercialiser en circuits courts (tab I). Cependant, au-delà de ces résultats, des données incohérentes complexifient l’analyse. Ces données montrent qu’il est difficile de déterminer le nombre d’exploitations commercialisant en circuit court. Anne Manach explique que toutes les exploitations existantes ne sont pas identifiées dans ces données et que certaines sont difficiles à identifier puisqu’elles sont petites ou puisque les produits sont vendus en petites quantités. Il est important de noter que la somme des exploitations agricoles par catégories de produits est supérieure à l’ensemble des exploitations car certaines proposent différentes productions.
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Table des matières
introduction générale
Partie 1 Les magasins alimentaires de produits locaux dans le département de la Manche : justification de l’étude
1.1. Éléments de cadrage du sujet
1.2. Le contexte de la zone d’étude
1.3. Les choix et la méthodologie de l’étude
Partie 2 Consommation alimentaire et pratiques d’achats de produits locaux des habitants interrogés
2.1. La place des produits locaux dans la consommation alimentaire courante
2.2. Une diversité de pratiques d’achats de produits locaux
Partie 3 Une étude approfondie de quatre magasins alimentaires de produits locaux
3.1. Les magasins alimentaires de produits locaux : des fonctionnements divers pour un même objectif
3.2. Une diversité de produits issue de tout le département
Partie 4 La clientèle des magasins étudiés : caractéristiques et pratiques d’achats
4.1. Les caractéristiques de la clientèle
4.2. Les pratiques d’achats dans les magasins alimentaires de produits locaux
4.3. Pratiques d’achat et perception des produits locaux : des approches différenciées ?
Partie 5 Réflexions sur l’avenir des magasins alimentaires de produits locaux
5.1. L’apport des magasins alimentaires de produits locaux sur le territoire
5.2. Les magasins alimentaires de produits locaux : un concept pérenne ?
5.3. Limites identifiées des magasins alimentaires de produits locaux
Conclusion générale
Bibliographie
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