Une érosion de la biodiversité d’origine anthropique
La biodiversité est la diversité du vivant. Les chercheurs en écologie la décrivent à trois niveaux différents : la diversité génétique, la diversité spécifique et la diversité écosystémique. Elle comprend aussi les interactions entre ces trois compartiments et les processus écologiques dans lesquels ils sont impliqués (Noss, 1990). Au cours des derniers siècles, les activités humaines ont eu un impact considérable sur les écosystèmes, provoquant une érosion massive de la biodiversité. Le taux actuel d’extinction des espèces est 100 à 1000 fois plus élevé que le taux d’extinction naturel et il tend à s’accélérer, marquant, d’après les scientifiques, une 6ème crise d’extinction de masse (Ceballos et al., 2015; Vitousek et al., 1997). Les causes de cette érosion ont été identifiées par ordre décroissant comme étant : la dégradation, la fragmentation et la destruction des milieux naturels induits par la modification de l’utilisation des terres (agriculture, urbanisation, infrastructures de transport…) ; la surexploitation des ressources naturelles (surpêche, déforestation, extraction de minerais, chasse etc.) ; le changement climatique qui impacte la dynamique des populations, la physiologie, la phénologie et la distribution de certaines espèces (Bellard et al., 2012) ; les pollutions atmosphériques et terrestres engendrées par exemple par les activités industrielles, l’utilisation de produits chimiques mais aussi par les déchets plastiques qui polluent les océans ; les espèces exotiques envahissantes qui entrent en compétition avec les espèces natives et peuvent mener à leur extinction (Borges et al., 2019; Díaz et al., 2019). Tous ces facteurs agissent en synergie, amplifiant leur impact néfaste sur la biodiversité (Brook et al., 2008).
Evolution du cadre de la conservation de la biodiversité
Pour faire face à cette crise, les sciences de la conservation sont apparues dans les années 80. Cette discipline scientifique vise à étudier l’impact des activités humaines sur la biodiversité et à trouver des solutions pour enrayer son érosion (Primack et al., 2012; Soulé, 1985). C’est un champs de recherche multidisciplinaire, appliquant des principes de l’écologie, de la génétique des populations, de la biogéographie, des sciences sociales, de l’économie etc. (Soulé, 1985). A leurs débuts, les sciences de la conservation cherchaient à préserver la nature sauvage de toute activité humaine principalement en créant des aires protégées. La biodiversité était conservée pour sa valeur intrinsèque seule et les organisations de conservation et la sphère économique opéraient dans deux mondes opposés. Les entreprises de par leurs impacts sur la biodiversité étant considérées comme l’« ennemi », le « diable » par les biologistes de la conservations (Adams, 2017). Cependant, cette approche de la conservation s’est montrée insuffisante pour enrayer le déclin de la biodiversité qui continue dans les espaces soumis aux activités humaines. Les aires protégées ne permettent pas de maintenir les couloirs de déplacement indispensables aux espèces pour effectuer la totalité de leur cycle de vie et éviter l’isolement des populations (Edwards & Abivardi, 1998). Face à ce constat, les pratiques en sciences de la conservation ont évolué pour concilier le développement des sociétés humaines et la conservation de la biodiversité. Anticipant ce changement de paradigme, la stratégie mondiale de la conservation, document réalisé par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (UNEP) et le Fonds mondial pour la nature (WWF), propose en 1980 la notion de « développement durable » et souligne l’importance d’intégrer la conservation au développement (UICN et al., 1991). A la fin du XXème siècle, la notion de services écosystémiques a vu le jour (Costanza et al., 1997; Ehrlich & Mooney, 1983; Fisher et al., 2009). Les services écosystémiques sont les bénéfices que les sociétés humaines tirent du fonctionnement des écosystèmes. Cette notion, qui donne une valeur utilitaire aux écosystèmes, permet de faciliter la communication auprès des décideurs politiques et du monde économique sur les enjeux de conservation de la biodiversité. Elle a pris une importance accrue à partir de 2005 dans le cadre l’Évaluation des écosystèmes pour le Millénaire (MEA). Le MEA regroupait plus de 1360 experts du monde entier dans le but « d’évaluer les conséquences des changements écosystémiques sur le bien-être humain; […] établir la base scientifique pour mettre en œuvre les actions nécessaires à l’amélioration de la conservation et de l’utilisation durable de ces systèmes, ainsi que de leur contribution au bienêtre humain. » (Millennium Ecosystem Assessment, 2005).
Le cadre législatif de la protection de la biodiversité a lui aussi progressivement évolué. En 1972, la conférence des Nations unies sur l’Environnement humain (CNUEH) ou conférence de Stockholm a permis l’émergence des considérations environnementales au rang des préoccupations internationales. Elle a abouti à la création du Programme des Nations Unis pour l’Environnement (UNEP), à une déclaration de 26 principes non contraignants et à un plan d’action pour protéger l’environnement. Découlant de cette conférence, le premier Sommet de la Terre s’est tenu à Rio en 1992. Il a notamment abouti à l’adoption de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) ratifiée par 168 pays. Ce traité juridiquement contraignant établi trois objectifs principaux : (1) la conservation de la diversité biologique, (2) l’utilisation durable de la diversité biologique et (3) le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques. En 2010, lors de la 10ème Conférence des Parties de la CDB, 20 objectifs stratégiques : les « objectifs d’Aichi » sont adoptés dans le but de conserver et restaurer les écosystèmes et d’assurer une utilisation durable et équitable de leurs ressources d’ici à 2050. Les parties s’engagent à mettre en place des stratégies dans ce but. En France cela s’est traduit par la mise en place d’une Stratégie Nationale pour la Biodiversité (SNB), de 2004 à 2011 puis de 2011 à 2020, qui incite des acteurs dans tous les secteurs d’activité, notamment les entreprises, à s’engager pour conserver, restaurer et valoriser la biodiversité. En France également, le Grenelle de l’environnement, en 2007, a fait émerger la notion de Trame Verte et Bleue (TVB). La TVB est une politique d’aménagement du territoire visant à « maintenir et à reconstituer un réseau d’échanges pour que les espèces animales et végétales puissent, comme l’homme, circuler, s’alimenter, se reproduire, se reposer… et assurer ainsi leur cycle de vie. » (Ministère de la Transition écologique et solidaire, 2017). Elle a pour but d’enrayer la perte de biodiversité induite par la fragmentation et la dégradation des milieux naturels. En 2010, la loi Grenelle 2 introduit la TVB dans le code de l’environnement et impose sa déclinaison à trois échelles d’action : au niveau national, au niveau régional et au niveau local. La politique s’appuie donc sur l’ensemble des acteurs de la société et notamment sur les entreprises qui sont d’importantes aménageuses du territoire.
Relations entre entreprises et biodiversité
Les pressions exercées sur les entreprises pour une prise en compte de la biodiversité dans leurs activités
Les entreprises contribuent considérablement à l’érosion de la biodiversité : directement de par leur activité et leur emprise foncière et/ou indirectement par exemple à travers leurs fournisseurs. La société, prenant de plus en plus conscience de ces impacts négatifs, exerce une pression croissante sur les entreprises pour qu’elles les diminuent. Ces pressions dites « coercitives » proviennent :
– Des gouvernements qui instaurent des législations ou incitent les entreprises à mettre en place des mesures pour prendre en compte la biodiversité dans leurs activités.
– Des associations environnementales qui, en dénonçant les atteintes environnementales des entreprises, et en les poursuivant en justice, peuvent ternir leur réputation.
– Des actionnaires qui peuvent considérer des entreprises ne prenant pas en compte leurs impacts comme risquées en termes d’investissement.
– Des fournisseurs qui, pour protéger leur propre réputation ou pour des raisons éthiques, peuvent refuser de travailler avec une entreprise non engagée dans la diminution de ses impacts.
– Des clients qui ont certaines exigences en termes d’impacts environnementaux sur les produits qu’ils consomment et peuvent exercer des pressions négatives en boycottant les produits de l’entreprise.
– Des employés de plus en plus désireux de travailler au sein d’une entreprise responsable.
Partenariats entre entreprises et organismes de conservation de la biodiversité
Face à ces pressions, de nombreuses entreprises n’ont eu de choix que d’intégrer les problématiques environnementales dans leurs activités. Etant donné la complexité des processus écologiques sous tendant les enjeux de conservation de la biodiversité, elles ont dû s’appuyer sur des experts pour mettre en place des actions. Ainsi, au cours des vingt dernières années, de plus en plus de partenariats et groupes de travail entre des organisations de conservation (associations, fédérations d’associations, universités …) et des entreprises ont vu le jour (MacDonald, 2010; Robinson, 2011). Par exemple, l’association française multi-acteurs Orée, créée en 1992, a notamment pour but de trouver des solutions pour intégrer la biodiversité dans la stratégie des entreprises. En 2003, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) a créé le programme « Business and Biodiversity» pour influencer et accompagner les partenaires privés dans la prise en compte des problèmes environnementaux et sociétaux. En France, le comité français de l’UICN a décliné cette initiative en 2009 dans le groupe de travail Entreprises et Biodiversité « un lieu d’échanges et de propositions pour impliquer les entreprises sur les enjeux de la biodiversité » (https://uicn.fr/entreprises-etbiodiversite/).
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Table des matières
Introduction
1. Une érosion de la biodiversité d’origine anthropique
2. Evolution du cadre de la conservation de la biodiversité
3. Relations entre entreprises et biodiversité
Les pressions exercées sur les entreprises pour une prise en compte de la
biodiversité dans leurs activités
Partenariats entre entreprises et organismes de conservation de la biodiversité
Intérêt de la prise en compte de la biodiversité pour les entreprises
Comment les entreprises prennent-elles en compte la biodiversité dans leurs activités ?
4. Terrain d’étude : l’entreprise de stockage de gaz naturel, Storengy
Impacts de l’activité de stockage de gaz sur la biodiversité
L’engagement de Storengy pour la conservation de la biodiversité
5. Objectifs de la thèse
Chapitre 1. Etude ethnographique de la stratégie biodiversité de Storengy
1. Méthode
2. Cadres théoriques utilisés
Analyse de la stratégie biodiversité comme réponse institutionnelle
Analyse de l’engagement des individus dans la stratégie biodiversité
3. Résultats
Analyse de la stratégie biodiversité comme réponse institutionnelle
Rapprochement des acteurs des deux champs institutionnels dans une recherche de légitimité réciproque
La stratégie biodiversité comme une logique « hybride » combinant logique de conservation de la biodiversité et logique industrielle SEVESO
L’émergence de tensions liées aux pratiques hybrides et la recherche de solutions à ces tensions
De l’intégration de la biodiversité dans l’activité de l’entreprise à une diffusion des pratiques dans d’autres entreprises?
3.1.4.1. Le « cadrage » de la stratégie biodiversité
3.1.4.2. Vers une diffusion des nouvelles pratiques dans d’autres entreprises ?
Analyse de l’engagement des individus dans la stratégie biodiversité
Un aperçu des moteurs de l’engagement individuel dans la stratégie
Un aperçu de l’influence de la stratégie biodiversité au niveau individuel
4. Discussion
5. Conclusion
Chapitre 2. Proposition d’outils à destination des entreprises pour une meilleure prise en compte de la biodiversité dans la gestion de leur domaine foncier
Partie 1. Evaluer l’état de la biodiversité sur les parcelles foncières d’un site d’entreprise et
leur contribution aux trames vertes et bleus locales
1. La trame verte et bleue un outil d’aménagement du territoire pour enrayer l’érosion de la biodiversité
2. Les méthodes d’identification de la trame verte et bleue
3. Les indicateurs de biodiversité
4. Le potentiel des sites de Storengy dans la mise en œuvre de la Trame Verte et Bleue
Article 1 : STOREVAL, un indicateur de valeur écologique à l’échelle de la parcelle à
destination des entreprises
Partie 2. Construction d’une méthodologie pour évaluer les enjeux de biodiversité des territoires sur lesquels sont implantés les sites industriels
1. Objectifs de l’outil
2. Méthodologie
Les indicateurs utilisés
La méthode de discrétisation et le choix des classes
3. Résultats
4. Discussion et conclusion des deux parties
Chapitre 3. Etude de la biodiversité sur les plateformes de puits
1. Matériel et Méthode
Intérêt potentiel des plateformes de puits pour la biodiversité
Sélection des plateformes de puits étudiées
Inventaires de la faune et de la flore
Article 2 : Influence of industrial facilities on bird and butterfly communities in agricultural landscape
2. Discussion
Discussion générale
Conclusion
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