Art performance et émancipation des femmes artistes
La performance va donner la possibilité aux femmes d’investir le paysage culturel comme jamais auparavant. Dans un article intitulé « La performance comme force de combat dans le féminisme », Anne-Julie Ausina décrit cette nécessité qu’ont eu les femmes à s’imposer avec force et vigueur dans la sphère culturelle :
« Mises à l’écart de la scène artistique depuis si longtemps, les femmes n’ont eu comme seule solution que de s’imposer d’elles-mêmes par leurs actions. C’est peutêtre même, pour certaines, la colère d’avoir été si longtemps écartées qui les a propulsées et les a amenées à investir le monde de l’art par la performance, donc par une action directe, fruit d’une certaine rage […] . »
Anna-Julie Ausina, souligne ici la manière dont le conditionnement des femmes les a encouragées à se saisir d’une forme artistique radicale telle que la performance. Cette radicalité artistique témoigne de la détermination vigoureuse portée par la lutte pour les droits des femmes. Ici, l’artiste est à la fois créatrice et actrice de son geste artistique. Les performeuses de la seconde génération vont faire interagir l’espace intime de leur corps avec l’espace social. S’opère alors un glissement de ce qui, a priori, appartiendrait au domaine du privé vers une lutte collective. Il s’agit de lier les questions d’ordre familial, sentimental et sexuel avec les notions d’oppression, d’exploitation, et de marginalisation.
Par essence, la performance s’écarte de la matérialité d’un objet d’art au profit d’une expérience artistique et politique. Cet art conceptuel, de l’éphémère et de l’action unique ne saurait pas, à cette époque tout du moins, être exposé ou vendu, car ce n’est pas son but premier. Des figures majeures de l’art performance vont apparaître au cours de ces deux décennies, des artistes engagées, aux personnalités très marquées. Ces performeuses ont pavé le chemin pour les générations futures et redéfini la place de la femme dans la création artistique. Ces dernières ne seront plus de simples modèles ou des supports de création, elles incarneront au contraire un véritable renouveau artistique dans un environnement jusqu’alors majoritairement masculin.
L’art performance a permis une réévaluation de l’apport des femmes dans la société tout en luttant contre l’invisibilité de leurs problèmes dans l’espace public.
Pour beaucoup d’entre elles, le discours militant porté par cette pratique passera par une mise en jeu de leur propre corps. Elles l’utiliseront comme l’instrument artistique et politique d’une « affirmation de soi». Les femmes vont dès lors unir leurs voix « dans un cri radicalisateur et collectivisateur».
Mise en jeu du corps et figuration symbolique
Art corporel : corps et violence comme moyen d’action dans la performance
La mise en jeu des corps est en effet ce qui caractérise le plus l’art performance, à ses débuts, en particulier pour l’art corporel, et le happening73. C’est au cours des années 1960 que l’expression body art émerge dans le vocabulaire des critiques d’art. À cette époque, ce terme englobe toute pratique artistique utilisant les corps comme matériau premier de création. Il n’était pas encore question de performance comme aujourd’hui. L’emploi de ce terme est ici anachronique. Ce vocabulaire est pourtant encore aujourd’hui problématique puisque le body art englobe aux États Unis, toutes les modifications corporelles possibles comme le tatouage ou le piercing. Il faut également rappeler que le body art est un courant provenant des arts plastiques. L’utilisation du corps était pour ces artistes un moyen de s’approcher de l’art vivant. À l’époque, ce sont des expressions comme body as art ou body art qui sont utilisées par les critiques d’art pour décrire le travail de Vito Acconci, Chris Burden ou Bruce Naumann. En France, l’art corporel est théorisé par François Pluchart dans la revue ArTitudes. Il analysera, au cours des années 1970, les performances de Michel Journiac ou encore Gina Pane. Ce courant, emblématique de l’art performance des années 1960 et 1970, se conçoit comme une pratique subversive en opposition aux pratiques artistiques traditionnelles. Pour ces artistes, l’enveloppe charnelle de l’être humain est le véhicule d’une quête identitaire. Elle permet aux spectateurs une réflexion sur eux-mêmes en observant le corps d’autrui. François Pluchart, à ce propos, note :
« L’art, est aujourd’hui une activité périmée s’il renvoie à une pratique élitiste, mondaine et engluée dans la sublimation quand ce n’est pas dans le sordide des rivalités de personnes. Contraint d’abandonner successivement la totalité de ses positions traditionnelles (représentation du monde, mise en images du divin et du sacré, valorisation sociale, etc.), l’art est clivé en deux points de vue irréductibles : le décoratif et le discursif, désaliénant et perturbateur. C’est dans ce second lieu que se situe l’art corporel. […] Dans une société post-industrielle, l’enjeu se situe entre une domination de l’homme par l’appareil ou son inverse. Le politique l’idéologique, le sens ne produisant plus de sens et l’appareil fonctionnant de lui-même sans modèle, la communication corporelle est l’ultime chance de l’homme hors d’un totalitarisme aveugle. Seul le parler du corps peut résister à ce qui est en marche, inexorablement.
Ce langage de la chair et du désir est à inventer en chacun de nous, sans exclusif de quelque nature que ce soit. Cet engagement est difficile : il implique de renoncer aux schémas relatifs au goût, à la beauté, à la morale, à la justice, voire à la part aliénante de la sentimentalité. Aujourd’hui il ne s ‘agit pas de faire la révolution (impossible, parce que insensée et innommable elle aussi), mais d’être un corps, viande, désir,infiniment. »
Il est donc, selon François Pluchart, nécessaire d’en finir avec l’art « décoratif» et d’en revenir au corps. Il est, par ailleurs, moins question d’agir sur les corps, que de les laisser agir sur nous. Libérer la « communication corporelle» humaine trop longtemps écartée au profit du verbe ou de la représentation du monde, qui contribuent à l’aliénation sociale dans laquelle nous sommes tous plongés.
Bien que le body art américain s’apparente de très près à l’art corporel français, Gina Pane établira une distinction nette entre ces deux courants. Selon elle, cette différence se situe à l’endroit d’une dimension sociale ou sociologique plus prégnante dans l’art corporel français, en comparaison au body art américain, davantage conceptuel. François Pluchart, quant à lui, sera très ambivalent sur cette distinction. Au cours des années 1970, il défendra les spécificités du mouvement sur la scène française tout en internationalisant ce terme et l’appliquant à des artistes étrangers. Cette distinction peut être remise en cause si l’on observe les actions de l’artiste américano-cubaine Ana Mendieta qui a exploré des thématiques, elles aussi sociales, telles que la place de la femme dans la religion cubaine Santeria ou encore le viol. Nous n’appliquerons donc pas cette différenciation entre art corporel et body art, qui se rejoignent sur leur utilisation conjointe du corps comme moyen d’expression ; un attrait certain pour des performances extrêmes, voire violentes ainsi qu’une dimension politique et sociale.
Dynamique artistique pluridisciplinaire au XXe siècle
Il est insuffisant, pour exprimer la spécificité de l’art performance de ne traiter que du corps. Les manières dont il est utilisé en fonction des différentes disciplines et médiums, contribuent également aux messages portés par ces artistes. Les évolutions de cette pratique ont très souvent été portées par le développement de nouveaux supports de création. Ces différents médiums et les disciplines dans lesquelles ils sont utilisés témoignent d’une nécessité : trouver de nouveaux modes d’expression pour rendre compte et accompagner les changements de représentations qui ont lieu au cours de la seconde moitié XXe siècle. Pour mieux comprendre l’usage, à partir des années 1960, de différents médiums, par des performeuses, dans une optique féministe, il nous semble nécessaire de retracer brièvement, au début du XXe siècle, l’origine de cette dynamique pluridisciplinaire.
En effet, le XXe siècle a été témoin, en Occident, d’une progressive déconstruction des modèles sociaux et culturels. À cette période, les artistes sont nombreux à s’essayer à l’expérimentation. Les avant-gardes historiques européennes du début du siècle, ont bousculé cette idée d’un art autonome, achevé et matériel. On retrouve comme point commun avec l’art performance, un refus de l’académisme, une remise en question des pratiques artistiques passées, l’envie de se détourner des lieux de diffusions artistiques traditionnels ainsi qu’une désacralisation des arts « majeurs » au profit des arts « mineurs ». Comme le souligne le terme d’expérimentation, il est question, ici, de faire l’expérience de l’art, extraire l’expression artistique de son cadre habituel.
Après 1945, c’est aux États-Unis que nous trouvons les formes artistiques les plus expérimentales. Les néo-avant-gardes américaines vont s’appuyer sur les principes de collage, de montage, d’hybridation et de pluridisciplinarité. Une grande importance est donnée à l’utilisation des formes, des couleurs et du son. Ce renouveau ne pourrait être dissocié des grandes avancées technologiques qui ont lieu à cette même époque : dans un premier temps, l’évolution des systèmes d’éclairages puis les nombreuses avancées en matière de son, de lumière et de projection. Une nouvelle dimension, plus ludique, s’empare de la création artistique. Ces artistes vont observer, avec beaucoup d’intérêt, l’évolution des médias de masses, comme la télévision, la radio, la publicité ou le cinéma. Ces avants-gardes vont se tourner vers références issues des cultures populaires. Il est question, plus que jamais, d’entremêler la vie et l’art. Le Black Mountain College, ouvert en 1933 par John Rice, en Caroline du Nord, sera le lieu de nombreuses expérimentations de ce type.
C’est une école à la fois artistique, éducative et fortement politisée. La danse est utilisée comme creuset entre les différents arts, pouvant allier, le mouvement, la musique, le texte et une dimension plus théâtrale. C’est dans cette école, en 1952, que l’intervention de John Cage Untilted Event a eu lieu. Elle est, pour beaucoup, considérée comme le premier happening de l’histoire de l’art. Cette intervention est une collaboration entre différents artistes, dont le célèbre danseur et chorégraphe Merce Cunningham. Cette proposition prend la forme d’un collage entre des textes, de la danse, des projections vidéo et des compositions musicales. Il existe donc, à l’origine de la performance un attrait particulier pour l’emploi de différents médiums.
Interartistique et mise en regard de la figure féminine occidentale
Il est important, dans le cadre de notre recherche, de revenir également sur la notion d’interdisciplinarité. Patrice Pavis, dans son ouvrage Vers une théorie de la pratique théâtrale : voix et images de la scène, remet tout d’abord en question l’usage du mot « pluridisciplinaire » dans les arts, et lui préfère le terme d’« interartistique ». Il définit ce dernier comme « l’art d’utiliser au mieux ce que chaque art apporte d’unique tout en lui opposant une autre manière de signifier ou de représenter. L’incompatibilité ou la différence produit un effet de perspective qui oblige à reconsidérer chaque art et à le penser dans son rapport à l’autre».
L’interartistique se distingue de la transdisciplinarité dans la mesure où il ne produit pas une synthèse entre différentes expressions artistiques mais fonctionne davantage comme une mise en relation, un collage. Il est donc particulièrement délicat d’associer à l’art performance un seul de ces concepts. Si l’oeuvre d’une performeuse telle que Laurie Anderson, qui associe à son travail de musicienne et compositrice, l’art vidéo et théâtral dans des performances de synthèse, se rapproche plus de la transdisciplinarité, celle de Carolee Schnemann qui produit à partir de ses performances, des séries photographiques se définirait davantage comme de l’interartistique.
Une autre notion également définie par Patrice Pavis pourrait, elle aussi, convenir aux pratiques performatives, il s’agit de l’intermédialité. Celle-ci consiste à « Ne pas limiter les échanges aux arts et aux spectacles, mais d’observer l’évolution des médias apparus à différents moments de l’Histoire ainsi que leur impact les uns sur les autres, et, par ricochet, sur l’oeuvre d’art. […] L’écriture, la gestuelle, les costumes, les moyens audiovisuels (son, image, électronique)». Cette notion traduirait particulièrement bien le travail d’ORLAN sur lequel nous reviendrons plus tard. La concernant, nous pourrions même parler de transmédialité.
Pour cette recherche, nous utiliserons principalement le terme d’interartistique, car il correspond à une majeure partie des performances que nous traiterons.
Cependant, nous préciserons ces termes pour certains artistes dont les oeuvres s’inscrivent davantage dans une perspective de synthèse entre différents arts ou médiums.
Pour en revenir à l’émergence de la performance, on remarque la naissance de l’art vidéo et de l’art par ordinateur respectivement au début des années 1960 et dans le courant des années 1970. Cette période de développement technologique est selon Régis Debray, celle de l’entrée dans la « vidéosphère ». Le médialogue français,définit trois médiasphères : la logosphère (phase de la civilisation où l’oral est le moyen de communication prédominant), la graphosphère (phase où la communication écrite prédomine) et enfin la vidéosphère, qui apparaît à l’arrivée de la télévision en couleur au début des années 1950. Selon lui, il s’agit d’une période où « le visible […] fait autorité en contraste avec l’omnipotence antérieurement reconnue aux grands invisibles (Dieu, l’Histoire ou la Raison)».
Le XXe siècle serait le siècle des images. Il y a un parallèle possible à faire entre ce changement de rapport à l’image que décrit Regis Debray et la manière dont les performeuses féministes vont allier pratique interartistique et mise en jeu du corps dans la création d’un nouvel imaginaire de la féminité. Il ne faut pas omettre, en plus de tout cela, l’importance donnée à la vidéo et à la photographie comme moyen d’enregistrement des performances. Depuis ses origines, la performance et en particulier les performeuses ont eu à coeur de conserver des traces de leurs travaux par le biais de différents types d’archives. L’utilisation de ces médiums comme outils d’archivage va très vite se fondre, et ne faire qu’un, avec l’acte de création.
L’objectif est double : se détourner des techniques artistiques académiques et traditionnelles qui ont très souvent légitimé les pleins pouvoirs de l’homme en matière de création artistique et conserver des éléments de leurs performances afin d’inscrire cette nouvelle activité culturelle dans l’histoire de l’art et du féminisme.
Réappropriation des figures de femme-objet et de femme martyre
Influence des médias de masse sur les représentations du féminin
Pour en revenir à la figuration féminine et la mise en jeu des corps dans les arts performatifs, il est intéressant de rappeler l’influence, dès les années 1950, de la beauté dite « hollywoodienne » et la naissance d’icônes de la féminité, et d’un idéal social, comme Maryline Monroe, Greta Garbo et bien d’autres. Parallèlement à cela, il est important de rappeler combien à cette époque, la démocratisation du cinéma, de la photographie, des médias de masses comme la télévision ou les magazines ainsi que l’apparition de produits commerciaux visant exclusivement le public féminin ont cristallisé des rôles sociaux principalement réduits à l’image de la mère et de l’épouse en plus d’imposer de nombreux standards de beauté (peau blanche, minceur…). Le développement de ces modèles féminins, parfois réducteurs, et surtout contradictoires, en parallèle au développement du discours féministe peut sembler paradoxal. Claudine Sagaert dans son introduction au livre, Histoire de la laideur féminine analyse cette contradiction, qui ne cesse de croître tout au long de la première moitié du XXe siècle.
La mise en jeu des corps dans l’art performance est très souvent analysée par le prisme de l’état du corps, de l’action en elle-même ou de la relation entre l’artiste et le spectateur. Ces angles d’analyses sont tous pertinents. Cependant, dans le cadre de notre recherche, l’intérêt pour le corps se porte davantage sur sa capacité à créer des images, sur sa puissance figurative. Pour ce qui est de la performance féministe, il est question de proposer matériellement et lors d’actions directes une nouvelle figure féminine, affranchie d’autres images traditionnelles dominantes dans les arts et les médias de masse comme la mère, la muse ou la courtisane. Pour preuve, l’artiste Joan Jonas et sa performance Mirror Check92 en 1970. Dans cette pièce, l’artiste est debout, totalement dénudée. Elle fait circuler tout autour d’elle un petit miroir et attire l’attention sur des parties précises de son corps.
Yoko Ono : le corps comme matérialité de l’esprit
Nous allons à présent illustrer notre propos avec l’exemple du happening Cut Piece [morceau découpé], réalisé par Yoko Ono, à plusieurs reprises, entre 1964 et 1965 au Japon et à New-York.
Yoko Ono est une performeuse, plasticienne, écrivaine, chanteuse, comédienne et cinéaste japonaise, née le 18 février 1933. Elle fut un membre important de l’avant-garde new-yorkaise des années 1960 en participant au mouvement Fluxus. Il est difficile de déterminer avec précision les objectifs souhaités par cette avant garde, si ce n’est, comme beaucoup d’autres eu Europe au début du XXe siècle, de supprimer la frontière entre l’art et la vie. Il y a chez les artistes de ce mouvement,un refus de l’esthétisation et du beau. L’avant-garde Fluxus recouvre une large variété de formats artistiques allant de la littérature, la peinture, à la performance.
Lors de la performance Cut Piece, l’artiste est immobile et à genoux sur un plancher légèrement en hauteur. Quelques marches séparent l’espace des spectateurs de celui de la performeuse. Ces derniers sont invités à entrer sur scène et à découper, à l’aide d’une paire de ciseaux positionnée face à Yoko Ono, un morceau de sa tenue, et ainsi, progressivement, dévoiler son corps. L’artiste présente cette performance en ces termes.
Blessures et mutilations dans l’oeuvre de Gina Pane
Le travail d’une performeuse comme Gina Pane, est semblable, sur bien des aspects, à celui de Yoko Ono en matière de représentation féminine liée à une forme de violence, tout en produisant une figure légèrement différente. Gina Pane est une artiste française. Elle est née à Biarritz en 1939 et morte prématurément en 1990 des suites d’un cancer. Elle s’est formée aux Beaux-arts de
Paris entre 1961 et 1966. Elle débute sa carrière par la peinture, et la sculpture avant d’en venir aux installations artistiques. Ses premières actions ont lieu entre 1968 et 1970. Elle traite alors du rapport entre le corps et la nature. C’est en 1971, que l’artiste commence à être médiatisée suite à la performance Action Escalade nonanesthésiée, dans laquelle elle grimpe sur une échelle sur laquelle sont disposées des lames de rasoirs. Dès lors, Gina Pane explorera la dimension symbolique de la blessure à travers une série de performances corporelles minutieusement pensées et préparées en amont. L’artiste travaillait à partir de notes et de croquis, et conservait des traces photographiques de ses performances qui deviendront ellemême des oeuvres autonomes. Elle est devenue dès lors une figure majeure de l’art corporel français et sa renommée sera internationale.
Lors de l’action Azione Sentimentale [Action Sentimentale]106 en 1973, l’artiste se mutile avec les épines de deux bouquets de roses, blanches et rouges avant d’inciser la paume de sa main avec une lame de rasoir devant un public, au premier rang, exclusivement féminin. Cette coupure prend la forme d’une rose avec la blessure représentant les pétales et son bras la tige de la fleur. La performeuse reprend cette action deux fois de suite, une avec les roses blanches, la seconde fois avec les rouges. Alors que l’action est en cours, un dialogue pré-enregistré entre deux femmes est diffusée dans une pièce adjacente.
Gina Pane excluait entièrement le recours à la parole lors de ses performances ; seule l’expression corporelle compte. Le sens et l’interprétation reste ouvert, et ne se donne que par l’entremise de celui qui regarde.
Concernant la lecture féministe que nous pouvons avoir de cette pièce, Gina Pane confond ici la symbolique romantique de la rose et la violence que celle-ci peut faire endurer au corps. On peut y voir le paradoxe de l’assujettissement des femmes face aux hommes. Un assujettissement se voulant protecteur, paternaliste voir romantique, provoquant en réalité une violence inouïe à l’égard du sexe féminin. Il y a dans les performances de Gina Pane une manière d’orchestrer avec précision la moindre action dans un souci de ritualisation. Pour preuve, l’utilisation des lames de rasoir dans plusieurs de ses performances n’est pas chose anodine. En effet, celles-ci permettaient une plaie saignante mais bénigne qui cicatrisait rapidement. On peu également y voir l’usage d’un outil blessant, masculin par excellence. Les actions de Gina Pane s’inscrivent bel et bien dans le cadre de la représentation, elle ne s’intéressait pas à une forme de happening ou d’action improvisée. Une performance comme qu’Azione Sentimentale joue sur une ambivalence entre proximité et distance. Gina Pane pose la question du collectif devant un public majoritairement féminin, elle fait du corps, l’élément commun entre elle et ces dernières. La distance permet cependant d’inscrire cette action dans le cadre de la représentation, voir de la communion. Selon, l’artiste et maîtresse de conférence, Diane Watteau.
|
Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE 1 – PERFORMANCE ET FEMINISME : REFIGURATION DU FEMININ (Seconde vague féministe 1960-1970)
Chapitre 1 : L’art performance : un art au féminin
1.1 Omission des femmes créatrices dans l’histoire de l’art occidental
1.2 Émergence d’une parole artistique féministe au XXe siècle
1.3 La seconde vague féministe : pour un féminisme universaliste
1.4 Art performance et émancipation des femmes artistes
Chapitre 2 : Mise en jeu du corps et figuration symbolique
2.1 Art corporel : corps et violence comme moyen d’action dans la performance
2.2 Dynamique artistique pluridisciplinaire au XXe siècle
2.3 Interartistique et mise en regard de la figure féminine occidentale
Chapitre 3 : Réappropriation des figures de femme-objet et de femme martyre
3.1 Influence des médias de masse sur les représentations du féminin
3.2 Yoko Ono : le corps comme matérialité de l’esprit
3.3 Blessures et mutilations dans l’oeuvre de Gina Pane
3.4 Remise en cause et critique de l’objectivation du corps féminin dans l’art corporel
PARTIE 2 – ECLATEMENT DE LA FIGURE FEMININE : LE TEMPS DE LA DECONSTRUCTION (Troisième vague féministe années 1980-1990)
Chapitre 1 : Une entreprise de dé-figuration : un nouvel axe de réflexion pour les performeuses
1.1 Émergence de la troisième vague féministe : expansion de nouveaux modes d’expression pour l’art performance
1.2 Divergences théoriques et créatives chez les performeuses des années 1980-1990
1.3 Les opérations chirurgicales-performances d’ORLAN : entre défiguration et refiguration du féminin
1.4 L’art charnel : un manifeste esthétique en rupture avec l’art performance des années 1960
Chapitre 2 : Hybridation des figures féminines : une identité fluctuante et plurielle
2.1 Observation des caractères de la figure féminine occidentale dans les hybridations d’ORLAN
2.2 Fusion entre la chair et l’alimentaire dans l’oeuvre de Patty Chang et Natacha Lesueur
PARTIE 3 – VERS UNE NOUVELLE FIGURATION DU GENRE : APPARITION DE NOUVELLES IMAGES (de la troisième vague féministe à aujourd’hui)
Chapitre 1 : Théorie queer : subversion de l’identité et du genre
1.1 Le « troisième sexe » et la genèse des études de genre
1.2 Le militantisme LGBT face aux luttes féministes
1.3 Introduction de la théorie queer dans le monde universitaire
Chapitre 2 : Esthétique queer et déconstruction du genre
2.1 La performativité du genre selon Judith Butler
2.2 L’esthétique queer dans la sous-pratiques culturelles américaine
2.3 Sexualités et identités mutantes dans l’oeuvre d’Annie Sprinkle
Chapitre 3 : L’art performance à l’ère d’un renouveau féministe
3.1 Troisième vague féministe : un héritage fragmenté
3.2 L’art performance contemporain : entre retour aux sources et renouvellement esthétique
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE ET SOURCES
ANNEXES
A- Photographies du corpus
B- Écrits, manifestes et scripts des performances
C- Écrits et manifestes féministes
Télécharger le rapport complet