Une démarche ethnographique pour l’analyse des pratiques de tous

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Pratiques participatives et apprentissages

Plutôt que de démarche participative, il est ici fait mention de pratiques participatives. En effet, « une démarche participative ne suppose d’être définie ni dans son contenu ni dans son résultat. Il convient de laisser une place à l’imprévu et au lâcher prise. » (Dubois, 2019, p.3) Dans le cadre scolaire et au regard de mon statut de stagiaire, je n’ai pas expérimenté un projet dans une démarche participative totale8, on parlera plutôt de pratiques participatives qui ont lieu dans un cadre défini. Malgré ce cadre, les pratiques participatives sont intéressantes, car elles rendent l’apprenant actif de son apprentissage dans la mesure où il est dans l’expérience. Ainsi, « John Dewey avait déjà souligné l’importance cruciale de l’expérience, de la participation dans les apprentissages en ce qu’ils mobilisent la conscience et placent l’apprenant dans une posture active. » (InterCDI, 2018) Pour la philosophe pragmatique9 , Joëlle Zask, l’expérience est au cœur de l’apprentissage, car elle « déclenche un trouble au niveau des interactions entre l’individu et son environnement » (Zask, 2018). Pour elle, il faut donc créer une situation inédite qui perturbe les habitudes de l’élève et l’oblige à se placer différemment vis-à-vis de l’apprentissage. Il s’agit alors dans les pratiques participatives de créer un trouble, de faire le pas de côté, c’est-à-dire, soit de donner de la liberté aux élèves, soit les responsabiliser pour leur donner une nouvelle place. Dans ce décentrement, les élèves travailleront plusieurs compétences indispensables à leur scolarité. Pour les résumer, c’est l’ouvrage sur la Culture participative, des chercheurs en sciences humaines et sociales, Henry Jenkins, danah boyd et Mizuko Ito qui livrent ce qu’ils appellent des « qualités » nécessaires à une véritable démarche participative. Ces qualités sont des compétences qui sont travaillées par les élèves lors de projet et concernent leur adaptabilité, l’échange et la communication avec les autres, « l’agentivité » et l’engagement, la compréhension des enjeux, « la résilience émotionnelle ». Si dans les expérimentations mises en place cette année, les objets et les finalités sont différents (médiation littéraire, création de support de médiation, exposition, etc.), les compétences transversales travaillées lors de pratiques participatives sont identiques.
Pour résumer, dans les expérimentations, il faudra veiller à ce que les élèves se sentent légitimes dans leur action, qu’ils aient un réel pouvoir de décision quitte à ce que cela soit une contrainte pour les enseignants. Cet empowerment sera progressif et le fruit d’apprentissage. Les pratiques participatives invitent donc à créer un décalage pédagogique pour que les élèves soient à la fois en apprentissage et en situation de pouvoir sur leur environnement. Aux vues des besoins identifiés pour valoriser le CDI, sa pratique et ses ressources multiples, il est rapidement apparu que les élèves pourraient intervenir sur la médiation.

La médiation comme « levier de participation »

Les pratiques participatives dans l’action de médiation au CDI peuvent comporter des intérêts multiples et peuvent être situées à différents niveaux. Avant de les explorer il faut d’abord définir ce que signifie médiation.

La médiation : définitions et enjeux

Pour Yves Jeanneret, la médiation est « une activité productive et créative qui consiste à intervenir sur le cours de la communication en lui apportant une nouvelle dimension » (Jeanneret, 2014, p.13). Elle nécessite « un intermédiaire, un entre-deux » qui permettent la « mise en relation qui transforme les objets et les sujets » (Fabre 2013, p.132). Les élèves auront donc un rôle central de médiateur et de transformateur des objets dont ils effectuent la médiation. Évoquant la médiation  dans un contexte muséal, Patrick Fraysse, professeur en SIC, affirme que « la boucle de médiation, pour être complète, met en présence trois éléments, l’objet, le public et le tiers médiateur, que ce soit une personne, un document ou un autre dispositif complexe. » (Fraysse, 2015)
Ainsi, en plaçant les élèves dans un rôle de médiateur, je créé un dispositif où ils sont à la fois la cible et les acteurs de la médiation. Leur donner un rôle central dans la médiation de la lecture et de la culture au lycée serait l’occasion pour les élèves de s’emparer du CDI, de le pratiquer autrement et de faire le lien avec leurs camarades. Si le souhait est bien que les élèves changent de pratique et de représentation au CDI, il faut créer des possibilités d’appropriation. On revient alors à l’injonction à faire voler en éclat « la division rigide de l’espace, le cloisonnement des pièces qui renforce celui des matières et des activités, l’estrade, la sonnerie à intervalle parfaitement régulier », pour créer des espaces de liberté au sein de cette « institution totale 10 », au sens de Goffman (Zask 2018). Le CDI se prête particulièrement bien à la création de tel espace dans la mesure où il est déjà un lieu d’innovation et de transformation (Maury 2010). Les professeurs-documentalistes témoignent en effet de bon nombre de projet mis en place et de réflexion sur la participation et la médiation au CDI, c’est le cas de Cécilia Courbot-Dewerdt, professeure-documentaliste à Lens, qui a expérimenté plusieurs projets mettant en jeu des médiations par et pour les élèves. Elle parle de « la position de médiateur [qui] peut être un levier de participation et d’implication des élèves ». En revanche, elle met en garde, « il ne peut y avoir d’appropriation sans transformation, ni de médiation à partir d’un support trop étranger » aux élèves (Courbot-Dewerdt, 2018). La médiation semble alors être une piste intéressante, qui se prête à l’espace CDI, et qui permet de développer des pratiques participatives. Cependant, quel support donner à ces pratiques ?

Pratiques participatives et recherche du support de la médiation

Après cette synthèse sur les pratiques participatives et la médiation, il serait bien maladroit de se lancer dans un projet dont le support serait trop éloigné des élèves ou trop familier. Il y a là un risque, soit de rester dans leur zone de confort, soit de les en faire trop sortir. Pour reprendre la formule précédente, il faut créer un trouble tout en permettant aux élèves de se raccrocher à quelque chose de connu. Pour trouver le juste milieu et le support adéquat, il semble que, comme le préconise l’anthropologue Mizuko Ito ou la chercheuse en SIC, Anne Cordier, il faille adopter une approche située de l’enseignement et de l’apprentissage des élèves. Hervé Le Crosnier évoque dans la préface du livre Culture Participative cette dimension située qu’on retrouve dans les travaux d’Anne Cordier. En science de l’éducation, il y a une démarche des apprentissages situés qui consiste à prendre en compte au-delà des compétences des élèves et de leur prérequis, les apprentissages informels, leurs contextes et la manière dont ils sont liés aux apprentissages plus formels (Masciotra et al., 2010). En adoptant cette approche je m’astreins à connaître les élèves avant de choisir quel projet mettre en place et me positionne en observatrice vigilante de leurs envies et de leurs centres d’intérêt. Il s’agit alors d’avancer à tâtons, pas à pas pour trouver ce qui fera le meilleur support pour une médiation de la lecture et de la culture de la part des élèves. Si pour certains le support peut être en lien avec la scolarité, pour d’autres il pourra s’en éloigner pour paraître attractif. Plusieurs pistes ont alors été explorées, la médiation par le biais des réseaux sociaux, la médiation par la création de supports mettant en jeu des besoins d’apprentissages scolaires à visés professionnalisant (BTS communication ou filière technologique), des passions comme la lecture ou la création artistique. Chaque support présente un intérêt et des inconvénients. Avec des supports trop proches de leurs apprentissages scolaires, on prend le risque de les désintéresser. Avec les réseaux sociaux et les supports numériques, on prend le risque d’une médiation qui serait artificielle. Comme l’indique Patrick Fraysse pour les musées, l’« idée qui consiste à penser qu’il suffit de mettre en contact les œuvres et le public pour que le lien se fasse automatiquement est parfois réactualisée par celle de l’accès généralisé et facilité par le numérique. » (Fraysse, 2015) Enfin, quel que soit le support choisi « il faut garder à l’esprit que la position de médiateur ne sera pas prise par tous, ni par tous de la même façon ». (Courbot-Dewerdt, 2018).
Pour trouver le bon support de médiation, pour mettre en place des expérimentations de pratiques participatives et pour les analyser, j’ai adopté une démarche d’abord ethnographique.

Une démarche ethnographique pour l’analyse des pratiques de tous

Dans ce travail de mémoire, et dans un établissement comptant 1719 élèves, il est vite apparu évident que l’utilisation d’outil quantitatif pouvait être très chronophage. Loin de les écarter complètement c’est d’abord une approche ethnographique d’observation qui est à la base des expérimentations et de leurs résultats retranscrits ici. Cette démarche ethnographique mérite quelques petits éclaircissements quant à mon positionnement.

Pour une subjectivité « mesurée » dans mon entreprise d’expérimentation

Des années de recherche de terrain en géographie m’ont appris beaucoup sur l’influence des représentations sur les résultats de recherche. Les représentations que j’ai de l’espace, des acteurs et du lien qu’ils entretiennent sont des présupposés qui façonnent ce travail. Au-delà de la recherche d’une vaine objectivité, il s’agit, lorsque l’on amorce une démarche d’expérimentation sociale, de livrer un peu de soi. Cela passe par l’analyse de l’intersubjectivité à l’œuvre sur le terrain, pour trouver une subjectivité « mesurée » qui permet, faute de mieux, d’expliciter et de comprendre (dans une certaine mesure) les rapports sociaux et les représentations à l’œuvre. Ainsi, quelque soit la démarche entreprise « une importante part du positionnement n’est pas simplement comment nous le ressentons, mais comment les autres nous voient » (Cupples 2002, p.383).
Dans ce cas précis du mémoire, je mène une expérimentation auprès des élèves, j’ai une posture d’enseignante, je suis la supérieure de mes enquêtés. La posture de professeure-documentaliste est certes différente d’une enseignante de discipline vis-à-vis de ses élèves, il n’en reste pas moins que ces derniers sont moins libres avec moi qu’avec toute autre personne hors contexte scolaire. Ainsi, lorsque je les 13 questionne, que je les interroge, ou leur donne à remplir un questionnaire, ils ont sur moi un regard particulier. Il en va certes de toutes les relations sociales, mais les chercheurs en science de l’éducation ont bien montré le rapport particulier de l’enseignant à ses élèves. Bien que « le contrat didactique » qui engage le professeur-documentaliste ne soit pas clairement délimité auprès des élèves, cela ne l’empêche pas de posséder, au même titre que les enseignants de disciplines, une autorité « étroitement liée à son statut et à son rôle dans l’institution, ainsi qu’à sa place dans l’ordre des savoirs » (Marchive 2005, p.192). Ces biais sont difficilement contournables, ils sont présents et il convient de les garder à l’esprit. Reste la relation entretenue avec les collègues avec qui j’ai été amené à conduire ces expérimentations.
Comme l’évoque Yolande Maury, maitresse de conférence en SIC, dans sa synthèse de 50 ans de recherche sur les CDI, « l’identité du documentaliste et son rôle dans l’institution sont aussi de nature relationnelle, son action s’inscrivant dans un contexte […] elle se construit au travers de négociations relationnelles, ces transactions entre acteurs laissant s’exprimer les tensions entre identité revendiquée par le documentaliste et identité “déposée” ou “attribuée” par les autres acteurs du système. » (Maury 2010) Arrivant dans mon établissement, je suis soumise au regard que les enseignants ont sur les professeurs-documentalistes prédécesseurs et le travail relationnel qu’ils y ont entrepris. Face à une équipe d’environ 150 enseignants, j’ai dû rapidement lancer plusieurs pistes de travail dont beaucoup ont été abandonnées. J’ai fini par faire ma place tant bien que mal, mais mes collègues ne me perçoivent pas toujours comme une professeure. Pour le mémoire, les expérimentations ont été effectuées dans le cadre de collaboration avec des enseignants qui me considérait comme une enseignante, ou des expérimentations menées seules avec les élèves sur le temps périscolaire.
Il n’est donc pas possible de faire l’impasse sur la construction des représentations et leur impact sur le contenu d’une expérimentation, en revanche, il revient à celui qui expérimente une honnêteté sur sa démarche et une modestie sur ces résultats.

La participation des élèves à la médiation de la lecture au CDI

Une des missions que je me suis fixée est donc d’amener les élèves à pratiquer le CDI autrement et à en extraire toutes ses ressources y compris du point de vue de la lecture. Dans un premier temps, il faut revenir sur les formes de médiations dont la lecture et les livres peuvent faire l’objet dans un contexte scolaire, pour exposer les deux expérimentations mises en place et finir par les résultats temporaires qui en résultent.

Identification et définition des formes de la médiation autour de la lecture au CDI

La lecture et le livre comme rapport socioculturel à l’écrit

La lecture est une « action de lire, de déchiffrer visuellement des signes graphiques qui traduisent le langage oral »,18 mais elle doit aussi être considérée comme une « activité psychosensorielle »19. Pour le chercheur en science de l’éducation, Gérard Chauveau, la lecture fait partie du monde de l’écrit, c’est-à-dire tout autant les signes, codes et processus cognitifs de la lecture que les usagers, les supports, les lieux de diffusion, les pratiques, les représentations socioculturelles de l’écrit dans une société. Il y a donc, selon lui, tout autant une dimension symbolique de l’écrit que fonctionnelle (Chaveau, 1997). Les professeurs de lettres, comme l’évoque Bénédicte Shawky-Milent20 , vont se focaliser sur le rapport à la lecture d’œuvre littéraire en développant des « gestes appropriatifs » par des méthodes d’écriture. Les professeurs-documentalistes vont aussi devoir travailler le rapport à l’objet, au lieu, et aux représentations socioculturelles de l’écrit par le biais de la médiation. Cela passe par une pratique du CDI pour y lire ou de l’emprunt. Comme toute médiation, elle « n’est pas neutre : elle suppose un choix de valeurs, de stratégies »21 . Ces dernières doivent être élaborées après une fine analyse des emprunts et des pratiques de lectures déjà existantes au CDI.

De l’emprunt à l’élaboration de stratégies participatives de médiation au CDI

Au lycée, seuls 13 % des élèves sont emprunteurs. Il y a ceux qu’on qualifie de « bons lecteurs », ils empruntent beaucoup et fréquemment, les lecteurs occasionnels et ceux qui ne viennent jamais aux CDI. Il va sans dire que les mangas n’ont pas nécessairement besoin d’une médiation poussée pour être empruntés, ce qui n’est pas le cas des romans et des bandes dessinées qui peinent à sortir. Les statistiques sont claires de ce point de vue, pour le mois de novembre 202022 il y avait 185 emprunts, 77 mangas, pour 4 BD et 35 romans. La vétusté du fonds, le faible nombre de mangas, l’absence d’un coin lecture confortable m’ont poussé à un certain nombre d’actions avant même de mettre en place une stratégie de médiation. Ainsi, une importante acquisition a été effectuée sur les fictions afin de permettre un renouvellement du fonds23. Cette acquisition24 de livres fut un premier pas. Ensuite, 6 nouveaux fauteuils confortables s’ajoutant aux quatre chaises précédentes, sont venus meubler un espace lecteur réaménagé25. On voit déjà deux axes se dessiner dans la pré-médiation : la mise en valeur physique et matérielle et la mise en valeur intellectuelle et sociale du livre et de la lecture. Dans les deux cas, il me semble que la participation des élèves à ces deux volets de la médiation est nécessaire. J’élabore alors deux projets distincts qui me permettent de voir si l’implication des élèves dans cette médiation les amène à fréquenter le CDI et éventuellement à le fréquenter différemment comme des usagers exploitant toutes ses ressources.

Les élèves dans une démarche participative : « prendre part » en apportant sa contribution directe à la médiation

La médiation autour des livres et la valorisation du fonds au CDI s’articulent très tôt dans l’année autour de ces deux axes : la création de support physique de mise en valeur du fonds et la création d’une médiation communicationnelle sur les ouvrages disponibles au CDI.

La fabrique de la médiation au CDI : les élèves acteurs dans la réflexion

Dés la rentrée, je suis informée de la présence dans l’établissement d’une section technologique STI2D où les élèves de classe de terminale sont formés à la manipulation de machine de production parmi lesquelles une thermoplieuse PVC, un pyrograveur, un graveur et une imprimante 3D. Il y a une opportunité à saisir, il s’agit à la fois d’exploiter les ressources du lycée pour enrichir le CDI, de faire participer les élèves à un projet aux finalités pédagogiques et professionnalisantes, tout en amenant ce public peu présent au CDI et quasiment inexistant dans les statistiques d’emprunts, à le fréquenter et à y tenir un rôle particulier. Les filières technologiques comportent moins d’emprunteurs que les filières générales. Si en moyenne on compte 5 emprunteurs par classe de terminales générales, il n’y en a que 2 en classe de terminale technologique pour des effectifs équivalents. L’expérimentation consiste alors à mener un travail de réalisation de chevalet26 pour les documents du CDI. Nous allons travailler de la conception à la livraison finale des chevalets commandés. Ce travail s’est déroulé sur trois séances, une séance de visite du CDI avec la classe de terminale et la présentation de tous les types de documents du fonds (périodiques, ouvrages, etc.). Cette séance d’une heure a pris la forme d’une découverte du CDI toute particulière, les élèves ayant pour objectif de relever les types de documents et leurs dimensions. La séance démarre par un tour de table pour savoir si les élèves fréquentent le CDI. Tous répondent par la négative. Je leur présente alors le CDI, ses ressources, les choses susceptibles de leur plaire sans en avoir l’air. La médiation prend une tournure détachée de l’injonction à l’emprunt et à la lecture puisque nous sommes focalisés sur les questions d’ordres techniques et professionnels. La fin de la séance se clôt par un emprunt d’un élève qui ne savait pas qu’on pouvait emprunter. Les élèves ont pour consigne de fabriquer des prototypes de chevalet qu’ils viendront me présenter au CDI, durant une séance test. J’aurais alors deux semaines pour passer commande des supports souhaités après concertation avec l’équipe des professeurs-documentalistes. La dernière séance consistait à livrer et mettre en place les chevalets dans l’espace du CDI. Le tout se déroule donc en trois temps d’une demi-heure à une heure. Le projet est amorcé début février, la livraison devait avoir lieu avant les vacances de Pâques, le projet n’est donc pas fini, cependant les deux premières séances ont été effectuées. L’objectif de cette expérimentation était double, d’une part observer par le biais des statistiques si les élèves impliqués dans ce projet empruntaient plus du fait de la découverte du fonds ou de la motivation dans le projet, et d’autre part s’ils étaient amenés à fréquenter le CDI plus fréquemment. En parallèle, de cette expérimentation, je devais mener une médiation communicationnelle.

La médiation par les pairs via Instagram

Le premier réflexe en arrivant en septembre fut de réaménager l’espace et de créer des petites médiations dites « classiques », mais qui fonctionnent et mettent en valeurs le fonds : les tables thématiques, les tables de nouveautés, et le renouvellement des livres exposés en tête de rayonnage. En complément, la médiation passe par la discussion avec les emprunteurs, de leur goût, de leur impression sur les livres lus, j’y ajoute mes coups de cœur et proposent des romans, mangas ou BD récemment lu. La médiation personnalisée est efficace dans une certaine mesure, mais sur un établissement de 1720 élèves dont seulement 15 % empruntent, on peut dire qu’elle est limitée. Or, si l’on en croit les sociologues Mariangela Roselli et Marc Perrenoud, quel que soit la médiation effectuée, elle sera vaine si la cible ne se sent pas usager du service, ici le CDI, et si le support de médiation est étranger aux usagers. En effet, une « offre culturelle » peut passer inaperçue « à partir du moment où les supports et les dispositifs qui la constituent demeurent étrangers à nos habitudes et à nos connaissances et extérieurs à notre monde intime, privé, personnel. » (Roselli et Perrenoud 2010). Qui d’autres que les élèves eux-mêmes sont le plus à même de savoir ce qui leur parle, ce qui leur est 22 familier ? Il apparaît alors évident que la médiation par les pairs résonnera différemment que la médiation par les professeurs-documentalistes.
Je décide donc d’engager un dialogue avec le club lecture qui se réunit au CDI le mercredi à 13h. Parmi eux, tous sont des férus de lecture, mais peu sont des habitués du CDI. Une première rencontre me permet de faire leur connaissance et de les interroger sur leurs fréquentations du CDI, 2 seulement viennent tous les jours (je les connais très bien), 2 occasionnellement pour emprunter et les autres (10 élèves) ne viennent jamais. Je leur expose alors mon envie de valoriser les nouvelles acquisitions, l’occasion de leur en présenter quelques-unes et de leur demander quelle serait selon eux la forme de médiation la plus adéquate pour valoriser le fonds et la fréquentation du CDI pour la lecture. Lorsque je leur soumets l’idée d’un réseau social numérique, ils sont enthousiastes et désignent unanimement Instagram. Je leur fais alors part de mon incapacité à gérer ce réseau que je ne connais pas et les invitent à me guider. Par la suite, je créé le comité participatif du CDI, qui compte pour l’instant 4 membres, nous nous réunissions de manière informelle le mercredi à 12h30 avant leur club lecture de 13h pour discuter des actions à mener. La première action fut de créer un compte Instagram du CDI. Pas à pas, ils me guident, m’expliquent le fonctionnement et définissent le type de publication que l’on doit effectuer. Ils viennent au CDI pour faire des stories depuis ma tablette et le compte du CDI27, ou à partir de ma tablette ils commentent les coups de cœur postés par d’autres.
Le compte a été créé début février et comprend aujourd’hui 12 publications et 38 abonnées. La campagne d’affichage à malheureusement était repoussée et effectuée le 25 mars, plus tardivement que prévue. Cette expérimentation repose sur l’idée que « la manière dont les objets sont parlés, sont utilisés, les lieux fréquentés, mis en scène, ont un effet sur la manière de les interpréter. ». Il est donc question de faire des stories sur le lieu du CDI pour valoriser le coin lecture, mais aussi mettre en valeur des objets comme les nouveaux marque-pages28.

Les élèves acteurs de la médiation : une mobilisation certaine, mais aux effets limités

Cette section du mémoire avait pour but de tester l’hypothèse selon laquelle la participation des élèves à la médiation de la lecture au CDI permettait d’amener de nouveaux lecteurs au CDI, et/ou de transformer les pratiques des élèves fréquentant le CDI uniquement pour y travailler.

La classe de terminale STI2D : une expérimentation qui montre l’importance des professeurs dans la médiation

Le protocole mesurant l’efficacité de l’expérimentation consistait d’abord à surveiller les statistiques d’emprunt puis à interroger régulièrement les élèves de cette classe (à chaque rencontre) pour leur demander s’ils pensaient que ce projet les avait poussés à venir plus fréquemment au CDI, à emprunter ou à lire ailleurs que d’en l’établissement.
Les statistiques d’emprunts renseignent un emprunteur pour toute la classe avant la première séance. En mars, après les deux premières séances, 6 emprunteurs sur 27 élèves sont recensés ramenant ce chiffre au niveau d’emprunt moyen dans les filières générales. D’après ce premier résultat, la participation directe des élèves à la médiation leur a permis de découvrir un espace nouveau et a facilité son accessibilité. Si un emprunt a été effectué à la sortie de la première séance, d’autres ont suivi en mon absence et en dehors d’un temps pédagogique prévu pour cela. Il paraît cependant difficile de savoir si c’est réellement le processus de création ou la simple découverte de cet espace qui favorise sa fréquentation et l’emprunt. De plus, nous sommes là dans une expérimentation dans le cadre d’une participation contrainte et non pas dans une démarche participative totale. Ce qui reste indéniable c’est que le professeur qui les fait venir les connaît les suit depuis deux ans et sait comment les impliquer dans un projet, de même qu’au CDI, j’ai su faire de la médiation sans être trop poussive, ce qui peut être rebutant pour ces élèves. Ainsi, autant que de fabriquer des objets mis en valeur dans le CDI, c’est le processus de travail en collaboration avec la professeure-documentaliste et l’influence de leur professeur qui, combinés, semblent constituer le moteur de la médiation. Leur motivation individuelle est aussi à rechercher dans un objectif qui correspond à leur besoin d’apprentissage immédiat pour le baccalauréat et pour leur professionnalisation à court ou moyen terme. La fréquentation « forcée » du CDI dans le cadre de l’enseignement peut trouver des formes pertinentes dans les apprentissages sans que l’info-documentation soit au cœur du projet tout particulièrement pour des « usagers » qui ne fréquentent pas du tout le CDI. Pour Raphaëlle Bats, la démarche participative consiste à « prendre part », mais aussi « faire partie de ». J’ai donc pensé que cette manière de faire participer la classe de terminale à la création de support physique pour la mise en valeur du fonds au CDI était un bon moyen pour eux de se sentir comme faisant partie de cet espace et permettant son appropriation. Il reste à les interroger sur leur ressenti face à cette pratique du CDI, pour voir s’il y a réellement quelque chose qui a changé ou non. Cela est prévu lors de la séance de livraison des chevalets à la rentrée en présentiel. Sur le reste de l’année scolaire, il faudrait pouvoir évaluer si, après la fin du projet et la livraison des chevalets, la fréquentation des élèves continue, et au besoin les réinterroger sur leurs pratiques en fin d’année.

Atouts et limites du réseau social numérique

Le projet de médiation par les pairs via le réseau social Instagram comporte beaucoup de limites. Dans un premier temps la temporalité. Si le compte Instagram est crée mi-février, la campagne d’affichage est effectuée tardivement, fin mars. Il faudrait encore quelques semaines, ou quelques mois pour pouvoir évaluer correctement cette action. Cependant, en comparant les emprunts du printemps 2019 et du printemps 2021, on constate une hausse des emprunts de 144029. Bien qu’il soit difficile de dire à quoi est exactement dû cette hausse, le hasard, le réaménagement du coin lecture, l’acquisition ou la médiation par les pairs, on peut dire que le compte Instagram ne comptant que 38 abonnées, soit moins de 3 % des élèves de l’établissement, ne doit pas être un facteur décisif. En revanche, les élèves impliqués dans le projet ou en périphérie tels que les camarades des participants sont plus fréquemment venus au CDI pour emprunter.
Ce qui est particulièrement intéressant dans le cas de ces deux élèves motrices dans le projet c’est qu’elles sont maintenant des emprunteuses. Grandes lectrices, elles empruntaient pourtant peu au CDI. C. est passée de 0 emprunt en octobre à 8 emprunts en février. L. est passée d’un emprunt en octobre à 6 en mars. Aujourd’hui, elles empruntent notamment pour faire des avis des lectrices. Elles viennent me conseiller des acquisitions, ou encore pour soumettre de nouvelles idées en dehors des temps du comité participatif. Elles avouent volontiers avoir changé leur regard sur le CDI. C’est donc un bilan mitigé d’un point de vue quantitatif dans la mesure où le changement n’est pas passé par la création du comité participatif, mais plus des évolutions du coin lecture amorcé précédemment. En revanche, c’est une réussite sur le long terme avec la mobilisation et la réelle participation, au sens de la prise d’initiative et de décision de la part d’une poignée d’élèves qui peut, chemin faisant, impliquer encore plus d’élèves et transformer le CDI, et son équivalent moins formel en ligne, en un lieu multi-ressource pour les élèves.

Le CDI, lieu ressource pour la culture : le pouvoir de la participation

Dans l’ouvrage « C’est de plus en plus fou tout ce qu’on peut encore faire au CDI ! » Claire Egalon parle des élèves en des termes très justes. Elle évoque trois groupes d’élèves, certains viennent et sont habitués, d’autres moyennement et certains jamais. Il s’agit alors « de fidéliser les deuxièmes, d’apprivoiser les troisièmes sans perdre la confiance des premiers » (Egalon 2012, p.144). Une des manières qu’elle a d’impliquer tous les élèves est de les faire participer à la décoration du CDI. Il est indéniable que l’environnement physique et le décor ont un impact sur la représentation que les individus ont sur les lieux (Sélimanovski, 2009). Les caractéristiques physiques ont même un impact sur le bien-être et donc sur la réussite scolaire (Joing et al., 2018, p.22). Si les murs du CDI sont blancs, ils sont aussi ornés de vieux posters et d’une exposition sur Antoine de St Exupéry qu’il est difficile de dater. Je décide alors de permettre aux élèves de créer leurs propres expositions à partir d’œuvres existantes pour qu’ils adoptent la position d’un médiateur culturel. Le contact avec la professeure de spécialité Arts plastiques est alors établi et nous élaborons une séquence autour de ce projet.

L’expérimentation : formation à la médiation culturelle

Le lycée Saint-Exupéry compte une spécialité Arts plastiques enseignée par la référente culturelle de l’établissement. La médiation culturelle dans l’établissement semble passer principalement par les options théâtre et cinéma du lycée qui ne concerne qu’une poignée d’élèves. D’autres projets culturels sont menés, sans lien entre eux. Un recensement des actions menées dans l’établissement cette année montre que le CDI n’est pas du tout central et ne joue qu’un rôle marginal dans ce qui est fait au lycée. Neuf projets culturels sont recensés impliquant environ 200 élèves et dont seulement 2 sont à l’initiative des professeurs-documentalistes. S’il est à prendre en compte que c’est une année exceptionnellement calme du point de vue des sorties scolaires et des pratiques artistiques, il est indéniable que la culture ne fait pas partie des priorités éducatives de l’établissement.
En lien avec la professeure d’Arts plastiques, et les programmes qu’elle doit suivre, nous décidons de faire construire une exposition aux élèves de terminale afin de valoriser les travaux des anciens élèves de terminale Arts plastiques. L’objectif est multiple. Pour les élèves, il s’agit de développer des compétences en lien avec le programme d’arts plastiques « exposer l’œuvre, la démarche, la pratique » et des compétences transversales en information-documentation. Pour moi, il s’agit d’engager les élèves dans un projet culturel construit par des élèves pour les autres élèves, impliquant des pratiques participatives. Je souhaite par ce biais établir si la médiation par les pairs et la valorisation des travaux d’élèves participent au changement de représentation et de pratiques des élèves au CDI.
Le projet s’étend sur deux séquences comprenant quatre séances de 3h chacune30. La première séquence vise à construire un projet d’exposition au CDI, projet qui sera présenté aux deux enseignantes (arts plastiques et prof-doc) et aux camarades de classe. La deuxième séquence consiste en la réalisation de l’exposition. Les élèves doivent prendre en compte les contraintes du lieu imposées par les professeurs-documentalistes qui accueillent des usagers toute la journée, mais aussi réfléchir à une médiation de l’exposition. L’exposition est un projet qui nécessite plusieurs phases de recherche, de construction, de présentation et de mise en œuvre. Les compétences arts-plastiques sont multiples31 et sont couplées à des compétences transversales et notamment en info-documentation32.
Les élèves, au nombre de 10, sont répartis dès la première séance en deux groupes. L’un a pour objectif de construire une exposition permanente, l’autre une exposition temporaire. Les deux doivent se faire à partir d’œuvre déjà existantes (œuvres d’anciens élèves et/ou leurs propres œuvres). Les deux groupes font donc face à des problématiques différentes. Ils doivent dans un premier temps établir une carte mentale des questions que pose leur projet d’exposition pour y répondre progressivement. Les séances 2 et 3 sont un accompagnement de leur projet (recherche documentaire pour la rédaction de leur note d’intention d’exposition). La séance 4 consiste à la préparation de l’oral de présentation de la note d’intention de l’exposition, oral (de type grand oral) qui à lieu à la fin de la séance. La deuxième séquence de 4 séances a pour objectif d’accompagner les élèves dans la production de l’exposition de la mise en cadre à l’accrochage en passant par la construction de la médiation.
Le protocole mis en place pour cette expérimentation implique des phases d’observation et de questionnement direct aux élèves. La démarche du mémoire leur est exposée, ils sont au courant des finalités de l’expérimentation, c’est-à-dire évaluer si leur participation à la création d’une exposition culturelle entraîne une fréquentation plus intense du lieu et pour des pratiques autres que comme salle de travail. Il s’agit au-delà des questions directes d’observer leur pratique, voir s’ils viennent au CDI en dehors des heures de cours et ce qu’ils y font. En début de projet, aucun d’eux ne fréquente le CDI régulièrement, et ils semblent peu s’y intéresser.

Prendre le pouvoir au CDI et en découvrir ses ressources

Les élèves sont très tôt motivés par le travail d’exposition. Ils repoussent sans cesse les limites que je fixe dans l’exploitation du lieu en arguant que leur démarche artistique nécessite des transformations. Il apparaît rapidement que l’exposition temporaire sera une sorte de happening sur la violence dans la société et va nécessiter une fermeture du CDI durant une demi-journée. Un certain nombre de modifications doivent être apportées au lieu, et j’en viens à contacter les services de maintenance pour leur demander des interventions (trous dans les murs, déplacement de mobilier et demandes de matériel supplémentaire). Une demande de financement est adressée à l’intendant pour pouvoir faire appel à un prestataire extérieur pour les tirages liés à la médiation, qui s’avère être plus importante que prévu. Les élèves ont pris possession de l’espace qui leur était donné pour le transformer. Comme dans le cas du comité participatif du CDI, il semble que les élèves soient moteurs d’une dynamique très intéressante et qu’ils aient réussi à s’emparer de l’espace et de prendre le pouvoir. Cet empowerment est non seulement source d’apprentissage, mais aussi d’exploration du fonctionnement de l’EPLE avec ces différents services.
La finalisation et la phase d’observation du projet n’ont pas pu avoir lieu, il est donc difficile de déterminer si la construction d’une exposition au CDI par des élèves entraîne d’une part un effet « médiation par des pairs » et un changement de pratique, de la salle de travail à la salle d’exposition, lieu culturel. En revanche, les comportements des élèves moteurs dans ce projet ont été observés sur toute la durée du travail avec la classe de terminale.
Dans le cadre de ce travail, les élèves de cette spécialité avaient le droit de venir dans la salle d’archives, d’habitude réservée au personnel pour travailler et consulter les œuvres. Cette liberté et ce passe-droit spatial n’ont pas été exploités et utilisés par les élèves. Sur toute la durée du projet, seuls deux élèves (du même groupe) sont venus consulter les œuvres. Comme dans le cas de l’expérimentation avec la classe de terminale STI2D, ce projet fût l’occasion pour certains élèves de découvrir le CDI et son fonctionnement comme le montre l’exemple de A.

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Table des matières

Partie 1 – Cadrage théorique : définition, état de l’art et approche méthodologique
1. Des pratiques participatives au service de l’apprentissage
2. La médiation comme « levier de participation »
3. Une démarche ethnographique pour l’analyse des pratiques de tous
Partie 2 – La participation des élèves à la médiation de la lecture au CDI
1. Identification et définition des formes de la médiation autour de la lecture au CDI
2. Les élèves dans une démarche participative : « prendre part » en apportant sa contribution directe à la médiation
3. Les élèves acteurs de la médiation : une mobilisation certaine, mais aux effets limités
Partie 3 – Le CDI, lieu ressource pour la culture : le pouvoir de la participation 
1. L’expérimentation : formation à la médiation culturelle
2. Prendre le pouvoir au CDI et en découvrir ses ressources
Conclusion générale
Bibliographie

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