Une crise de l’identité masculine ?

MASCULIN – FEMININ

LA SEXUALITE : UNE NOTION RECENTE

Du sexe unique à la dichotomie des sexes

En Occident, comme dans la majeure partie des sociétés, les populations perçoivent et tiennent pour acquise l’existence de différences fondamentales entre les sexes, ces différences pouvant être d’ordre biologique, morphologique et/ou psychologique. Mais ces distinctions n’ont pas toujours été évidentes dans la pensée occidentale : on n’a pas toujours différencié un sexe masculin et un sexe féminin spécifiques.
De l’Antiquité classique jusqu’à la fin du 18 ème siècle, le modèle « un seul sexe/une seule chair » a largement dominé la réflexion sur la différence des sexes en Occident. Jusqu’à cette période demeurait l’idée que le sexe féminin était tout simplement le symétrique du sexe masculin, à la différence que l’appareil génital de la femme était à « l’intérieur » du corps et non à l’extérieur comme l’homme . L’historien Thomas Laqueur nomme ainsi « modèle unisexe » cette perception des sexes, modèle hérité des théories de Galien. Dans cette conception, homme et femme étaient classés suivant leur chaleur vitale, la différence des sexes étant alors, selon les termes de M-C. Pouchelle, une « différence de cuisson » (2000 : 65) . Ainsi la femme est froide et humide (principe de mort) et l’homme est chaud et sec (principe de vie); dans le « combat » de ces deux principes, c’est par un défaut de chaleur qu’arrive un enfant de sexe féminin : ainsi la femme naît d’un manque. L’homme et la femme sont dans un rapport d’inversion dans lequel la femme est présentée comme un être imparfait et l’homme un être parfait. Ainsi pour Aristote, « la première déviation [de la nature] c’est d’abord la production d’une femelle au lieu d’un mâle […] mais cette déviation est indispensable à la nature [pour les nécessités de la reproduction] ».
Les savants des Lumières en tirent deux conclusions : d’une part, les comportements de « genre » qu’ils identifient dérivent directement du sexe, et d’autre part le corps féminin n’est formé que pour servir la maternité. Néanmoins, Thomas Laqueur nous rappelle que dans les textes antérieurs aux Lumières, le sexe était plus considéré comme une catégorie sociologique qu’ontologique. Etre un homme ou être une femme c’était avant tout avoir un certain rang dans la société, une place, assumer un rôle culturel et non pas « être organiquement l’un ou l’autre des deux sexes incommensurables » (Laqueur, 1992 : 21).
A ce modèle « un seul sexe/une seule chair » succède un « modèle à deux sexes », élaboré au début du 19 ème par les savants qui vont sexualiser le corps humain. Selon les propos de Thomas Laqueur, « […] ils résolurent de fonder les différences qu’ils jugeaient capitales entre sexe masculin et sexe féminin et donc entre homme et femme » (Laqueur, 1992 : 18). Ces distinctions se basent sur des différences biologiques visibles. Ainsi, pour le médecin ou pour le naturaliste, le rapport de la femme à l’homme se présente par une série d’oppositions et de contrastes. Les appareils génitaux masculin et féminin apparaissent désormais comme radicalement spécifiques et selon les termes de T. Laqueur, « des organes qui avaient partagé le même nom – les ovaires et les testicules – se trouvèrent désormais distingués au niveau linguistique […] : on inventa deux sexes » (Ibidem : 171). Après une « différence de cuisson » pour reprendre les termes de M-C. Pouchelle, ladifférence sexuelle se base désormais sur une différence d’espèce : « l’espèce » mâle et « l’espèce » femelle, fondée sur des différences d’ordre biologique. L’homme et la femme se distinguent désormais non plus par un rapport d’inversion ou par un degré de chaleur mais par le corps et plus précisément, selon I. Théry, « par ce qui dans le corps fonde l’incommensurable de la différence du mâle etde la femelle humains : la reproduction sexuée. Sur cette inégalité fondamentale, s’érigera partout l’inégalité des droits » (2001 : 21).
Ainsi, à partir du 19ème siècle, la compréhension du sexe sera basée sur l’existence de deux entités biologiques, catégorisées comme des sexes donnés par la nature : mâle et femelle. A ces deux entités biologiques correspondent deux natures, la nature masculine et la nature féminine. Cette conception de deux sexes comme des données naturelles était largement répandue par les théories de la sexologie biomédicale. En effet, pour les sexologues, le « mâle » et la « femelle » sont des structures innées et l’hétérosexualité est la forme la plus achevée de l’évolution sexuelle. C’est d’ailleurs à la même période, au début du 19 ème siècle, qu’apparaît le terme de « sexualité » et qu’il est attesté dans le lexique. D’après Michel Foucault, la catégorie de sexualité va se structurer au fil d’une lente maturation et l’usage même du mot « sexualité » s’établira en relation avec d’autres phénomènes : le développement de domaines de connaissances diverses, la mise en place d’un ensemble de règles et de normes, en partie traditionnelles, en partie modernes et, pour finir, « des changements dans la manière dont les individus sont amenés à prêter sens et valeur à leur conduite, à leurs devoirs, à leurs plaisirs, à leurs sentiments » (Foucault, 1984 : 9-10). Dans cette maturation de la notion de sexualité, la psychanalyse joua un rôle important avec le développement du désir chez l’individu. Ainsi, pour le psychanalyste Daniel Welzer-Lang, il était important aussi que le sujet se reconnaisse comme sujet désirant. Notons par ailleurs que c’est Michel Foucault qui suggère la notion de désir dans les années 1980.
Dans le domaine anthropologique, la place de la sexualité est centrale, comme le rappellent L. Bazin, R. Mendès-Leite et C. Quiminal, coordinateurs d’un ouvrage collectif sur « L’anthropologie des sexualités». Elle est centrale car elle se retrouve constamment dans des domaines classiques de l’anthropologie comme laparenté ou l’économie. Selon les auteurs, « à ses origines ethnographiques, la sexualité a été appréhendée très « naturellement » dans undiscours sur l’altérité comme l’une des marques les plus évidentes de l’« exotisme », ce dernier s’inscrivait dans l’univers fantasmatique de la promiscuité » (Bazin et al, 2000 : 9). Entre les années 1920 et 1940, l’anthropologie fournit une contribution importante aux réflexions sur la sexualité avec notamment Malinowski ou Mead . Par ailleurs, la thématique de la sexualité et de la société primitive s’élabore dans le dialogue entre anthropologie et psychanalyse. En anthropologie, les recherches contemporaines prennent appui sur d’autres disciplines, comme l’histoire et sur certains courants comme ceux des féministes ou encore sur les travaux à proposdes homosexuels et des lesbiennes, lesquelles recherches contribuent à l’émergence de la sexualité comme objet d’étude.
Sur cette toile de fond qu’est la notion de sexualité, apparue dès le 19 ème siècle, vont se dessiner des « catégories » de sexualité, des spécifications en quelque sorte : l’homosexualité, la bisexualité et par conséquent l’hétérosexualité.

LES GENDER STUDIESOU L’ANTHROPOLOGIE AU FEMININ

A partir des années soixante un gros changement dans les recherches sur les rapports sociaux de sexes fut entrepris : il s’agissait de réinventer les catégories d’investigation qui servaient jusqu’ici. Par une critique systématique, on remit en cause les rapports sociaux de sexes et donc les notions même d’ « homme » et de « femme ». Il apparaît que dès les années 1930, l’anthropologue Margaret Meadanticipe ces mouvements et reconsidère le déterminisme biologique qui avait cours pour traiter les sexes masculin et féminin : il y avait deux sexes et donc deux natures, l’une masculine et l’autre féminine. Elle démontra par exemple que la division sexuelle du travail relevait plus de la culture que de la nature.
A la fin des années soixante en Occident, se développe, dans le domaine des sciences humaines, un courant de recherches inter – voire pluri – disciplinaires dénommé women’s studies ou études « par/sur les femmes » (N-C Mathieu, 2000 : 275). Ces travaux vont notamment critiquer le biais sexiste et le point de vue androcentriste dela science. Ainsi dans les années 1970 se pose le problème d’une discipline dominée par les hommes et donc d’analyses influencées par leur regard, leur point de vue sur les sociétés. On remarque, par exemple, que les femmes des sociétés étudiées par les anthropologues sont représentées de manière réductrice et que dans certains domaines, comme les rituels, elles étaient absentes des descriptions en tant qu’actrices sociales. Les mouvements féministes s’interrogèrent aussi sur l’origine de la domination masculine et sur la question de son universalité. Leurs travaux remettent en cause l’opposition binaire entre deux pôles identitaires, l’un masculin lié à la sphère publique et relevant de la culture et l’autre féminin appartenant à la sphère privée et relevantde la nature (Membrado ; Rieu, 2000 : 13). Dans ce mouvement contestataire des classifications des sexes masculin et féminin, l’anthropologiesociale n’est pas en reste.
Entre la fin des années 70 etle début de 1980, se développa un intérêt croissant pour les catégories sociales de sexes, ce sont les études de genre ou gender studies.La notion de genre ou genderdans sa version anglo-saxonne s’est seulement généralisée dans les années 1980 et surtout dans le domaine des sciences humaines.Elle désigne « une construction sociale qui contraste avec l’idée de sexe [biologique] » (Barraud, 2001 : 28). Ce type d’analyse dite du « genre », à la mode dans les paysanglo-saxons s’est réalisée sous la principale impulsion de la critique littéraire aux Etats-Unis ainsi que sous l’influence des mouvements de minorités nordaméricaines (gays, travestis, transsexuels) : ces derniers revendiquent de façon personnelle les choix (sexuels) multiples, espérant ainsi « transcender » des catégorisations sociales qu’ils jugent oppressives. De même, au cours des années 1980 un mouvement appelé Transgenderistémerge aux Etats-Unis et en Europe de l’Ouest, il se caractérise par l’idée que l’existence d’un système figé de genre est oppressant. Selon les propos de Sabrina Petra Ramet, le principe de ce mouvement est que « les gens devraient êtrelibres de changer, temporairement ou définitivement, leur type de sexe auquel ils sont assignés depuis la naissance ». Pour ce mouvement, l’existence d’une culture de deux genres est un « apartheid de sexe » (Ramet,1996 : 14).
La problématique du genre se propose de rendre compte de la division sociale des sexes mais aussi de la production et reproduction de l’identité sexuelle. Notons que la recherche française fut lente à s’emparer de cette problématique. N-C Mathieu précise ainsi que les études sur la construction des sexes/genres sont toujours assez peu développées et celles qui existent depuis les mouvements féministes des années 70 ne sont pas vraiment reconnues comme faisant partie intégrante de l’anthropologie (N-C. Mathieu, 2000). Leconcept de genre est par ailleurs souvent cantonné à la littérature scientifique féminine. Les gender studiesont ouvert tout un champ de questions sur le rapport au biologique et à la reproduction, et ont permis une critique des idées occidentales sur l’identité de sexe et sur la différence. Elles permettent aussi d’introduire le point de vue des femmes sur leursociété. Ainsi, un cas célèbre dénonçant la minorisation des femmes est l’étude d’A. Weiner à la fin des années 70, qui montra le pouvoir considérable des femmes au sein de la société trobriandaise, notamment lors des rituels, alors que Malinowski ne leur avait manifestement donné aucune place majeure. L’ethnologue pose un autre regard sur les productions féminines et fait apparaître la place qu’elles ont dans un univers plus large que celui du domaine économique.

Identité de genre, identitésexuelle, identité sexuée?

L’identité d’un individu est avant tout un construit qui résulte d’une activité incessante de différenciation. Mais l’identité d’une personne se fait aussi et se transforme selon la situation, le contexte dans lequel cette personne se trouve. L’identité sexuelle d’un individu lui est généralement assignée à la naissance, en fonction de son sexe biologique. Mais comme on l’a vu, la conception de l’identité sexuelle « dimorphique » où chacun doit se ranger du côté des hommes ou des femmes selon son sexe biologique a été fortement remise en cause. Car l’identité sexuelle d’un individu peut changer aucours de sa vie, les transsexuelsen sont la preuve vivante.
La notion d’identité de genre nous vient de Robert Stoller, médecin et psychanalyste américain, qui face à l’émergence du transsexualisme établit une distinction entre sexe et genre.
Selon lui « le genre est la quantité de masculinité et de féminité quel’on trouve dans une personne » (S. Hergott, 1996 : 41) . Deux concepts découlent de cette distinction : identité de genre et rôle de genre. Pour R. Stoller, l’identité de genre serait la perception et la connaissance que l’on appartient à tel ou tel sexe et le rôle de genre serait plutôt le comportement que l’on adopte en société (Ibidem : 42). Le concept d’identité de genre permet de qualifier la manière dont on expérimente son propre sexe : l’identité de genre est « l’expérience » d’être un homme ou une femme.
Dans l’ouvrage collectif Catégorisation de sexe et construction scientifique,NicoleClaude Mathieu consacre un article à la distinction de trois modes de conceptualisation du rapport entre sexe et genre et différencie ainsi trois types d’identités:l’identité sexuelle, l’identité sexuée, l’identité de sexe (N-C. Mathieu : 1989). L’identité sexuelle est basée sur une conscience individualiste du sexe, il y a une correspondance homologique entre sexe et genre : le genre traduit le sexe. C’est la situation que l’on rencontre le plus souvent dans nos sociétés, le genre se conforme au sexe. Dans ce mode de conceptualisation, N-C. Mathieu précise que la différence des sexes est conçue comme fondatrice de l’identité personnelle, de l’ordre social et symbolique ; « à la « mâlité » correspond le masculin et à la « féméllité » le féminin » (1989 : 113).
L’identité sexuée est quant à elle, basée sur une conscience de groupe au sein de laquelle le genre symbolise le sexe. Dans ce mode de conceptualisation, il y a une correspondance analogique entre sexe et genre. On trouve aussi l’idée qu’il faut une égalité entre les rôles sociaux de sexes mais sans entamer la solidarité entre hommes et femmes. Ici on parle de féminitude et de virilité à accomplir et« […] de lutte des femmes et non pas de lutte des sexes » (Ibidem : 120).

UNE TROISIEME CATEGORIE ?

QU’EST-CE QUE LE «TROISIEME SEXE» ?

Une catégorie multiple

Depuis des siècles, on connaît l’existence d’individus qui transcendent les catégories de mâle et de femelle. En Occident, les sexologues du 19 ème siècle furent préoccupés par ces individus qui ne se conformaient pas au modèlebipolaire des genres en vigueur à l’époque. Ils ont élaboré une classification englobant les homosexuels, les hermaphrodites, les travestis et tous les autres individus que l’on ne pouvait classer ou identifier comme appartenant à l’un des deux sexes existants. Ces personnes furent classéesdans un premier temps dans des catégories psychiatriques ou médico-légales et reléguées audomaine de la déviance ou de l’homosexualité et elles n’étaient donc pas encore considérées comme des « troisième sexe ».
La « variance » de genre a intéressé l’anthropologie dès le début dela discipline, les premières recherches sur le sujet furent publiées dès 1900. Au début du 20 ème siècle, un grand nombre de rapports d’anthropologues sur les sociétés traditionnelles font part d’exemples de différentes classifications de genre. L’appellation de « troisième sexe » est née de ces recherches des anthropologues qui ont été confrontés à ces « homme-femme» ou « femme-homme » dans les sociétés non occidentales. Sices personnes n’étaient pas considérées comme déviantes dans leurs sociétés, si elles avaient une place à part c’est qu’il devait exister pour elles « […] une appartenance, un autre sexe dont lagarantie symbolique soit pour eux préservatrice de stabilité et d’équilibre » (Czermark, Frignet, 1996 : 18). Dès lors, la découverte de tels individus aux rôles et statuts divers remit en cause la validité d’un modèle à deux genres établi par l’Occident.
Cette catégorie de « troisième sexe » a donc été créée par les anthropologues occidentaux, à partir de l’étude de sociétés différentes, pour qualifier les personnes qui semblaient relever d’un autre sexe que celui de l’homme ou de lafemme. Cette catégorie correspondait donc à un manque. Aujourd’hui l’expressionde « troisième sexe » est employée pour qualifier des individus aux attitudes variées etaux statuts divers comme les hermaphrodites, les travestis, les transsexuels et toute personne ne se conformantpas à son sexe biologique. Cette catégorie de « troisième sexe » est devenue une sorte de « fourre-tout » et il semble ainsi difficile de donner des critères précis d’appartenance à cette catégorie problématique. Cette catégorie de « troisième sexe» mérite donc d’être critiquée et remise en question.

Ni homme ni femme : les Hijras de L’Inde

Serena Nanda a consacré plusieurs années à l’étude des Hijrasen Inde du Nord. Elle démontre que les Hijrassont considérés, en Inde, à la fois comme un sexe et un genre alternatifs.
Le nom Hijraest masculin et est plus communément traduit par « eunuque » ou « hermaphrodite ». Les Hijrasconstituent une communauté sociale d’individus dévoués à Bahuchara Mata, avatar de la déesse mère adorée dans toute l’Inde. Du point de vue hindou, toutes les personnes ont à l’intérieur d’elles-mêmes à la fois les principes mâle et femelle. Ainsi dans certaines sectes tantriques, l’hermaphrodite est considéré comme l’idéal humain (S. Nanda, 1994 : 376). La compréhension du Hijra, par la population indienne, comme sexe/genre alternatif est principalement basée sur ce modèle de l’hermaphrodite, personne biologiquement intersexué.
Les Hijrassont caractérisés par leur émasculation totale qui supprime les parties génitales, principal symbole de la sexualité masculine. A ce propos S. Nanda précise que « la majorité des Hijrassont fabriqués au travers de l’émasculation » (1994 : 383). En effet, ce qui définit en premier un Hijrapotentiel c’est son impuissance sexuelle envers les femmes. Ainsi les « Hijrass’identifient eux-mêmes comme des hommes incomplets car ils n’ontpas de désir pour les femmes. Ils attribuent ce manque de désir à un organe sexuel défectueux » (Ibidem : 380). Serena Nanda utilise l’adjectif« défectueux » pour caractériser le sexe de certains des Hijras : on ne sait pas très bien dit-elle, si ce sexe est masculin ou féminin à la naissance. Selon elle, les Hijrasqui ont un sexe défectueux à lanaissance sont les « vrais » Hijras, que l’on peut comparer alors aux hermaphrodites. Ils s’opposent donc aux « faux » Hijrasqui sont des hommes impuissants ayant recourt à l’émasculation. C’est l’émasculation qui lie les « faux » Hijrasà la déesse mère, qui les rend médiateurs de son pouvoir divin et qui les rapproche des ascètes. Comme ces derniers, ils renoncent au désir, à la sexualité masculine et à la virilité et c’est cette renonciation qui est, selon Serena Nanda, le fondement de l’identité Hijra (S. Nanda, 1994 : 382).
Les Hijrasjouent un rôle social éminent dans les rituels de naissance et de mariage et c’est dans cette fonction qu’ils obtiennent le respect de la société.Ils ont le pouvoir de bénir le nouveau-né ou d’assurer la fécondité à un jeune couple grâce au pouvoir de la déesse. Ils sont censés aussi pouvoir jeter des sorts sur certaines familles et les contraindre au malheur.
La majorité des Hijrass’habillent et se comportent comme des femmes. Cependant ils sont considérés comme étant « ni homme ni femme » : être Hijra,c’est être d’un autre genre. Car même s’ils ressemblent aux femmes,ils ne sont pas censés être des femmes. En effet, S. Nanda précise qu’en Inde les femmes ont une attitude habituellement soumise et cet idéal de la féminité est en contradiction avec l’attitude des Hijras qui ont des manières etdes tenues féminines exagérées. De plus, les Hijrasne peuvent avoir des enfants et ne sont donc pas considérés comme des vraies femmes. Ils ont ainsi une place liminale dansla société. Cependant, en se rapprochant de la catégorie des femmes ils se rapprochent de la sexualité féminine, considérée en Inde comme «hot and erotic» et que l’on doit contrôler. Simultanément, leur statut de personne émasculée leur ordonne une renonciation au désir. Les Hijrassont donc dans une situation non seulement « intermédiaire » maisaussi fortement paradoxale.
Considérés comme faisant partie d’un genre à part, les Hijrasse regardent eux-mêmes comme n’étant ni homme ni femme. Pourtant un certain nombre s’identifient bel et bien aux femmes, ont des partenaires masculins et font beaucoup d’efforts pour se conformer à l’idéal féminin. Ils subissent l’émasculation soit pour avoir un corps approximativement identique à celui des femmes, soit pour avoir des rapportssexuels comme les femmes (S. Nanda, 1994 : 397). Certains prennent mêmes des hormones pour féminiser leurs corps. On semble loin de l’émasculation comme moyen d’accès au « pouvoir » de la déesse et comme signe d’appartenance aux Hijras. Pour S. Nanda, ces Hijras-là « […] ne montrent aucun signe d’identité de genre ambivalent » (Ibidem : 398). Ainsi, même si les Hijrassont considérés comme des individus intermédiaires entre la catégorie « femme » et la catégorie « homme », néanmoins certains d’entre eux se considèrent comme des femmes.
Les exemples de variance de genre en Amérique du Nord, le travestissement occasionnel chez les Inuits et l’émasculation des Hijras donnent une vision contrastée de la catégorie problématique du « troisième sexe ». Pourtant, chacune des sociétés où ils évoluent les considère comme faisant partie d’un autre genre que masculin et féminin. La première conclusion que l’on peut tirer de cette comparaison est que, selon les sociétés, l’identité de genre n’est pas automatiquement et forcément liée à l’assignation d’un sexe à la naissance. De même l’identité de genre peut varier dans le temps, subir des changements après l’enfance et durant la vie de l’individu. Un dernier exemple permettra de comprendre non plus les hommes qui se comportent comme des femmes mais les hommes qui sont « devenus » femmes, qui se sentent femmes, à savoir les transsexuels. Il s’agit de ceux que l’on nomme les Xanith, vivant sur la côte d’Oman, dans l’est de l’Arabie.

Les Xanith, transsexuels d’Oman

Wikan Unni a travaillé dans la société d’Oman, parmi les transsexuels, et il a observé que dans cette société il y avait d’unepart une forte ségrégation des sexes, et d’autre part un système complexe de classification de genres. Selon lui, cette société distinguerait trois genres : masculin, féminin et transsexuel car sur la côte d’Oman le transsexualisme est fréquent. Les Xanithsont d’après Unni, des transsexuels qu’il qualifie d’hommes homosexuels se livrant à la prostitution. Ainsi « le transsexualisme représenteun rôle social reconnu selon lequel une personne agit et est classée comme si il/elle était unepersonne de l’autre sexe pour un certain nombre de raisons » (1977 : 304).
D’après W. Unni le trait essentiel de ces individus est d’être des hommes biologiques qui ont des manières efféminées. Néanmoins, les Xanith ont des noms masculins et ne peuvent porter des vêtements féminins. Pourtant ils restent le plus souvent avec les femmes et ont des rapports sexuels avec des hommes. Du point de vue social, ils sont comme des femmes. Ainsi les Xanith représentent un exemple fort de la place « intermédiaire » que peut occuper le « troisième sexe ».
Dans la société d’Oman, l’idéal féminin est celui de la femme pure et vertueuse. En raison de ses activités dans la prostitution, le Xanithne peut s’habiller comme les femmes car ce serait porter atteinte à l’image de ces dernières. Mais le Xanithdiffère aussi des hommes par son rôle sexuel passif. Aussi adopte-t-il des vêtements qui associent à la fois les caractéristiques féminines et masculines, des vêtements intermédiaires en quelque sorte. Par exemple, « il porte la longue tunique de l’homme mais avec la ceinture serrée des femmes, […] les hommes ont les cheveux courts et les femmes longs, le Xanithles porte mi-longs, […], les hommes et les femmes couvrent leur tête et le transsexuel est tête nue » (W. Unni : 307). Pourtant l’apparence du Xanith est jugée selon les standards de beauté des femmes. De même, il est libre de se déplacer comme les hommes, mais il est valorisé pour les taches ménagères, la décoration de la maison, qui sont des tâches féminines. Le Xanithest catégorisé avec les personnes auxquelles il cherche à ressembler, les femmes, et ne peut néanmoins se prétendre femme. Le Xanithest donc un véritable « entre-deux ».

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE: L’IDENTITE SEXUELLE: HISTOIRE DES IDEES
Chapitre 1 : Masculin-féminin
1- La sexualité : une notion récente
A- Du sexe unique à la dichotomie de sexes
B- Les catégories pour penser les sexualités
2- Les gender studiesou l’anthropologie au féminin
A- Histoire d’un débat : « sexe » ou « genre » ?
B- Identité de genre, identité sexuelle, identité sexuée ?
Chapitre 2 : Une troisième catégorie ?
1- Qu’est-ce que le « troisième sexe » ?
A- Une catégorie multiple
B Le fantasme de la bisexualité
B- Travestis et Transsexuels
2- Quatre études de cas de transgression sexuelle
A- Variance de genre en Amérique du Nord
B- Ni homme, ni femme : les Hijras de l’Inde
C- Les Xanith, les transsexuels d’Oman
DEUXIEME PARTIE: L’IDENTITE SEXUELLE : LE CAS POLYNESIEN
Chapitre 3 : Tahiti, Tonga : deux hiérarchies sacrées
1- La société tongienne
2- La société tahitienne
Chapitre4 : L’homme-femme en Polynésie
1- Le fakafefineà Tonga
A- Question de vocabulaire
B- Les récits historiques
2- Le māhūà Tahiti
A- Une origine obscure
B- Les récits historiques
C- Discussion autour du māhū
Chapitre5 :la construction sociale des sexes
1- Etre un homme, être une femme à Tonga
A- La division sexuelle du travail
B- Devenir homme, devenir femme
C- La femme tongienne, un prestige certain mais ambigu
2- Etre un homme, être une femme à Tahiti
A- La division sexuelle du travail
B- Devenir homme, devenir femme
C- Tahiti, la femme impure ?
3- Discussions autour des rapports homme/femme
TROISIEME PARTIE: NOUVELLES FIGURES DU « TROISIEME SEXE » EN POLYNESIE
Chapitre 6 : fakaleiti et raerae, une nouvelle image de l’efféminé
1- Le fakaleitià Tonga
A- Du fakafefine au fakaleiti
B- Une crise de l’identité masculine ?
2- Tahiti, le phénomène raerae
A- māhūet raerae: le point de vue des Tahitiens vivant en France
B- māhūet raerae: le point de vue des raerae vivant en France
C- La place du raeraedans la système de valeurs tahitien
Chapitre 7 : raerae en France
1- De Tahiti à la France
A- L’association PASTT
B- La France : le rêve de l’accomplissement féminin
2- Une identité à construire
A- Naître homme, devenir femme
B- Une troisième catégorie ?
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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