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La place des parents au sein de l’établissement
L’établissement suit une démarche qui vise à inclure la famille dans le projet personnel de leur enfant. Les parents ont ainsi la possibilité d’être présents au cours de l’hospitalisation et de la prise en charge de leur enfant. La coopération entre le personnel et les parents peut s’avérer être bénéfique pour l’évolution du suivi. Les parents bénéficient d’un soutien à la parentalité et peuvent être amenés à participer à certaines séances. L’accueil des parents s’effectue tout au long de la journée et un des parents peut rester dormir dans la chambre de l’enfant, dans le cadre d’une future sortie à domicile (permission).
La psychomotricité au sein de l’institution
La psychomotricité a sa place légitime au sein de l’établissement. Les compétences et les pratiques du psychomotricien sont connues par l’ensemble du personnel et intégrées dans les dispositifs de soin. La discipline est représentée par trois psychomotriciennes qui proposent des séances individuelles et groupales d’environ 45 minutes (adaptable à chaque patient). Certaines prises en charge s’effectuent en co-thérapie avec un autre professionnel de santé. Les séances peuvent s’effectuer dans différents lieux de l’établissement, toutefois la séance d’un patient s’effectue quasiment toujours au même lieu afin d’assurer la continuité dans un cadre spatial sécurisant. L’établissement compte deux salles de psychomotricité : l’une d’elles offre un vaste espace tandis que l’autre plus étroite assure plus de contenance. L’espace snoezelen* ouvert aux rééducateurs est investi pour les séances de psychomotricité selon le projet thérapeutique du patient. La séance peut également être effectuée en chambre pour les patients en isolement ou nécessitant une assistance en oxygène.
Le travail en psychomotricité tente de soutenir l’expérimentation corporelle afin de favoriser les compétences psychomotrices. Au cours des séances, les psychomotriciennes peuvent proposer des temps de relaxation et de conscience corporelle, des stimulations et des explorations motrices, sensorielles et cognitives ou encore un travail autour de l’oralité pour les bébés et les jeunes enfants. Les psychomotriciennes ont aussi une place dans le réentrainement à l’effort (enfants obèses…) ainsi que dans la prise en charge de la douleur et l’accompagnement en soins palliatifs*.
Présentation de la pathologie : la maladie de Pompe
La maladie de Pompe, aussi nommée glycogénose de type 2, est une maladie génétique héréditaire. Si elle peut se révéler à différents âges de la vie, la forme infantile est la plus sévère. La maladie est causée par la mutation du gène qui permet la production d’une protéine : l’alpha-glucosidase acide. Cette mutation conduit à un déficit voire à une absence en alpha-glucosidase acide dans l’organisme. Or cette protéine est importante pour le bon fonctionnement physiologique du corps : elle permet d’accélérer le processus de transformation du glycogène (réserve glucidique) en glucose, c’est-à-dire en une source énergétique utilisable qui alimente les muscles du corps. Cette transformation étant déficiente dans la maladie de Pompe, le glycogène s’accumule de manière anormale dans les lysosomes* de l’ensemble des cellules musculaires. Une atteinte des muscles du squelette en découle, ce qui conduit à une faiblesse musculaire sévère. L’expression de la maladie reste d’une grande variabilité d’un individu à l’autre. Différentes manifestations (non systématiques) peuvent être observées dans la forme infantile :
Manifestations médicales :
– Un trouble du tonus marqué par une hypotonie et une difficulté (voire incapacité) de modulation tonique. La faiblesse musculaire se déclare notamment au niveau des ceintures scapulaires et pelviennes ainsi qu’au niveau des muscles des vertèbres pouvant provoquer une cyphose dorsale. – Des troubles respiratoires si les muscles respiratoires sont touchés.
– Des troubles cardiaques si le myocarde est touché : insuffisances cardiaques, trouble du rythme, arrêt cardiaque.
– Un retard de langage marqué par des difficultés d’élocutions si les muscles de la gorge sont touchés.
– Un trouble de l’oralité si les muscles qui assurent la succion et la déglutition sont affectés. L’alimentation per os* peut ainsi être dangereuse pour l’enfant (fausses routes, pneumopathies…). Un retard staturo-pondéral peut en découler, puisque l’enfant ne s’alimente pas ou très peu de façon autonome (nécessité de nutrition entérale*).
Manifestations psychomotrices :
– Un trouble des coordinations fines et globales. L’hypotonie peut conduire à une mauvaise qualité de mouvement, à des difficultés de mobilisation du corps et de maintien postural. L’acte moteur mobilise une quantité d’énergie importante et majore la fatigue.
– Un trouble de la représentation du corps (schéma corporel* et image du corps). Un manque d’expérimentation par le corps entraine une construction plus tardive du schéma corporel. Une mauvaise image du corps peut également s’établir (un corps mou, incompétent, malade…).
– Un trouble de la communication qui limite la participation de l’enfant dans la vie sociale, scolaire ou encore familiale.
– Le trouble de l’oralité peut conduire à un désinvestissement de la zone orale. Celle-ci est le lieu de fausses routes et de réflexes nauséeux, source de déplaisir pour l’enfant, entraînant des irritabilités tactiles de la zone bucco-faciale.
Aujourd’hui, il existe un traitement par enzymothérapie substitutive. Ce traitement consiste à injecter par perfusion une enzyme qui remplace l’alpha-glucosidase acide. Louane profite de ce traitement avec une perfusion toutes les deux semaines.
Manifestations générales de la maladie chez Louane
La Maladie de Pompe est à l’origine de diverses manifestations chez Louane. Un retard dans les acquisitions motrices et langagières causé par une hypotonie globale est observable. Au niveau cardiaque, Louane présente une cardiomyopathie hypertrophique et une dysfonction cardiaque. Concernant la sphère orale, Louane refuse de manger (mise à part les crèmes au chocolat). Elle est alimentée par nutrition entérale avec une sonde nasogastrique (SNG) depuis décembre 2017. La décision de poser cette sonde fut prise à la suite de fréquentes fausses routes alimentaires avec arrêts respiratoires et malaises. L’opération de gastrostomie ayant échouée, la sonde est aujourd’hui le moyen privilégié pour assurer son alimentation. Louane est alimentée de 6h à 14h et de 15h à minuit, deux moments de la journée où elle est contrainte à la présence de la pompe de nutrition entérale1 (reliée à sa SNG). Au niveau respiratoire, Louane dort avec une VNI (Ventilation Non Invasive) qui a eu un effet bénéfique sur son état général (diminution de sa fatigue et de son encombrement bronchique) et lui a permis de faire de nombreux progrès moteurs. A son entrée au S.S.R., Louane est stabilisée sur le plan cardiopulmonaire. L’ensemble de ces manifestations rendent Louane dépendante pour les activités de la vie quotidienne (repas, habillage, déplacements).
Bilan d’entrée au S.S.R.
N’étant pas présente au moment de la passation du bilan, je retranscris les observations faites par ma maître de stage. Au moment du bilan psychomoteur Louane est âgée de 1 an et 8 mois (20 mois). Ce temps de bilan est aussi la première rencontre de Louane et ses parents avec la psychomotricienne. Tout au long du bilan, les parents seront présents et rapporteront de nombreuses informations sur les antécédents de parcours et l’évolution motrice de Louane. Le bilan s’organise autour de différentes sphères d’observation :
Sphère relationnelle et communication : Louane sollicite l’attention de ses parents tout au long du bilan. Il est difficile pour la psychomotricienne d’entrer en relation avec Louane qui paraît très intimidée. Un retard de langage limite ses possibilités de langage verbal. Pour communiquer, Louane se sert de quelques signes de la Langue des Signes Française (L.S.F.) qu’elle réalise et comprend. Ses compétences motrices sont suffisantes pour utiliser ce support d’expression. Elle utilise également des signes de la tête (oui/non) ainsi que le pointage. Louane montre un niveau cognitif adapté à son âge, elle comprend bien les consignes et montre des réponses ajustées aux situations.
Sphère neurosensorielle : Les fonctions visuelles et auditives semblent efficientes. Louane à une fixation et une poursuite visuelle adaptées. Elle réagit de manière adaptée aux stimulations auditives présentées à sa gauche comme à sa droite. Louane montre une hypersensibilité face aux différentes matières tactiles. Une réaction de défense tactile – qui se manifeste par un évitement et un refus de toucher – est observée quand on lui présente des matières aériennes (coton, plume), fluides (riz, sable), collantes ou de nouvelles matières qu’elle ne connaît pas. Elle accepte le toucher corporel, et le toucher de matières molles (pâte à modeler). Les matières que Louane accepte de toucher, seront investies très timidement du bout des doigts. L’hypersensibilité semble plus importante au niveau du visage, des mains et des pieds.
Sphère tonico-motrice : L’examen du tonus montre une hypotonicité au niveau axial (tronc) et périphérique (membres inférieurs et supérieurs). Louane maintien la tête dans son axe. Elle montre une mobilité spontanée appauvrie, son corps semble être désinvesti. En décubitus ventral, les appuis sur les avants bras sont bons tout comme le redressement de la tête et du buste. La position et le déplacement à 4 pattes ne sont pas acquis par Louane, le soutien de son tronc contre la pesanteur reste difficile. Pour se déplacer, elle utilise principalement les retournements au sol qu’elle manie avec rapidité. La reptation est possible (depuis deux semaines) sur une petite distance et montre une bonne posture asymétrique ainsi que l’utilisation du haut et du bas du corps. Elle arrive à passer seule de la position en décubitus dorsal vers la position assise en prenant appui sur un bras (acquis à 1 an et 7 mois). Elle tient assise seule avec une tenue correcte de l’axe. Le passage retour de la position assise vers l’horizontale (allongé au sol) n’est toutefois pas possible. Louane n’a pas de bonnes réactions parachutes* et se laisse tomber sur le côté quand on la guide vers la position allongée.
Sphère des coordinations fines : Louane utilise la pince fine (pouce-index) pour attraper de petits objets afin de les mettre dans un tube ou de les en retirer. Louane a des coordinations bi-manuelles et oculo-manuelles efficaces. Elle arrive à enlever et repositionner trois formes sur une planchette (épreuve du Brunet-Lézine Révisé). Louane a une coordination fine qui est adaptée à son âge, mais son hypotonie semble limiter la précision de ses actions.
Sphère de l’oralité : Louane est alimentée par sonde nasogastrique. Elle accepte de manger per os* uniquement des crèmes au chocolat. Un trouble de l’oralité explique des irritabilités tactiles et l’évitement de stimulations au niveau bucco facial.
Une prise en charge pluridisciplinaire : le regard des autres professionnels
Il est important de travailler en étroite collaboration avec les autres professionnels afin de croiser les regards. Cela participe à une meilleure prise en charge, ce qui est dans l’intérêt direct du patient. C’est pour cela qu’il me semble important de vous exposer les observations complémentaires, faites par deux autres professionnelles de santé, concernant Louane à son arrivée au S.S.R. pédiatrique.
Kinésithérapie
Le bilan d’entrée de Louane au S.S.R. (à 20 mois) met en avant une hypotonie globale au niveau de l’axe corporel et un déficit de la force musculaire périphérique. Un retard dans les acquisitions motrices en découle. Les déplacements ne sont pas autonomes, la tenue assise est équilibrée et montre une cyphose rachidienne notamment quand elle fatigue. La kinésithérapeute rapporte (comme observé lors du bilan psychomoteur) une hyperesthésie et hyperréactivité lors du toucher des mains et des pieds, et notamment du pied droit qui subit de nombreuses piqûres pour l’administration du traitement. Quand on la guide en position debout, Louane lutte, s’effondre au sol, se plaint et ne semble pas aimer prendre appui sur ses pieds.
Louane est suivi en kinésithérapie 3 fois par semaine afin de stimuler son développement neuro-moteur et de suivre son appareillage. Elle possède différents appareillages un siège moulé anti-cyphose, un verticalisateur pour des séances de verticalisation de 30 minutes par jour (bien tolérées) et des attelles suro pédieuses anti équin, pour la sieste et la nuit, mais mal supportées (de nouvelles attelles seront moulées en novembre 2018 et mieux supportées).
Orthophonie
Un bilan d’entrée orthophonique a également été réalisé. Il met en avant des difficultés praxiques au niveau bucco-faciale et une hypotonie globale de la musculature bucco-faciale qui favorisent une hypomimie et un retard dans la mise en place du langage. Une hypersensibilité au niveau bucco faciale ainsi qu’au niveau des mains est aussi observée. Elle arrive à produire de petits mots (« papa, « maman », « non »,…) de deux syllabes maximum. Louane montre une bonne relation, elle oriente son regard, elle a accès à l’attention conjointe et à une bonne compréhension verbale. Au S.S.R., elle est suivie en orthophonie à raison de deux séances par semaine, dont celle en co-thérapie avec la psychomotricienne. Les axes de prise en charge en orthophonie seront d’enrichir l’aide à la communication (via la gestuelle et les pictogrammes), de travailler autour de l’oralité et la déglutition, stimuler les compétences phonatoires et articulaires.
Déroulé de la prise en charge
Je rencontre Louane pour la première fois début octobre 2018 (elle a 20 mois). Louane est calme et paraît très intimidée. Dans la salle de psychomotricité, elle observe beaucoup. Nous lui proposons des jeux tout en essayant de créer une relation triangulaire et de mettre Louane en confiance. Une bonne relation semble s’établir au sein de notre trio – Louane, la psychomotricienne et moi-même. Louane vient timidement interagir avec nous en nous incluant dans ses jeux : elle nous tend des objets, prend ceux qu’on lui tend. Au cours de cette séance (et pour l’ensemble des séances), Louane a sa sonde nasogastrique qui est reliée à son alimentation, placée dans un sac de taille moyenne2. Le tuyau qui relie la sonde à l’alimentation laisse une petite distance qui la contraint à rester proche de ce sac. Tout au long des séances, nous sommes amenées à bouger le sac selon les déplacements et les propositions faites à Louane, à dégager le tuyau qui s’est emmêlé dans ses jambes, ses pieds ou autour de sa taille. Je prends alors conscience de la contrainte de ce dispositif sur sa liberté motrice.
Premières séances : d’octobre à début décembre Nous observons que la notion de dedans/dehors, est souvent mise en avant dans les jeux de Louane. Elle surinvestit les jeux qui consistent à vider et remplir les contenants : qu’il s’agisse de la boite à Lego, à crayons, à cubes ou encore les boites sensorielles (riz, lentilles…). Dès qu’il y a un contenant, Louane le vide et le remplit avec plaisir, même si le but initial du jeu est tout autre. Il est pour nous à ce moment-là important de laisser Louane explorer de cette manière : il s’agit de développer l’expérience recherchée spontanément. Cette exploration montre-t-elle que Louane a des limites corporelles encore peu élaborées ? Si ces jeux travaillent la préhension et les coordinations fines, ils permettent également l’élaboration de la notion de limite entre l’intérieur et l’extérieur et donc celle d’enveloppe psychocorporelle (nous aborderons ce sujet en discussion).
A chaque début de séance, nous essayons de rassurer Louane, très angoissée au moment de la séparation avec ses parents. C’est le poupon, objet transitionnel qui la suit en séance, qui semble la rassurer. Encore timide, elle répète quelques-uns de nos mots et privilégie la communication infra verbale (mouvement de tête, pointage). Au niveau sensoriel, nous réalisons un certain nombre de jeux avec différentes matières à manipuler3 : riz coloré, lentilles, sable fin, sable kinetic, gommettes. Louane refuse très souvent de toucher ces matières, et quand elle accepte, elle touche du bout des doigts. Nous la motivons avec des jeux afin qu’elle touche avec ses mains et ses pieds : aller chercher les jetons cachés dans le sable ou le riz, bloquer les jetons sableux entre tous les doigts et les orteils ou encore transvaser les lentilles d’un contenant à l’autre, jeux symboliques où l’on donne à manger au poupon, etc… Le ressenti de Louane me semble alors tranché entre une envie de faire le jeu proposé, et ses difficultés sensorielles. Certaines textures paraissent désagréables : elle se frictionne les mains quand le sable reste collé à ses doigts, attrape les lentilles une par une, enlève sa main quand on lui verse un peu de sable dessus, touche du bout des doigts en limitant au mieux le contact de sa peau avec la matière. Nous exposerons plus loin dans ce mémoire, le lien entre le passé de Louane et ses difficultés sensorielles. Ces stimulations sensorielles sont un premier pas vers l’oralité : toucher avec les mains et les pieds avant de pouvoir mettre en bouche. De plus, nous stimulons son investissement de la sphère orale par des grimaces avec la langue et la bouche face au miroir.
Présentation de la pathologie : la trisomie 18 en mosaïque
La trisomie est une maladie génétique (non héréditaire) causée par une anomalie chromosomique. Au niveau génétique, Fanny possède environ 80% de ses cellules avec la formule chromosomique suivante : 47, XX + T18. Son patrimoine génétique se compose d’une minorité de cellules au caryotype normal (46, XX) et d’une majorité de cellules qui dispose d’un chromosome 18 supplémentaire. Il s’agit d’une anomalie que l’on nomme trisomie 18 en mosaïque. Celle-ci s’explique par une erreur de distribution chromosomique pendant la division cellulaire au moment de la fécondation. Les conséquences d’une trisomie en mosaïque sont moins importantes qu’une trisomie 18 dite « libre » où l’ensemble des cellules ont un chromosome 18 supplémentaire. La trisomie 18 est une anomalie grave qui présente un fort taux de mortalité in utéro (dans plus de 90% des cas) et au cours des premières semaines de vie. Différentes atteintes et perturbations peuvent être observées dans la trisomie 18 :
Manifestations générales :
– Retard de développement global et staturo-pondéral .
– Déficience intellectuelle importante liée à une microcéphalie* .
– Trouble du tonus .
– Une hyporéactivité .
– Une rétrognathie (mâchoire positionnée plus en arrière que la normale) .
– Des difficultés de succion .
– Des atteintes digestives et cardiaques .
– Des malformations au niveau de la main, des pieds, des yeux, des reins.
Manifestations psychomotrices :
– Un retard psychomoteur global .
– Une pauvreté dans la relation et les interactions .
– Un trouble des coordinations motrices (globales et fines) .
– Des difficultés de maintien et d’adaptation posturales dus aux troubles toniques .
– Un trouble de l’oralité.
Manifestations médicales de la trisomie chez Fanny
Chez fanny la trisomie 18 en mosaïque se manifeste par différentes atteintes et troubles médicaux. Parmi eux :
– une encéphalopathie sévère (affection du cerveau) .
– un syndrome poly-malformatif associant : un retard de croissance, une dysmorphie faciale, une rétrognathie, un pli palmaire unique médian, un souffle cardiaque sans répercussion fonctionnelle, une malformation du pied gauche (pied bot* varus équin) et des deux mains (clinodactylie des index, c’est-à-dire un chevauchement des index sur les autres doigts), une agénésie du splénium du corps calleux (partie qui relie les deux cortex occipitaux entre eux), un glossoptose (mauvais positionnement de la langue qui est à la verticale et en arrière de la bouche). Au niveau oculaire, l’oeil gauche présente un ptosis (affaissement de la paupière) et un strabisme convergent ; – un trouble de l’oralité avec une absence de succion et de déglutition. Des reflux gastro-oephagiens et des troubles digestifs provoquent des vomissements. L’alimentation per os* étant impossible, la nutrition est réalisée par gastrostomie .
– un syndrome d’apnée obstructive du sommeil de longue durée, pouvant provoquer une désaturation. Une VNI (masque nasal) est utilisée au moment du sommeil.
Bilans psychomoteurs
Bilan d’entrée au S.S.R.
N’étant pas présente au moment de la passation de ce bilan d’entrée, je retranscris les observations faites par ma maitre de stage et conservées dans le dossier médical. Une demande de bilan psychomoteur a été adressée à la psychomotricienne dès le début de l’hospitalisation de Fanny, par son médecin référent. Elle est orientée pour un travail d’éveil, de confort et un travail d’oralité. Au moment de la passation du bilan psychomoteur, Fanny est âgée de 3 mois et demi. Le bilan s’organise autour de différentes sphères d’observation : Sphère relationnelle et communication : Fanny est en demande de portage. Les pleurs observés quand elle est posée dans son lit, s’apaisent au cours du portage. Quand on lui parle, Fanny ne dirige que légèrement son regard et son visage vers l’adulte. Elle n’entre pas en relation avec l’adulte. Tout au long du bilan, aucune vocalise, ni aucun sourire ne seront observés. Sphère neurosensorielle : Au niveau visuel, Fanny présente une asymétrie oculaire et oriente son regard principalement vers son hémi-champs gauche. La fixation oculaire est difficile et brève. La poursuite oculaire n’est pas possible pour Fanny. Au niveau de l’audition, elle réagit aux stimulations auditives présentées à droite et à gauche. Une réaction aux sons émis par l’adulte auprès d’elle est aussi observée. Fanny semble apprécier le toucher et le portage. . Sphère tonico-motrice : Fanny est hypertonique au niveau périphérique et hypotonique au niveau axial. En position de décubitus dorsal, sa tête est orientée vers sa gauche et on peut observer la prédominance d’un schème en hyper extension. L’épreuve du « tiré-assis » nous montre qu’elle ne maintient pas sa tête. En position assise tenue, sa tête oscille entre l’avant et l’arrière. En position de décubitus ventral, Fanny ne relève pas sa tête du sol. Au cours des épreuves de suspensions ventrales et dorsales, elle n’essaie pas de relever ses jambes et sa tête et ne maintient à aucun moment son axe corporel. Quant aux suspensions latérales, il n’y a pas de maintien de tête et ses jambes sont contractées. La mobilité spontanée est très pauvre, mais elle peut porter ses mains sur son visage. Sphère des coordinations fines : Fanny présente une malformation au niveau de ses deux mains qui conduit ses index à recouvrir ses majeurs. Ses mains sont en position fermée et s’ouvrent très peu. Aucun réflexe de préhension (saisie d’un objet au contact) n’est observé. Sphère orale : Fanny salive beaucoup. Aucune alimentation orale n’étant possible, elle est alimentée par gastrostomie. Le réflexe de succion et de déglutition n’est pas possible. Elle accepte les stimulations bucco-faciales (visage, lèvres, gencives, intérieur des joues et langue), et tire la langue lors de l’entrée du doigt dans la bouche. Les stimulations à l’intérieur de la bouche entraînent toutefois un réflexe gastrooesophagien.
Une prise en charge pluridisciplinaire : le regard des autres professionnels
Au cours de sa première année d’hospitalisation, la kinésithérapeute a pu faire part de nombreuses informations. Elle rapporte une mobilisation douloureuse du pied gauche au cours de l’étirement. Au niveau postural, la flexion de la tête est limitée par la rétraction des extenseurs du cou et de la tête. Fanny tient sa tête en position assise tenue, mais au moment du retour en décubitus dorsal, ce maintien ne dure pas dans le temps. Elle présente une motricité peu développée, des mouvements volontaires très pauvres et sans aucune dissociation des différents segments de membre. Au cours des suspensions dorsales, ventrales et latérales, Fanny montre une réponse musculaire très discrète. Fanny ne répond pas (ou très faiblement) aux guidages utilisés pour les N.E.M., elle présente un tronc « monobloc ».
Les séances de kinésithérapie s’effectuent à raison de 3 à 4 fois par semaine, afin de stimuler son développement moteur. La kinésithérapeute veille également au suivi des déformations et à maintenir la mobilité et l’amplitude articulaire.
Ergothérapie
Une ergothérapeute intervient ponctuellement dans la prise en charge de Fanny. Elle est intervenue précocement pour la confection de deux attelles pour mains6. L’objectif de ces attelles étant de favoriser l’ouverture de ses mains et d’éviter l’aggravation de ses malformations (clinodactylie). Elle a également fabriqué une attelle7 pour le pied gauche de Fanny afin de traiter son pied bot*. Avec l’accompagnement d’un appareilleur, un siège moulé8 adapté est confectionné.
Déroulé de la prise en charge
Fin août 2018, je rencontre pour la première fois Fanny, alors âgée de 15 mois. Dès cette rencontre, je suis marquée par sa petite taille pour son âge, sa passivité motrice, ses faibles capacités de relation et son hypotonie axiale. Elle me semble vivre son corps de manière passive avec un faible intérêt pour l’environnement, le mouvement et la recherche de sensations. Ces différents appareillages et installations (attelles de mains et de pieds, VNI, culotte de suspension, lit en proclive9) me marquent, et me questionnent quant à leur impact sur la liberté d’exploration motrice. Après quelques séances de psychomotricité en posture d’observatrice où je fais connaissance avec Fanny, ma maître de stage me confie sa prise en charge. Mes séances avec Fanny seront souvent discontinues : elle dormira à plusieurs reprises au moment de notre séance.
Après l’installation au tapis, le début de chaque séance est marqué par un temps d’éveil corporel au cours duquel, je viens, avec mes mains, faire des pressions corporelles sur tout le corps de Fanny. Je commence par poser mes deux mains sur sa tête pendant quelques secondes, puis je descends mes mains sur ses deux épaules. Je continue ce « voyage du corps » sur un de ses bras jusqu’au bout des doigts, puis je remonte le long du bras jusqu’à l’épaule. Je réalise ensuite le même trajet sur son autre bras. Mes mains continuent leur chemin sur son buste, son ventre, ses hanches. Puis sur une première jambe jusqu’au bout des orteils, et ensuite sur la deuxième jambe. Ce cheminement fait, je repars de sa tête et descends mes mains plus rapidement jusqu’à ses pieds. Au cours de ce contact tactile, mon toucher par pression est ferme et continu afin d’apporter de la contenance à Fanny. Mes paroles soutiennent la proposition : je nomme les parties du corps, réagit à d’éventuelles réactions… Après ce petit rituel qui permet d’entrer en relation, de percevoir son enveloppe corporelle et de se rendre disponible corporellement, deux-trois propositions seront faites par séance, selon les réactions tonico-émotionnelles et la fatigue de Fanny. Il s’agira souvent d’un temps moteur, puis d’un temps d’oralité sèche et de portage.
Différentes propositions présentées au cours de la prise en charge :
Un temps d’enroulement du bassin. Fanny ne pouvant se rassembler seule, je ramène ses deux jambes fléchies sur son ventre. Positionnée au-dessus d’elle de manière à établir un contact visuel, j’effectue des balancements de gauche à droite, donnant des sensations vestibulaires* et proprioceptives*, associés à des paroles, des mots, des comptines. Fanny montrera sur ces propositions une grande détente musculaire, sans résistance au regroupement unifiant.
Un temps de stimulation de la motricité volontaire et d’investissement corporel. Une première proposition où, nous cherchons à stimuler sa préhension. Nous lui montrons le hochet et nous stimulons avec le hochet le dos et la paume de sa main. Une seconde proposition où, nous travaillons les niveaux d’évolution motrice (N.E.M.) : stimulation pour le passage de la position de décubitus dorsal, vers celle latérale (sur le côté) puis celle en décubitus ventral. Il s’agit d’une stimulation visuelle, auditive (hochet) avec ou sans guidage corporel (manuel).
Un temps calme de toucher-thérapeutique/toucher-sensoriel avec des petites stimulations douces le long du corps.
Un temps de portage. Au cours de cette proposition, je prends Fanny dans mes bras. Elle est soutenue sur différents appuis : sa tête prend appui sur mon bras au niveau de l’avant coude, son dos est soutenu par un coussin et mes cuisses, son bassin (enroulé) prend appuis sur le mien, ses jambes et ses pieds prennent appuis sur mes cuisses. Elle est accolée à mon buste et regroupée. Cette proposition est favorisée au cours des séances où Fanny montre de la fatigue (elle s’endormira d’ailleurs à plusieurs reprises dans mes bras). Le portage de Fanny sera couplé à d’autres propositions : bercements lents, toucher-sensoriel, oralité sèche.
Un temps d’oralité sèche dans mes bras. Ce temps suit un protocole défini10. Je commence par masser une de ses mains (en m’inspirant de la méthode de massage bébé Shantala11), je remonte ensuite le long de son bras par un toucher contenant. Viennent ensuite les stimulations bucco-faciales avec des tapotements marqués et/ou lissages sur son front, son nez, ses joues et son menton, pour finir sur les stimulations buccales (contour de bouche, lèvres, gencives, langue) avec ou sans goutte de lait.
Les autres soins et dispositifs de soins
D’autres dispositifs sont utilisés par les soignants. On retrouve les pansements scotchs qui fixent certains tuyaux, la pastille contre l’hyper salivation… Ces pansements peuvent entrainer des irritations cutanées – comme chez Louane où le sparadrap, qui fixe une partie de sa sonde sur sa joue, est à l’origine d’une plaque rouge irritée. Les piqûres sont des soins fréquents qui se font parfois à répétition : Louane est souvent piquée pour son traitement d’enzymothérapie. Les enfants peuvent également être « reliés » à un scope (via une électrode placée à un orteil) qui permet aux soignants de connaitre les paramètres vitaux de l’enfant : rythme cardiaque, oxygénation. En cas d’anomalie, l’alarme sonore et visuelle se déclenche.
Les soins vécus comme une intrusion à leur corps d’enfant
L’ensemble des soins, des appareillages, des séances, des rendez-vous médicaux et des hospitalisations vécus par ces enfants sont nécessaires à leur développement et s’avèrent parfois vitaux. Leur accès est une chance, afin de vivre, de survivre avec leur maladie/leur handicap. Ces divers soins, englobent toutefois un caractère intrusif à l’origine de nombreuses conséquences motrices, sensorielles ou encore tonico-émotionnelles.
Définition de l’intrusion
L’intrusion est définie par le Larousse comme le « fait de s’introduire de façon inopportune dans un groupe, un milieu, sans y être invité »12. En ce qui nous concerne ici, elle correspond à l’action de s’introduire de façon dystimulante au sein d’un corps digne. Digne puisque tout Homme possède le droit à la dignité, c’est-à-dire au respect de son intégrité physique et psychique, et ce dès le 128ème jour de grossesse selon l’O.M.S.13. A l’intrusion peuvent se rapporter les mots agression, violence, invasion ou encore effraction, ce qui laisse penser à un impact corporel et psychique lourd de conséquences.
Les soins intrusifs : un envahissement sensoriel
Tout au long de mon stage, j’ai croisé le chemin de nombreux jeunes patients ayant ou ayant eu des soins intrusifs, et ce dès le plus jeune âge. Par soins intrusifs, j’entends l’ensemble des soins qui portent atteinte à l’intégrité psychocorporelle du sujet, en entraînant un surplus de stimulations désagréables voire douloureuses. Parmi ces soins, certains sont dits « invasifs » car ils correspondent à un « acte de soins ou un examen médical qui rend nécessaire la pénétration dans l’organisme, soit par effraction cutanée, soit par une cavité naturelle »14 : c’est le cas de la trachéotomie, de la gastrostomie ou encore de la sonde nasogastrique.
Les soins entraînent des dystimulations, c’est-à-dire un trop plein de stimulations sensorielles qui est vécu comme une véritable violence sur le plan physique et psychique. Cet envahissement sensoriel se rattache souvent à un envahissement émotionnel (de peur, d’appréhension, d’angoisse, d’inquiétude) difficile à réguler, notamment pour les jeunes enfants. Ces dystimulations entraînent un envahissement sensoriel de différentes natures. Tout d’abord tactile, puisque les patients subissent le toucher des soignants qui est peu contenant, technique, souvent désagréable et parfois douloureux. Ensuite olfactif, avec les odeurs de produits du milieu hospitalier ou les odeurs corporelles des soignants. Les flux visuels, « constitués par le glissement d’un spectacle sur les rétines »15, sont aussi concernés par la présence de personnes (soignants connus et inconnus, famille des autres enfants, personnel de l’établissement) qui défilent dans la chambre, le service et les lieux de vie. De nombreux mouvements sont perçus dans des temporalités rapprochées et avec peu de possibilités d’anticipation. Les bruits font aussi partie des dystimulations. Je pense principalement au scope qui sonne brutalement et signale une alerte par un bruit fort et répétitif. Celui-ci sonne régulièrement et parfois pendant plusieurs minutes dans la chambre – comme c’est le cas dans celle de Fanny. Les dystimulations entraînent ainsi une véritable intrusion qui s’effectue à différents niveaux sensoriels et qui ne peut être contrôlée par le jeune enfant qui le subit avec impuissance.
Privation sensorimotrice
L’hospitalisation et les divers soins entraînent des privations sensorimotrices, c’est-à-dire qu’ils limitent les expériences sensorielles et motrices de l’enfant.
Les expériences motrices, qui sont altérées en premier lieu par le handicap/la maladie, sont également entravées par les divers appareillages et soins. C’est par exemple le cas des appareillages orthopédiques, qui figent les membres et les articulations dans des positions déterminées (et parfois même une majorité du corps comme c’est le cas avec le siège moulé18) et sans marge de manoeuvre pour une possibilité de mouvement. Les soins alimentaires et respiratoires sont eux aussi concernés : ils induisent la présence d’une machine plus ou moins mobile, reliée à l’enfant via un tuyau, entravant les distances de déplacement au sol.
De manière générale, l’enfant hospitalisé expérimente moins son corps d’un point de vue moteur mais également d’un point de vue sensoriel. Je parle bien-sûr ici de stimulations sensorielles contenantes et/ou stimulantes pour le développement psychomoteur, différentes des dystimulations du contexte hospitalier. Différents contextes font état d’une baisse de sollicitations sensorielles. Le manque de mobilité et l’alitement (les jeunes enfants sont souvent placés dans leur lit) limitent les sensations vestibulaires* et proprioceptives*. Les parents ne pouvant pas être présents en permanence, et le nombre de soignants présents étant largement inférieur au nombre de patients accueillis, ces enfants sont globalement moins portés, moins bercés et moins contenus, ce qui limite les expériences vestibulaires, d’enroulement et de sensations tactiles. De plus, pour les enfants non alimentés par voie orale, les expériences gustatives et rythmiques (faim/satiété) sont limitées voire inexistantes. Les stimulations sensorielles dystimulantes peuvent ainsi prendre le pas sur celles positives qui se font rares.
In fine, le développement psychomoteur ne peut être que plus impacté par ces limitations sensorimotrices qui amplifient le retard de développement déjà engendré par la maladie/le handicap. C’est en effet par l’expérimentation de son corps, que l’enfant se développe et acquiert de nouvelles compétences19 au niveau moteur, perceptif, cognitif et relationnel.
Trouble de l’oralité : une oralité fragilisée et mise à mal
Quand l’investissement positif de la sphère oro-digestive du jeune enfant est entravé, l’oralité devient une source de déplaisir parfois intense et un trouble de l’oralité peut découler. Cette entrave est souvent retrouvée chez les jeunes enfants hospitalisés, qui vivent de multiples agressions dystimulantes pour leur oralité (vomissements, troubles de la déglutition, fausses routes, sondes, actes intrusifs…), entraînant un investissement négatif de la sphère orale. C. Matausch décrit bien que « toute la sphère orale est « agressée », lésée, hyper-stimulée et par conséquent non investie positivement par l’enfant. Celui-ci hésitera à découvrir son environnement par l’intermédiaire de la bouche. Il restera passif, anxieux vis-à-vis de ses expériences orales »20. Aucun plaisir n’est alors associé à la sphère orale et l’enfant cherchera alors à limiter toute stimulation de cette zone en les évitant. Le trouble de l’oralité constitue donc un symptôme qui marque un désinvestissement corporel.
De nombreux enfants avec un trouble de l’oralité présentent des réflexes nauséeux, dont le rôle est « par la reconnaissance au niveau gustatif et olfactif d’un aliment et/ou d’une odeur dangereuse pour l’organisme, de bloquer la respiration et d’inverser brutalement le processus de déglutition afin de ne pas avaler ou inhaler cette substance »21. Ce processus de défense, se déclenche, chez un sujet hypersensible, dès la stimulation des lèvres et de la langue.
Séparation précoce : traumatisme de la première enfance
Le processus de séparation, est un processus de base du développement, qui s’effectue habituellement de façon progressive au rythme de l’enfant, par le vécu de diverses expériences, non brutales, de manque (alternance de situations où mère et bébé sont physiquement ensemble et physiquement séparés). L’enfant peut alors prendre de la distance avec ses figures d’attachement et tendre vers l’autonomie. Au cours de ce processus, l’objet transitionnel (doudou, bout de tissu, objet…) constitue un moyen de défense contre l’angoisse de séparation qui permet à l’enfant de transférer son affection sur cet objet.
L’hospitalisation est une cause de séparation précoce du bébé avec ses parents, qui peut constituer un traumatisme de la première enfance et impacter le processus d’attachement sécure, ainsi que l’évolution psychomotrice de l’enfant. Entre 0 et 2 ans, « alors qu’à la faveur du processus de séparation/individuation le petit humain élabore et constitue dans sa psyché, entre autres, son self et l’« imago maternelle », mères et bébés sont particulièrement sensibles et vulnérables à une séparation physique, dès que celle-ci excède les temps habituels routiniers, prévisibles »30. C’est ce qui entre en jeu au cours de l’hospitalisation pédiatrique où la séparation peut être brutale, non préparée et de longue durée. L’hospitalisation limite les actions de maternage, procurées par la/les figure(s) d’attachement, qui soutiennent le Moi* (processus d’individuation) de l’enfant. Ainsi pour D. Winnicott, quand il y a « carence de soins maternels, la faiblesse du Moi de l’enfant devient apparente »31. Cette séparation impacte aussi les interactions précoces et attaque la sécurité de base de l’enfant. D’un point de vue psychomoteur, tout cela peut conduire à des troubles des interactions précoces, un trouble tonico-émotionnel, des troubles relationnels, une difficulté d’individuation, des troubles psychologiques, une limitation sensorimotrice… In fine, associé à d’autres facteurs, un retard psychomoteur peut être objectivé.
L’enveloppe psychocorporelle
Définition de l’enveloppe psychocorporelle
Pour D. Houzel une enveloppe correspond à « ce qui entoure complètement un espace et qui, de ce fait, contient tout ce qui se trouve dans cet espace, qui est ainsi fermé »32. Suivant cette idée, l’enveloppe joue donc un rôle de limite entre un espace interne, un intérieur délimité, et l’espace externe, un dehors. Elle assure également un second rôle de contenance, puisqu’elle rassemble et unifie tout ce qui est contenu à l’intérieur de cet espace délimité. La notion d’enveloppe peut aussi être assimilée à l’idée d’une frontière perméable qui met en relation les deux espaces qu’elle sépare, tout en filtrant d’éventuels échanges.
Chez l’Homme, nous retrouvons la notion d’enveloppe à travers deux concepts :
– L’enveloppe corporelle, qui délimite physiquement l’intérieur et l’extérieur du corps. Celle-ci, matérialisée physiquement par l’enveloppe cutanée, constitue une interface qui entoure la globalité du corps afin d’en délimiter les contours, les formes et d’en contenir les éléments. .
– L’enveloppe psychique, une délimitation fictive « entre un monde intérieur ou monde psychique interne et un monde extérieur ou monde perceptif »33. Cette structure, en limitant et enveloppant le psychisme, permet d’assurer la stabilité de l’espace psychique du sujet où sont contenus : pensées, affects et cognitions. Cette notion peut être mise en correspondance avec celle que S. Freud nomme le « Moi »*. Toutes deux constitutives de l’enveloppe psychocorporelle, elles délimitent le monde psychocorporel interne, du soi, différencié du monde extérieur, tout en assurant une fonction contenante, unifiante et sécurisante. L’enveloppe psychocorporelle peut ainsi être décrite telle une membrane imaginaire et dynamique qui vient envelopper et donc délimiter notre entité psychocorporelle. Elle maintien « les parties du corps ensemble, mais aussi les affects, les représentations, les pensées, au service d’un sentiment d’unité d’être »34. Ce sont les limites psychocorporelles qu’elle crée, qui apportent la sensation de contenance. Cette membrane assure la stabilité même du sujet et sert de fondation à son identité. Elle se construit tout au long du développement, et permet au sujet de s’ouvrir au monde extérieur, d’y agir en tant qu’individu.
Le corps : une matrice du psychisme
Le corps sert d’ancrage à la vie psychique puisque c’est sur le vécu corporel que s’étaye le psychisme. Comme le souligne B. Lesage, « les structures anatomo-fonctionnelles du corps mettraient donc en forme le psychisme, en colorant et orientant les expériences qui sont vécues à travers lui. »35. Il soulignera aussi l’importance, pour A. Damasio, «des afférences corporelles dans l’élaboration d’un sentiment de soi »36. Selon D. Anzieu « toute fonction psychique se développe par appui sur une fonction corporelle dont elle transpose le fonctionnement sur le plan mental »37. Il citera ensuite S. Freud selon qui « Le moi est avant tout un Moi corporel, il n’est pas seulement un être de surface, mais il est lui-même la projection d’une surface »38. Ces auteurs s’accordent à dire que le psychisme, le Moi – et donc l’enveloppe psychique – s’organisent avec les sensations corporelles.
On comprend la nécessité de favoriser les expériences motrices et sensorielles chez le bébé. C’est par le vécu corporel qu’il intègre et perçoit son monde interne et celui extérieur, afin de se développer et de s’adapter à l’environnement. Le stade sensori-moteur de Piaget, période du développement de la naissance à 18-24 mois, « se caractérise par le fait que les matériaux principaux qui alimentent l’activité psychique sont de nature sensorielle et motrice et que ces matériaux sont objets de connaissance »39. La sensori-motricité permet au bébé de se découvrir soi-même et d’habiter son corps pour agir sur son milieu. Elle soutient l’expérimentation corporelle et donc l’émergence psychique du Moi, d’une individualité.
Enveloppe et image du corps : un lien étroit
L’image du corps, notion apportée par P. Schilder (1923), correspond à la représentation inconsciente et imaginaire que l’on a de soi-même, ainsi que de celle que l’on a du corps des personnes qui nous entourent. Pas innée, elle se construit dans un constant remaniement selon notre histoire corporelle et relationnelle. L’image du corps est le support du narcissisme, du Moi comme objet d’amour. Pour B. Lesage, l’image du corps « n’est pas un objet, une représentation […], mais un processus d’investissement actif et affectif »40. L’image du corps, en s’appuyant sur la sensorialité, la tonicité, la relation et la motricité, contient les limites psychiques. Pour S. Freud, c’est le rassemblement des sensations corporelles qui permet l’identification au corps et donc la constitution du Moi.
E. Pireyre (2011), parle d’image composite du corps. Selon lui, l’image du corps se compose de neuf composantes : la sensation de continuité d’existence (qui apporte une sécurité interne et structure le Moi), l’identité, l’identité sexuée, la peau physique et psychique, la représentation de l’intérieur du corps, le tonus, la sensibilité somato-viscérale, les compétences communicationnelles du corps (émotions, tonus…) et les angoisses corporelles archaïques. Ces composantes sont aussi liées à la construction de l’enveloppe psychocorporelle. C’est pourquoi j’introduis ici la notion d’image du corps, car elle est en lien étroit avec le concept d’enveloppe : il est difficile de penser l’un sans l’autre. Quand l’enveloppe psychocorporelle permet de percevoir son corps comme étant unifié et permanent, la subjectivité en résulte, puis de cette subjectivité, découle l’image du corps. Le sentiment d’unicité, prôné par l’enveloppe psychocorporelle, est la base de l’image corporelle.
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Table des matières
PARTIE CLINIQUE
I. L’établissement : Soins de Suite et de Réadaptation pédiatrique
1. Présentation générale
2. L’équipe
3. Le cadre de vie
4. La place des parents au sein de l’établissement
5. La psychomotricité au sein de l’institution
II. Louane
1. Anamnèse
a. Présentation de Louane
b. Présentation de la pathologie : la maladie de Pompe
c. Manifestations générales de la maladie chez Louane
2. Bilan psychomoteur
a. La prescription
b. Bilan d’entrée au S.S.R.
3. Projet thérapeutique et axes de prise en charge en psychomotricité
4. Une prise en charge pluridisciplinaire : le regard des autres professionnels
a. Kinésithérapie
b. Orthophonie
5. Déroulé de la prise en charge
III. Fanny
1. Anamnèse
a. Présentation de Fanny
b. Présentation de la pathologie : la trisomie 18 en mosaïque
c. Manifestations médicales de la trisomie chez Fanny
2. Bilans psychomoteurs
a. Bilan d’entrée au S.S.R.
b. Observations intermédiaires
3. Projet thérapeutique et axes de prise en charge en psychomotricité
4. Une prise en charge pluridisciplinaire : le regard des autres professionnels
a. Kinésithérapie
b. Ergothérapie
5. Déroulé de la prise en charge
PARTIE THÉORIQUE
I. Les soins des enfants hospitalisés
1. Les différents soins rencontrés en S.S.R. pédiatrique
a. Les soins liés à l’alimentation
b. Les soins liés à la respiration
c. Les soins orthopédiques
d. Les autres soins et dispositifs de soins
2. Les soins vécus comme une intrusion à leur corps d’enfant
a. Définition de l’intrusion
b. Les soins intrusifs : un envahissement sensoriel
3. Quelques conséquences aux soins
a. La mémoire corporelle
b. L’hypersensibilité tactile
c. Privation sensorimotrice
d. Trouble de l’oralité : une oralité fragilisée et mise à mal
II. Hospitalisation et séparation précoce
1. Hospitalisation des enfants
a. Charte européenne de l’enfant hospitalisé : quelles recommandations ?
b. Une perte de repères pour l’enfant ?
c. Et les parents ?
2. Hospitalisation : une séparation parents/enfant
a. Le lien d’attachement
b. Séparation précoce : traumatisme de la première enfance
III. L’enveloppe psychocorporelle
1. Définition de l’enveloppe psychocorporelle
a. La notion d’enveloppe
b. Le corps : une matrice du psychisme
c. Enveloppe et image du corps : un lien étroit
d. Une construction progressive de l’enveloppe psychocorporelle
2. La fonction maternante
a. La nécessité de soins maternant
b. Holding et handling
c. Les interactions visuelles
3. La peau : pilier de l’enveloppe corporelle
a. La perception tactile
b. Les fonctions physiologiques de la peau
c. Le Moi-peau de Didier Anzieu
4. Le tonus : une enveloppe musculaire
a. Définition
b. Evolution tonique
c. Les fonctions du tonus
5. L’enveloppe sonore
6. L’oralité
a. La zone orale
b. Les fonctions de l’oralité
c. Nourrir l’enfant psychocorporellement
7. Pour résumer
DISCUSSION
I. Une construction entravée de l’enveloppe psychocorporelle
1. Des repères corporels bousculés
a. Une désorganisation corporelle
b. Des limites corporelles floues
2. L’intégrité psychique mise à mal
a. L’enveloppe psychique entravée par la défaillance de l’enveloppe corporelle
b. Des mécanismes de défense : le retrait relationnel et l’agrippement
c. La représentation du corps marqué par les soins
II. Les expériences psychomotrices : l’étayage d’une enveloppe psychocorporelle à panser
1. De la découverte d’un « corps plaisir » à la réappropriation corporelle
2. Modeler des limites et une unité psychocorporelle
a. Le portage : une composante physique et psychique
b. Le toucher sensoriel
c. Les jeux d’éveil
d. Le travail d’oralité
e. (Re)découvrir son corps par le mouvement
f. Pour conclure
III. La fonction contenante du psychomotricien : un savoir-faire et un savoir-être
1. Le cadre thérapeutique
2. La contenance du psychomotricien dans son engagement psychocorporel
3. L’accompagnement à la parentalité
Conclusion
Glossaire
Bibliographie
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