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Une volonté de représenter la cible commerciale
Afin de mieux s’adresser à la cible commerciale des produits qu’elle met en avant, la publicité automobile tend parfois à représenter directement le futur consommateur. Néanmoins, afin de contourner la représentation dénotée et humanisée d’un conducteur, les publicitaires se servent de l’anthropomorphisme dans un but purement commercial. En effet, comme le rappellent Béatrice Canel-Depitre et Agnès Walser-Luchesi dans leur étude8, qu’il soit propriétaire d’animaux de compagnie ou non, « le consommateur réagit à ces stimuli publicitaires en accentuant le traitement cognitif de l’annonce liée à sa propre expérience ou en les démultipliant par un processus imaginaire qui lui est propre ». Dans cette optique, nous pouvons nous intéresser à la personnification induite auprès du chien à travers plusieurs exemples concrets de publicités automobiles.
À cet égard, la campagne « Woofwagen9 » pour la marque allemande Volkswagen est un parfait exemple du ciblage des publicitaires par un processus d’identification détourné. En effet, cette campagne portant sur plusieurs véhicules de la gamme cherche à montrer qu’il existe une Volkswagen pour chaque individu, comme l’entend la signature du film : « There’s a Volkswagen for all of us ». Cette signature sous-entend un positionnement particulier pour la marque à travers cette campagne. Le ciblage ne se fait plus de manière restreinte et précise mais cherche potentiellement à toucher le plus grand nombre de spectateurs possible. Ce message est ainsi mis en scène par l’apparition de dix-sept races différentes de chien en l’espace d’une minute de film publicitaire, et chacun des chiens peut ainsi jouer un rôle dans le processus d’identification du consommateur, notamment par le lien affectif qui peut apparaître dès lors que le chien qui nous est présenté est un chien que l’on possède. Plutôt que de s’intéresser à une cible particulière, cette campagne de marque cherche à représenter « les » cibles potentielles, et la publicité sous-entend clairement ici que Volkswagen s’adresse à tous, du vacancier au cadre urbain, en passant par la diva : chacune de ses représentations est effectuées par le biais d’un chien différent. De plus, le positionnement de la marque se fait aussi sentir dans la mise en scène du film. En effet, la figure du chien courant après la voiture du début à la fin du film suggère que posséder une Volkswagen est quelque chose de désirable, car le chien court après la Volkswagen au sens propre comme au figuré. De cette manière, nous pouvons noter qu’utiliser un chien pour faire passer un tel message est plus subtil et permet de mieux s’adresser au public que la représentation d’un être humain cherchant à tout prix à s’offrir cette voiture, message plus matérialiste et superficiel.
Dans une autre mesure, la publicité « Dog Stretching 10 », pour les moteurs BlueHDi et PureTech de la marque d’automobiles française Citroën, est une parfaite illustration de la personnification du chien dans la publicité. En se reposant sur une vérité sociale qui admet que les automobilistes ont besoin de faire des pauses lors de longs trajets, notamment pour dégourdir leurs muscles, les publicitaires ont ici pris la décision de ne pas simplement mettre en scène la pause classique d’un conducteur. En effet, en portant le message de l’autonomie et de l’efficience des nouveaux moteurs de la gamme, les créatifs ont gardé leur volonté de représenter la cible sans pour autant la mettre directement en scène. En associant l’image du conducteur à celle de son chien, la publicité permet ici au spectateur de comprendre le message mais aussi de se sentir concerné par la mise en scène d’un moment qui lui évoque une expérience vécue. La représentation du spectateur de la scène et de l’acteur principal qui est ici le chien en ressort ainsi renforcée, et facilite par logique le processus d’identification de cette cible placée ici comme simple spectateur de la stratégie des publicitaires. L’enjeu du détournement par l’insertion de codes de référence prend ici tout son sens.
La référence à une scène évoquant une expérience particulière des spectateurs peut aussi être détournée vers une référence plus spécifique et permettant de cibler de manière plus restreinte. C’est ce qui s’avère intéressant dans le cas particulier de la publicité « Spike11 » réalisée pour la nouvelle voiture de la gamme Mini. Ce cas est particulier dans le sens où il nous permettra par la suite de vérifier plusieurs stratégies publicitaires. Dans cette publicité, le conducteur est représenté aux côtés de son chien, un bouledogue. Le cadre de référence est ici primordial à la compréhension des messages et des signes renvoyés par l’ensemble des objets de la publicité. Paul Watzlawick nous le rappelle : « un phénomène demeure incompréhensible tant que le champ d’observation n’est pas suffisamment large pour qu’y soit inclus le contexte dans lequel ledit phénomène se produit12 ». En effet, cette publicité fait appel à un certain nombre de valeurs connotées et référentielles qui induisent une expérience et un certain nombre d’admission de stéréotypes sociaux. Le chien n’est ici pas choisi par hasard : outre sa ressemblance esthétique avec le modèle de voiture présentée — point que nous développerons par ailleurs —, il permet l’identification de la cible commerciale du véhicule qui fait appel à de nombreuses valeurs connotées. Cette race de chien pourrait, selon les stéréotypes notamment avancés par Christophe Blanchard13, très facilement être assimilée à des propriétaires urbains, jeunes actifs, relativement aisés ou du moins assez aisés financièrement pour être propriétaires d’un chien. Ces stéréotypes permettent aux spectateurs de prendre part au cadre de référence que la publicité invoque, et ainsi de mieux mettre en valeur le ciblage désiré par les publicitaires. Ici, la publicité s’adresse directement aux propriétaires de cette race de chien, ou du moins aux spectateurs qui pourraient se reconnaître en eux. Une rhétorique logique finalement, compte tenu du message général envoyé par la marque, qui se veut citadine et vise un milieu socio-culturel aisé.
En permettant au spectateur de s’identifier à un autre acteur qui n’est pas pour autant humanisé, les publicitaires font appel à des processus de personnification et d’anthropomorphisme qui induisent pour la plupart de nombreuses références et de nombreux codes sociaux partagés par l’ensemble des téléspectateurs. Ainsi, ces stratégies demandent aux téléspectateurs d’être actifs car ils doivent en permanence se référencer aux valeurs de connotation et aux codes de signification et d’identification que les créatifs mettent en avant. Néanmoins, les spectateurs sont d’une certaine manière usurpés, sans pour autant aller jusqu’au concept de la « seringue hypodermique14 » cher au théoricien de la communication Harold Laswell, car les publicitaires réussissent à maximiser la compréhension du message en contournant la représentation directe de la cible. Codes, signes et références sont des points d’une importance capitale dans la diffusion des messages commerciaux et publicitaires. La publicité automobile, par ses caractéristiques commerciales et sociales, en use lorsqu’il s’agit de représenter le potentiel futur conducteur, mais sait aussi faire appel à ces codes lorsqu’il s’agit d’identifier une marque ou un produit au potentiel de significations du chien.
Une association par métonymie des traits de caractère du chien…
Là où certaines marques de cosmétique ou de pharmaceutique utilisent l’image du médecin, accompagné de son stéthoscope, vêtu de sa blouse blanche, et en possession de son stylo-plume, dans le but de renforcer l’image de sérieux, de médical et de légitime dans un tel secteur, d’autres savent qu’il est parfois utile de mettre en scène différents items, porteurs de valeur connotées, dans le but d’associer ces valeurs et ces signes au message publicitaire. Les marques automobiles, dont l’imaginaire collectif est saturé de références et de codes, ont ainsi pour certaines choisi d’associer leur image à celle du chien, en se reposant sur l’imaginaire qui gravite autour de l’animal. Cette association va parfois jusqu’à lier les caractères propres à l’animal à ce que les annonceurs automobiles veulent faire paraître de leurs produits ou de leurs marques. Une métonymie entre alors en jeu et pousse parfois le spectateur à faire l’analogie entre chien et voiture.
à la voiture-produit
La voiture est un item particulier porteur de nombreux signes sociaux. Logiquement, il revient à la publicité d’orchestrer au mieux ces signes afin de mettre en avant ceux que les annonceurs cherchent à valoriser. C’est en tout cas ce qu’affirme Pierre Ansay, philosophe : « le sens de la voiture est montré, orchestré, dans le discours publicitaire, dans l’horizon philosophique des pratiques de la vie quotidienne et dans les détournements d’usages. Le discours publicitaire est farci de promesses diverses du type : la voiture est un signe de la réussite, et si nous achetons le signe, nous feignons ou nous croyons vraiment que le reste viendra avec15 ». La plupart des signes sociaux sont portés par la voiture, mais dans la logique de rhétorique publicitaire, il paraît plus aisé de s’adresser aux spectateurs par le biais d’autres valeurs et d’autres signes que ceux de la matérialité. Par la personnification et l’anthropomorphisme, les créatifs publicitaires ont réussi à associer les valeurs connotées de la voiture à celles que peut renvoyer un animal comme le chien dans le cadre sémiotique de notre société.
Par exemple, nous pouvons analyser les messages qui transparaissent dans une publicité comme celle cherchant à communiquer sur Mini, que nous avons vue précédemment. « Spike16 », campagne tirée du nom prêté au chien mis en scène, permet de comprendre de quelle manière les publicitaires cherchent à s’adresser à leur cible en faisant appel à des signes sémiotiques très faciles à noter. En effet, le chien n’a sans doute pas été choisi par hasard, sa couleur et sa forme rappelant très logiquement celles de la voiture. La volonté de représenter les caractéristiques de la voiture à travers celles du chien nous montre à quel point la métonymie peut prendre une forme concrète et visuelle, non plus en faisant appel à des codes et à un répertoire de signes très spécifiques. En d’autres termes, il devient facile pour le spectateur d’identifier la voiture comme étant une voiture de petite taille, citadine qui plus est, à travers l’image que renvoie le chien. Un bouledogue de la même couleur que la Mini mise en avant : l’identification est claire. L’analogie prend ici une forme concrète et physique, mais il arrive parfois que les publicitaires cherchent à faire correspondre des caractéristiques plus subtiles ou du moins plus implicites afin de mettre en avant le produit.
C’est le cas de la publicité « Confidence17 », pour la voiture Polo de Volkswagen. Le chien y est ici personnifié, et pourrait notamment jouer le rôle de l’identification anthropomorphique. Mais plus loin que la mise en scène des caractères du consommateur, c’est celle des valeurs de la voiture qui est ici mise en avant. Une mise en scène qui pousse le spectateur à faire l’association entre le chien personnifié, et le produit sur lequel la marque communique. Accessoirement, nous pouvons noter que Volkswagen est une marque qui a longtemps décidé de communiquer sur des valeurs identitaires voire statutaires plutôt que sur des caractéristiques rationnelles de leurs produits. Dans cette publicité, la mise en scène joue un rôle primordial dans le sens où le chien n’est pas forcément porteur de significations en rapport avec la confiance en soi, caractère ici mis en avant. Mais en personnifiant l’animal, les créatifs ont pu lui attribuer des traits de caractères normalement associés aux êtres humains — la musique choisie devenant elle-même un support de la personnification du chien, puisqu’il s’agit de la chanson « I’m a man » de The Spencer Davis Group. Ainsi, un double phénomène entre en jeu, et l’on demande aux téléspectateurs de comprendre en premier lieu que le chien possède une grande confiance en soi, avant d’associer celle-ci à la voiture, ou du moins à sa conduite. Une analogie en deux temps qui permet finalement de valoriser le principal message de la publicité : la Volkswagen Polo vous donnera confiance en vous. Ici, il s’agit bien d’une voiture qui apporte à son potentiel propriétaire des caractéristiques morales mises en avant par le biais d’une mise en scène dont le chien devient la preuve. Mais parfois, les publicitaires cherchent à aller plus loin en proposant de placer le chien en tant que héros, avant le produit lui-même, en mettant en place un mécanisme d’analogie plus direct et concret.
À titre d’exemple, nous pouvons citer la film publicitaire « This dog is quite impressed by Volkswagen18 » — soit « On peut dire que ce chien est impressionné par Volkswagen » — de la marque allemande. Cette campagne, venant faire office de teaser au lancement de la nouvelle gamme de Golf, montre en effet jusqu’où peuvent aller les publicitaires lorsqu’il s’agit de détourner la représentation concrète du produit. Le chien mis en scène n’est plus personnifié, mais devient la reproduction vivante de la voiture, dont il montre chacune des caractéristiques technologiques. Par mimétisme, l’animal reproduit ce que la voiture aurait pu faire, et il devient ainsi la représentation directe du véhicule auprès des spectateurs. Ici, les publicitaires ont littéralement transformé la voiture en chien, afin de faciliter la transmission du message commercial sous forme humoristique. Le mécanisme d’analogie est cette fois-ci plus direct, dans le sens où le produit ne donne pas des caractéristiques abstraites à l’acteur de la scène, comme c’est le cas avec l’exemple précédent, mais ici l’acteur — le chien — est totalement envoûté par la voiture dont il devient une forme de reflet ou de calque.
Ces différentes stratégies permettent notamment aux publicitaires de mettre en scène des caractéristiques techniques et technologiques des produits sur lesquels ils communiquent, en détournant la froideur d’un message rationnel grâce à l’association du chien. À nouveau, nous avons pu noter que cette technique a de fortes chances de fonctionner auprès des spectateurs, car elle fait appel à un animal, le chien, qui est porteur de nombreuses valeurs connotées et de nombreuses significations dans notre société. Ce qui a été rendu possible par la mise en exergue d’un chien ne l’aurait pas forcément été avec un autre animal. Par ailleurs, même si certains véhicules ont plus de sens logique à être associés avec un chien, comme pour le cas de la publicité « Spike », il arrive que les créatifs utilisent l’image de l’animal pour porter des messages directement en lien avec la marque, et non plus seulement avec une voiture en particulier.
…à la marque automobile
De manière générale, la voiture — en tant que métonymie de son industrie — est porteuse d’un grand nombre de significations et de représentations. Quand il s’agit de lui accorder une figure animale, certains théoriciens lui identifient de nombreuses représentations. En effet, selon la psychologue Maryse Pervanchon, « la voiture mobilise tout un bestiaire, du cheval à la fourmi, comme l’ont fait certains publicitaires19 ». Ainsi, il est plus facile de se représenter la voiture dans sa puissance ou son aspect physique par des animaux d’un aspect similaire ou de caractéristiques similaires. C’est ainsi qu’elle rappelle que « la voiture représente d’abord le cheval20 » mais que « la voiture, c’est aussi le taureau qui représente le même imaginaire que le cheval21 » ou encore que le lion est lui aussi parfois porteur d’une association à la voiture. Toutes ces représentations sont le fait d’une association esthétique ou imagée, mais il arrive que les publicitaires mettent en place des procédés créatifs moins concrets afin de contourner la simple identification de leur marque à un animal — comme cela peut être le cas avec certaines marques automobiles qui ont décidé d’arborer une figure animale en guise d’écusson, à l’instar de Peugeot et du lion, Lamborghini et le taureau, Ferrari et le cheval ou encore Jaguar. À nouveau, nous pouvons noter que la personnification d’un acteur non humain comme le chien permet aux publicitaires d’identifier la marque dont il est question à des valeurs plus identitaires, en facilitant la diffusion du message. C’est par exemple le cas de la publicité de la marque Volkswagen diffusée lors du Super Bowl 2012 aux Etats-Unis. La campagne portant le nom de « Dog Strikes Back22 »
— soit « Le chien contre-attaque », en référence à la saga de science-fiction Star Wars et au précédent film publicitaire diffusé pendant le Super Bowl, en rapport direct avec la saga en question — montre comment un chien réussit à se transformer physiquement en fournissant les efforts physiques nécessaires, dans un seul but : pouvoir courir derrière la voiture Volkswagen qui passe devant les fenêtres de sa maison. Ici, la représentation est doublée. En effet, en premier lieu, le chien choisi pour figurer dans le film ne l’a sans doute pas été par hasard. Il s’agit d’un chien de berger, dont l’imaginaire collectif qui repose sur sa représentation admet que c’est surtout un « chien de maison » et de famille. En utilisant son image, les publicitaires ont ainsi pu associer le caractère de fidélité et la notion de vie de famille à la marque, jouant sur la connotation de l’image et avec l’inconscient du spectateur. De plus, bien que le film ait été diffusé en direct au moment où le plus de télévisions sont allumées aux Etats-Unis, la marque cherche ici à s’adresser directement à ses consommateurs par le biais d’une double-narration faisant appel à un cadre de référence plus particulier. En effet, il s’agit ici d’un film diffusé pour signifier le retour de Volkswagen sur les écrans étasuniens après une année plutôt calme en matière d’innovations et de lancements commerciaux. Ce retour est annoncé notamment par une amorce sous forme de teaser23, et une signature, à la fin du film, qui indique : « Back. And better than ever » — soit « De retour. Et meilleur que jamais ». Une annonce exprimée par le film en lui-même, et dont le chien sert d’acteur principal censé représenter le retour en grâce de la marque allemande. Une association métonymique et analogique qui repose finalement sur les actions du chiens, dans le but de prouver et de mettre en scène le message que porte la marque, qui est celui d’un retour en force sur le marché et dans la publicité.
À travers ces nombreux exemples, nous avons démontré que les marques automobiles et leurs agences de publicité pouvaient se reposer sur différentes formes d’associations et d’identifications de la part des téléspectateurs. La connotation et la signification propres à chacun des items, la voiture et le chien, leur permettent d’être facilement identifiés puis dénotés par le spectateur, qui se sert de son expérience ou des clés que lui fournissent les publicitaires, dans ce but de compréhension et d’appropriation des messages de communication. Néanmoins, la plupart de ces publicités peuvent aussi être conçues comme similaires dans le sens où elles sont le fruit d’une mise en scène humoristique et dont le chien ne devient qu’un accessoire. En devenant acteur, le chien endosse aussi le costume du héros de l’histoire, et outre ses nombreuses significations identitaires et connotées, devient souvent par la même occasion l’artefact principal et privilégié des créatifs, qui voient en lui un potentiel de visibilité et d’attraction très puissant. C’est en effet une des caractéristiques du chien que nous pouvons envisager, en sa dimension d’ « objet » reconnu et facilement assimilable, et qui explique comment l’animal peut alors passer du statut de messager au statut de « racoleur ».
Le chien, un moyen d’attirer le regard du spectateur
Il apparaît évident de remarquer que les publicitaires font souvent usage d’outils visuels dont le simple objectif est d’attirer notre regard vers la télévision ou tout autre support de communication. Il peut s’agir de couleurs vives, d’objets invraisemblables, ou encore de créatures inhabituelles. Néanmoins, quelques outils sont pour eux des outils beaucoup plus évidents et aisés d’utilisation. De tous les animaux, le chien est l’un des meilleurs représentants de ceux qui attirent le regard des téléspectateurs. Cette caractéristique repose sur plusieurs critères, de la reconnaissance universelle de la figure du chien à la relation qui existe entre celui-ci et l’être humain.
Un vecteur d’empathie au service de la publicité
Le chien provoquerait chez l’homme une réaction empathique, notamment grâce à sa notoriété et aux valeurs qu’ils véhiculent. Étant porteur de valeurs connotées positives comme la fidélité et la complaisance, l’animal, connu pour être en besoin d’affection constant — contrairement à d’autres animaux de compagnie comme les chats, beaucoup plus indépendants par essence —, est en effet un vecteur de sympathie et donc d’intérêt auprès des gens. C’est en tout cas ce qu’avance le sociologue Christophe Blanchard lorsqu’il évoque les jeunes personnes en difficulté, obligées de mendier dans les rues pour survivre : « dans une scénographie totalement maîtrisée, les chiens, particulièrement calmes, voire endormis durant ces longues périodes d’immobilité, sont des vecteurs d’empathie très efficaces pour les passants24 ». À l’instar des passants qui ressentent de l’empathie à la vue de l’animal, les spectateurs de publicités sont parfois eux-aussi « victimes » de ces stratégies psychologiques. En effet, les créatifs publicitaires utilisent le chien comme un vecteur d’empathie auprès des téléspectateurs, en se servant des associations subtiles que ceux-ci feront à la vue de l’animal dans ladite publicité.
L’un des meilleurs exemples de l’utilisation du chien comme un vecteur d’empathie absolu est la publicité « Maddie25 », de la marque automobile américaine Chevrolet. Cette campagne repose sur l’association induite par les publicitaires, qui cherchent à créer un parallèle direct entre le chien et la voiture. Il s’agit ici d’un exemple très fort de ce que l’animal peut avoir comme rapport avec l’automobile. Le film publicitaire fait appel aux émotions et au pathos afin d’exprimer le lien émotionnel qu’une personne peut avoir avec sa voiture. Mais ici, ce lien est représenté par celui qui existe entre un maître et son chien. Seulement, là où il aurait été difficile de mettre en scène une voiture dans le but de créer de l’empathie auprès du spectateur, les créatifs ont pris le parti de se reposer sur les caractéristiques innées à l’animal. Sa simple apparition tout au long du film représente un support considérable à la mise en scène de l’émotionnel et de l’affectif. Par métonymie, c’est cette fois-ci le lien qui existe entre un propriétaire de voiture et son véhicule qui est représenté par la relation qu’un propriétaire de chien — ici la même personne — entretient avec son animal. Finalement, le film publicitaire fait ici reposer tout son sens sur une relation facilement identifiable et suffisamment porteuse de significations, afin de mieux diffuser le message de communication, dont la signature est la parfaite conclusion : « A friend for life’s journey » — traduit par « Un compagnon pour la vie ».
Dans une autre mesure, l’une des publicités que nous avons citée précédemment se sert aussi de l’empathie provoquée par le chien afin de mieux faire passer son message. En effet, « This dog is quite impressed by Volkswagen26 » démontre la volonté des publicitaires de mettre en jeu les réactions que peuvent provoquer la mise en scène d’un chien. En faisant agir le chien par mimétisme par rapport à la voiture, les créatifs cherchent à attirer l’attention du téléspectateur et à provoquer en lui de l’étonnement en mettant en valeur le caractère potentiellement sympathique de l’animal. Par l’humour, les publicitaires réussissent à provoquer une réaction chez les spectateurs et tendent à associer l’image véhiculée par le chien dans la publicité à l’image de la marque. Une rhétorique que l’on retrouve dans une autre publicité de la marque allemande, que nous avons aussi citée auparavant : « Woofwagen27 », dans laquelle les chiens sont mis en scène de manière à les rendre visuellement attirants et de provoquer une certaine curiosité et donc plus d’attention chez les téléspectateurs.
L’empathie que peut provoquer le chien semble être un élément très important de la mise en scène de l’animal dans les publicités automobiles. Ce phénomène d’assimilation permet à des marques qui possèdent très peu de potentiel émotif ou relationnel de créer autour de leurs images de nouveaux sens et de nouvelles valeurs. Par association, le téléspectateur se charge seul de créer un imaginaire autour de la marque, lui rendant un potentiel hautement plus sympathique. Mais cette mise en scène révèle aussi qu’il peut parfois être aisé de mettre en scène un animal à fort potentiel réactionnel dans le simple but d’attirer puis de conserver l’attention du spectateur. La publicité devient alors un simple mélange de nombreux items servant à conserver l’attention du consommateur potentiel, dans lequel le chien vient jouer son rôle au même titre que les autres acteurs.
Le chien, un acteur pratiquement comme les autres
Parfois, il arrive que les mises en scène, même lorsqu’elles sont en rapport à la publicité, n’aient aucun fondement concret et ne soient que le fruit d’une décision arbitraire des créatifs. Le chien, dont nous avons prouvé jusqu’ici la valeur communicationnelle, pourrait toutefois être placé dans les publicités automobiles comme il aurait pu être remplacé. Son utilisation est parfois simplement le fait d’une envie ou d’un besoin créatif, qui n’aura pour autant aucune raison au niveau du sens qu’il pourrait apporter, d’un point de vue publicitaire et commercial.
Citroën a montré que le chien pouvait devenir un simple acteur facilement substituable par un autre. C’est le cas pour l’exemple de la publicité « Dog Romance28 », produite pour la gamme C3. Ce film a pour but de démontrer l’efficience des moteurs de la gamme, ainsi que l’autonomie qui en découle. Les chiens deviennent alors malgré eux les acteurs de la « farce » créative. L’histoire d’amour mise en scène entre les deux chiens n’est ici qu’un prétexte pour facilement faire passer le message commercial. La création repose sur les réactions des spectateurs qui sont surpris de cette fin, mais peuvent ainsi apprécier de quelle manière l’annonceur a réussi à faire passer son message, sans offensive commerciale ou stratégique. Une mise en scène orientée vers l’humour afin de mieux reporter l’attention vers le message de la publicité. Néanmoins, les chiens sont ici facilement remplaçables dans le sens où cette mise en scène aurait pu mettre en jeu d’autres personnages — humains ou autres animaux n’auraient pas significativement modifié la narration. À nouveau, même s’il n’a pas été choisi par hasard, la décision de mettre un chien au coeur de la publicité « Spike29 » aurait pu ne jamais être. Cet exemple permet notamment de concevoir que les créatifs publicitaires ne réfléchissent pas forcément en premier lieu à la stratégie d’identification, de personnification ou de signification que la mise en scène d’un chien induit. Il arrive ainsi que l’animal devienne un simple artefact de la communication, même s’il en est capable grâce à un certain nombre de valeurs, connotées et dénotées, qui permettent à la publicité d’attirer le regard et l’attention des téléspectateurs. En d’autres termes, nous pouvons constater que la décision de l’utilisation d’un chien peut parfois être sans rapport avec la décision de telle mise en scène qui pourrait inclure comme ne pas inclure d’animal. Une rhétorique de la scénographie donc plutôt qu’une rhétorique de la stratégie, vers laquelle les créatifs ont souvent tendance à se retourner, comme Fabien Idoux 30 nous l’a récemment fait remarquer : « Les créatifs ne sont pas vraiment là pour penser à la stratégie. Ce sont aux stratèges de commencer à penser à la création pour pouvoir établir un lien entre ce qu’ils veulent faire comprendre et ce que les personnes comprendront vraiment31 ». De ce fait, nous pouvons alors mieux apprécier la manière dont les publicitaires cherchent parfois simplement à provoquer une réaction autre qu’en lien avec l’argument commercial ou le message publicitaire. Une rhétorique qui de toute évidence ne doit pas être partagée par les annonceurs, dont le profit est la première ambition pour répondre aux moyens mis en matière de communication.
Seulement le chien ne devient pas malgré tout un acteur totalement interchangeable. En effet, nous avons montré précédemment que de nombreuses valeurs connotées et de nombreux sens et significations étaient associés à l’image du chien. Ainsi, même si le chien devient acteur d’une publicité par hasard, il n’en devient pas un « acteur comme les autres », dans le sens où son statut de chien ne lui permet pas d’être totalement interchangé avec un être humain ou un objet sans vie. Le chien, comme vecteur d’empathie, comme animal de compagnie et comme objet social à part entière ne peut être assimilé à tout ce à quoi d’autres objets pourraient être associés.
Indissociable des ensembles de significations dont il relève, le chien peut effectivement parfois avoir été placé dans un film par hasard, il n’en relève pas moins le nombre de sens et d’associations que le spectateur pourra faire au visionnage d’une publicité. Néanmoins, nous parlons ici d’automobile, référence qui ici pourrait tout à fait être interchangée avec un secteur d’une parfaite contradiction. Il s’agit plus ici de noter le rôle de simple acteur que le chien peut prendre dans un contexte où le produit à vendre est déjà porteur de nombreuses significations dans le cadre de référence sémiotique socio-culturel.
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Table des matières
I. Le chien, reflet de son propriétaire
A. « Tel maître, tel chien »
B. Une volonté de représenter la cible commerciale
II. Une association par métonymie des traits de caractère du chien
A. …à la voiture-produit
B. …à la marque automobile
III. Le chien, un moyen d’attirer le regard du spectateur
A. Un vecteur d’empathie au service de la publicité
B. Le chien, un acteur pratiquement comme les autres
Conclusion
Bibliographie
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