Une architecture pyramidale de la cosmogonie peule ou système métaphysique ternaire

Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études

Du substratum « mytho » au « logos » dans l’imaginaire collectif peul.

Prétendre que la philosophie est une pensée universelle où l‟Idée se dérobe et se ressaisit perpétuellement nous amène nécessairement à reconnaitre qu‟elle ne saurait exclure dans son champ d‟action aucun type de savoir si « archaïque » soit-il. Au sens aussi bien hégélien qu‟aristotélicien, la philosophie s‟est toujours posée comme une totalité du savoir.
Force serait ainsi de reconnaitre et par un esprit attentif que la philosophie ne saurait mettre en épochè les formes de pensées cosmogoniques qui lui ont donné forme. Ainsi Mircea Eliade considère que « (…) les mythes relatent non seulement l’origine du monde des animaux, des plantes et de l’homme mais aussi tous les évènements primordiaux à la suite desquels l’homme est devenu ce qu’il est devenu ce qu’il est aujourd’hui (…) »10 Il apparait ainsi évident à nos yeux que le mythe est la crème qui, fermentée, constitue la pensée primordiale de l‟homme et qui lui a toujours permis de se situer dans son présent à partir des repères plus ou moins objectifs du passé. Forme de pensée fertilisée par une culture multimillénaire, les mythes peuls constituent, à l‟image de ceux des présocratiques, les modelés substantiels à partir duquel le « philosopher » peul prend forme. Mais pour mieux discerner les deux bras de cette même source intarissable, essayons, dans la mesure du possible de montrer ce mouvement unidirectionnel allant du substratum « mythos » jadis expression implicite de la pensée collective peul au « logos » actualisation tacite de cette même pensée collective.

Le mythe de la pensée

Feu dérobé de hautes sphères olympiennes par un Prométhée révolté, la pensée brûle les denses forets de l‟ignorance, illumine les cavernes du monde illusoire de la réalité phénoménale et libère des chaines les prisonniers du « sens commun ». Activité de perception, d‟organisation et de prévision des différentes composantes de la Nature, la pensée a été depuis longtemps décerné à une classe d‟homme, à une élite et ceci dans toutes les sociétés en dehors même de la culture peule. Dans la tradition indoue la connaissance des écrits sacrées n‟était pas à la portée de tout le monde et que seule la classe sacerdotale des brahmanes avait accès aux livres sensés contenir la pensée indouiste du monde et de l‟au-delà. Chez les amérindiens le savoir avait une dimension sacrée et ouvert a une catégorie de « maitre du savoir » des sortes de grands prêtres appelés les « chamans ». Chez les grecs aussi le savoir n‟était toujours pas exposé à la portée de tous. Ainsi dans la pensée métaphysico-religieuse orphique le savoir était confiné dans des cercles d‟initiés. Fut-ce le cas des disciples de Pythagore en Grande Grèce. Partant de ce regard panoramique sur la conception du savoir dans divers cultures, nous arrivons au point où la culture peule ne saurait faire l‟exception.
Comme dans toutes ces traditions citées, le savoir s‟articule autour d‟un concept opératoire à orientation ésotérique. De ce fait, le savoir en tant que pouvoir d‟action sur la nature et sur les hommes requiert une certaine restriction. Interroger la Nature afin de prévoir la pluie, les insectes envahisseurs destructeurs des récoltes, les épidémies, agir en temps réel sur ces fléaux pour préserver la survie de la communauté sont loin d‟être de simples sinécures à la portée de tous. Ainsi seuls les grands-maitres détenteurs du savoir avaient ces dons naturels. Chez les peuls ce sont les « grands initiés » plus connus sous le nom de « Silatigui » qui sont détenteurs de cette science comme nous l‟écrit Amadou H. Ba :« Le silatigui est le grand maitre initié des peuls pasteurs. Chef spirituel de la communauté, ils sont maitres des secrets pastoraux et les mystères de la brousse11 »
Partant de là, nous constatons que le savoir chez les peuls recouvre le caractère ésotérique dans la mesure où il est jalousement gardé par une classe de prêtres, les « silatigui ».Ceux-ci jouent le rôle « d‟avertisseurs » pour éviter le terme de « prophète » jadis employé en Grèce pour désigner les présocratiques notamment les éléates. De manière générale chez les peuls le savoir des « silatigui » requiert une certaine formation, une recherche poussée à la cime du « logos ». C‟est un voyage à la quête du savoir exigeant un labeur, des périples, des séries d‟énigmes que l‟initié devra surmonter afin de graver les échelons de l‟initiation. C‟est l‟exemple de jeunes initiés rapportés par Amadou Hampaté Ba à l‟instar de Bagoumawel, de Siré de Bawam‟ndé qui sont des apprentis du « noùs » a la quête saint graal qu‟est ici la science de l‟initié.
Dans Ndjeddo Dewal et dans koumen, A. H. Ba nous montre comment ces héros ont parvenu àrépondreà des problèmes d‟ordre communautaire après avoir était initié à la quête du Savoir suivant un schéma bien défini par le sage de Bandiagara : « l’initiation est l’ouverture des yeux c’est-à-dire tous les enseignements qui sont donnés au cours des cérémonies traditionnelles oupériodes de retraites initiatiques qui les suivent. Mais cet enseignement il faudra le vivre l’assimiler le faire fructifier en y ajoutant ses observations personnelles, sa compréhension, son expérience ».12 A. H. Ba nous révèle ici toute la portée du savoir initiatique. De son point de vue est comme un enfant à qui on apprend à ouvrir les yeux, à tâtonner dans l‟ombre des images et accéder à laparoi de la caverne de l‟ignorance afin de s‟y extirper.
Mais avec A.H. Ba il est important de noter qu‟un savoir requiert certes un certain apport extérieur qu‟il nomme « initiation extérieure »13 mais ouvre aussi un canevas vers une transformation intérieure « qui s’accomplit en soi »14
C‟est pourquoi les héros de ces textes effectuent un travail d‟auto évaluation pour qu‟il puisse dépasser et contenir toutes barrières vicieuses. Ceci est une route escarpée d‟obstacles mais qui conduit nécessairement au sommet de la pyramide du savoir.
D‟ailleurs c‟est par ce travail intérieur que Bawam‟n détranscende les vices, exalte les vertus qui devrons le conduire à vaincre le mal, image négative incarnée par Ndjeddo dewal. Une dialectique hégélienne de négation et de dépassement permet à l‟initié de se départir des anciennes pratiques populaires vicieuses pour acquérir de nouvelles valeurs garanties de son progrès sur le chemin du savoir. : « De nombreux pauvres venaient prendre crédit auprès de lui mais jamais il ne réclamait son dû, lui-même pourtant ne s’endettait pas bien que très souvent, Ainsi ce « Père du bonheur »15 p41 comme se plait de le nommer A. H. BA est un amoureux de sagesse, un « philosophos » au sens étymologique dans la mesure où il était cité comme un modèle référentiel.
Ainsi A. H. Ba nous dresse le portrait de l‟Initié, un modèle social, incarnation parfaite des valeurs éthiques. Mais pour mieux comprendre ici la véritable dénotation des valeurs il faut prendre le sens que Descartes avait donné à la sagesse : « Par sagesse on n’entend pas seulement une prudence dans les affaires mais une parfaite connaissance de toutes les choses que l’homme peut savoir tant pour la conduite de sa vie que la préservation de sa santé et l’invention de tous les arts…»16 Dès lors nous constatons que la sagesse incarnée par ces Initiés demande à être lue sous l‟angle purement théorique dans la mesure où elle exprime en plus des valeurs pratiques, des orientations cognitives concourant à une formation du savoir au sens large du terme. Ainsi, un initié accompli doit être à la fois un « Silatigui »détenteur du savoir sacrée et un « ardo » possesseur du pouvoir politique. C‟est pourquoi le chemin menant à l‟autel de l‟initiation est tortueux et plein d‟embuches et difficile d‟accès, où seuls quelques rares esprits parviennent à se hisser. D‟ailleurs ce n‟est pas pour rien que chez les bambara le roi était un savant maitrisant les secrets du feu (forgeron) et en même temps un magicien ayant des pouvoirs surnaturels comme l‟illustre l‟exemple de Soundiata.
Néanmoins une problématique demeure et demande à être résolue afin de parfaire la perspective du « mythe de la pensée ». Celle-ci réside dans les méthodes de réalisation et d‟expression de la pensée. Si elle n‟est pas universelle comme dans le système de cognition occidental c‟est parce qu‟elle s‟inscrit plutôt dans un schéma ésotérique à base initiatique et qu‟elle emprunte le canal de l‟oralité pour sa diffusion.
A défaut de textes exposés au regard de l‟universel, la pensée africaine s‟extériorise par la parole. C‟est une véritable machine orale qui se chargera de véhiculer les concepts et les idées africaines. Ces « auteurs » africains que le professeur Mamoussé Diagne, citant Birago Diop, appelle les « sacs à parole »17, emploient un mode opératoire particulier : l‟oralité
Ainsi, pour initier les néophytes, les silatigui les amènent dans la brousse (bois sacré chez les diolas) ou derrière l‟enclos des vaches chez les peuls pour se livrer à un véritable oratoire où les apprentis n‟ont que leurs oreilles pour fixer les enseignements. Ainsi, Mamoussé Diagne oppose cette « logique de l’oralité »18 typiquement africaine à la « logique de l’écriture »19 spécificité de la pensée occidentale. Dès lors on voit que le « logos » s‟est cristallisé dans le système cognitif peul mais en empruntant un chemin parallèle à celui de l‟occident. Chez les peuls, comme dans les autres peuples africains la pensée est secrète, dissimulée dans un arsenal de symboles dont le contenu n‟est appréhendé que par quelques rares initiés que les maîtres de la pensée à savoir les « silatigui » ont formé.

Du problème de la discursivité dans les différentes formes de contes peuls.

Etudier la philosophie des peuls demande à ce que l‟on escalade les arcades de leurs formes symboliques afin de saisir, dans toute sa plénitude, la portée de leur rationalisme.
Certes c‟est loin d‟être une simple sinécure car cela exige, au préalable, un travail d‟analyse conceptuel des contes. Ces derniers constituent, en dehors de l‟aspect purement fictif qu‟ils semblent dégager, une panoplie de problématiques mobilisant toutes les potentialités intellectuelles. Or la résolution de ces problématiques n‟augure pas seulement une vocation didactique mais interpelle également l‟esprit critique de la philosophie qui y trouve ses éléments justificatifs.
Cependant il est capital de comprendre que les contes peuls incarnent une logique qui, à bien des égards, se distingue de celle de l‟occident de part et d‟autres. Dès lors, une analyse poussée de celle-ci s‟impose à tous ceux qui tentent de travailler sur une philosophie peule des formes symboliques.
Les contes, de manière générale, sont des récits très variés aussi bien dans leur forme que dans leur contenu mettant en scène des éléments explicatifs du vécu et dont l‟objectif principal est justement de mettre en valeur l‟imaginaire collectif.

Analyse critique des différentes formes de contes peules

Les contes, à l‟image des mythes, constituent le lieu d‟expression de la philosophie peule. Emanant d‟une tradition orale, la culture peule a su confiner à travers les contes toute une documentation orale dans laquelle elle exprime sa manière d‟étudier, d‟ordonner, de comprendre et de faire comprendre le monde.
Le conte relève de la met a conscience peule car transcende la conscience individuelle et rassemble les consciences communes comme nous le témoigne Alain Menigoz« Le Conteur s’empare d’un texte que toute la communauté connait qu’il a appris de sons père, de son oncle, (…). Le conteur n’existe pas sans le miroir du public. Celui-ci s’attend à ce que le texte soit à la fois semblable et diffèrent (horizon d’attente). Il ne s’agit pas pour le public de seulement reconnaitre le conte mais aussi de le reconstruire »36 Ainsi le conte rentre dans le cadre des outils nécessaires dans la formation de l‟initié qui, comme nous l‟avions précisé dès l‟entame, exerce l‟activité du philosophe par excellence dans la tradition peule. Il faut savoir que les contes peuls sont multiples dans leurs formes et par conséquence nous devons analyser de prime abord leur différence avant de pouvoir statuer sur leur concept au sens individuel. Nous pouvons distinguer quatre principaux types de contes : les contes personnifiés, les contes comiques, les contes psychologiques et les contes mythiques.

Les contes personnifiés :

Peuple nomade très lié à la Nature sauvage où ils font paitre leurs troupeaux de vaches, de chèvres et de moutons, les peuls ont toujours cherché à entrer en contact avec le milieu physique. Dialoguer avec la Nature qui leur sert de refus à la fois protectrice et nourricière devient une nécessité pour les peuls. Dès lors ils mettent sur pieds un moyen de communication, voire même de dialogue avec la Nature : c‟est le conte personnifié.
Celui-ci se caractérise par la mise sur scène d‟animaux ou des végétaux qui prennent ainsi part au récit en tant qu‟acteurs.
Dans ces contes la parole est donné aux animaux comme le lièvre, « wojere », hyène, « fowru »…etc. qui y jouent des rôles typiquement humains : parler, s‟habiller, draguer…etc. En donnant la parole aux animaux surtout ceux qui sont les plus immédiats à l‟homme, le peul leur prête en même temps des types de comportements spécifiquement humains comme la jalousie, la fourberie lorsqu‟il s‟agit par exemple du lièvre, de la duperie, et de l’étourdie s‟il s‟agit de l’hyène.
Ainsi par exemple dans les contes qui mettent en scène« Fowru » et « mbaroodi » c‟est toujours la couardise et la gourmandise du premier que l‟on oppose à la bravoure et la hardiesse du dernier. La force du lion est toujours modéré par la sagesse dont il est la parfaite incarnation. De cette sagesse nait la justice le « dikè ». Autrement dit l‟équilibre social s‟exprime à travers ce couple de contraires « Mbaroodi- Fowru », sagesse-vice.
Dans ces types de conte l‟ordre n‟est pas préétabli mais se construit au fil du récit. L‟avide, symbolisé par l‟hyène, dépourvu de patience perturbe la situation initiale et sert de point de départ au récit du conte. La force épaulant la justice se charge ainsi de rétablir l‟ordre. Dans la plupart des cas cette force régulatrice est incarnée soit par « Mbaroodi » le Lion ou « Gniiwa » l‟éléphant.
Le dénouement est toujours caractérisé par le rétablissement de l‟ordre, la résolution du chaos et le châtiment des « instigateurs du trouble ».
Le choix des acteurs n‟est pas gratuit dans la mesure où dans une société de pasteurs nomades, prévalent nécessairement une apathie voire une haine exacerbée envers le redoutable rodeur qu‟est l‟Hyène.
C‟est pourquoi les peuls dans leur grande majorité voient d‟un mauvais oeil cet animal qui guette leurs vaches pour les dévorer. Par conséquent ils lui attribuent ce rôle « d‟instigateur du Mal » dans le récit du conte.
Quant au « Mbaroodi », le lion il doit sa situation d’acteur principal, incarnation parfaite de la justice, à sa force majestueuse et la rareté de ses attaques envers les animaux domestiqués par les peuls. Le symbolisme est ici très frappant d‟autant plus que les images mises en scène représentent des codes comportementaux humains.
Ainsi le lion symbolise le pouvoir local comme le « ardo » dirigeant un hameau ou le « laamdo » en tant que roi ou empereur. A travers le conte on essaie de traduire les jeux du pouvoir. Le lièvre rusé représente les valets et autres courtisans qui profitent de la naïveté du roi pour satisfaire leur propre intérêt.
« Fowru » l‟hyène représente la force naïve de certains princes avides de pouvoir et facile à manipuler par certains profiteurs rusés. Le lion, « Mbaroodi » incarne le roi modèle, celui qui sait équilibrer la force du pouvoir avec la justice et les libertés des citoyens.
Au demeurant nous pouvons constater que le rôle de la fable chez les peuls c‟est surtout l‟élaboration d‟un certain nombre de mécanismes symboliques en vue de réaliser un projet que l‟on peut considérer sans ambiguïté comme philosophique. Ainsi ces types de conte sont utilisés dans le cadre de l‟initiation non spécifique.
Mais en dehors de la fable, nous pouvons constater que le conte comique rentre aussi dans le cadre général du système de représentation symbolique de la philosophie peule.

Les contes comiques

Il faut savoir d‟abord que ces types de contes revêtent une forme ironique certes mais qui interpellent notre attention dans la mesure où ils caricaturent des comportements réels.
En ce qui concerne leur structure, ils sont constitués de petits récits comiques. Ils s‟opposent de ce fait de par sa forme, aux longs contes de personnification.
En guise d‟illustration, nous allons vous proposer un exemple de ces contes comiques : « Il était une foi un homme très jaloux qui se nommait Il suit en voyage sa femme au hameau de sa belle-famille.
Dès son arrivé on lui raconta qu’il y’aurait un lion qui rode la nuit et dévore quiconque ose sortir ne serait-ce que pour aller aux toilette. Il était de coutume chez les peuls que la femme passe la nuit dans la chambre de sa mère et que le mari se couche dans la demeure de ses beaux-frères.
Très jaloux, Ilo se lève au beau milieu de la nuit pour voir s’il n y a pas un intrus dans la chambre où est couchée la femme. Déshabillé il porte un pagne qui ne couvre qu’une partie de sa torche et les fesses sont restés dehors. Alors au moment où il s’était courbé pour regarder par le trou de la fenêtre une vache qui avait l’habitude de venir chercher le couscous restant du diner, lécha le derrière du monsieur courbé. Se rappelant du lion rodeur, il rassembla toutes ses forces pour crier et brisa la porte et tombant sur le lit de sa belle-mère. Il criait « mbaroodi bondi bonniikam ! », voulant dire que « le méchant lion ma dévoré ! »
Alors tout le hameau se réveilla trouvant Ilo nu, accroupi sur sa belle-mère en train decrier de toute ses forces. »37 A travers ce conte l‟essentiel est concentré sur la ridiculisation de l‟acteur. Celle-ci est une sorte de punition affligée à celui-ci. Dans ce conte on constate une superposition de vices allant de la jalousie à la lâcheté qui font l‟objet ainsi d‟un procès au tribunal du conte. Donc dans le conte comique c‟est toujours une mise en exergue des valeurs éthiques qui y est véhiculée même si la forme fait appelle au ridicule. Par l‟ironie donc le conte tente d‟exposer au regard de l‟universel la portée des vices. C‟est lui qui permet de montrer à l‟initié que c‟est en évitant les mauvaises pratiques que l‟on accède à la sagesse initiatique substrat de la philosophie peule.
A travers le conte comique, le peul dévoile sa méthode d‟inculquer les savoirs et ceci grâce à une pédagogie implicite qui répond à son nom : l‟ironie. C„est ce qui fait dire à A. Hampathé Ba que : « Un conte sans rire est comme un aliment sans sel. »38 En dehors du conte comique le système symbolique peul s‟appuie également sur le conte psychologique.

Le conte psychologique

Le conte psychologiqueressemble à des points au conte mythique de par sa forme. C‟est un long récit escarpé de périples que l‟acteur doit surmonter pour réussir sa mission. Cette dernière au début semblera impossible d‟où la nécessité de mobilisation de toutes les potentialités intellectuelles et surtout éthiques de l‟acteur afin d‟arriver à sa finalité. Pour la pluparts de ces contes la situation initiale commence par une histoire d‟orphelins.
Soient des jumeaux comme « Sammba Jam » et « sammbaboné » qui, abandonnés à eux mêmes, se battent pour survivre. Dans la majeure partie de ces contes ils sont laissés à la merci d‟une marâtre à la mort de leur mère. Celle-ci en profite pour transférer le courroux qu‟elle avait envers leur maman, sur eux.
Papa faible et soumis à la volonté de sa seconde femme, ses orphelins s‟offrent aux maltraitances de leur « seconde mère »
Soit un seul enfant orphelin et qui doit subir chaque jour les affres de sa marâtre. Dans ce cas il est secondé par un animal comme le taureau dans le conte d’Ilo et « Ngaari Mbuunaari» ou le cheval dans le conte d’Ilo et « mboongubaaba »
Toujours le schéma est le même : l‟orphelin exaspéré, quitte la demeure de sa marâtre et se lance dans un aventure qui doit l‟amener à franchir plusieurs obstacles.
Des animaux méchants aux sorcières en passant par les bandits de tout bord. Mais armée de la politesse et de l‟intelligence il parvient toujours à s‟en sortir indemne quel que soit la situation qui s‟offre à lui.
Nous voyons ici que l‟élément essentiel qui est mis en exergue est la valeur de la vertu en l‟occurrence la politesse et l‟intelligence.
A travers le conte psychologique on procède à un procès des vices comme l‟injustice, l‟apathie, la cruauté envers les faibles …etc. C‟est donc un purgatoire des vices où le mal incarné par la méchante marâtre par exemple finit toujours par sombrer dans le gouffre qu‟il a créé et que le Bien triomphant porte la justice, le « dikè » au summum de l‟existence.
Il faut noter que ces contes psychologiques sont divers dans leurs objets. Ainsi en dehors de ceux qui ont pour sujet la cause des orphelins d‟autres exposent le fatalisme.
L‟homme faisant corps avec la Nature qui le contient et le protège, le Peul est convaincu de la nécessité du destin. Pour enseigner cette conception et la pérenniser dans le temps, Il construit un type de conte spécifiquement orienté vers la nécessité du Destin.

La place du conte dans le système de pensées peules

Comme tout système de représentation, le conte exige dans ses démarches une certaine méthodologie qui justifie sa place dans ce vaste ensemble symbolique. Le conte permet d‟actualiser la connaissance passive, la tirer des empilements séculaires afin de l‟exposer à l‟autel philosophique. Donc il ne s‟agit point d‟inventer une philosophie peule qui n‟avait pas existé pour lui donner forme à partir des prémisses du conte. Loin de là, la philosophie peule s‟articule dans ce vaste océan que constituent les formes symboliques. Partant de ce fait, nous affirmons sans ambiguïté que le conte sert de piédestal à la philosophie peule qui y trouve ainsi son terrain d‟expression fertilisé par une tradition multimillénaire.
Le conte permet ainsi de s‟approprier du concept en lui donnant un caractère métaphysique multidimensionnel allant de la simple fiction (cas du conte personnifiant les animaux) au stade de« catharsis » qui se réalise dans le conte psychologique en passant bien sûr par l‟ironie et le mythique. D‟ailleurs, Amadou Hampathé Ba n‟avait-il pas déclaré que : « Finalement entrer à l’intérieur du conte c’est un peu comme entrer à l’intérieur de soi-même. Un conte est un miroir où chacun peut découvrir sa propre image »42 Le concept prend forme et se dilate dans les autres représentations symboliques en empruntant d‟autres mobiles comme les proverbes et les dictons qui concourent tous à la mise sur pieds de la pensée peule. Le concept véhiculé par le conte n‟est donc pas à distinguer du récit conté, mais s‟identifie à lui et se confond le mieux que possible à celui-ci.
Au demeurant, nous serons de commun accord avec Ernest Cassirer lorsqu‟il écrit que : « Les formes symboliques sont donc des processus dynamiques de symbolisation qui ne sont pas des reflets de la « réalité » externe mais qui permettent au contraire d’y avoir accès. »43 Son point de vue nous montre clairement que ces formes symboliques, comme le conte, ne sont pas de simples images, des « reflets de la réalité » mais rendent même possible la pensée philosophique peule dans toute sa splendeur. Autrement dit demander à quelqu‟un de philosopher en peul reviendrait à lui dire de conter, de magnifier la pensée en la tournoyant dans les artères du symbole afin de lui donner la force noétique nécessaire.
Le conte permet de faire passer l‟idée du « paraitre » à « l‟être » ce qui fait de lui l‟outil pédagogique nécessaire à l‟initiation permettant de déchiffrer le savoir ésotérique comme nous l‟expose en ces termes Ibrahima Sow : « La fonction essentielle du monde étant de véhiculer des signifiants, la connaissance apparaît au niveau symbolique – initiatique – comme « un déchiffrement » à savoir une tentative de mise à découvert du « chiffre » qui, à l’intérieur du symbole et du monde qui s’y inaugure, en excède tous les sens. Le symbole est un lieu ouvert de rencontre. Il instaure le monde où il est signifié en le signifiant. »44 Donc seul un travail objectif consistant principalement à l’identification de la pensée peul à partir de ces formes symboliques est en mesure de déterrer ce patrimoine enfoui dans les immondices du passé. Le philosophe peul, grand initiateur des futurs « silatigui » essaie d‟articuler la pensée à travers le symbolisme qui semble être l‟unique moyen de communication de la pensée. Or ceci trouve son explication dans le simple fait que le texte peul est oral et non écrit car le symbolisme facilite l‟expression orale de la pensée à travers ses images. Sur ce, on doit lui vouer tout le respect dû à tout texte scientifiquement élaboré à l‟image du texte écrit occidental. La scientificité d‟un texte ne peut être évalué qu‟à partir de sa cohérence interne et non pas par sa forme externe.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Première partie : Une herméneutique philosophique des formes symboliques
CHAPITRE I : Du substratum « muthos » au « logos » dans l’imaginaire collectif peul
A. Le mythe de la pensée
B. La pensée du mythe
CHAPITRE II : Du problème de la discursivité dans les différentes formes de contes peuls
A. Analyse critique des différentes formes de contes peules
B. La place du conte dans le système de pensées peules
Deuxième partie : Symbolisme et rationalisme dans l’imaginaire collectif peul
CHAPITRE I : Une architecture pyramidale de la cosmogonie peule ou système métaphysique ternaire
A. « Géno », l’Etre-Un
B. « Neddo », l’éduqué
C. Les «kuule» ou « existants » inferieurs
CHAPITRE II : Une éthique anthropocentriste au tour du concept de l’Homme « nedankaagu » dans l‟imaginaire collectif peul
A. Le « nedankaagu » : approche définitionnelle :
B. La place de l‟éthique dans les formes symboliques :
C. De l‟éthique au « pulaagu »
Conclusion
Bibliographie

Télécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *