Une architecture élémentaire et irréductible face au manque de moyens

METHODOLOGIE

S’intéresser à la production architecturale du studio Elemental au Chili, c’est, avant tout, effacer tous nos à-priori relatifs aux méthodes, aux savoirs-faire et au contexte d’intervention que les architectes français ont développés et nous transmettent dans les écoles d’architecture. Au Chili, le contexte politique, économique et historique est très différent et conditionne inéluctablement la production architecturale du pays.

Cette recherche sur le travail d’Elemental et d’Alejandro Aravena se situe à la croisée de deux échelles : l’échelle mondiale et l’échelle locale du Chili. La question consiste alors à comprendre comment Aravena et dans son sillage le studio Elemental opèrent à ces différents niveaux et quels sont les liens entre leur production locale, répondant à un contexte bien précis, et la vision plus transversale qu’Aravena a exposé à la Biennale de Venise. Travailler sur le studio Elemental depuis la France a un avantage non contestable : ne pas avoir d’à-priori. Je ne connaissais pas du tout le Chili, ni la personnalité d’Aravena, ni les réseaux au sein desquels il peut opérer. Cette naïveté m’a servi, sans nul doute, à ne pas restreindre la recherche et ne pas éliminer prématurément certaines hypothèses.

Les deux facteurs qui ont motivé ce travail de recherche peuvent se résumer dans une volonté de mieux comprendre cette idée de «demimaison » pour le logement social et les raisons de la double nomination d’Aravena comme lauréat du Prisker Prize et commissaire général de la Biennale de Venise. Je ne pouvais commencer cette étude qu’en étudiant précisément la production du studio, aussi bien le travail sur le logement social, les établissements publics ou encore les espaces publics.

Pour chaque projet, la réalisation d’une fiche synthétique m’a permis d’étudier les évolutions, comprendre les logiques mises en oeuvre en fonction des contraintes relatives aux différents sites. La lecture des ouvrages, écrits par les associés du studio Elemental mais aussi l’écoute d’un certain nombre de conférences données par Aravena sur sa propre production m’ont montré la philosophie de l’agence, leurs principes et leurs exigences. Une prise de notes et la tenue d’un carnet de bord m’ont semblé indispensables pour avancer, relever des citations, des mots-clé ou résumer certains paragraphes qui me semblaient indispensables à l’avancée de ma réflexion. Une visite à la Biennale de Venise (réalisée en Octobre) s’imposait aussi pour essayer de comprendre le positionnement d’Aravena au sein de la communauté architecturale, le choix des architectes qu’il avait invités à participer et la façon dont il avait mené cette expérience.

Dans un second temps, il fallait que je désarticule tout ce que j’avais appris sur la production d’Elemental suite à leur propre communication, que je cherche les non-dits, que je replace le travail dans un contexte plus large. Comme la double nomination d’Aravena était un sujet d’actualité, j’ai commencé par lire un grand nombre d’articles, aussi bien dans des magazines d’architecture que sur les revues en ligne.

Ces différents articles présentaient l’avantage incontestable de donner des points de vue très divergents (de très flatteur à très virulent) sur la production de l’agence et la double nomination d’Aravena. Souvent brefs, ils me donnaient diverses pistes de réflexion , en critiquant par exemple un aspect des idées d’Elemental sans chercher à en connaitre véritablement le sens et les raisons. Ces différents articles tout comme les remarques que l’on m’a adressées au cours des séminaires m’ont permis de me lancer dans des recherches plus approfondies sur le contexte politique et économique du Chili et les influences architecturales qui conditionnent la production de l’agence Elemental.

La lecture d’ouvrages relatant des tendances architecturales au Chili, d’ouvrages sur l’architecture structuraliste ou encore des thèses sur le logement social au Chili ou sur la politique néolibérale du pays a été ici indispensable à une meilleure compréhension globale de l’oeuvre d’Elemental. Il m’a fallu par la suite tisser des liens entre toutes ces connaissances, chercher les relations de causes à effets, et trouver les ponts entre la production de l’agence à l’échelle locale et sa notoriété à l’échelle mondiale pour écrire la monographie critique que constitue ce travail de mémoire. Ce travail me poussera certainement dans les prochaines années à réaliser un voyage au Chili pour confronter cette étude théorique à la réalité des situations qui ont conduit l’agence à proposer ses différents projets.

Les enjeux métropolitains chiliens depuis la fin de la dictature

Le Chili n’est pas exempt de toutes ces dynamiques et des questionnements architecturaux qui en résultent, au contraire. Souvent considéré comme le pays le plus développé d’Amérique latine, il s’étend du désert d’Atacama au nord jusqu’au Cap Horn au sud, de l’océan pacifique à l’ouest à la cordillère des Andes à l’est. Dans une conversation avec Vladimir Belogolovsky, Alejandro Aravena désignait ainsi le pays comme une île, isolée du reste du continent sud-américain par de grandes barrières naturelles, ce qui lui confère une certaine autonomie. Si ce jeune pays acquit son indépendance en 1817, les luttes urbaines et les coups d’État successifs ont fait parties du quotidien des chiliens au cours des deux derniers siècles. Les différentes politiques n’arrivaient pas à répondre durablement aux besoins essentiels de la population et plus particulièrement à la question du logement. Les poches informelles de pauvreté abondaient dans les villes. C’est pendant la dictature militaire du général Augusto Pinochet (entre 1973 et 1990) que la réponse au déficit de logements a été, en théorie, la plus significative.

La junte militaire avait confié l’économie du pays à des jeunes théoriciens de l’École de Chicago qui reprenaient les idées de l’économiste américain Milton Friedman, ardent défenseur du libéralisme économique : privatisation des entreprises publiques, réduction de la taille de l’État, diminution des aides publiques, austérité budgétaire… Pourtant, les nombreux programmes gouvernementaux libéraux visant à éradiquer les bidonvilles s’étaient soldés par un échec. Les communautés les plus défavorisées avaient été déplacées pour être relogées dans des quartiers périphériques mal desservis et sans opportunité. Les minuscules habitations standardisées de 30 à 40 mètres carrés devant remplacer les logements informels et construits grâce aux subventions de l’État, avaient été agrandies et transformées par les familles à tel point que ces quartiers marginalisés ressemblaient aux bidonvilles que l’on avait voulu éradiquer. Ainsi, non seulement la dictature n’avait pas réussi à trouver de solution efficace au problème du logement social mais elle avait consolidé la ségrégation socio-spatiale des villes chiliennes.

Les écarts de richesse n’avaient jamais été aussi importants au Chili qu’à la fin de la dictature : 20% de la population se partageait 80% de la richesse du pays. Si, en 1990, le ‘No’ l’a emporté lorsque Pinochet a proposé par référendum de prolonger la dictature pendant encore 8 ans, le nouveau gouvernement de la Concertacion (alliance des partis de centre-gauche pour un retour à la démocratie) a dû «repayer la dette urbaine laissée par la dictature»15, comme peut l’expliquer Pablo Allard dans son essai ‘The City of the New Chileans’. Il s’est retrouvé face à ce modèle de ville spatialement et socialement fragmentée sans avoir les outils ni les ressources nécessaires pour le transformer radicalement.

L’un des freins à l’intervention des pouvoirs publics dans les quartiers paupérisés résidait dans le fait que les ménages de logements sociaux ne payaient pas de taxes de propriété. C’est pourquoi,  au début des année 1990, le modèle s’est davantage consolidé qu’altéré, d’autant plus que le gouvernement de la Concertacion n’a pas changé radicalement la Constitution promulguée sous la junte militaire du général Pinochet.

Pourtant, le pays a connu dans les 20 dernières années une série de bouleversements qui ont constitué une nouvelle identité nationale.

Les transformations successives de la politique économique, la diversification des activités, le renforcement des réseaux, l’ouverture du pays à des marchés internationaux ont considérablement augmenté la richesse du pays et consolidé sa croissance. Grâce à ces leviers économiques, le pays ne peut plus se résumer aujourd’hui à la seule étude de sa capitale Santiago. Certaines villes chiliennes connaissent en effet un processus de métropolisation et apparaissent sur la scène nationale et internationale. C’est le cas d’Antofagasta par exemple dans le nord du pays et ses industries du cuivre, ou Puerto Montt dans le sud qui a échangé ses activités de pêche au saumon pour des activités touristiques, bien plus lucratives. L’hégémonie de la capitale est donc progressivement remplacée aujourd’hui par la mise en réseau des nouvelles métropoles chiliennes. Dans ce contexte de reconstruction post-dictature, on assiste ainsi à un processus progressif de décentralisation des compétences des services publics. A cette nouvelle structuration du territoire chilien se sont superposés des changements socio-culturels sans précédent.

En moins de 20 ans, le revenu moyen par habitant a doublé16. Même si ce constat n’implique pas que le pouvoir d’achat des ménages chiliens ait, lui aussi, été multiplié par deux, il n’en reste pas moins que les habitudes de consommation des chiliens se sont métamorphosées. L’augmentation des revenus des ménages a permis de ne plus seulement subvenir aux besoins primaires mais aussi d’acheter des produits plus raffinés comme des parfums ou des cosmétiques par exemple (le Chili en est le premier consommateur en Amérique latine aujourd’hui). Ainsi, toutes ces transformations politiques, économiques et sociales ont profondément transformé les enjeux des politiques urbaines. Au lendemain de la dictature, les villes devaient encore faire face au déficit de logements et à l’accès difficile aux services pour de nombreux quartiers. Les logements standardisés, à bas prix et de mauvaise qualité ont continué à être réalisés autour de nouveaux shopping malls, seuls «espaces collectifs» dans les périphéries des grandes métropoles comme peut l’expliquer Pablo Allard17. Depuis les années 2000, le Chili est le seul pays d’Amérique latine à avoir quasiment résolu son problème de déficit de logement et d’accès facilité aux services pour l’ensemble de la population. Les actions publiques ne se tournent désormais plus vers les besoins primaires de la population mais vers les aspects qualitatifs des problématiques urbaines. Comment résoudre la ségrégation socio-spatiale des villes ? Comment améliorer de manière durable le parc de logements chiliens ? Comment créer des espaces publics de qualité ? Qu’est-ce qu’une ville où il fait «bon vivre» ? Il est alors intéressant d’étudier le repositionnement du rôle des architectes et urbanistes face à ces nouveaux enjeux métropolitains.

Le renouveau de l’architecture chilienne aux lendemains de la dictature de pinochet

Pour Horacio Torrent, l’architecture est toujours un produit dérivé des circonstances socio-culturelles au sein d’un pays. C’est ce qu’il explique dans son essai The Nineties : Junctures in Chilean Architectural Culture : «At certain times, architecture flourishes with great vitality ; at other times, it vanishes into mundane banality and nothing at all happens»18. Depuis un peu plus de 20 ans, l’architecture chilienne connait l’un de ces moments d’innovation et d’exaltation.

Avec toutes les transformations politiques, économiques et sociales que le Chili a traversées depuis la fin de la dictature, une nouvelle culture architecturale, commune et dynamique, s’est constituée pour répondre aux exigences et enjeux des métropoles chiliennes du XXIème siècle. De nombreuses agences, constituées de jeunes architectes, travaillent aujourd’hui sur tous les questionnements que nous avons précédemment évoqués. Parmi ces architectes, il est possible de citer Mathias Koltz, Felipe Assadi, Mauricio Pezo et Sofia Von Ellrichshausen, Smiljan Radic et bien sûr Alejandro Aravena et le Studio Elemental. Cette cohésion n’est pas dûe à la cohérence formelle des projets mais à l’élaboration de méthodes similaires et de réseaux communs. Pourquoi et comment cette émulation au sein de la communauté architecturale s’est-elle constituée ? Après les tentatives de la modernité pour résoudre les problématiques urbaines des villes chiliennes, la communauté architecturale s’était «repliée sur elle-même» (à l’exception de quelques architectes) et travaillait essentiellement sur la question esthétique et non sur les enjeux urbains aux côtés d’autres disciplines.

Ceci est d’autant plus flagrant pendant la dictature. Si, à partir de 1977, ont eu lieu les premières Biennales d’Architecture de Santiago organisées par le Colegio de Arquitectos, les débats publics étaient centrés exclusivement sur la profession en elle-même, sur les questions formelles, symboliques et typologiques. Pourtant, en parallèle du développement de ces Biennales d’Architecture, il apparaissait, de plus en plus, une tension entre des individualités qui travaillaient davantage sur l’esthétique des formes et un groupe de jeunes architectes qui considérait la profession comme un service ‘social’ avec le moto : «architecture is, in the end, social». Ils prônaient un repositionnement du rôle de l’architecte, «the need for architects to assume their power to reflect and influence the social and cultural context»20. Ces architectes ont aussi commencé à réorganiser le système universitaire selon une nouvelle recomposition entre théorie et pratique. L’enseignement de l’architecture, dans plusieurs universités du pays, s’est alors davantage intéressé au contexte chilien et à ses problématiques urbaines, avec une vision plus professionnalisante. Au début des années 1990, on assistait donc à une recomposition de la discipline autour d’un requestionnement sur le rôle précis de l’architecte. Pour qui et pour quoi doit-il mobiliser ses outils et ses compétences ? A-t-il un rôle à jouer dans les débats qui animaient alors la scène politique chilienne ? «An architecture more aware of Chile and a Chile more aware of its architecture».

C’est sous ce credo que se sont constituées les Biennales d’Architecture de Santiago à partir du début des années 1990. Si les architectes réfléchissaient au rôle qu’ils devaient jouer dans ce nouveau Chili post-dictature, un autre facteur a participé à l’émergence d’une nouvelle culture architecturale dans le pays : l’expansion de la médiatisation de l’architecture chilienne. De nombreuses publications ont été créées, présentant des projets contemporains d’architecture (habitations et bâtiments publics) à un public toujours plus large. C’est le cas par exemple des revues De Arquitectura, El Diseno ou encore Vivienda y Decoracion qui ont joué un rôle clé dans la présentation de nombreux projets en les replaçant dans le contexte et les problématiques locales. En fait, c’est tout un nouveau récit local de l’architecture qui a été créé lors de cette période de transition vers la démocratie, en relation avec cette tentative de redéfinition du rôle de l’architecte au Chili. La question n’était plus de prendre possession d’une architecture à vocation universelle, en répliquant des modèles développés en Europe au cours du XXème siècle. Elle ne consistait pas non plus à promouvoir une architecture entièrement locale, inspirée de modèles traditionnels latino-américains, en s’excluant entièrement des effets de la mondialisation comme avait pu le proposer la postmodernité.

Beaucoup d’architectes chiliens ont alors proposé grâce à leurs projets une relecture de la modernité à travers le contexte chilien, c’est-àdire ajusté des instruments et un système de références propres à la modernité architecturale à la géographie «plurielle» du Chili. En effet, grâce à sa longueur (4300 km de long depuis la frontière avec le Pérou jusqu’au Cap Horn), le Chili connaît une diversité de paysages, climats et modes de vie, ce que la modernité avait totalement ignoré et ce que la postmodernité avait sublimé mais sans tenir compte des multiples avancées technologiques mondialisées apparues avec la société moderne. Cette idée que nous pourrions qualifier «d’altermoderne» n’était pas un approche romantique, c’est-à-dire l’inscription poétique d’une architecture dans un paysage, mais un moyen de canaliser les conditions locales dans l’architecture moderne, de retravailler avec les spécificités des territoires et des populations, tout en conservant les avancées technologiques majeures résultant des effets de la mondialisation. C’est donc une nouvelle approche de la conception architecturale qui émerge dans les années 1990 et qui est le produit de nombreux questionnements des jeunes architectes précédemment cités en ces temps de bouleversements socio-culturels. Ces nouveaux récits, ces nouveaux paradigmes de l’architecture chilienne présentés au travers de multiples projets dans les revues, les publications ou les Biennales d’Architecture de Santiago ont conditionné un large public à s’intéresser davantage à la nouvelle production architecturale.

Dès le début des années 1990, de nombreux clients privés, associés généralement à la finance ou aux secteurs agricoles et industriels orientés vers l’exportation, ont été les initiateurs de multiples projets afin d’exulter leur image de marque. Ces sont donc les capitaux privés qui ont été pendant très longtemps le moteur de l’architecture au Chili. Ainsi, bien que les jeunes architectes réfléchissaient à des réponses à certaines problématiques urbaines majeures, les agences devaient subsister avec des commandes privées. C’est à partir des années 2000, comme nous l’avons vu précédemment, une fois que des réponses aux besoins primaires des populations eussent été apportées, que ces problématiques urbaines majeures sont apparues dans les débats publics. L’État et les collectivités locales sont en effet apparus sur le devant de la scène pour participer à l’amélioration des espaces publics et de la qualité de vie tout comme la diminution des fractures urbaines des nouvelles métropoles chiliennes afin d’accroître leur compétitivité.

C’est donc dans tout ce contexte et avec ces nouveaux questionnements que s’est constituée une nouvelle physionomie collective au sein de la communauté architecturale.

Lors d’un entretien avec Alejandro Aravena, Vladimir Belogolovsky lui a demandé s’il faisait partie d’un nouveau mouvement architectural qui se serait développé au Chili depuis la fin de la dictature. Aravena a alors répondu : «We know what the others are doing. […] It creates a healthy competition», en rappelant cependant que la diversité des questionnements et des approches architecturales ne pouvait être synthétisée dans un même «mouvement». Si les convictions sont souvent similaires, les méthodes et les réponses architecturales diffèrent. Connaissant très bien les projets de Radic, Pugo ou encore Koltz, qui possèdent d’ailleurs leurs agences à deux pas des ateliers d’Elemental à Santiago, il affirme ainsi que cet environnement émulateur pousse à l’innovation. Cette grande liberté des jeunes agences chiliennes peut aussi être expliquée par l’absence de grands «maîtres» dans l’histoire de l’architecture au Chili. Pourtant être original, tenter de trouver de nouvelles alternatives, n’est pas un but en soi pour Aravena mais la conséquence d’essayer d’être à l’origine d’une question donnée. Il illustre alors cette idée, au cours de l’entretien, à l’aide d’une métaphore avec le tennis. Quand la balle vient vers toi à vive allure, tu ne peux penser qu’à la renvoyer. Tu ne peux pas réfléchir à ta position par rapport à la balle et à la beauté de ton geste : il n’y a pas le temps. Pour Aravena, il faut agir de même au sein de la communauté architecturale ! Le manque de temps et de moyens oblige bien souvent à trouver rapidement des solutions les plus adaptées possibles aux contraintes d’un site ou aux circonstances d’une situation. Il faut agir et construire et non réfléchir et théoriser. C’est pourquoi Alejandro Aravena et Andrès Iacobelli ont qualifié leur agence de ‘Do-Tank’, par référence au terme ‘Think Tank’, habituellement utilisé pour nommer un laboratoire d’idées.

Une architecture élémentaire et irréductible face au manque de moyens

Les origines de la formation du Studio Elemental

Alejandro Aravena est diplômé aux lendemains de la dictature, en 1992, à l’âge de 25 ans. Il est parti de suite à Venise pour continuer ses études et a parcouru l’Italie, la Grèce et la Turquie pour étudier et redessiner les proportions de certains bâtiments anciens, derniers témoins des grandes civilisations européennes de l’Antiquité. Trois années s’écoulent durant lesquelles il parcourt l’Europe pour compléter la formation qu’il avait pu suivre au Chili, à l’Université Catholique (UC) de Santiago. Lorsqu’il revient à la fin de l’année 1994, il commence à travailler sur de petits projets qu’il considérait insignifiants, tout en devenant enseignement à l’UC. Pourtant, très vite frustré par le gouffre qui pouvait séparer la justesse des bâtiments antiques analysés en Europe et sa propre production dans le système néolibéral chilien, il décide subitement qu’il ne pouvait pas continuer son activité en agence : «Si je ne peux pas faire de l’architecture correctement, je n’en ferai pas du tout»1. Pendant deux ans, il a alors tenu un bar tout en gardant son statut d’enseignant. En 1998, il participe et remporte le concours pour la réalisation de la nouvelle faculté de mathématiques de l’UC (fig. 3). Ce projet, finaliste en 2000 pour remporter le prix Mies Van der Rohe latino-américain, amena Alejandro Aravena à rencontrer Jorge Silvetti, membre du jury, qui le coopta pour enseigner à la Faculté d’Architecture d’Harvard aux Etats-Unis. Après avoir seulement réalisé un bâtiment notable, la Faculté de Mathématiques de l’UC, et avoir écrit un ouvrage, Los Hechos de la Architectura, Aravena était donc amené à enseigner dans l’une des plus prestigieuses facultés d’architecture du monde. Cette histoire fut brièvement retracée par l’architecte lui-même lors de la cérémonie de remise du Prizker Prize 2016 : «Before becoming a company, ELEMENTAL was an academic initiative. It all started when I was invited to teach at Harvard, and that was Jorge Silvetti’s call. He may have seen something that not even I myself was able to see. At the time I had just one building built and a book written. I actually arrived at Harvard having no idea about what to teach and eventually used my own ignorance and self-embarrassment as an asset.» .

Que pouvait-il enseigner à Harvard ? Pendant le second semestre de l’année 2000, Aravena mena un premier studio appelé ‘Otherwise-ness’4 qui s’intéressait à l’habitat d’urgence selon l’idée que le manque de temps et de moyens devaient permettre de lutter contre les décisions architecturales arbitraires. Pourtant il conclut que cette première problématique de studio n’était sans doute pas la plus pertinente ! Au début des années 2000, 25000 familles vivaient toujours dans des bidonvilles au Chili. Cependant la situation était «sous contrôle», le gouvernement prévoyait de résoudre entièrement cette problématique dans les 10 années à venir. Le problème n’était plus la quantité de logements mais leur qualité. Comme nous l’avons précédemment expliqué, le régime militaire avait subventionné la création de quartiers de logements sociaux en périphéries des grandes métropoles chiliennes, loin des multiples opportunités et services qu’elles pouvaient offrir. Cette politique visant à loger en masse les populations les plus démunies avait considérablement augmenté la ségrégation socio-spatiale des villes. Les subventions ne permettaient pas de construire des logements de plus de 30 à 40 mètres carrés et les familles, souvent nombreuses, construisaient plusieurs extensions qui répondaient à leurs besoins d’espace mais participaient à la dégradation du cadre bâti. L’histoire du Studio Elemental commence il y a environ 16 ans, en 2001, lors d’un dîner à Cambridge. Andres Iacobelli adresse soudain à Pablo Allard7 et Alejandro Aravena la remarque suivante : «Looks like Chilean architecture is going through a very good moment, getting a lot of international attention and recognition. If it’s true that Chilean architecture is so good, then why is the social housing so bad ?»Aravena réalisa alors que ce n’est pas un enseignement théorique qu’il devait mener à Harvard mais un terrain de recherche sur la question du logement social au Chili.

Il a compris qu’il pouvait se servir de sa propre «naïveté» dans ce domaine et celle de ses étudiants pour analyser, décortiquer et questionner la politique chilienne d’aide au logement. Cette «naïveté créatrice» enlevait tout a-priori pour essayer de trouver des solutions alternatives. En 2001, une nouvelle politique du logement avait été adoptée par le gouvernement : la politique Vivienda Social Dinámica sin Deuda (VSDsD)10. Celle-ci prévoyait pour chaque famille, répondant à un certain nombre de critères, principalement économiques, une subvention de l’État de US$7,50011 pour acheter un terrain, fournir une infrastructure et construire une habitation (un récit des différentes politiques du logement social au Chili sera fourni dans la seconde partie du présent mémoire). Dans ce contexte, Alejandro Aravena a mené deux studios en parallèle lors du premier semestre de l’année 2001 : l’un à Santiago à l’Université Catholique et l’autre à Cambridge à l’Université d’Harvard. Ce second studio se nommait US$3,20012 qui représentait la somme d’argent disponible pour construire la maison à partir de la subvention de US$7,500, une fois que le terrain était acheté et l’infrastructure réalisée. Mener deux studios de projet en parallèle était un véritable privilège : à l’UC, le studio se développait «in situ», au coeur du problème, avec l’avantage de connaître parfaitement la situation et le contexte ; à Harvard, il se développait «hors-site» avec l’objectif de ne pas se laisser submerger par de multiples informations inutiles, synthétiser et aller à l’essentiel, pour définir clairement la problématique.

Jorge Silvetti, membre du conseil d’administration du David Rockefeller Center for Latin American Studies (DRCLAS), permit à Aravena d’entrer en contact avec Steve Reifenberg, le directeur exécutif, pour trouver les fonds nécessaires à l’avancement des recherches au sein du studio d’Harvardet pour réaliser des voyages d’étude au Chili. Après plusieurs mois, une hypothèse émergeait de tout ce travail de recherche : au lieu de considérer un logement social comme une petite maison de 30 à 40 m², pourquoi ne pas le voir comme la moitié d’une grande maison ? Aravena, Iacobelli et leurs étudiants étaient arrivés au dessin d’une typologie architecturale qu’ils avaient appelée «Parallele Building», plus connue aujourd’hui sous l’idée de «demi-maison». En s’appuyant sur les capacités des habitants à auto-construire certaines parties de leur habitation, cette typologie et le processus associé devaient permettre la création de logements d’environ 80 m² au maximum et l’accès pour certaines familles défavorisées à un niveau de vie proche de celui de la classe moyenne. Permettre et prévoir les futures extensions réalisées par les habitants eux-mêmes devait préserver la qualité de l’espace urbain et non le détériorer. Faire d’un logement social un investissement pour une famille qui pourrait gagner de la valeur avec le temps est la condition sine qua non pour lutter contre la pauvreté au Chili selon Aravena.

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Table des matières

Introduction
Méthodologie
I. LA PARTCIPATION D’ELEMENTAL A L’EMERGENCE DE NOUVELLES CONVICTIONS ARCHITECTURALES AU CHILI
Chapitre 1 : Le repositionnement du rôle de l’architecte en Amérique Latine face aux nouveaux enjeux métropolitains
1.1. Des villes américaines fracturées
1.2. Les enjeux métropolitains chiliens depuis la fin de la dictature
1.1. Le renouveau de l’architecture chilienne aux lendemains de la dictature de Pinochet
Chapitre 2 : Une architecture élémentaire et irréductible face au manque de moyens
2.1. Les origines de la formation du Studio Elemental
2.2. Une approche heuristique pour trouver une solution contre-intuitive
2.2. La pluralité des missions du Studio Elemental
Chapitre 3 : La constitution de forts partenariats : causes et conséquences
3.1. La structuration progressive de l’agence
3.2. Intégrer les réseaux nationaux et internationaux et accéder à la notoriété
II. LA CONSTRUCTION D’UN NOUVEAU MODELE DE LOGEMENTS SOCIAUX EN ADEQUATION AVEC L’IDEOLOGIE NEOLIBERALE CHILIENNE
Chapitre 4 : De l’analyse des politiques chiliennes du logement à la recherche d’un modèle alternatif
4.1. Les problématiques actuelles du logement social au Chili
4.3. Les origines de la mise en place d’une politique du logement néolibérale au Chili
4.3. L’évolution de la politique du logement aux lendemains de la dictature et les formes spatiales résultantes
4.4. De la nouvelle politique du logement en 2000 au Parallele Building développé à la Faculté d’harvard
Chapitre 5 : Le projet Quinta Monroy – Vers la création d’un modèle et d’un processus alternatif
5.1. De l’étude du site au projet architectural
5.2. La réorganisation du rôle des différents acteurs
5.3. La question de la reproductibilité et de l’image du modèle alternatif
III. STRUCTURES OUVERTES ET IDEOLOGIE NEOLIBERALE
Chapitre 6 : Du structuralisme européen aux projets de logements incrémentés dans les pays du Sud
6.1. «Structures fermées» / «Structures ouvertes» : naissance du structuralisme européen dans les années 1960
6.2. Néolibéralisme et projets de logements incrémentés dans les pays du Sud
Chapitre 7 : «Un néolibéralisme à visage humain» – Du Pritzker Prize aux critiques
Conclusion
Bibliographie
Webographie

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