Une approche NGS : le cas des crabes de la famille Bythograeidae

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Diversité des Polynoidae

Les Polynoidae sont une famille appartenant au sous-ordre des vers à élytres : les Aphroditiformia. Les limites et les relations entre familles de ce sous-ordre ne sont pas encore robustement définies et les changements récents de la classification sont importants. Les Aphroditiformia comptent environ 1 200 espèces réparties dans plus de 200 genres (Norlinder et al., 2012) et sont actuellement généralement divisés en 6 familles (Gonzalez et al., 2017a) : Acoetidae, Aphroditidae, Eulepethidae, Pholoidae, Polynoidae et Sigalionidae. La famille des vers Polynoidae ne possède pas de caractère synapomorphique clair et le placement d’une espèce dans cette famille n’est souvent basé que sur l’absence de certains caractères, caractéristiques des autres familles.
La famille de vers Polynoidae est la plus diversifiée au sein des Aphroditiformes : d’après WoRMS (Read et Fauchald, 2017), elle comporte environ 900 espèces réparties en 177 genres. Ils sont retrouvés dans tous les environnements marins : de la zone intertidale aux grandes profondeurs, depuis les eaux froides de l’Arctique ou de l’Antarctique jusque dans les zones tropicales (Guggolz et al., 2018), dans les environnements profonds et oligotrophes ou dans les milieux enrichis en matière organique comme les sources hydrothermales, les suintements froids, les bois coulés (Amon, 2013 ; Chevaldonné et al., 1998). La morphologie des animaux est très variable au sein de la famille (cf. figure II.2) : d’une quinzaine de segments à plus d’une centaine, pour des tailles allant de quelques millimètres à trente centimètres de long (Eulagisca gigantea). La plupart des espèces connues sont benthiques au moins à l’état adulte. Cependant, certaines espèces sont holopélagiques (vivent dans la colonne d’eau durant toute leur vie), comme les espèces de la sous-famille Admetellinae, ou encore les espèces des genres Natopolynoe, Drieschia et Podarmus ou l’espèce Bylgides sarsi (Jumars et al., 2015 ; Sarvala, 1971). Certaines espèces de Polynoidae vivent cachées sous des pierres, dans des anfractuosités ou des tubes, tandis que d’autres espèces peuvent rester enfouies dans le sédiment (Jumars et al., 2015). De nombreuses espèces vivent en symbiose obligatoire ou facultative (Martin et Britayev, 1998 ; Shields et al., 2013 ; Britayev et al., 2014 ; Serpetti et al., 2017). Par exemple, les espèces placées dans la sous-famille hydrothermale Branchipolynoinae vivent de manière commensale avec des espèces de moules Bathymodiolinae (Pettibone, 1984, 1986 ; Miura, 1991).

Etat des connaissances de la phylogénie des Polynoidae

Assez peu d’études se sont intéressées aux relations phylogénétiques au sein des Aphroditiformia en général et des Polynoidae en particulier. Uschakov (1977) propose une première étude des relations phylogénétiques chez les Polynoidae, basée sur des observations morphologiques (figure II.3). Il tente de différencier l’état ancestral de l’état dérivé de caractères tels que la forme des élytres ou le nombre de segments au sein des Polynoidae (cinq sous-familles reconnues à ce moment). Les relations entre les genres et les sous-familles restent très floues, les caractères importants principalement utilisés pour définir les sous-familles sont le nombre et la position des antennes.
Muir (1982) propose ensuite une étude multivariée sur une sélection d’espèces appartenant à divers genres de Polynoidae, basée sur des caractères tels que la taille du spécimen, le nombre de segments, des caractéristiques des neuro- et notosoies, des cirres dorsaux et ventraux, ainsi que des ornementations des palpes, des antennes et des élytres. Cette étude englobe principalement les Polynoidae et dans une moindre mesure les Aphroditiformia, mais ne propose pas de reconstruction phylogénétique. Avec ce travail, il suggère que la famille des Polyodontidae (aujourd’hui acceptée comme la famille des Acoetidae (Pettibone, 1989) n’est pas valide car sa définition est basée sur un unique caractère synapomorphique : la présence de glandes spinnigères dans les parapodes.
Après ces études initiales basées sur des caractères morphologiques, des auteurs ont commencé à utiliser des séquences d’ADN pour produire des phylogénies au niveau des Aphroditiformia. De ces analyses ressortent certaines observations intéressantes pour les Polynoidae. Avec des données moléculaires (marqueurs mtCOI et 18S) et morphologiques sur 14 espèces d’Aphroditiformia (5 familles), Wiklund et al. (2005) proposent une première phylogénie. Cette première étude confirme la monophylie des Polynoidae, mais comme elle ne comprend que cinq espèces de Polynoidae (appartenant à deux sous-familles) elle ne permet pas d’éclaircir les relations au sein de la famille. Dans une étude similaire, Norlinder et al. (2012) combinent des caractères moléculaires (18S, 28S, mtCOI, mt16S) et morphologiques, avec un échantillonnage permettant de mieux définir les limites de certaines familles et sous-familles (48 espèces d’Aphroditiformia, dont 30 Polynoidae représentant 7 sous-familles ; Norlinder et al., (2012), voir figure II.4). Dans leur étude, comme présenté en figure II.4, les relations récentes (c’est à dire entre espèces d’un même genre ou d’une même sous-famille) sont généralement soutenues, ce qui n’est pas le cas pour la plupart des relations entre les sous-familles échantillonnées. Cependant, les marqueurs qu’ils utilisent leur permettent de résoudre des relations plus profondes, comme par exemple entre les familles. Leur échantillonnage leur permet de proposer la synonymie des sous-familles Harmothoinae (4 représentants), Acholoinae (1 représentant correspondant à l’espèce type et le genre type de la sous-famille) et Polynoinae (12 représentants) de manière soutenue. Toutefois, une espèce de Polynoinae (Paralepidonotus ampulliferus) ne se positionne pas avec les autres. Leur échantillonnage des Lepidonotinae (six espèces) permet également de dire que cette sous-famille est monophylétique. Par ailleurs, le faible échantillonnage au sein des Polynoidae ne leur permet pas de tester la monophylie des autres sous-familles (12 sous-familles manquantes dans leur échantillonnage). Cette étude inclut deux espèces hydrothermales (Branchinotogluma sandersi et Branchipolynoe symmytilida) qui appartiennent à des sous-familles différentes, et une espèce collectée sur une carcasse de baleine (Bathykurila guaymasensis). Comme ces données ne comprennent qu’une seule espèce par sous-famille (respectivement sous-familles Branchinotogluminae, Branchipolynoinae et Macellicephalinae), il leur est impossible de tester la monophylie de ces dernières. Ces trois espèces forment un clade* soutenu dans leur analyse et constitue le seul clade qui reconstruit des relations entre sous-familles de manière soutenue. Norlinder et al. (2012) montrent que les deux espèces d’Iphioninae incluses dans l’étude (Iphione sp. et Thermiphione sp.) forment un groupe monophylétique, frère du regroupement Polynoidae et Acoetidae. Les auteurs suggèrent en conséquence l’érection de la famille des Iphionidae. Cette suggestion est rapidement acceptée par la communauté des taxonomistes spécialistes des Aphroditiformia, étant donné que les espèces de cette lignée partagent des états de caractères morphologiques qui les distinguent clairement des autres Polynoidae, notamment l’absence d’une antenne médiane ou la présence de structures polygonales sur les élytres. Cependant, la famille des Acoetidae n’est représentée dans cette étude que par une seule espèce, Panthalis oerstedi, avec un soutien faible pour le nœud groupant les Acoetidae et les Polynoidae non Iphioninae (0,53 de probabilité bayésienne postérieure et 51% de valeur de bootstrap). L’inclusion d’un plus grand nombre d’espèces attribuées à la famille des Acoetidae pourrait remettre en cause sa monophylie et donc la validité du statut de famille pour les Iphionidae.
Gonzalez et al. (2017a) étendent l’échantillonnage de cette étude et proposent une phylogénie en se basant sur les mêmes marqueurs moléculaires (18S, 28S, mtCOI, mt16S) et sur la morphologie. Enfin, Zhang et al. (2018) proposent encore une extension de la phylogénie (figure II.5) de Gonzalez et al., (2017a), en incluant 15 nouvelles espèces, dont deux Branchipolynoe (Branchipolynoinae), une Branchinotogluma (Branchinotogluminae), une Levensteiniella (Macellicephalinae), et un Lepidonotopodium (Lepidonotopodinae, une sous-famille qui n’avait pas encore été représentée dans les précédentes études). Cette dernière étude a utilisé une approche
« shot-gun » de séquençage massif pour reconstruire le génome mitochondrial et les ARN ribosomaux 18S et 28S de ces 15 espèces. Les soutiens des nœuds sont hétérogènes le long de l’arbre. Par exemple, dans les sous-familles Lepidonotinae et Polynoinae qui sont les sous-familles avec le plus de représentants, certaines relations les plus récentes sont soutenues (e.g. Bylgides elegans et B. sarsi ; Acholoe astericola et Polyeunoa scolopendrina; Halosydna sp. et H. brevisetosa), alors que des relations de profondeur similaires ne sont pas résolues (e.g. : Harmothoe cf. imbricata et Eunoe nodosa ; Malmgreniella mcintoshi et Neopolynoe paradoxa, figure II.5). Dans ces mêmes sous-familles, les relations de profondeur moyenne (entre genres) ne sont globalement pas résolues. Par contre, les marqueurs utilisés dans cette étude permettent de résoudre les relations à l’échelle des sous-familles. En effet, le nœud rassemblant les espèces de Polynoinae est soutenu (96% en bootstrap et soutien maximal en bayésien) et le nœud des Lepidonotopodinae à l’exception de Hermenia verruculosa est soutenu (91% en ML et soutien maximal en bayésien). Par ailleurs, les relations entre espèces dans les Macellicephalinae et dans les Iphioninae (deux sous-familles qui ont au moins quatre représentants) sont toutes entièrement résolues (figure II.5). Cette étude (Zhang et al., 2018) et celles de Gonzalez et al. (2017a) confirment les conclusions de Norlinder et al. (2012) 39 pour les Iphioninae/Iphionidae. Bien que le clade contenant les Acoetidae et Iphioninae/Iphionidae soit soutenu (hormis en ML pour Gonzalez et al., 2017a), ce résultat est une fois encore basé sur un jeu de données n’incluant qu’une seule espèce d’Acoetidae (P. oerstedi). Certaines relations importantes pour notre étude se dégagent tout de même de l’arbre de Zhang et al., 2018. Tout d’abord, les Iphioninae/Iphionidae utilisés comprennent une espèce hydrothermale (Thermiphione sp.) et trois espèces non hydrothermales (toutes du genre Iphione). Ces quatre espèces forment un groupe monophylétique bien distinct des autres Polynoidae. Cette lignée est clairement différente de celle comprenant les huit autres espèces hydrothermales présentes dans l’étude de Zhang et al. (2018) (figure II.5). Dans la seconde lignée hydrothermale, l’ensemble des relations sont soutenues à la fois dans les analyses en maximum de vraisemblance et en bayésien. Les trois des quatre espèces de Branchipolynoinae décrites forment un clade soutenu, confirmant la monophylie de cette sous-famille. A l’inverse, les deux espèces de Branchinotogluma se positionnent de manière paraphylétique* à la base des Branchipolynoinae, suggérant que la sous-famille Branchinotogluminae n’est pas monophylétique. Enfin, les deux espèces hydrothermales placées parmi les Macellicephalinae ne groupent pas avec les Macellicephalinae non hydrothermaux, mais forment un groupe monophylétique avec Lepidonotopodium okinawae, ce qui suggère également que la sous-famille Macellicephalinae ne forme pas un ensemble naturel (c’est-à-dire un groupe monophylétique). Les résultats de cette étude suggèrent donc au moins deux événements indépendants de colonisation du milieu hydrothermal pour les espèces utilisées.
Cependant, ces deux études plus récentes (Gonzalez et al., 2017a ; Zhang et al., 2018) qui traitent de la phylogénie des Aphroditiformia, ne permettent pas de résoudre les questions importantes à l’échelle des Polynoidae. En effet, l’échantillonnage ne comporte qu’une seule espèce pour certaines sous-familles ce qui ne permet pas de tester leur validité. De plus, l’échantillonnage de ces études ne couvre pas non plus l’ensemble des sous-familles hydrothermales. Aucune étude phylogénétique plus particulièrement focalisée sur une famille parmi les Aphroditiformia n’a à ce jour été proposée. Cela ne permet donc pas de savoir si les marqueurs classiquement utilisés dans les phylogénies d’Aphroditiformes permettent, dans le cas d’un échantillonnage taxonomique ciblé et représentatif de la famille de résoudre les relations phylogénétiques à ce niveau.

But de l’étude

Le but de notre étude est de comprendre l’origine et l’évolution des espèces (et donc par extension des sous-familles) hydrothermales. Ceci nous amène à nous demander (i) si ces sous-familles (établies sur des critères morphologiques) sont bien des groupes naturels ou au contraire ne sont que des regroupements basés sur des convergences morphologiques et écologiques et (ii) si ces sous-familles forment un seul groupe monophylétique (indiquant un événement de colonisation unique du milieu hydrothermal) ou bien si plusieurs lignées évolutives ont colonisé ce milieu de manière indépendante. Afin de tester la monophylie des sous-familles à ce jour connues dans le milieu hydrothermal, l’échantillonnage taxonomique a grandement été élargi par rapport aux phylogénies moléculaires précédentes. Notre étude inclut les sous-familles hydrothermales Branchinotogluminae, Branchipolynoinae, Branchiplicatinae et Lepidonotopodinae (il ne manque que la sous-famille monospécifique Vampiropolynoinae) et les espèces hydrothermales des sous-familles Iphioninae et Macellicephalinae. Afin de comprendre l’origine des colonisations du milieu hydrothermal et de savoir combien de fois un tel évènement s’est produit, l’échantillonnage taxonomique a également été élargi parmi les milieux non hydrothermaux, en incluant une grande proportion d’espèces placées dans les autres sous-familles selon des critères morphologiques. Dans ce chapitre la méthode mise en œuvre est l’approche multi-marqueurs (une combinaison de trois marqueurs nucléaires et deux marqueurs mitochondriaux) obtenus par amplification par PCR suivie d’un séquençage Sanger. Cette approche permet de tirer profit des études précédentes, tout en produisant de nouvelles données pour des espèces complémentaires pour le même jeu de marqueurs. De plus, bien que les couvertures d’échantillonnage des précédentes études soient assez faibles, ces marqueurs permettent a priori de résoudre les relations
à différentes profondeurs : certaines relations récentes (dans une sous-famille de Polynoidae) et certaines relations plus profondes (entre sous-familles de Polynoidae et entre familles d’Aphroditiformes). L’extension de l’échantillonnage taxonomique se fonde sur l’échantillonnage de milieux moins accessibles et donc méconnus. Cet échantillonnage inclut donc potentiellement des espèces nouvelles dont l’identification taxonomique peut s’avérer difficile, même aux rangs supra-spécifiques. L’identification morphologique des spécimens est donc complétée par une identification moléculaire afin de sélectionner un échantillonnage qui couvre le mieux possible à la fois la hiérarchie de la classification acceptée et la diversité des milieux où les Polynoidae sont présents.

Matériel et méthodes

Sélection des taxons pour l’étude

Critères géographique et environnemental : diversité des milieux échantillonnés

La majorité des spécimens utilisés dans cette étude provient de campagnes océanographiques qui couvrent des zones géographiques et des environnements variés (tableau II.2). Parmi elles : 16 campagnes ont été menées sur des environnements profonds chimiosynthétiques (suintements froids ou sources hydrothermales) ; 7 autres campagnes ont été menées à des profondeurs bathyales voire abyssales (au-delà de 2000 m de profondeur). Parmi celles-ci, plus de la moitié sont issues du programme Tropical Deep-Sea Benthos (TDSB), mené par le MNHN (Muséum National d’Histoire Naturelle) et l’IRD (Institut pour la Recherche et le Développement), et se déroulent principalement dans des habitats bathyaux variés de la zone tropicale Indo-Pacifique (Samadi et al., 2010 ; Pante et al., 2012). Ces campagnes ont pour but d’échantillonner la faune de milieux divers, difficiles d’accès et peu explorés pour en documenter la biodiversité. L’échantillonnage des milieux profonds a été complété par des espèces provenant d’environnements moins profonds (côtier à bathyal supérieur). Des échantillons de trois campagnes menées en Antarctique en milieux côtier à bathyal supérieur (entre 1 m et 300 m de fond) ont été inclus. D’autre part, certaines espèces ont été récoltées sur le littoral tempéré en Europe et aux Etats Unis. Les trois espèces d’Arctonoe (A. fragilis, A. pulchra, et A. vittata) ont été récoltées près de Friday Harbor Marine Lab (Etat de Washington, USA) et nous ont été fournies par Bruno Pernet (Washington State University, USA) qui les a identifiées morphologiquement. Laetmonice hystrix, Acholoe astericola, Alentia gelatinosa, Harmothoe clavigera, Lepidonotus clava, Malmgrenia ljungmanni, Malmgrenia sp., Pettibonesia furcosetosa et Subadyte pellucida ont été récoltées sur les côtes du Finistère (Roscoff ou Brest). Les échantillons des campagnes TDSB et des campagnes Antarctiques KREVET 2013 et ANT-XXIX-3 et REVOLTA ont été récoltés soit par dragage (drague Warén), soit avec un chalut à perche. Les échantillons de la campagne POLARIS 2016 (Terre Adélie), ainsi que certains de Walter’s Shoal ont été récoltés en plongée. L’ensemble des échantillons réunis ont été fixés juste après la récolte dans de l’éthanol à 85%.

Identification et sélection des spécimens récoltés

Stéphane Hourdez a divisé en morpho-espèces les spécimens récoltés lors des campagnes listées dans le tableau II.2 et attribués à la famille des Polynoidae. A l’aide des clefs de détermination morphologique disponibles, il a ensuite identifié ces morpho-espèces au plus bas rang taxonomique possible. Toutes les morpho-espèces présentes sur des sites hydrothermaux sont incluses dans l’analyse phylogénétique. Pour les autres environnements, la sélection des spécimens visait à obtenir les plus grandes couvertures taxonomique et écologique possibles. L’objectif a donc été d’inclure le plus grand nombre de sous-familles et de genres, tout en évitant de biaiser la représentation des genres les plus diversifiés (ou les mieux échantillonnés). La sélection a donc été faite en limitant la redondance pour les morpho-espèces les plus représentées. Dans le cas de la sous-famille des Polynoinae, la diversité spécifique est particulièrement importante et les phylogénies publiées à ce jour (Gonzalez et al., 2017a ; Zhang et al., 2018) suggèrent de la polyphylie* parmi les genres. Pour les espèces de Polynoinae profondes, une attention particulière a été portée afin d’identifier plus précisément leur habitat et notamment les associations avec d’autres organismes (gorgone, éponges, etc….) ou le substrat (notamment bois coulés). Pour l’ensemble des morpho-espèces ainsi sélectionnées, jusqu’à trois spécimens ont été utilisés pour en extraire l’ADN afin de confirmer par un critère génétique la délimitation morphologique initiale.

Obtention et sélection des séquences moléculaire

Extraction de l’ADN et amplification des marqueurs

Les extractions des ADN totaux ont été effectuées en utilisant le protocole CTAB (CetylTrimethylAmmonium Bromide) avec un ajout de PVPP (PolyVinylPolyPyrrolidone) (Doyle et Dolye, 1987). Le CTAB est un détergent qui facilite la séparation des polysaccharides qui peuvent être retrouvés dans le mucus des annélides. L’ajout de PVPP permet d’éliminer les polyphénols, potentiellement inhibiteurs de PCR (Koonjul et al., 1999).
Les amplifications PCR ont été effectuées dans un volume final de 25 µL et contiennent une concentration finale de tampon de réaction de 1X, 2 mM de MgCl2, 0,2 µM d’amorces, 0,05 mM de dNTPs et 0,5 unités de polymérase d’ADN (UptiTherm, Interchim). Les cycles d’amplification consistent en une étape de dénaturation initiale de 3 minutes à 94°C, suivie par 35 cycles de dénaturation à 94 °C, hybridation et extension à 72°C puis terminent avec 5 minutes d’élongation finale à 72°C. Les températures d’hybridation et les cycles d’amplification pour les différents fragments amplifiéscsont indiqués dans le tableau II.3. L’amplification du marqueur COI n’étant pas toujours facile, un deuxième profile de cycle de PCR a été utilisé, qui comprend cinq cycles préliminaires avec une température d’hybridation des amorces plus basse (47°C).
Après amplification, les produits ont été visualisés sur un gel agarose à 1,5% par fluorescence sous éclairage UV. Le séquençage dans les deux directions des produits positifs par la méthode Sanger a été fait par la compagnie EUROFINS. Les données de séquençage ont été visualisées et les séquences des amorces ont été éliminées manuellement avec le logiciel Codon-Code Aligner v.7.0.1.
Plusieurs séquences de Polynoidae (sous-famille des Macellicephalinae et Polaruschakovinae) proviennent d’articles en cours de publication ont été obtenues par le biais d’une collaboration avec Paulo Bonifacio et Lenaïck Menot (Laboratoire Environnement Profond, Ifremer Brest), qui étudient la biodiversité des Polynoidae associés aux nodules polymétalliques dans le Pacifique Oriental.

Gènes sélectionnés

Les marqueurs COI et 16S permettent de résoudre les relations récentes (entre espèces d’un même genre ou entre des genres proches). Pour inférer les relations phylogénétiques plus profondes, il est généralement nécessaire d’utiliser plus de marqueurs afin d’améliorer le signal phylogénétique et de cibler des marqueurs plus conservés pour éviter la saturation du signal. De plus, concaténer plusieurs marqueurs indépendants, provenant à la fois des génomes mitochondriaux et nucléaires (ou éloignés dans le génome nucléaire) permet de plus fidèlement reconstruire la phylogénie des espèces et non seulement la phylogénie des gènes. Les marqueurs moléculaires choisis pour replacer les espèces hydrothermales de Polynoidae par rapport aux autres membres de la famille correspondent aux fragments pour lesquels des amorces universelles (qui peuvent s’hybrider sur un grand nombre de taxons) sont disponibles. De plus, nous avons ciblé les marqueurs déjà utilisés dans les études antérieures pour pouvoir bénéficier des données déjà acquises et disponibles sur les bases de données. En plus des fragments des gènes mitochondriaux COI et 16S, nous avons donc utilisé deux marqueurs nucléaires : un fragment du gène codant pour la sous-unité ribosomale 18S et deux fragments du gène codant pour la sous-unité ribosomale 28S (28SD1 et 28SD9-10).

Séquences provenant des bases de données et réduction du jeu de données

Afin de couvrir la plus grande diversité taxonomique possible, parmi les séquences de Polynoidae disponibles sur NCBI en août 2017, celles correspondant à des spécimens pour lesquels au moins deux des marqueurs sélectionnés étaient disponibles ont été téléchargées. Pour vérifier cette condition nous avons en priorité sélectionné des spécimens ayant un numéro de voucher*, qui peuvent donc être considérés comme des hologénophores (tous les gènes séquencés proviennent du même spécimen ; Pleijel et al., 2008), ou à défaut des spécimens identifiés par un numéro d’isolat.
Pour l’ensemble des spécimens sélectionnés dans l’échantillonnage des campagnes océanographiques, l’ensemble des gènes a été amplifié. Dans un premier temps, toutes les séquences acquises (téléchargées et produites) ont été vérifiées gène à gène afin de détecter les éventuelles contaminations. Pour ce faire, les alignements ont été effectués en utilisant l’algorithme MUSCLE (Edgar, 2004) avant d’être ajustés à la main, en particulier pour les jeux de données avec d’importantes insertions/délétions comme les gènes d’ARN ribosomaux (16S, 18S, 28S). Puis, chaque gène a été analysé en construisant des arbres rapides grâce au logiciel MEGA v.5.05 (Tamura et al., 2011) par la méthode de Neighbor-Joining sur des distances Kimura-2-paramètres (K2P). Lorsque des séquences sont identiques pour un marqueur alors qu’elles proviennent de spécimens attribués morphologiquement à des taxons distincts et pour lesquels des séquences différentes ont bien été obtenues pour les autres marqueurs, ces séquences sont considérées comme contaminées. Dans ce cas, les séquences pour ce marqueur ont été supprimées du jeu de données et/ou re-séquencées lorsque cela était possible.
Dans un second temps, comme il n’est pas nécessaire de conserver plusieurs spécimens appartenant à la même espèce pour reconstruire la phylogénie des Polynoidae, un seul spécimen par espèce, ou morpho-espèce, a été sélectionné parmi l’ensemble des données réunies (téléchargées et séquencées). Depuis 2003, le séquençage d’une partie du marqueur COI (ou COX1) comme «code barre» du vivant (Hebert et al., 2003) s’est beaucoup développé (Ravara et al., 2017). La séquence proposée comme « code barre » du vivant correspond aux 658 paires de bases (pb) situées à l’extrémité 5’ du gène codant pour la Cytochrome Oxydase I (COI), amplifiée par le couple d’amorces issu de Folmer et al. (1994). Les spécimens ayant à la fois moins de 3% de divergence nucléotidique pour le marqueur COI (taxonomie moléculaire) et une identification morphologique identique sont considérés comme des spécimens de la même espèce. Pour certaines espèces, les séquences de COI sont particulièrement difficiles à amplifier et le jeu de données du gène 16S est le plus complet. De plus, bien que ce gène évolue moins rapidement que le COI (Chevaldonné et al., 1998), il fournit un signal permettant de résoudre les relations phylogénétiques récentes (entre les espèces d’un même genre). Il a donc également été utilisé pour identifier moléculairement les spécimens appartenant à une même espèce. Les spécimens ayant à la fois moins de 1% de divergence nucléotidique pour le marqueur 16S et une identification morphologique identique sont considérés comme des spécimens de la même espèce. Les spécimens ayant ces deux marqueurs doivent avoir des distances inférieures aux seuils à la fois en COI et en 16S pour être considérés de la même espèce. Dans ce cas, le spécimen pour lequel le plus grand nombre de marqueurs séquencés a pu être obtenu a été conservé dans la matrice finale. Les séquences associées à des vouchers ont été, autant que possible, retenues.

Analyses phylogénétiques

Echantillonnage taxonomique final et concaténation des marqueurs phylogénétiques :

Chaque gène a ensuite de nouveau été analysé en construisant des arbres rapides (NJ sur des distances K2P) afin de vérifier la congruence des topologies construites entre les différents marqueurs. En cas d’absence d’incongruence soutenue entre les marqueurs, l’analyse phylogénétique se fait en concaténant les alignements de tous les marqueurs phylogénétiques, afin d’obtenir une super-matrice. Pour l’analyse concaténée, nous avons gardé uniquement les spécimens vérifiant une des conditions suivantes :
– Au moins trois marqueurs ont été séquencés
– Si seulement deux marqueurs étaient disponibles, au moins un des deux était le COI ou le 16S qui ont servi à l’identification moléculaire

Reconstructions phylogénétiques

Les analyses phylogénétiques des séquences nucléiques ont été effectuées à la fois en utilisant les méthodes du Maximum de vraisemblance (ML) à l’aide du logiciel RAxML version 8.2.9 (Stamatakis et al., 2014) et de l’Inférence Bayésienne (IB) avec MrBayes v3.2.6 (Ronquist et al., 2012). Le modèle d’évolution GTR + Γ + I a été utilisé pour chaque partition et pour chaque position de codon (pour le COI) dans les deux analyses. Le modèle GTR (Generalised Time-Reversible) (Tavaré, 1986) est le modèle de substitution le plus neutre. Il implique que la fréquence de chacune des quatre bases A, T, C et G soit indépendante des autres et que les taux de substitution entre chaque paire de nucléotides soient différents. Ce modèle nécessite donc quatre paramètres de fréquences des bases et six taux de substitutions différents. Ce modèle est combiné à une distribution des taux de mutation des sites qui suit une loi gamma (Γ) (fixée à quatre catégories) et une proportion de sites invariables (I). Pour l’analyse ML, la robustesse des nœuds est estimée par la méthode du bootstrap avec 1 000 itérations. L’arbre est visualisé à l’aide du logiciel FigTree v1.4.3 (Rambaut et Drummond, 2012). L’analyse bayésienne a été effectuée sur le portail en ligne CIPRES (Miller et al., 2010).
L’exploration de l’espace bayésien a été effectué avec deux ensembles de chaînes de Markov Monte Carlo (MCMC) à partir de points de départ différents, sur 15 106 générations, avec une fréquence d’échantillonnage des arbres tous les 1 000 pas. La stabilité de chaque paramètre a été contrôlée à l’aide du logiciel Tracer 1.6 (Rambaut et Drummond, 2007), en vérifiant les valeurs d’« Estimate Sample Size » (ESS). L’ESS estime la quantité d’échantillons indépendants qui ont la valeur indiquée pour ce paramètre. Nous considérons la stabilité du paramètre quand ESS est supérieur à 200. La convergence des analyses a été vérifiée avec les valeurs de PSRF (Potential Scale Reduction Factor, proches de 1 si les analyses ont convergé). L’arbre consensus a été reconstruit en éliminant les premières 25% de générations échantillonnées comme un ‘burn-in’, et est là aussi visualisé à l’aide du logiciel FigTree v.1.4.3. Nous retiendrons comme significativement soutenus les nœuds présentant des valeurs d’au moins 80% de bootstrap et 0,95 de probabilité postérieure (pp).

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Table des matières

. Introduction générale de la thèse
I.1 Contexte général :
I.1.1 Une histoire de reconsidérations taxonomiques : les vers de la famille Siboglinidae
I.1.2 Etude de la colonisation des sources hydrothermales : les moules de la sous-famille Bathymodiolinae
I.2 Stratégies d’étude de la thèse
II. La phylogénie par une approche multigène : le cas des vers de la famille Polynoidae
II.1 Introduction
II.1.1 Les Polynoidae dans la faune des sources hydrothermales
II.1.2 Diversité des Polynoidae
II.1.3 Etat des connaissances de la phylogénie des Polynoidae
II.1.4 But de l’étude
II.2 Matériel et méthodes
II.2.1 Sélection des taxons pour l’étude
II.2.2 Obtention et sélection des séquences moléculaire
II.2.3 Analyses phylogénétiques
II.3 Résultats – Discussion
II.3.1 Echantillonnage final
II.3.2 Analyses phylogénétiques
II.4 Conclusions et perspectives
III. Une approche NGS : le cas des crabes de la famille Bythograeidae
III.1 Introduction
III.2 Matériel et méthodes
III.2.1 Echantillons biologiques et extraction d’ADN
III.2.2 Séquençage du génome mitochondrial en PCR longues
III.2.3 Préparation des banques pour le séquençage shotgun
III.2.4 Cartographie des reads obtenus en shotgun
III.2.5 Analyses phylogénétiques
III.3 Résultats – Discussion
III.4 Conclusion et perspectives
IV. Une approche NGS : le cas des crevettes de la famille Alvinocarididae
IV.1 Introduction
IV.1.1 Systématique des Alvinocarididae
IV.1.2 Position des Alvinocarididae au sein des Caridea
IV.1.3 Objectif de notre étude
IV.2 Matériel et méthodes
IV.2.1 Echantillonnage
IV.2.2 Méthodes
IV.2.3 Recherche et sélection de marqueurs phylogénétiques
IV.2.4 Orthologie des marqueurs sélectionnés
IV.2.5 Analyses phylogénétiques
IV.3 Résultats – Discussion
IV.3.1 Echantillonnage
IV.3.2 Assemblages des transcriptomes
IV.3.3 Recherche et caractéristiques des 425 marqueurs recherchés
IV.3.4 Evaluation de l’intérêt des marqueurs sélectionnés pour des études phylogénétiques
IV.3.5 Analyses phylogénétiques
IV.4 Conclusions et perspectives
V. Conclusions et perspectives générales de la thèse
VI. Bibliographie
VII. Annexes

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