Une approche multimodale de la phonologie 

MÉCANISMES D’ACQUISITION DE LA PHONOLOGIE 

La notion de crible phonologique

Au début des années 70, les travaux d’Eimas, Siqueland, Jusczyk et Vigorito sont les premiers à proposer un protocole rigoureux pour observer les compétences linguistiques du nourrisson. Eimas et al. (1971) prouvent que l’enfant âgé de 1 à 3 mois est déjà capable de discriminer deux syllabes proches du type /ta/-/pa/, et de nombreuses réitérations de l’expérience confirmeront par la suite que l’enfant ne naît pas « ”tabula rasa” attendant l’empreinte d’un environnement qui le doterait progressivement de capacités de plus en plus complexes » mais que des prémices du langage ou du calcul sont déjà présents bien plus tôt que ce à quoi on s’attendait jadis (DehaeneLambertz et Van Ooijen 2002, p. 393). Il sera démontré que l’apprentissage de la langue débute bien avant la production des premiers mots, et que l’enfant s’habitue à la prosodie de la langue parlée par sa mère, in utero, dès le dernier trimestre de la grossesse, lui permettant dès la naissance de discriminer des phrases anglaises et japonaises (Nazzi, Bertoncini et Mehler 1998). Il ne s’agit là que d’une distinction imprécise, et d’autres paramètres interviendront par la suite, permettant de distinguer des langues plus proches. Dès les premiers mois, le nourrisson distingue quasiment tous les contrastes consonantiques des langues humaines, puis au contact de sa langue maternelle, son système auditif va subir peu à peu une réorganisation psychoacoustique de l’espace phonétique, réduisant sa capacité à discriminer certains contrastes étrangers inutiles dans sa langue maternelle (Kuhl, Williams, Lacerda, Steven et Lindblom 1992, cités par (Dehaene-Lambertz et Van Ooijen 2002)). À partir d’un an environ, l’enfant japonais ne fait par exemple plus la distinction entre /ra/ et /la/ (inutile en japonais), alors qu’il la faisait encore quelques mois avant. On constate donc que le corps, et plus précisément le système auditif du jeune enfant, va rapidement s’habituer aux sons de la langue maternelle pour créer un schéma type permettant de distinguer plus facilement les phonèmes discriminants dans la langue de l’environnement, et ignorant peu à peu les contrastes non-pertinents dans cette même langue.
Dans la figure 1.1, Kuhl (2004) présente un grand nombre de réalisations de voyelles de l’anglais, variant selon plusieurs paramètres comme le sexe ou l’âge du locuteur. Dans ce nuage de sons tous phonétiquement différents, vont peu à peu se distinguer des catégories pertinentes pour le traitement de la langue anglaise, chaque catégorie représentant un phonème vocalique de l’anglais. Et on constate que pour plusieurs centaines de réalisations différentes, on a seulement 10 phonèmes. Cette catégorisation des voyelles spécifique à la langue maternelle constitue un véritable filtre nous permettant de traiter l’information orale en allégeant la charge cognitive nécessaire à la distinction des sons. Cependant par la suite, lorsque l’enfant entendra une langue étrangère, il aura tendance à traiter les voyelles qu’il perçoit comme desvariantes appartenant aux catégories qu’il a définies pour sa langue maternelle.

MÉCANISMES D’ACQUISITION DE LA PHONOLOGIE 11 (Matter 2006)

Trubetzkoy (1939) décrit le système phonologique d’une langue comme une succession de filtres à travers lesquels passent les sons que l’on entend. Il y en aurait trois selon lui : un premier ayant pour rôle de distinguer les phonèmes, et deux autres pour retenir les éléments suprasegmentaux pertinents pour caractériser l’expression du locuteur. Mais chaque langue requiert ses propres filtres, et on a tendance à utiliser inconsciemment les filtres de notre langue maternelle lorsqu’on entend parler une langue étrangère. Il faut donc se construire de nouveaux filtres pour chaque nouvelle langue apprise.
Archibald (1998, p. 3 cité par Tran 2011, pp. 8-9), donne un exemple dans lequel le verbe « have » [hæv] en anglais est filtré/interprété différemment par les francophones [æv] et par les germanophones [hæf], chacun entendant le mot selon le répertoire phonémique et les règles phonologiques qu’il possède : absence de la glottale /h/ en français ; assourdissement de la consonne sonore finale en allemand. Gerlach (2004, cité par Tran 2011, p. 10) donne aussi l’exemple bien connu de « school » /skul/ qui est souvent prononcé [eskul] par les hispanophones, cela étant dû au fait qu’il n’y a pas de combinaisons polyconsonantiques en début de syllabe à part avec une liquide. Ce filtre n’agit pas seulement sur l’identification du phonème. Otake, Hatano,Cutler et Mehler (1993, cités par Tran 2011) démontrent que les auditeurs français, lorsqu’ils sont exposés à la langue japonaise, utilisent une stratégie syllabique pour décomposer le flux de parole qu’ils entendent ; tandis que les auditeurs japonais utilisent les frontières de mores comme indice de frontière des mots. La segmentation lexicale est donc étroitement liée à la structure rythmique de la langue source.
L’influence de la langue maternelle ne se limite donc pas à la dimension segmentale de la langue. Les Français ont des difficultés à percevoir la différence entre les mots « tópo » (taupe) et « topó » (avoir trouvé) en espagnol. En effet l’accent tonique ne constitue pas un paramètre pertinent dans le système phonologique du français.

L’influence de l’écriture

Il existe un autre obstacle au processus d’acquisition de la phonologie d’une langue étrangère : le code écrit. Pourquoi l’enseignement-apprentissage de la prononciation s’appuie-t-il si souvent sur l’écrit ? La conséquence est que l’apprenant se fait une représentation mentale graphique pour arriver à prononcer tel ou tel énoncé, et cela peut l’induire en erreur, car la graphie n’est pas forcément logique et les graphies des langues qu’il connaît déjà peuvent entrer en conflit avec la graphie de la langue nouvellement apprise (Racine, Detey et Kawaguchi 2012). Moraz (2011) explique que l’écrit est devenu si important dans l’éducation, qu’il est difficile de concevoir un mode d’enseignement oral ; et on peut voir que c’est effectivement le cas par exemple avec les difficultés que rencontre l’enseignement du mandarin par le tout à l’oral. Celui-ci reste inconcevable pour bien des institutions, alors qu’il permettrait à beaucoup d’apprenants de parvenir à un niveau avancé, sans être ralenti voire dégoûté de la langue par l’apprentissage des sinogrammes. En se précipitant sur l’écrit dès le début de l’apprentissage d’une langue étrangère, il y a de forte chance pour que, au bout du temps de formation, ni l’oral ni l’écrit ne soit correctement maîtrisé. Alors quitte à en arriver là, autant mettre l’un de côté pour réussir l’autre. L’apprentissage de l’écrit sera toujours plus efficace avec de solides connaissances à l’oral, et c’est de plus le processus naturel d’acquisition de la langue maternelle.
Toutefois, passer par le code écrit peut nous permettre de mieux mémoriser une information ; et le seul message oral est trop éphémère et fragile pour suffire à l’apprentissage. Lorsqu’un nouveau lexème est abordé en classe, par exemple, les apprenants demandent souvent à l’enseignant de l’écrire au tableau, afin de mieux le comprendre et le retenir. Comme si voir les caractères transcrivant le dit mot était nécessaire pour se l’approprier. C’est certainement la situation à laquelle nous sommes arrivés en privilégiant à ce point l’écrit par rapport à l’oral dans l’enseignement. Nous ne faisons plus confiance qu’à ce que nous voyons. Il est vrai que la mémoire visuelle est souvent plus effective que la mémoire auditive, mais n’est-ce pas le résultat d’une culture éducative basée sur l’écrit ? Le résultat de cette mémorisation de la langue par l’écrit est que nous ne retenons que la graphie du lexème en question, et que nous reconstituons sa prononciation à partir de ces graphèmes. C’est un peu comme si nous ne pouvions retenir une mélodie qu’en apprenant par cœur la partition qui en a été écrite, et que lorsque vient le moment de la partager, nous devons d’abord nous remémorer la partition pour la lire et enfin la chanter. N’est-ce pas étrange de procéder ainsi ? L’art de la musique n’est-il pas justement dans le fait qu’elle sort du cœur et non de la tête ? Je pense qu’il en est de même pour la langue. Lorsqu’un natif parle dans sa langue, pense-t-il à toutes les notes indépendantes qui la composent ? Doit-il se remémorer le texte écrit de ce qu’il veut dire pour pouvoir parler ? La langue semble plutôt résonner comme une mélodie inconsciente à laquelle il est habitué, et dont il ne se sert que pour véhiculer le message qu’il veut transmettre. Apprendre une langue par sa représentation graphique uniquement ne permet pas, d’une manière générale, de retenir la plupart des informations suprasegmentales comme le rythme, l’intensité, l’intonation ou le ton. Peut-être que nous nous concentrons trop sur l’outil, et pas assez sur ses fonctions, et c’est peut-être cette approche dénaturalisée et décontextualisée de la langue qui fait que tant d’apprenants décrochent au cours de leur formation.
Alors si nous sommes tant attachés au code écrit, pourquoi ne pas en utiliser un plus précis pour noter la prononciation ? La transcription phonétique n’est généralement pas d’une grande aide car la plupart des étudiants ne la maîtrisent pas (ni même les enseignants bien souvent), et sa lecture cursive n’est pas évidente. De plus les caractères de l’alphabet phonétique effraient parfois les apprenants par leur forme inhabituelle, et ceux qui sont directement issus de l’alphabet latin peuvent entrer en conflit avec la prononciation des mêmes caractères dans la langue source ou cible, si celle-ci utilise aussi ces caractères.
Pourquoi alors ne pas utiliser un code écrit semblable à l’alphabet phonétique mais aux caractères radicalement différents de ceux utilisés en langues source⒮ et cible pour éviter toutes confusions et interférences ? Cela pourrait être une solution. C’est d’ailleurs le cas du bopomofo, un système de transcription phonétique du mandarin qui a finalement été remplacé par le pinyin latin actuel (excepté à Taïwan où il est toujours utilisé). Le bopomofo est un alphabet avec un caractère unique pour toutes les attaques syllabiques, les médianes et pour les fins (noyau + coda). Les caractères bopomofo sont issus de certains sinogrammes, et ressemblent un peu aux caractères katakana utilisés au Japon (cf. Chapitre iii). Il présente l’avantage de pouvoir transcrire l’ensemble des mots du mandarin (et donc des milliers de sinogrammes qui constituent sont écriture) avec seulement 37 caractères, sans induire en erreur l’apprenant par sa similarité au script latin par exemple, comme c’est le cas pour le pinyin. C’est le système utilisé dans la plupart des dictionnaires d’avant-guerre (avant le pinyin) et les dictionnairestaïwanais.

Comment mesurer et évaluer la prononciation d’un locuteur ?

Il y a deux grandes problématiques qui se présentent lorsque l’on souhaite évaluer la prononciation d’un apprenant. Tout d’abord quelle production évaluer ? Le protocole peut grandement influencer la prononciation du locuteur, selon la situation dans laquelle il se trouve, s’il doit lire, répéter quelque chose ou parler spontanément, s’il connaît ou non le contenu de ce qu’il prononce etc. Et puis se pose la question de quoi évaluer dans sa production. En fonction des paramètres pris en compte dans l’évaluation, les résultats peuvent varier d’une expérience à l’autre. Tout le monde  n’évalue pas la prononciation d’un individu de la même manière, car tout le monde n’a pas la même définition de ce qu’est véritablement « une bonne prononciation ». Je propose d’observer les protocoles mis en place dans quelques études plus ou moins récente, dans l’objectif d’avoir une vue d’ensemble de ce qui s’est fait jusqu’à maintenant.

Provoquer la parole

La lecture de mots ou de phrases Il semblerait que ce soit la méthode la plus couramment utilisées. Elle permet en effet de s’assurer que tous les locuteurs produisent le même contenu, et d’imposer des formes que l’expérimentateur souhaite observer.
On observe souvent l’utilisation de phrases porteuses comme chez Tran (2011), où chaque mot cible est intégré à une phrase type . Cela permet d’éviter la prononciation isolée du mot, et de prédéterminer l’environnement phonétique direct du mot cible afin de ne pas observer de variantes de réalisation en fonction des mots précédant et suivant. Tran (2011) propose trois fois le même mot cible dans la même phrase porteuse, à trois temps différents, pour observer si la réalisation varie d’une occurrence à l’autre, ou s’assurer de la stabilité de la prononciation. Cependant, cette méthode présente le biais suivant : le locuteur oralise un texte écrit, et nous savons que la graphie peut influencer la prononciation des mots. Certains chercheurs utilisent notamment la lecture en parallèle d’un autre stimulus, comme la répétition d’un mot prononcé par un natif, pour pouvoir comparer les résultats.
La répétition C’est le cas notamment de Racine, Detey et Kawaguchi (2012), qui observaient la réalisation des voyelles /y/ et /u/ en français, par des groupes d’apprenants hispanophones et japonophones. Les mots cibles étaient prononcés en répétition puis en lecture, et étaient ensuite présentés à des francophones natifs chargés d’identifier la voyelle prononcée. Les chercheurs constatent alors que les énoncés prononcés en lecture sont globalement moins bien identifiés. Flege, Munro et MacKay (1995) ou encore Flege, Birdsong et al. (2006) mettent en place quant à eux un schémas de type : Question, Réponse (énoncé cible), Question, Silence (pendant lequel le locuteur doit répéter la réponse précédente). Les auteurs disent « espérer que l’insertion d’une question entre la réponse cible et sa répétition empêcherait l’imitation directe par la mémoire sensorielle » . Cette méthode est aussi appelée « delayed repetition technique » (ibid.). L’image Il est aussi possible d’utiliser l’image comme support à la production. Thomas (2015) propose à ses locuteurs de décrire une image de rue bondée avec des anomalies, qui incitent les participants à se focaliser sur des détails communs. Dans cette étude, l’auteur se concentre sur la réalisation des liaisons en français par des étudiants anglophones. Aoyama et al. (2003) quant à eux présentent à leurs locuteurs japonais vivant aux États-Unis, des images représentant chaque mot cible, avec une traduction du mot en japonais pour s’assurer que le locuteur comprend le mot demandé, ainsi qu’un enregistrement audio de celui-ci dans la langue cible. Chaque image apparaît trois fois de manière aléatoire, mais l’audio n’est diffusé qu’à la première apparition (les auteurs précisent que si les participants ne connaissent pas le mot cible, il peuvent écouter à nouveau le mot cible). À la troisième apparition, la prononciation du locuteur est considérée comme « la plus proche de celle du discours spontané ».
Afin de rassembler plus de productions, Thomas (2015) demande aussi à chaque locuteur de faire une description favorable de son université à des fins publicitaire en milieu francophone, ainsi qu’une autobiographie de lui-même exprimée au passé. On peut imaginer un genre de continuum se dessinant entre des méthodes plus contraignantes pour le locuteur, l’obligeant à prononcer certains mots ou certaines phrases dans un cadre bien défini, mais permettant une comparaison des données simplifiées car toutes les productions sont calibrées de la même manière ; et des méthodes guidant beaucoup moins le locuteur, lui permettant de s’exprimer spontanément et librement, mais pour lesquelles le traitement des données est bien plus difficile car les productions sont très différentes d’un locuteur à l’autre. Plus la production du locuteur est libre, plus l’analyse des données semble qualitative.

Une approche multimodale de la phonologie

Comment remédier à ces difficultés d’acquisition de la phonologie française par les apprenants de langue maternelle japonaise ? Il faudrait une approche pédagogique qui donne plus d’importance à l’oral et à l’apprentissage de la phonologie. Une approche simple, proposant des outils peu complexes à prendre en main, éviter le métalangage ou le jargon anatomique qui constitue lui même un apprentissage préliminaire nécessaire et peut freiner l’apprentissage des phonèmes. Il faut une approche qui se concentre sur la substance orale et non sur sa transcription graphique, du moins dans un premier temps, pour ne pas interférer avec l’acquisition des phonèmes. Enfin, il serait bon d’éviter un maximum la répétition enseignant-apprenant⒮, qui permet difficilement aux apprenants de mémoriser les phonèmes à long terme.
Nous avons vu que les principales difficultés des apprenants japonophones étaient la distinction de certains phonèmes comme /r/ et /l/ ; /z/, /j/, /dj/ et /dz/ ; /v/ et /b/ ou encore distinguer la différence d’aperture entre /e-ɛ/ et /o-ɔ/. Au début de leur apprentissage, il est aussi important de leur faire prendre conscience de l’indépendance des phonèmes, qui n’existe pas en japonais, où le découpage phonologique s’arrête à la more. Cette prise de conscience simplifiera ensuite la perception et la production des clusters, ou des groupes consonantiques du français, en évitant l’utilisation de voyelle d’appui entre les consonnes.
L’approche Silent Way, d’abord développée par Caleb Gattegno dans les années 70, propose d’utiliser un tableau dans lequel tous les phonèmes d’une langue donnée sont représentés par des rectangles de couleurs différentes. Au moyen d’un pointeur, l’enseignant peut pointer un son pour en demander la prononciation, cela lui évitant de le prononcer lui-même, et d’influencer l’apprenant à reproduire le son par mimétisme sans réellement se questionner sur ses caractéristiques  phonologiques . S’il prend la peine de se poser les bonnes questions, la mémorisation sera certainement meilleure, car l’apprenant retiendra des paramètres fondamentaux et non une forme générale et approximative du phonème. Quelles sont les grandes lignes de cette approche Silent Way ? Quels sont les caractéristiques des outils qu’il propose, et ceux-ci permettraient-ils de remédier aux difficultés rencontrées par nos apprenants ?

La pédagogie du Silent Way

Le Silent Way, ou la Méthode Silencieuse, est l’œuvre de toute la vie du mathématicien et philosophe Caleb Gattegno. Ce dernier est surtout connu pour son approche innovante de l’apprentissage des mathématiques, des langues étrangères et de la lecture, mais sa pédagogie s’inscrit dans une réelle philosophie et conception du monde qui constitue la base et la charpente de son travail. Gattegno considère que seule la conscience est éducable. Parmi les nombreux sens
qu’il donne à cette conscience, on peut retenir que c’est l’état d’être qui conduit à la réflexion dans l’action (Benstein 1996), c’est à dire être présent à nous-même et à l’action que nous entreprenons pour mieux la comprendre. Ainsi l’apprentissage peut se résumer en une suite de prises de conscience qui, une fois automatisées, deviennent connaissances. Le rôle de l’enseignant n’est donc pas de transmettre le savoir à ses apprenants, mais au contraire les guider et les aider dans leur propre apprentissage.
Autrement dit, l’enseignant se concentre plus sur l’apprenant que sur la langue ; et c’est la tâche de l’apprenant que de se concentrer sur elle.

LA PÉDAGOGIE DU SILENT WAY 

Etre un spectateur qui regarde l’enseignant mettre les mains dans la langue pour la montrer à la classe ; s’il veut efficacement apprendre, c’est à lui de mettre les mains dedans pour la tourner dans tous les sens. C’est de cette façon qu’il va faire naître des questions et des hypothèses qui vont le faire progresser dans son apprentissage.
L’enseignant doit donc observer ses apprenants pour mieux leur présenter la langue et faciliter, voire provoquer des prises de conscience. Une solution à un problème ne représente rien sans le problème qui l’a fait naître. Il en est de même en classe. Si l’enseignant donne une solution (ou une règle) avant même que l’apprenant se soit posé une question, alors cette information risque d’être difficilement retenue et bien maladroitement réutilisée dans un autre contexte.
Gattegno décompose le processus d’apprentissage en quatre étapes. En premier lieu la découverte, une prise de conscience qu’il y a quelque chose d’inconnu à explorer, quelque chose à apprendre. Après quoi a lieu l’exploration elle-même, prendre conscience de ce qui existe pour planifier des tentatives de résolution du problème, procéder à ces tentatives en observant leur résultat, utiliser ses connaissances pour les interpréter, et réitérer l’opération jusqu’à trouver une solution satisfaisante. Une fois la solution trouvée vient l’étape de pratique, qui consiste à répéter de différentes manières la formulation du problème initial et le résoudre afin d’automatiser le processus et le rendre cognitivement plus léger (moins d’attention nécessaire pour le résoudre).
À ce stade, l’apprentissage peut être considéré comme terminé, mais une dernière étape consiste à transférer la connaissance acquise dans un autre contexte, ou l’utiliser comme ressource à la résolution d’un prochain problème (Roslyn et Messum 2011).

Silent Way & phonologie

Roslyn et Messum (2011, p. 88) décrivent le processus d’enseignement / apprentissage d’un nouveau phonème avec l’approche silencieuse. Pour initier l’apprentissage, il faut d’abord que l’apprenant prenne conscience de l’existence d’un nouveau son à apprendre. Cela peut paraître évident, mais sans cette prise de conscience, il ne peut y avoir apprentissage. Vient ensuite la deuxième étape avec l’exploration du son nouveau. L’apprenant va tenter de le prononcer, et en percevant sa production ainsi que le feedback de l’enseignant, il va pouvoir tenter d’ajuster l’articulation de ses organes phonatoires jusqu’à ce que le retour soit positif. S’il est à l’écoute de ces trois feedbacks (son ouïe, son corps et l’enseignant), l’apprenant peut ajuster sa production pour se rapprocher du son cible. Ce faisant, il va développer des critères musculaires et auditifs pour caractériser le son en question, et ce sont ces critères qui vont former la nouvelle connaissance qu’il pourra alors répéter dans différents contextes pour l’automatiser. Plus il pratique, plus il deviendra à l’aise avec ce son et moins il aura besoin de penser aux différents critères phonologiques qui le caractérisent.
L’enseignant n’est donc plus la référence sacrée de la prononciation des phonèmes de la langue étudiée. Tout locuteur ne prononce pas exactement comme son voisin, et aucune langue n’a de standard scientifique (seulement un standard politique). Si l’enseignant devient le standard de la langue étudiée, alors les apprenants auront probablement plus de mal à comprendre un autre locuteur ou leur prochain enseignant.
Et qu’en est-il pour les enseignants non-natifs de la langue cible ? Dans le cas du Japon, cela amène bien souvent à une prononciation « japonaise » devenant la référence, car c’est celle de la plupart des enseignants et donc des apprenants.
Alors comment peut faire l’enseignant pour mettre en contact ses apprenants avec la phonologie de la langue étudiée, sans qu’il ne prononce mot ? Gattegno a mis au point différents outils, dont l’un d’eux sera au centre de ce mémoire. Il s’agit d’un tableau dans lequel tous les phonèmes de la langue étudiée sont représentés par des couleurs. Il existe (ou il pourrait exister) un tableau différent pour chaque langue, voire chaque variété de langue . La disposition des sons et leur couleur peuvent mettre en évidence des relations phonologiques, car ils sont regroupés par point d’articulation et par traits phonologiques. Les affriquées et les diphtongues possèdent deux couleurs. Ce tableau phonologique peut aussi bien être utilisé pour faire découvrir les phonèmes à l’apprenant, que pour analyser des constructions ou remédier à certaines prononciations tout au long de l’apprentissage de la langue.

Le japonais & sa phonologie

L’origine du japonais a longtemps été controversée et n’est toujours pas réellement établie. Bien que longtemps considéré comme une langue altaïque, le japonais est aujourd’hui souvent mis à l’écart, comme son voisin coréen, et placé dans la catégorie des langues isolées (Notsu et Levet 1997). Si son système d’écriture et une importante partie de son lexique proviennent du chinois, le système phonologique du japonais est quant à lui caractéristique des langues austronésiennes (ibid.). Bien que les deux langues soient très différentes sur les plans phonologique et morphologique, le japonais a été profondément influencé par le chinois dès le début du vᵉ siècle, avec l’arrivée du Confucianisme et de l’écriture.
Afin de mieux comprendre les difficultés phonologiques des locuteurs japonais, il est essentiel d’étudier leur langue. L’écriture est arrivée tardivement sur l’archipel, mais elle a bouleversé le système phonologique japonais qui a dû s’adapter à une arrivée massive de termes chinois et des sinogrammes. Les contacts de langues sont en effet la cause de l’extrême complexité du système d’écriture japonais, et de l’originalité de son système phonologique actuel. Tout au long de ce chapitre, je ferai référence à différentes couches lexicales de la langue. Les combinaisons phonétiques permises en japonais varient en fonction de l’origine du mot – japonais, chinois ou étrangère – et il sera donc fait une brève description des trois « strates lexicales » du japonais avant de commencer une présentation du système d’écriture. S’en suivra une analyse détaillée du système vocalique puis consonantique de la langue, et enfin seront abordés le rythme et la prosodie japonaise.

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Table des matières
Introduction 
Phonologies & apprentissages 
1 Acquisition de la phonologie en L.E
1.1 Qu’est-ce que « bien parler une langue étrangère » ?
1.2 Mécanismes d’acquisition de la phonologie
1.3 Mesurer & évaluer la prononciation
2 Une approche multimodale de la phonologie 
2.1 La pédagogie du Silent Way
2.2 Silent Way & phonologie
2.3 Multimodalité & Silent Way
3 Le japonais & sa phonologie 
3.1 Stratification lexicale
3.2 Le système d’écriture
3.3 Les voyelles
3.4 Les consonnes
3.5 Rythme & prosodie
3.6 Problématique
4 Étude de cas 
4.1 Profil du locuteur
4.2 Transcriptions des enregistrements
4.3 Difficultés au niveau segmental
4.4 Difficultés au niveau syllabique
4.5 Synthèse de l’analyse
4.6 Réflexions générales
Proposition d’une formation Silent Way & observation de l’évolution de la prononciation
5 Méthodologie 
5.1 Les participants
5.2 Le protocole
5.3 L’analyse des données
6 Déroulement de la formation & observations 
6.1 Découverte de l’outil Kinéphones
6.2 Pointage des premières difficultés
6.3 Suite de la présentation du tableau
6.4 Utilisation d’autres supports en parallèle du tableau
6.5 Conclusion
7 Analyse des données 
7.1 Alignement automatique avec EasyAlign
7.2 Analyse des productions à T₁
7.3 Comparaison des productions à T₁ & T₂
7.4 Discussion
8 Entretiens avec les participants 
8.1 Apprentissage de la phonologie au Japon
8.2 Difficultés perçues dans l’apprentissage
8.3 Retours sur les premiers ressentis devant le tableau
8.4 Retours sur l’utilisation du tableau
8.5 Retours sur la formation et l’approche pédagogique
8.6 Retours sur le groupe
8.7 Ancrage du tableau dans la mémoire à moyen terme
8.8 Remarques concernant les pointages de mots
8.9 Discussion
Conclusion 
Bibliographie 
Table des figures 
Liste des tableaux 
Annexes

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