Une approche du terrain conduisant à l’ANT

Une approche du terrain conduisant à l’ANT 

Introduction de la section 

Les premiers travaux exploratoires que nous avons menés nous ont convaincu de ne pas partir avec une approche figée du terrain et des idées a priori sur ce que nous devions chercher. Ces intuitions se sont révélées heureuses. C’est petit à petit par des allers-retours incessants entre terrain et théorie que nous avons adopté l’ANT. Les lectures faites en parallèle nous ont aidé à qualifier plus précisément ce que nous faisions sur le terrain. Dans cette section, notre objectif est de revenir plus précisément sur ce que ce que nous avons fait en pratique pour approcher le terrain et le théoriser. Nous verrons, ensuite, en quoi cette théorisation nous a conduit à adopter l’ANT.

Notre pratique de la recherche de terrain 

Introduction de la partie
Nous allons présenter dans cette partie les préceptes qui permettent de conceptualiser notre pratique de la recherche de terrain. Nous fonderons notre réflexion sur les travaux de deux auteurs centrés sur la rénovation des méthodes en sciences sociales. Le premier d’entre eux est Law, philosophe et sociologue, un des pionniers de l’ANT. Le second auteur auquel nous nous référerons est Czarniawska. Ensuite, nous reviendrons sur la mise en œuvre concrète du dispositif de recherche au cours de notre travail. Comme nous le verrons, il ne s’agit pas d’un dispositif de recherche figé a priori mais d’un agencement qui a dû sans cesse être adapté aux circonstances. Enfin, nous évoquerons notre approche du compte-rendu du terrain. Celui-ci doit rendre compte du point de vue des différents protagonistes, tout en gardant une cohérence d’ensemble le rendant compréhensible pour le lecteur.

Un assemblage de méthodes pour la pratique d’une ethnologie mobile

L’assemblage de méthodes comme une combinaison entre un détecteur et un amplificateur de réalité .

Apprendre à délier acteurs et actions n’est pas chose facile. La pratique de la recherche ethnographique de terrain est souvent chaotique et difficile. Le témoignage suivant de Law illustre certaines des difficultés du travail de chercheur. Celui-ci retrace les méandres d’un travail de recherche mené conjointement avec Singleton. Leur objectif initial était de cartographier les processus impliqués dans le diagnostic et le traitement des patients alcooliques au sein du système de santé au Royaume-Uni : « our own object of study and its contexts were constantly moving about. Thus we found that we not only were shifting between different alcoholic liver diseases but also, and uneasily, between different problems. Initially we were invited to explore the diagnosis and treatment of alcoholic liver disease. Call this object number one. But as we moved into the study and interviewed the professionals, we found that we were often talking about liver disease (object number two), rather than alcoholic liver disease. Or, more specifically, we were discussing alcoholic cirrhosis (number three). Or, very commonly, the talk was of alcohol abuse and its implications for individuals and the health care system (four). Or (not necessarily the same thing) it was of alcoholism (five). Or ,etc it might be about overall quality of life in relation to substance abuse (six). The issue, then, was how to think about this displacement: the fact that the object of study seemed to slip and slide from one interview to the next, etc. We gradually came to think that this was not simply a sign of shoddy method, a failure to get to grips with something definite. Instead, we slowly came to believe that we were dealing with an object that wasn’t fixed, an object that moved and slipped between different practices in different sites. This was an object that, as it moved and slipped, also changed its shape. It was a shape-changing object that, even more misleadingly, also changed its name » (Law, 2004, p.78). L’intérêt de ce témoignage est d’insister sur l’extraordinaire complexité de ce qui peut paraître facile ou évident à cerner a priori à la lecture d’un travail de recherche : un objet de recherche. Ce témoignage est corroboré par un chapitre du livre de Latour (2005a). Ce dernier met en scène une rencontre entre l’auteur dans le rôle du professeur, et un doctorant en quête d’une méthode pour appliquer l’ANT à sa recherche portant sur les organisations. Le dialogue illustre la proposition de Latour selon laquelle l’application d’une méthodologie stricto sensu semble en opposition avec les fondements même de l’ANT. Pour Latour, il y a une impossibilité à réduire l’approche philosophique et sociologique proposée à quelques méthodologies simples à appliquer. Cette difficulté à capter les éléments constituant le centre même d’une recherche incite Law (2004) à initier un réexamen des fondements des méthodes en sciences sociales.

Pour Law, le problème ne se situe pas au niveau des méthodes de recherche classiques, proprement dites mais sur le plan de la normativité qu’elles impliquent : « If you want to understand reality properly then you need to follow the methodological rules. Reality imposes those rules on us. If we fail to follow them then we will end up with substandard knowledge, knowledge that is distorted or does not represent what it purportedly describes » (Law, 2004, p.5). Cette normativité se fonde sur une conception de la recherche en sciences sociales datant de plus d’un siècle ; le monde s’appréhende alors comme un ensemble de processus spécifiques, déterminés et plus ou moins identifiables (Law, 2004, p.5). L’objectif de Law (2004) n’est pas de présenter une nouvelle méthode mais de revenir sur les fondements mêmes de l’approche ethnographique pour en proposer un renouvellement. Son raisonnement est fondé sur le constat que les méthodes créent, en partie, la réalité à laquelle elles participent. Elles sont non neutres. Une des premières étapes consiste, selon lui, à se débarrasser des attentes issues des habitudes méthodologiques passées, à savoir la certitude, l’atteinte de conclusions plus ou moins stables sur ce qu’est le réel, la croyance en une position privilégiée du chercheur en sciences sociales sur la définition de ce qu’est le social, la volonté de généralisation issue de l’universalisme. Plus que tout, Law (2004) souhaite que nous nous débarrassions du besoin de sécurité qui se manifeste par l’utilisation d’un arsenal méthodologique inadapté. Les méthodes ont pour effet de transformer quelque chose de vague, diffus, non spécifié en quelque chose de clair. Selon lui, l’objectif prioritaire du travail ethnographique consiste, à l’inverse, à tenter de capter le fluide, le désordre, la confusion. Pour Law (2004), des pans entiers du social sont laissés à l’abandon faute de disposer de méthodes adéquates. Son but est de poser les premières pierres participant à cette refondation. La tâche est d’imaginer des méthodes ne cherchant pas ce qui est défini, stable, répétable mais de les adapter à un monde qui se conçoit lui-même comme « flux », « marée » et « imprévisibilité générale ». Malgré l’ambition affichée du projet, l’objectif est paradoxalement de déboucher sur des méthodes modestes. Son approche porte le nom d’assemblage de méthodes. Law (2004) la conceptualise métaphoriquement comme une approche susceptible de détecter les faits sociaux, un « détecteur », et d’amplifier la réalité, un « amplificateur ».

L’application de la méthode de recherche

Après ces développements autour des assemblages de méthodes pour la pratique d’une ethnologie mobile, nous allons détailler ici le dispositif pratique qui a été mis en œuvre pour suivre les acteurs. Comme nous l’avons déjà souligné auparavant, il ne s’agissait pas d’un dispositif figé a priori et immuable que nous avons suivi à la lettre. Il a été le résultat des contraintes matérielles, géographiques et temporelles inhérentes à l’accès, et à la présence sur un terrain pendant une longue période. Il a été également le fruit d’une adaptation incessante à ce que les acteurs disaient et aux objets de recherche qu’ils nous proposaient de suivre. Ce fut finalement cet ensemble de pistes suivies qui ont permis de faire émerger un objet de recherche original. Ces différentes traces étaient fractionnées sur le plan spatiotemporel ; ce fut l’utilisation d’un assemblage de méthodes qui nous a permis de restituer cette complexité.

Avant d’avoir mené ce travail de terrain, nous n’étions que peu familier des problématiques d’externalisation. Une première recherche, que les travaux méthodologiques « classiques » qualifient d’étude exploratoire (Yin, 1994), a été menée dans le cadre d’un master recherche. Ce travail nous a conduit à nous intéresser aux nouvelles formes organisationnelles nées de l’externalisation et aux problématiques de contrôle qui en découlent. A partir de ces premiers travaux, nous avons mené une série d’une trentaine d’entretiens de janvier à juillet 2007, tous enregistrés et retranscrits, de personnes travaillant au sein d’une entreprise spécialisée dans l’outsourcing IT. Cette société était la filiale d’un grand groupe français dans le secteur de l’énergie. Les personnes interrogées étaient membres de la direction générale, de la direction commerciale, de la direction financière, de l’équipe avantvente, des équipes de gestion des projets, des équipes d’encadrement opérationnel et de l’encadrement de trois centres de services mutualisés. Ces entretiens portaient sur le déroulement de quatre projets d’externalisation. Nous avons pu également collecter des documents, soit de nature institutionnelle (rapports annuels, communiqués de presse…), soit plus spécifiquement liés à ces projets et à l’organisation des centres de services mutualisés entre plusieurs clients.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1 – L’APPREHENSION DU TERRAIN
1. Introduction du chapitre
2. Une approche du terrain conduisant à l’ANT
2.1 Introduction de la section
2.2 Notre pratique de la recherche de terrain
2.3 L’ANT comme « théorie de la méthode »
2.4 Conclusion de la section
3. La description du contrat et de l’organisation de la phase de transition
3.1 Introduction de la section
3.2 Le contrat entre le client « COX » et le prestataire « In2 »
3.3 L’organisation de la phase de transition/transformation
3.4 Conclusion de la section
4. Conclusion du chapitre
CHAPITRE 2 – UNE PREMIERE VOIE DE PASSAGE CONCEPTUELLE : DE LA THEORIE DES COUTS DE TRANSACTION A UNE ECONOMIE DES COUTS DE TRADUCTION
1. Introduction du chapitre
2. Une relecture de la théorie des coûts de transaction
2.1 Introduction de la section
2.2 Un retour sur les fondements de la théorie des coûts de transaction
2.3 La théorie des coûts de transaction pour l’analyse de l’externalisation
2.4 Conclusion de la section
3. Une économie des coûts de traduction
3.1 Introduction de la section
3.2 Le marché et la hiérarchie à l’aune de l’ANT
3.3 Les pistes conceptuelles
3.4 Conclusion de la section
4. Conclusion du chapitre
CHAPITRE 3 – UNE SECONDE VOIE DE PASSAGE CONCEPTUELLE : DES STRATES DU CONTROLE A L’ACCUMULATION DE PETITS POINTS DE CONTROLE
1. Introduction du chapitre
2. Les strates du contrôle des relations inter-organisationnelles
2.1 Introduction de la section
2.2 La strate des archétypes de contrôle
2.3 La strate des mécanismes de contrôle de gestion des relations inter-firmes
2.4 La strate des contrôles inter-organisationnels fondés sur les coûts et la comptabilité
2.5 Une mise en perspective des strates du contrôle des relations inter-organisationnels
2.6 Conclusion de la section
3. L’accumulation de petits points de contrôle
3.1 Introduction de la section
3.2 Un point de départ à la proposition
3.3 Un cadre théorique « souple » : l’accumulation de petits points de contrôle
3.4 Conclusion de la section
4. Une approche de la confiance en adéquation avec notre voie de passage
4.1 Introduction de la section
4.2 Un panorama des liens entre contrôle et confiance dans le domaine de la comptabilité et du contrôle des relations inter-organisationnelles
4.3 Une mise en perspective de deux recherches opposées portant sur le nœud contrôle/confiance
4.4 Conclusion de la section
5. Conclusion du chapitre
CHAPITRE 4 – LA PHASE DE TRANSITION COMME CYCLE D’ACCUMULATION DE PETITS POINTS DE CONTROLE
Introduction du chapitre
1. Une nouvelle mise en perspective de la phase de transition/transformation
1.1 Introduction de la section
1.2 Retour sur le contrat et les quatre « laboratoires » singularisant la prestation de services
1.3 Un acteur oublié : Remedy
1.4 Construire une voie de passage entre le contrat et Remedy
2. Séquence n°1 : de la crise larvée à la crise ouvert e (de janvier à fin mars)
2.1 Introduction de la section
2.2 La crise larvée : les deux premiers mois
2.3 La crise ouverte
2.4 Une mise en perspective de la séquence n°1
3. Séquence n°2 : contenir la crise (d’avril à fin mai )
3.1 Introduction de la section
3.2 Les scenarii alternatifs à la solution prévue dans le contrat
3.3 L’audit du projet et ses conséquences
3.4 Une mise en perspective de la séquence n°2
4. Séquence n°3 : les débuts chaotiques de la prestati on de services (de fin mai à décembre)
4.1 Introduction de la section
4.2 La décision du lancement de la prestation de services pour l’Amérique du Nord
4.3 Le lancement de la prestation de services
4.4 Les difficultés suite au démarrage
4.5 Une mise en perspective de la séquence n°3
5. Séquence n° 4 : la fin de vie du projet (d’octobre à janvier)
5.1 Introduction de la section
5.2 Des conflits en recrudescence
5.3 Le changement de centre de services
5.4 Le décalage du démarrage pour l’Europe et l’Asie
5.5 L’abandon du projet
5.6 Une mise en perspective de la séquence n°4
6. Une dernière mise en perspective de la phase de transition
6.1 Introduction de la section
6.2 La phase de transition comme cycle d’accumulation constitutif de l’émergence du centre de services mutualisés d’Austin
6.3 Les caractéristiques du centre de services mutualisés comme dispositif d’accumulation de petits points de contrôle
6.4 Synthèse théorique : une économie des coûts de traduction
7. Les apports de notre travail dans le champ du contrôle des relations interorganisationnelles
7.1 Introduction de la section
7.2 Les travaux concernés
7.3 L’approche du terrain
7.4 Une voie de passage au niveau « théorie de la méthode »
7.5 Une voie de passage au niveau « théorie du domaine »
7.6 L’émergence d’un centre de services mutualisés
7.7 Conclusion de la section
8. Conclusion du chapitre
CONCLUSION GENERALE

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