Une analyse sur la liberté d’action et la conscience chez quelques personnages du XVIIe siècle

La notion de conscience

    A noter qu’au XVIIe siècle, le sentiment d’avoir bonne ou mauvaise conscience ne s’exprimait pas en ces termes. Avoir de la conscience signifiait pêcher contre la morale.  Au cours de ce siècle, le terme devient un fondement de la réflexion sur l’esprit, le mot désignait la conscience morale, c’est-à-dire l’idée du bien et du mal. Dans Le Grand Robert (2017, site internet), la conscience est définie comme la « faculté qu’a l’homme de connaître sa propre réalité et de la juger ; cette connaissance. ». La conscience serait donc liée avec cette aptitude de la connaissance de soi et des sens, à cette capacité d’avancer des jugements sur le bien et le mal mais par là même de se distancer du monde et de soi. Nous avons parlé plus haut de Descartes et de la remise en cause des certitudes avec son expression « cogito ergo sum », « cogito » en latin signifiant « je pense » (2001 : 41-42). La conscience est un thème cartésien important. Par le raisonnement fondé sur le doute, l’interrogation, la réflexion, la pensée, le sujet arrive à la conscience, la conscience de soi en tant que « je » pensant. Descartes écrit : « ma propre pensée ou conscience » (Descartes in Straehli, 2012 : 210). La conscience permet à l’homme d’avoir la notion de lui-même mais également de ses émotions et de ses actes. La conscience est l’essence de l’homme grâce à la pensée. Elle va permettre et contribuer à la connaissance de soi et de ce qui l’entoure. La conscience peut se révéler fortement lorsque nous sommes face à des choix importants. Elle en appelle à notre responsabilité dans la prise de décision et notre volonté d´action.  Elle devient conscience morale qui permet de distinguer le bien du mal. Par conséquent, elle nous rend responsables de nos choix. Elle est ainsi reliée à la capacité de faire des choix. Pour Bergson, « la conscience est synonyme de choix » (2012 : 16) comme il l’énonce dans une réflexion sur la question des variations de nos degrés de conscience. Si l’homme est doté d’une conscience, pour autant, elle ne le définit pas dans sa totalité et sa complexité. Qui dit conscience dit inconscient.  Par exemple, ce qui est de l’ordre de l’inconscient ce sont les rêves, les actes manqués et pourquoi pas un lapsus, et ce qui est enfoui, refoulé. La conscience est cette part de dignité en l’homme. D’ailleurs, « avoir du remords », c’est avoir la conscience d’avoir commis une faute. Autrement dit la culpabilité. Nous retrouvons ces notions de faute et d’erreur dans Les Méditations métaphysiques de Descartes (2010 : 41- 44). L’homme est en souffrance. La notion de la faute nous renvoie au péché originel, à la transgression de la loi divine et par extension à la religion au XVIIe siècle. Selon Goldmann, on peut caractériser la conscience tragique à cette époque par la compréhension rigoureuse et précise du monde nouveau créé par l´individualisme rationaliste (…) mais en même temps par le refus radical d’accepter ce monde comme seule chance et seule perspective de l´homme. (1959 : 43)

Les codes de la tragédie et le héros tragique

     La tragédie vient de l’Antiquité dont une figure importante Aristote, qui n’était pas un auteur tragique mais un philosophe, va établir un traité que l’on nomme La Poétique. C’est une étude théorique sur les différents genres littéraires dans laquelle sont définies les règles de la tragédie, récit théâtral. Selon la théorie d’Aristote, la tragédie doit s’appuyer sur le modèle antique grec toujours en vers et comprend cinq actes. La tragédie doit également provoquer chez le spectateur la terreur, causée par la fatalité qui s’abat sur le héros tragique, et la pitié, pour les malheurs éprouvés par le héros. La terreur et la pitié lui permettent ainsi de se purger de ses émotions violentes. La passion est l’outil de la tragédie et concomitamment elle permet l’action à travers les différentes péripéties. La transmission des émotions par l’identification au héros déchiré se fait par le phénomène de catharsis qui est une propriété de la tragédie. Elle est la purgation, la purification. Selon Aristote, « c’est cette sorte de reconnaissance et de péripétie qui excitera la pitié ou la terreur, sentiments inhérents aux actions dont l’imitation constitue la tragédie. » (1922 : 23). Les thèmes les plus souvent abordés dans la tragédie sont l’amour, la jalousie, le sens de l’honneur et la fatalité. Pour Goldmann, « le centre de la tragédie : un dieu toujours absent et toujours présent. » (1959 : 47). Il cite un commentaire de Lukács : « la tragédie est un jeu, un jeu de l’homme et de sa destinée, un jeu dont Dieu est le spectateur mais il n´est que spectateur et jamais ni ses paroles ni ses gestes ne se mêlent aux paroles et aux gestes des acteurs » (Lukacs in Goldmann, 1959 : 47). Dans la tragédie classique on parle de héros tragique. Qui est-il ? Quel est le nœud de la tragédie ?  La tragédie est un genre noble et le héros tragique mis en scène est noble, de bonne famille, créé sur un modèle antique, biblique ou mythologique. Il est l’incarnation de l’honneur, des valeurs. Or, il se retrouve confronté à des dilemmes, des choix impossibles. Étant de haut rang, cela induit également qu’il fait preuve de noblesse des sentiments. Or, la passion est une des actions essentielles de la tragédie et l’élément catalyseur des conflits. En effet, le nœud tragique est le moment où le héros est en face de ce choix impossible, est acculé et ne peut plus reculer. Par le biais des quiproquos et des péripéties, le héros tragique est amené à lutter contre le destin, la fatalité, la colère des Dieux mais aussi ses propres excès. Il va être déchiré entre raison et amour, plus précisément honneur et passion. Le héros tragique se doit d’avoir une cruelle destinée et être déchiré par des conflits intérieurs ou extérieurs pour justement servir de catharsis. Le dénouement pourrait conduire le héros à la mort, elle-même tragique.

Hermione de Racine (Andromaque)

     Andromaque, écrit et joué pour la première fois en 1667, se passe après la guerre de Troie. Pyrrhus prend en otage Andromaque, qui le déteste suite à la mort de son mari Hector, et son fils Astyanax pour les amener en Epire. Oreste, envoyé pour faire exécuter Astyanax, qui représente une menace pour l´avenir, va retrouver Hermione dont il est amoureux. Celle-ci est amoureuse de Pyrrhus, qui lui est tombé amoureux de sa captive Andromaque. Pyrrhus fait chanter Andromaque : si elle refuse de l’épouser il livrera Astyanax aux Grecs. Hermione, de son côté, est en colère contre Pyrrhus et fait chanter Oreste : s´il la veut, Pyrrhus doit mourir. Suite à la mort de ce dernier, Hermione repousse Oreste, se suicide avec un poignard Hermione rassemble les caractéristiques du héros tragique : de sang royal, fille d´Hélène et de Ménélas roi de Sparte, inspirée du modèle antique par la référence à l’épopée d´Homère, l’Iliade, récit de la prise de Troie par les Grecs. Hermione est soumise à sa passion pour Pyrrhus, amour unilatéral qui en renforce le caractère démesuré. Rappelons que la tragédie antique était liée à la mythologie et aux Dieux. Cette référence antique nous positionne dans la tragédie classique dans la première sphère, celle de Dieu. Mais où se situe Dieu ? Il est dans l’histoire antique où les divinités sont omniprésentes mais également dans la tragédie racinienne où Dieu tient une place importante. L’homme dépend de Dieu et est soumis à sa volonté. Le choix revient donc à Dieu et non à l’homme ou au personnage tragique. Le personnage est prisonnier de sa destinée. Nous pouvons voir dans Andromaque que Racine puise dans la tragédie grecque, époque où l’homme est soumis à la fatalité car seul Dieu décide. Racine dépeint à travers la tragédie grecque, cette pensée janséniste du XVIIe siècle où l’homme n’a aucune marge de liberté. Il est dans l´univers du divin, dans l´univers de la fatalité, de l’impossibilité du choix. Ainsi Hermione dès le départ est déterminée à une mort voulue par Dieu. Les Dieux ne jouent pas un rôle dans l’œuvre mais ilssont présents à travers le discours des personnages et par l’emploi des termes les représentant : « grâces au ciel » (Acte I, sc. 1, v. 9), « Dieux » (Acte III, sc. 4, v. 858). Ils sont même apostrophés « Ah dieux » (Acte II, sc. 1, v. 401). Il s’agit là d’une interjection. Tout au long de la pièce on ne les voit donc pas mais ils exercent implicitement leur pouvoir divin sur Hermione. C’est en cela que réside la présence, et donc la place du divin dans l’œuvre, et par là-même ce sentiment de fatalité divine. On peut observer cependant dans cette œuvre que la fatalité n’est pas liée qu’à la sphère divine ou à une malédiction comme en témoigne l’œuvre de Phèdre. Ici, l’accablement ne vient pas de Vénus ou d’une autre divinité. Tout au long de la pièce, Hermione fait davantage appel à son « père » ou invoque les « Grecs » au lieu de se référer aux divinités. N’oublions pas de signaler que le père tient une place importante, il est de haut rang et lié aux divinités, à l`autorité divine de par sa position. Tout comme Dieu, le père et les Grecs n’apparaissent jamais physiquement sur la scène.Comme le dit d’ailleurs Hermione : « De la part de mon père » (Acte II, sc.2, v. 585), « Mon père l’ordonnait » (Acte II, sc. 2, v. 523), mais encore « Mon père avec les Grecs m´ordonnent de partir » (Acte II, sc. 1, v. 406), « Quand mon père a parlé, m’ordonne de me taire » (Acte 3, sc. 5, v. 882), « La gloire d’obéir est tout ce qu´on nous laisse » (Acte III, sc. 2, v. 822). Une parenthèse sur le fait que c’est une pièce de théâtre et lors de l’écoute des dialogues (lien internet, 2015, 25-32 minutes), le personnage d’Hermione souligne et insiste sur la première syllabe du mot père pour accentuer ses dires ainsi que le pouvoir que son père exerce sur elle. Dans le même temps, le champ lexical de l’obéissance fait apparaître celle-ci comme double : celle dans son sens général et l´autorité parentale, ces dernières s’exerçant symboliquement dans la sphère divine. De plus, le champ lexical de l’obéissance est lié au champ lexical du libre arbitre. En effet, il y a cette idée d’opposition par le fait de subir une pression de Dieu ou des autres, d’être soumis à eux. C’est une fatalité liée à la famille avec le poids du rang et du sang mais également une fatalité politique représentée symboliquement par les Grecs : « Mon père avec les Grecs m’ordonne de partir » (Acte II, sc. 1, v. 408). Une précision est à apporter concernant la dimension politique à savoir que dans la tragédie racinienne elle ne constitue pas un élément central mais elle est utilisée comme support pour exacerber les passions. Dans ces deux cas, la fatalité rejoint l’idée de Goldmann d’un « Dieu présent mais absent » (1959 : 46). Ainsi le pouvoir du père dans sa manifestation non tangible symbolise ce Dieu caché, le pouvoir divin. Hermione est dans l’impossibilité de décider et d’agir par ellemême, son destin semble scellé entre les mains des Dieux. Dans cette influence et dans cette perfection du « divin », son discours n’est pas hésitant, elle est mesurée. Hermione est liée à la sphère de Dieu. Son devoir dans son statut de femme, son rang, sa lignée sont soumis avant le mariage à l’autorité paternelle : « malgré mon devoir » (Acte II, sc. 2, v. 527), « Mon devoir m’y retient » (Acte II, sc. 2, v. 583), « Soit qu’ainsi l’ordonna mon amour ou mon père ». (Acte IV, sc. 3, v. 1194). Il est à préciser qu’au début de l’œuvre jusqu’à l’acte II Hermione n’apparaît pas mais elle est présente à travers le regard et les tirades d’autres personnages tel Oreste, amoureux d´elle. A ce stade, rien ne présage encore la survenue d’un événement tragique. Dans cette absence physique mais présente par les dialogues elle se situe dans cette sphère du divin, voire elle est elle-même divine : de sang royal, mesurée, présente et absente à la fois, parfaite car entière. En effet, le nœud tragique n’étant pas encore dévoilé, Hermione n’est pas encore entachée des passions qui vont la traverser et ces conséquences. A ce stade il faut se rappeler que Racine a reçu à Port-Royal une culture janséniste et gréco-latine où selon Forestier, « pour les hommes de Port-Royal (…) seul Dieu connaît la finalité réelle des événements historiques : par-delà leur apparente confusion » (Forestier, 2006 : 64) et Goldmann d’écrire : « le Dieu est un Dieu caché c´est pourquoi nous pouvons dire que les pièces de Racine, d´Andromaque à Phèdre, sont profondément jansénistes » (1959 : 351). Hermione apparaît dans l’acte II et dès ce moment nous apprenons ses tourments et ses craintes qui amèneront les intrigues et les passions à venir. Ainsi, Pyrrhus, promis d’Hermione, aime sa captive Andromaque avec dans l’acte IV un coup de théâtre annonçant son mariage avec elle, ce qui se révèle être une injure pour Hermione. La fureur de la passion d´Hermione et sa jalousie se déchaînent avec l’objectif de se venger en utilisant Oreste. On retrouve une intensité dans les discours d´Hermione. Les multiples passions s’emmêlent et s’enchaînent et deviennent plus fortes que la raison et sont le moteur de son conflit. Hermione se dévoile comme une femme sous influence passionnelle qui la rend cruelle, intrigante. On peut ainsi dire qu’Hermione est rattachée à la fatalité de la passion. La sphère du divin comprend ainsi différentes variations : la fatalité divine, le devoir familial et celui du rang, et celui de la fatalité de la passion. Hermione invoque le sacré par sa position dans chaque variation et par là même son lien au divin. On peut donc dire qu´Hermione n’est pas libre de ses choix, de sa volonté dans cette sphère du divin car Hermione est liée au devoir et à l’obéissance. Pourtant, selon l’analyse de Goldmann, « le monde est représenté par plusieurs personnages divers notamment Hermione » (1959 : 351). Pourquoi ? Il s’agit de rappeler que le Monde est cette absence totale de Dieu dans la vision de Goldmann car l’homme n’est plus lié à Dieu. L’homme se retrouve dans une autre réalité limitée et ambiguë qui correspondrait à l’alternative dans laquelle Hermione se trouve. Ainsi le monde serait le choix, le dilemme ou l’illusion du choix qui se présente. Hermione est le symbole du monde par l’ambivalence de son discours confus. Quand elle se sait face au choix, au dilemme, à l’alternative, son discours navigue entre oui et non, entre confiance et peur, entre doutes et décisions, à travers des phrases affirmatives et des courtes phrases interrogatives : « Mais que puis-je seigneur ? » (Acte III, sc. 2, v. 819) et dans la construction des tirades voulues par Racine entre alexandrin, tétramètre et hémistiches : « Ah ! Ne puis-je savoir si j’aime, ou si je hais » (Acte V, sc. 1, v. 1396) mais encore : Ou suis-je ? Qu’ai-je fait ? Que dois-je faire encore ? Quel transport me saisit ! Quel chagrin me dévore ? (Acte V, sc. 1, v. 1393-1394) Ce passage dans le monde, la présence d’Hermione dans cette sphère se passe au moment où l’alternative apparaît. Rien n’est décidé, tout est en suspens. Soit elle accepte ce qui est, soit elle est dans le refus de voir la vérité. Le Monde représente l’illusion ou le reflet de la réalité : Qui l’eût cru que Pyrrhus ne fût pas infidèle ? Que sa flamme attendrait si tard pour éclater ? Qu’il reviendrait à moi, quand j’allais le quitter ? (Acte3, sc. 2, v. 810-811)

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Table des matières

1 Introduction
1.1 But et Problématique
1.2 Méthode et structure
1.3 Choix méthodologique
2 Cadre théorique
2.1 Définition du libre arbitre
2.2 La notion de conscience
2.3 Antagonisme religieux au XVIIe siècle et/ou la place de Dieu
2.4 Les trois sphères
2.5 Être, vouloir et vouloir-être
3 La tragédie, reflet de l´idéal classique
3.1 Les codes de la tragédie et le héros tragique
3.2 Le choix cornélien et racinien
4 Analyse des personnages
4.1 Les personnages féminins
Pauline de Corneille (Polyeucte)
Hermione de Racine (Andromaque)
4.2 Les personnages masculins
Rodrigue de Corneille (Le Cid)
Néron de Racine (Britannicus)
5 Les schémas féminins/masculins au regard du libre arbitre
5.1 Résultat pour Corneille
5.2 Résultat pour Racine
5.3 Corneille et Racine
Les similitudes
Les différences
6 Conclusion
7 Bibliographie
7.1 Œuvres étudiées
7.2 Ouvrages, articles consultés et ressources électroniques.

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