Une “ addiction au sucre ” en cause dans l’obésité ?

En Europe occidentale, le sucre entretient avec l’homme une histoire particulière : sa découverte tardive au Moyen-Âge donna lieu à des échanges commerciaux avec l’Orient, parmi d’autres denrées rares. Plus tard, après la découverte de l’Amérique, sa culture entretenue par l’esclavage en Amérique du Sud et Centrale permit d’élargir sa consommation, jusqu’ici réservée aux apothicaires, aux cours royales. Ce n’est qu’au début du XIXème siècle qu’un procédé de fabrication fut mis au point afin de produire cette denrée prisée sous nos latitudes, à partir de la betterave sucrière. Cette possibilité de production de masse marqua un tournant dans la consommation de sucre, qui devint ouverte au plus grand nombre. Sa consommation était même encouragée par propagande au milieu du 20ème siècle, en tant qu’aliment sain et énergétique. Aujourd’hui, son accessibilité et sa promotion publicitaire démesurées posent de réels problèmes de santé publique, au point que certains gouvernements mettent en place des mesures restrictives.

En effet, au cours des dernières années, le sucre a été mis en cause dans l’épidémie mondiale d’obésité, notamment par le biais d’une « addiction au sucre ». Si le rapprochement est tentant, chacun pouvant expérimenter la difficulté à cesser la consommation d’un aliment sucré particulièrement appréciable, un examen rigoureux de la possibilité d’une telle addiction est mené à travers différents travaux scientifiques.

L’addiction

Historique

Le terme addiction est issu du latin ad-dicere signifiant « dire à ». Dans la civilisation romaine, il désignait les esclaves, qui n’avaient pas de nom et étaient « dits à leur maître ». Dans le droit romain et jusqu’au Moyen-Âge en Europe occidentale, le terme addictus signifiant « adonné à » désignait un débiteur qui, incapable d’honorer ses dettes, était condamné à l’asservissement à son créancier, celui-ci disposant alors de sa personne comme d’un esclave : on parlait d’une «contrainte par corps ». Plus tard, ce terme est retrouvé dans la langue anglaise dès le XIVème siècle pour désigner la relation contractuelle de soumission d’un apprenti à son maître. Toujours en anglais, il s’est intégré au langage populaire pour désigner toutes les passions dévorantes et les dépendances, dans le sens d’être « accro à quelque chose » (1).

Son usage apparaît en psychiatrie dans la deuxième moitié du 20ème siècle dans les pays anglo-saxons, pour parler des « toxicomanes » (2). Par la suite, le regard porté sur cette maladie évoluera, l’addictologie devenant une spécialité médicale à part entière, et le statut de « drogué » ou de « délinquant » disparaissant des esprits, du moins dans la communauté scientifique et médicale. Des termes tels qu’« alcoolisme » et « toxicomanie » sont tombés en désuétude, au profit d’une approche globale de l’addiction, désormais considérée comme un véritable dysfonctionnement cérébral.

Définitions

L’addiction a été définie par A. Goodman en 1990 comme un « processus par lequel un comportement, qui peut fonctionner à la fois pour produire du plaisir et pour échapper à un malaise intérieur, est employé d’une façon caractérisée par 1) l’échec répété à contrôler ce comportement et (2) sa poursuite en dépit des conséquences négatives significatives » (3). Cette définition « non officielle » est cependant largement utilisée (2, 4). Le Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux (DSM) édité par l’Association Américaine de Psychiatrie, fait référence dans cette spécialité. La dernière version (DSM-5) datant de 2013 a apporté des modifications importantes dans le domaine de l’addictologie (5). En effet, le chapitre concerné est celui des « Troubles liés à une substance et troubles addictifs », avec une distinction entre les deux catégories :
– « Troubles liés à une substance », comprenant la sous-catégorie « Troubles de l’usage d’une substance » ;
– « Troubles non liés à des substances », qui apparaît pour la première fois. Elle inclue uniquement le « Jeu d’argent pathologique (trouble lié au jeu d’argent) » (auparavant classé dans le DSM-IV dans les « Troubles du contrôle des impulsions non classés ailleurs ») .

Nous nous intéressons ici aux « Troubles de l’usage d’une substance », qui regroupe 9 classes de produits : alcool, cannabis, hallucinogènes (phencyclidine et autres), substances inhalées, opiacés, sédatifs, hypnotiques et anxiolytiques, stimulants (substances type amphétaminique, cocaïne et autres), tabac et substances autres (ou inconnues). Les auteurs précisent cependant que ces classes ne sont pas complètement distinctes car prises en excès, ces substances ont en commun une activation directe du système cérébral de récompense si intense que les activités habituelles peuvent s’en trouver négligées. De façon générale, on parle de substance psychoactive, qui implique plusieurs effets :
– effet psychoactif : modification du comportement, de l’humeur, de la motivation, des perceptions et de l’activité mentale ;
– effet addictif : induction d’une dépendance, en lien avec le système de récompense ;
– effet toxique : dommages physiologiques immédiats ou différés.

Le DSM-IV (1994) présentait une approche catégorielle avec la séparation des diagnostics d’abus et de dépendance selon les critères diagnostiques impliqués. Le DSM-5 propose désormais une approche graduelle avec un diagnostic unique de « trouble de l’usage d’une substance » (substance use disorder) qui reprend les critères de l’abus et de la dépendance, et dont la sévérité est fonction du nombre de critères impliqués (trouble léger, modéré, sévère) . Le diagnostic nécessite désormais la présence même brève, non nécessairement continue ou concomitante des critères au cours des 12 derniers mois (contrairement au DSM-IV), représentant ainsi un abaissement du seuil de détection. L’addiction est donc considérée comme une maladie unique chronique, caractérisée par un continuum de différents stades et une persistance de l’envie de consommer même après sevrage : cette modification est issue du constat qu’elle implique des altérations dans les circuits cérébraux à toutes les étapes, et qui peuvent persister au-delà de l’arrêt de la consommation (6). Cette nouvelle vision globale, en se rapprochant de la variabilité de la réalité clinique et en modifiant la représentation de la maladie, permet une prise en charge plus adaptée et plus souple. Les 11 critères diagnostiques ont été peu modifiés : on note la disparition de la notion de problèmes légaux (en raison du statut légal ou non de la substance selon les pays) et l’apparition de la notion de craving . Ils s’organisent en 4 groupes :

– réduction du contrôle (critères 1 à 4) ;
– altération du fonctionnement social (critères 5 à 7) ;
– consommation risquée (critères 8 et 9) ;
– critères pharmacologiques (10 et 11).

Finalement, le DSM-5 parle d’un diagnostic reposant sur un « mode pathologique de comportements liés à la consommation d’une substance » avec pour caractéristique essentielle de la maladie un ensemble de symptômes cognitifs, comportementaux et physiologiques indiquant que le sujet continue à consommer la substance en dépit des conséquences négatives, faisant de l’addiction un « trouble de prise de drogue compulsive » (5). L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) possède sa propre Classification Internationale des Maladies (CIM) dont la version en vigueur est la CIM-10 (7). La partie traitant des addictions se rapproche du DSM-IV avec les catégories « usage nocif » assez proche de l’abus et « dépendance », très proche de la dépendance du DSM-IV (2).

Les termes « addiction » et « dépendance » sont souvent interchangeables dans la littérature : ils sont pourtant à distinguer car ils ne désignent pas les mêmes notions. Dans un éditorial de l’American Journal of Psychiatry de mai 2006, C. O’Brien explique que c’est la terminologie employée dans le DSM-IV qui est à l’origine de cet amalgame (8) : lors de son élaboration, eut lieu un vote afin de déterminer le terme qui désignerait le trouble addictif, entre « dépendance » ou « addiction ». Les partisans du terme « addiction » avançaient que ce mot reflète bien l’aspect compulsif de la prise de drogue et permet la distinction avec une dépendance physique ; les partisans du terme « dépendance » l’estimaient plus neutre, pouvant facilement s’appliquer à toutes les drogues, et mettaient en avant la connotation péjorative du mot « addiction », qui ajouterait à la stigmatisation des personnes souffrant d’un trouble addictif (car issu d’un langage populaire en anglais). C’est « dépendance » qui emporta la majorité, à une voix près. Or, il faut distinguer la dépendance au sens du DSM-IV, qui désigne en réalité l’addiction, et la dépendance au sens pharmacologique, c’est-à-dire la dépendance physique, qui engendre les phénomènes de tolérance et de syndrome de sevrage. La dépendance physique est une adaptation physiologique normale à la dose répétée d’une substance, donc non spécifique de l’addiction, bien que l’on puisse l’y retrouver. Cette dépendance peut en effet être observée avec des médicaments, sans qu’il soit question d’addiction, puisque nous avons vu qu’il s’agit d’une pathologie complexe impliquant de nombreux autres critères diagnostiques. Le DSM-5 précise d’ailleurs que « ni la tolérance ni le sevrage ne sont nécessaires ou suffisants pour le diagnostic du trouble de l’usage d’une substance », afin d’éviter une confusion entre dépendance physique isolée à un médicament et véritable addiction (5). O’Brien explique que l’issue de ce vote eut des conséquences importantes, car cet amalgame a entraîné des dégâts collatéraux dans le domaine de la prise en charge de la douleur, où la peur de la dépendance physique à un médicament, par assimilation à l’addiction, a pu conduire à un défaut de prise en charge de patients douloureux qui auraient nécessité des augmentations de posologies. L’auteur conclut ainsi : « the current labelling is not only confusing and misleading, but it contributes to suffering », considérant le mot « addiction » comme « parfaitement acceptable » en vue du changement de terme pour le DSM 5 (et par ailleurs utilisé par plusieurs associations et revues médicales américaines). Ce sera finalement substance use disorder (trouble de l’usage d’une substance) qui sera choisi, mettant en avant le comportement de consommation et son contexte plutôt que le produit. Les auteurs du DSM-5 ont écarté le terme « addiction » du fait de sa définition incertaine et de sa connotation potentiellement négative, considérant l’expression choisie comme plus neutre (5). Malgré cela, c’est le qualificatif « addictif » qui est présent en titre de chapitre. Quoiqu’il en soit, ces modifications restent consensuelles en éliminant les vocables stigmatisants tels que l’alcoolisme, le tabagisme et la toxicomanie, qui reflètent une approche clivée de la maladie, en lien avec la substance concernée. Par simplicité, nous utiliserons ici le terme d’addiction.

Par ailleurs, en français, il est à préciser que le qualificatif du mot « addiction », qui est un anglicisme, est inexistant : le mot « dépendant » est préféré pour qualifier un sujet ayant un comportement addictif, alors qu’il serait plus approprié d’utiliser le qualificatif anglais « addict », celui-ci étant d’ailleurs de plus en plus utilisé. En effet, le terme « addict » est moins restrictif que « dépendant » : un usager peut être dépendant à une substance sans y être addict et inversement. La dépendance est définie au sens large selon le Larousse par un rapport de liaison étroite entre quelque chose et ce qui le conditionne, le régit. Au sens « addictologique », il s’agit d’un assujettissement à une substance se manifestant lors de sa suppression par un ensemble de troubles physiques et/ou psychiques (9). Ces différentes catégories de troubles cliniques permettent de distinguer deux types de dépendances dans l’addiction (2) :
– La dépendance physique : elle correspond au besoin de consommer une substance afin d’éviter le syndrome de sevrage (ou syndrome de manque) lié à la privation.

Elle se caractérise par un syndrome de sevrage et une tolérance. Le syndrome de sevrage désigne l’ensemble des symptômes provoqués par l’arrêt brutal de la consommation répétée d’une substance. La tolérance désigne l’atténuation progressive de l’effet d’une dose répétée de substance, entraînant la nécessité d’augmenter la dose pour retrouver le même effet. C’est souvent à ce type plus restreint que fait référence l’emploi du terme « dépendance » sans précision. Il en va de même pour la notion de syndrome de sevrage, qui fait plus souvent référence aux seuls symptômes physiques. Les manifestations cliniques de la dépendance physique sont fortement liées au type de substance psychoactive.
– La dépendance psychique : elle correspond au besoin de consommer une substance afin d’obtenir ou maintenir la sensation de plaisir mais aussi afin d’éviter la sensation de malaise psychique liée à la privation (que l’on peut qualifier de «syndrome de sevrage psychique »). Elle se caractérise par un craving (de l’anglais : envie impérieuse), c’est-à-dire une envie puissante et irrépressible, compulsive, ressentie comme un besoin, de consommer la substance contre la raison et la volonté de l’individu. D’intensité variable, il peut être déclenché par des facteurs environnementaux ou émotionnels, et peut se manifester aussi après sevrage (6). On comprend donc que le craving joue un rôle central dans l’addiction et est à la fois un critère diagnostique, thérapeutique et pronostique .

La dépendance comportementale, qui relève d’un conditionnement, doit être intégrée. En effet, l’addiction est généralement présentée comme un syndrome associant les trois types de dépendance. En résumé, c’est la notion de perte de contrôle qui est au centre de la définition d’addiction (11). Elle se caractérise alors par un usage compulsif de la substance que l’on retrouve dans le craving et la consommation compulsive. L’impossibilité de s’abstenir de consommer une substance en dépit des conséquences négatives dont elle est pourtant la cause, renvoie bien à la notion de perte de liberté à l’origine du mot « addiction ». Ainsi, tout consommateur n’est pas addict : ce qui signe l’addiction n’est pas le produit en lui-même, mais l’utilisation qu’en fait le sujet (2). Cela nous paraît évident dans le cas de l’alcool, où la consommation modérée est un comportement admis, et c’est aussi le cas avec les autres substances psychoactives : par exemple, seuls 32% des consommateurs de tabac sont addicts, 23% pour l’héroïne, 17% pour la cocaïne, 15% pour l’alcool et 9% pour le cannabis .

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE 1 : DEFINITIONS
1. L’addiction
1.1. Historique
1.1. Définitions
1.2. Physiopathologie
1.2.1. Les étapes d’installation de l’addiction
1.2.2. Circuit cérébral de la récompense
1.2.3. Neurobiologie de l’addiction
1.3. Facteurs de risque
1.3.1. Facteurs liés au produit (25%)
1.3.2. Facteurs individuels (50%)
1.3.3. Facteurs environnementaux (25%)
2. Glucides et sucres
2.1. Structures et classifications
2.2. Fonctions physiologiques et métabolisme
2.2.1. Fonctions et sources alimentaires
2.2.2. Digestion et absorption
2.2.3. Métabolisme
2.2.4. Notions d’index et charge glycémiques
2.3. Apports recommandés et étiquetage nutritionnel
2.4. Aspects technologiques alimentaires des sucres
2.4.1. Fabrication du sucre
2.4.2. Autres sucres entrant dans la fabrication de certains produits
2.4.3. Propriétés technologiques alimentaires des sucres
2.4.4. Edulcorants
2.5. Evolution des ventes de sucre
2.6. Sucres et comportement alimentaire
2.6.1. Perception du goût sucré
2.6.2. Evolution de l’attirance pour le goût sucré au cours de la vie
2.6.3. Influence du goût sucré dans la régulation de la prise alimentaire
2.7. Controverses en santé liées aux sucres
2.7.1. Obésité
2.7.2. Diabète
2.7.3. Autres pathologies
2.7.4. Conclusion
2.8. Recommandations de santé publique
3. Obésité
3.1. Définition
3.2. Epidémiologie
3.3. Physiopathologie
3.3.1. Physiologie du tissu adipeux
3.3.2. Physiologie de la prise alimentaire
3.3.3. Physiopathologie de l’obésité
3.4. Facteurs étiologiques
3.5. Complications
3.6. Prise en charge
PARTIE 2 : DISCUSSION
1. Une « addiction au sucre » ?
1.1. Etudes chez les rongeurs
1.1.1. Données comportementales
1.1.2. Données neurobiologiques
1.1.3. Conclusion
1.2. Etudes chez l’homme
1.3. Existe-t-il un lien entre « addiction au sucre » et surpoids ou obésité ?
1.4. Un vecteur non identifié
1.4.1. Sucre et goût sucré
1.4.2. Lipides
1.4.3. Envies compulsives
1.4.4. Conclusion
2. « Addiction alimentaire »
CONCLUSION
Bibliographie
Annexe

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *