Un univers générateur d’imagination

Le voyage, l’aventure

Les deux adaptations choisies sont d’abord des romans d’aventures. En effet, elles retracent les obstacles surmontés par Ulysse, les épreuves qu’il doit effectuer. Il s’agit d’un monde d’actions, de combats, de risques et de surprises. En effet, Ulysse doit affronter le Cyclope Polyphème et crever l’unique œil du monstre, il est également le seul à entendre le chant ensorcelant des Sirènes, sans toutefois se faire tuer. Ulysse déjoue les plans de la magicienne Circée, sort sain et sauf de l’île des Lestrygo ns anthropophages, il évite la fleur de l’oubli que t endent les Lotophages. Il combat les Cicones, descend aux Enfers et réchappe de Charybde et Scylla… Autant de victoires font de lui un héros. Ulysse est un combattant, et il gagne à chaque fois. On retrouve donc une multitude de péripéties plutôt violentes que traverse Ulysse. Mais ces aventures, déjà présentes dans le texte d’Homère, sont reprises différemment dans les deux adaptations.
Effectivement, chez Martine Laffon, le suspens est entretenu par des questions rhétoriques, omniprésentes dans l’œuvre: « Est-ce un mauvais présage ? […] Qu’adviendra-til de Pénélope, de mes parents et de ma terre ? » Martine Laffon écrit les questions que pourrait se poser Ulysse, et en même temps, celles que pourrait se poser le lecteur. Elle anticipe alors sur les hypothèses de lecture que pourrait se forger le lecteur, et conserve en même temps le suspens. Isabelle Pandazopoulos, quant à elle, laisse place au dialogue entre les personnages, et y inclut des interrogations : « n’êtes-vous pas indignés ? Ne rougissez-vous pas devant nos voisins, les peuples alentours ? » Ces interrogations de Télémaque soulignent la mise en dialogue. Aux questions posées par les personnages répondent d’autres personnages. C’est ensuite au lecteur de se forger une opinion.
De plus, le suspens et l’action sont également représentés par le rythme des récits. En effet, le début in medias res du chapitre 1 chez Martine Laffon souligne cette rapidité de l’action: « – La guerre, Ulysse, c’est la guerre ! »Les exclamations sont omniprésentes et traduisent les cris des personnages, en particulier des compagnons d’Ulysse, effrayés. Ce sont à nouveau les dialogues qui donnent le rythme chez Isabelle Pandazopoulos. En effet, elle choisit de conserver les dialogues, très présents chez Homère. Même lorsqu’elle entreprend le résumé d’un extrait, elle y intègre souvent des discours, comme l’indique le passageau discours direct: « Ton mariage est proche, dit-elle,il va te falloir bientôt de beaux habits, pour toi et pour ceux qui te font escorte . » Ou encore ce passage en discours indirect : « Il leur raconte sans dévoiler son nom son long séjour de sept ans …» Isabelle Pandazopoulos confère alors aux dialogues, à la parole du moins, une place considérable, revendiquant sa fidélité au texte d’Homère.
De plus, ces adaptations mettent en valeur la liberté. En effet, si l’on regarde les illustrations des deux premières de couvertures, on a un personnage central : Ulysse, sur un bateau. Ces images évoquent le voyage, mais aussi la liberté. Sur la couverture de Martine Laffon, l’illustrateur François Baranger nous montre un personnage en gros plan: grand, beau, l’épée à la main, la cuirasse lui protégeant le torse, Ulysse regarde le lecteur droit dans les yeux. La liberté est alors présente sous la forme du vent, soufflant sur la voile du bateau et dans les cheveux du héros ; elle est présente à traversle voyage que le personnage entreprend.
Le regard soutenu par Ulysse souligne son ambition, sa détermination. Ce dernier, seul au centre de l’image ne semble pas subir de contraintes, de soumission ; il ne semble pas prisonnier mais au contraire incarne la force et dégage une autorité, une puissance. L’illustration de Clotilde Perrin est beaucoup moins anthropocentrique. Ulysse est seul sur un bateau minuscule et sans voile face à l’immensité de la mer et aux dangers des intempéries. Un visage apparaît également, gigantesque, observant Ulysse. Peut-être est-ce Athéna ? En tous cas, ce visage semble appartenir à une divinité, étant donné sa taille. Il y a donc ici une opposition entre les deux adaptations, celle d’Isabelle Pandazopoulosétant plus fidèle à l’esprit de l’épopée. L’illustrationde Clotilde Perrin évoque les dangers, les forces de la nature et des dieux face à la petitesse de l’homme. Mais l’attitude du personnage montre qu’il est déterminé et courageux, qu’il est affranchi de la peur, et ne répond qu’à son esprit et à son intuition.
Alors que chez Homère, Ulysse est toujours un voyageur malgré lui, les adaptations dégagent ce motif de la liberté, fruit d’une lecture moderne. Effectivement, l’intrigue, les péripéties, nous donnent à voir un Ulysse voyageur : il part sans sa famille, se retrouve seul suite à la mort de ses compagnons, est indépendant de tout individu mortel, se trouve loin de sa terre natale. Mais le thème de la liberté est égal ement présent au sein de l’écriture des adaptatrices. C’est en effet la manière dont est écritle texte qui évoque cette impression de liberté. On retrouve alors, chez Isabelle Pandazopoul os : « Le bateau file, plus rapide que l’épervier qui est pourtant le plus rapide des oiseaux . » Elle reprend ici l’image d’Homère, tandis que chez Martine Laffon, la liberté est plutôt évoquée lorsqu’Ulysse est âgé, chez lui, et qu’il repense à ses aventures. En effet, la liberté se retrouve surtout dans le dernier voyage qu’entreprend Ulysse: « il embarquera seul, à bord de son rapide navire à laproue effilée, une dernière fois …» Ulysse est alors libre chez Martine Laffon car il s’est affranchi de sa vie passée et laisse derrière lui une vie pérenne : celle deson fils Télémaque. A travers les deux illustrations, le lecteur embarque dans un voyage hors du commun où Ulysse incarne la virilité, la force, mais aussi la jeunesse et la liberté. Il fait alors rêver le jeune lecteur.
Enfin, nous pouvons nous attarder sur le passage du Cyclope, épisode célèbre de L’Odyssée , afin de souligner les transformations proposées par les deux adaptations. Tandis qu’Isabelle Pandazopoulos reste au plus près du texte, pratiquant la suppression afin d’alléger certains passages, Martine Laffon n’hésite pas à procéder à des ajouts, commeau tout début du chapitre 4 : « la mer changeante, violette ou grise selon l’humeur des vents… La mer plate comme un champ sans moisson …» Elle réserve alors tout un paragraphe aux diverses formes que prend la mer. Cet extrait révèle une écriture poétique, avec l’anaphore de « la mer », suivit d’adjectifs qualificatifs divers qui soulignent ses transformations: « changeante » « plate » « déserte » « immense » « vide » « inhumaine… » Ce passage témoigne de l’aventure vécue par Ulysse, courageux d’affronter cette étendue capricieuse. De plus, la mer ainsi décrite par Martine Laffon peut faire rêver le lecteur, ce que suggèrent les points de suspensions.
En ce qui concerne le reste de l’épisode, on remarque chez les deux adaptatrices une insistance sur les sentiments de peur et les annonces du malheur. En effet, on retrouve chez Isabelle Pandazopoulos les mots « épouvantés » « soudain», ainsi que l’expression « nous avons senti nos cœurs se briser . » De plus, l’insertion: « – j’aurais mieux fait pourtant !-» annonce le malheur prochain. Chez Martine Laffon, l’insistance sur les sentiments éprouvés est encore plus évidente : « je suis inquiet », « elle m’intrigue», « éclatent de peur ». On relève aussi de nombreux dialogues et connecteurs temporels qui augmentent le rythme du récit et créent le suspens : « brusquement », « bientôt », « à cet instant », « ݁݊ݏݑ݅ݐ݁ ଷ଴ … » Le sentiment de peur est également présent à travers la description des lieux. Martine Laffon annonce le monstre avant que le lecteur ne le découvre : « les arbres encerclent la plage et prennent dans l’obscurité des formes ‘•–”—‡—•‡• ଷ଴ . Elle offre au lecteur un choix d’interprétation, despistes de lecture : « par orgueil ou par goût du combat, courage, inconscience ou †‡ˆ‹ ଷ଴ ».En insistant sur les émotions, les sentiments de peur surtout des matelots, Martine Laffon met en lumière l’atrocité, l’inhumanité pour prôner des valeurs inverse s : celles de l’humanité: « jamais, même dans les guerres les plus cruelles, nous avons vu pareille Š‘””‡—” ଷ଴ ». Le suspens, la peur, le malheur sont alors bien accentués surtout chez Martine Laffon qui laisse percevoir sa voix derrière celle d’Ulysse et explicite ce qui reste implicite chez Homère. Ici, le Cyclope ne respecte pas les lois essentielles de la vie en société. Cet épisode est donc bien représentatif du thème de l’aventure, mais il est également témoin de la présence du merveilleux dans les deux adaptations.

Le merveilleux

L’univers merveilleux dans lequel plonge le lecteur éveille son imagination. En effet, il s’agit d’abord d’un monde habité par des monstres. Cette présence de monstres, de peuples fantastiques, développe une poésie de l’enchantement. Le merveilleux se perçoit d’abord à travers tout un champ lexical de la monstruosité, termequi est mis en opposition avec celui d’humanité. On relève chez Martine Laffon le mot « monstrueuse » en opposition avec « humaine », puis les mots « inhumaine », « monstres », « effrayant », « horreur », « sauvagerie …»Autant d’expressions qui définissent un monde merveilleux de la laideur, de l’abominable. Effectivement, au cours de son périple,Ulysse rencontre une multitude de monstres, de magiciennes, de géants, qui incarnent la sauvagerie, la cruauté. On peut ainsi relever les gigantesques Cyclopes, les Lestrygons mangeurs d’hommes, les deux monstres Charybde et Scylla, mais aussi les femmes telles que les Sirènes ensorceleuses et la magicienne Circée. Ces êtres sont alors capables de prodiges qui épouvantent l’imagination humaine : le Cyclope décroche des blocs de roche, Circée transforme les compagnons d’Ulysse en cochons, Charybde englouti les matelots dans ses eaux. De plus, les récits rapportent les morts affreuses que subissent les compagnons d’Ulysse. Effectivement, on conserve souvent dans les deux adaptations des descriptions crues de la mort. Il y a donc des représentations de corps désarticulés, de giclements de sang et d’autres organes qui illustrent la monstruosité, comme dans l’épisode du Cyclope, où les deux adaptatio ns décrivent les giclements de cervelles et les crânes fendus : « leurs cervelles giclent, ensanglantant la terre » ; « la cervelle gicle sur le sol . » Toutefois, certains passages restent censurés parles adaptations. Effectivement, Isabelle Pandazopoulos se passe de décrire la mort du pilote du bateau qui, suite au festin des vaches d’Helios, se fait fracasser le crâne par le mât qui lui broie les os. De même, Martine Laffon se dispense d’insister sur le frétillement des matelots dévorés par Scylla. Surtout, l’épisode du châtiment des servantes infidèles, pendues, leurs corps étant comparés à des grives, n’est pas mentionnédans l’adaptation de Martine Laffon et est rapidement évoquée dans celle d’Isabelle Pandazopoulos, de même que la mort de Mélanthios, horriblement mutilé. Les deux adaptations conservent alors une certaine forme de violence mais censurent de nombreuses scènes témoignantd’une horreur particulière, tenantcompte du lecteur. Cependant, les monstres restent des moteurs de l’imagination.
Ensuite, nous pouvons nous attarder sur l’épisode de la descente aux Enfers qui témoigne du merveilleux. On remarque d’abord que Martine Laffon ne s’attarde pas sur le rituel accompli par Ulysse pour appeler les morts. Elle commence le chapitre in mediasres, avec l’imploration d’Ulysse: « A vous tous, les morts que j’implore, j’offre cette libation […] Peuple des morts, je vous prie encore, acceptez ce sacrifice. »
De même, Isabelle Pandazopoulos résume cet épisode pourtant détaillé chez Homère.
L’importance est alors accordée aux dialogues entre Ulysse et les défunts. En effet, Isabelle Pandazopoulos choisit de souligner la présence de certains personnages plutôt que d’autres.
Elle ne parle pas d’Elpénor, le compagnon d’Ulysse mort accidentellement chez Circée, mais d’autres personnages mythiques pouvant être connus du jeune lecteur : Agamemnon, Achille, Ajax en particulier. Tout en citant quelques noms de personnages mythiques tels qu’Héraclès, Tantale ou Sisyphe, elle favorise les acteurs de la guerre de Troie, déjà présents dans L’Iliade. Martine Laffon, quant à elle, passe rapidement sur ledéfilé des défunts au profit de la scène elle-même. Effectivement, elle insiste sur son caractère incroyable : « quel spectacle effrayant ! » et accentue le côté effrayant de l’épisode en employant de nombreuses exclamations et en décrivant les sentiments éprouvés par Ulysse : la crainte, la tristesse, l’étonnement, la peur. Enfin, elle ne conserve que la présence de certains personnages de l’Hadès (Elpénor, Anticlée, Tirésias, Agamemnon) puis nous fait part de la fuite d’Ulysse, effrayé. Martine Laffon supprime alors de nombreux dialogues et personnages au profit de la scène elle-même, soulignant le merveilleux qu’elle dégage.
Enfin, le merveilleux se retrouve à travers l’omniprésence des dieux. Effectivement, les premiers personnages qui apparaissent dans ces deux adaptations sont des dieux : dans le premier chant de l’adaptation d’Isabelle Pandazopoulos, leur présence est évidente puisqu’elle résume l’invocation à la Muse, puis ouvre son premierchant sur l’assemblée des dieux. Nous sont alors présentés les principaux dieux de L’Odyssée : Poséidon, Zeus, Athéna. Chez Martine Laffon, la présence divine est moins évidente dans ce début de récit puisqu’il n’y a pas d’invocation à la Muse, ni d’assemblée. Toutefois, le lecteur identifie Athéna à travers l’olivier: « Assis à l’ombre fraîche des oliviers . »La déesse apparait donc souvent derrière son symbole chez Martine Laffon. De plus, ce ne sont pas les dieux qui débattent sur le destin d’Ulysse au début de cette adaptation, mais Ulysse lui-même qui implore les dieux afin qu’il puisse revivre chacun des épisodes de sa vie avant de mourir.
Chez Martine Laffon, les dieux sont très souvent liésà la notion de destin : ce sont eux qui tirent les ficelles de la vie humaine, et ils sont souvent mis en opposition avec les mortels : « les héros ne sont pas des dieux. Que valent leurs victoires […] lorsqu’on ne choisit pas librement la route qui ramène vers le monde des hommes
»Les divinités sont donc souvent présentes pour mettre en lumière la vie humaine. Il y a entre les dieux et les hommes des alliances et des combats, mais il y a aussi l’amour. En effet, Ulysse a des liaisons avec Circée et Calypso. On note que Martine Laffon insiste d’abord sur la beauté de la déesse à travers le titre de son chapitre : « Pour les beaux yeux d’une magicienne, Circée », alors qu’Isabelle Pandazopoulos souligne sa cruauté : « terrible déesse . » De plus, Martine Laffon accentue son caractère merveilleux avec l’expression « déesse merveilleuse . »Enfin, certains personnages mortels ont un lien privilégié avec les dieux : ce sont les devins. Il y a Tirésias qu’Ulysse croise aux Enfers, présent dans les deux adaptations, mais aussi Halithersès qui présage la mort des prétendants de Pénélope. Celui-ci est présent dans l’adaptation d’Isabelle Pandazopoulos seulement. Ces devins font le lien entre les dieux et les hommes puisqu’ils annoncent ce qu’il adviendra. Les dieux subissent donc un traitement différent dans l’une ou l’autre adaptation, mais restent toutefois présents et participent au merveilleux.
Les deux adaptations sont donc bien génératrices d’imagination. En effet, elles font pénétrer le lecteur dans un monde d’aventures, Martine Laffon insistant surtout sur le caractère merveilleux de certains personnages ou épisodes, mis en opposition avec la condition et la vie des mortels. Bien qu’Isabelle Pandazopoulos fasse de nombreuses suppressions, elle procède à des choix, et décide de transmettre certains épisodes au profit d’autres, tout en essayant de rester au plus près du texte. Martine Laffon, quant à elle, choisit certains passages en les remaniant, de façon à transmettre un point de vue différent, qui est le sien. Ces adaptations ont alors un souci de transmissi on culturelle qui leur confère une toute autre dimension puisqu’elles s’adressent à un jeune public. Dans cette optique, elles se rapprochent de l’univers de l’enfant en générant l’imagination, mais participent aussi à la formation du lecteur, favorisant son apprentissage.

La formation d’un lecteur

Un lecteur curieux

Tout d’abord, le lecteur visé par ces deux adaptations est un lecteur curieux.
Effectivement, il s’agit tout d’abord de lectures plaisir, qui favorisent l’évasion, et attirent l’attention du lecteur. En effet, le lecteur est plongé dans une ambiance, une atmosphère particulière, grandiose, à laquelle le jeune lecteur n’est pas habitué : celle de l’épopée. Il se retrouve alors face à des héros, à du spectaculaire, du merveilleux, de la poésie. Cet univers participe à une envie d’évasion puisqu’il peut représenter une échappatoire, permettant de se figurer un autre monde possible. Le lecteur n’est alors pas enchaîné dans un monde existant mais dans un univers mythique qui stimule une forme de rêverie et d’évasion. Toutefois, les adaptations tenant compte de leurs récepteurs procèdent à des modifications judicieuses en vue de son plaisir de lire. Effectivement, elles s’attachent à réécrire les aventures du héros Ulysse tout en évitant l’ennui du lecteur.
Tout d’abord, de nombreux passages sont coupés. On le remarque dans l’adaptation d’Isabelle Pandazopoulos avec l’utilisation des points desuspension entre crochets ou bien à travers les résumés qu’elle fait. En effet, elle se sert d’une police plus petite pour résumer certains extraits et favoriser la fluidité de la lecture pour le collégien : « Ses amis approuvent cette proposition en riant ».Les deux adaptations procèdent alors à des ellipses, supprimant les longues descriptions d’Homère qui pourraient ennuyer le jeune lecteur.
Mais Martine Laffon va encore plus loin en réécrivant le texte. En effet, loin de la volonté de fidélité d’Isabelle Pandazopoulos, elle confère à son adaptation une modernité supplémentaire, s’adaptant aux exigences du lecteur d’aujourd’hui. On retrouve alors dans son adaptation de nombreux passages in medias res tels que : « -La guerre, Ulysse, c’est la guerre ! » ou « – Que le festin en l’honneur de mon hôte illustre continue ! » Ainsi que des exclamations, interrogations, dialogues qui donnent un rythme particulièrement rapide au récit : « Je vais retrouver mon fils, comme il aura grandi ! Me reconnaîtra-t-il ? Sera-t-il fier de moi ? Pénélope a-t-elle changée, et mon père prend-t-il toujours soin de son verger ? »
Effectivement, il y a beaucoup d’interjections, d’intervention des personnages, et même au sein de la narration se trouvent des phrases exclamativesou interrogatives qui donnent vie au texte. Il y a donc bien là une volonté de rendre vivant afin d’éveiller l’intérêt du jeune lecteur. De plus, le fait de diviser son adaptation en chapitres et non en chants souligne à nouveau cette volonté de modernité, l’adaptation étant assimilable à une œuvre romanesque. L’univers d’Ulysse est dès lors accessible au jeune lecteur, qui peut prendre plaisir à sa lecture et pénétrer dans ce monde, s’évader.
De plus, on peut dire que ces deux adaptations s’adressent à un lecteur curieux car elles accordent une place importance à la dimension visuelle. Effectivement, on remarque d’abord la reprise des épithètes homériques, qui peuvent alors servir, dans les adaptations, à distinguer les personnages : « Ulysse l’endurant » ; « Hermès, le messager aux rayons ». Pénélope est caractérisée par son tissage, et c’est en lavant les pieds d’Ulysse que la servante reconnaît son maître. Bien que la vue soit déjà omniprésente chez Homère, notamment avec la présence de l’horizontalité représentée par la vitesse des bateauxqui filent sur la mer, et de la verticalité illustrée par le gigantesque, l’ascension et la chute, qui rythment la vie d’Ulysse, son importance prend une toute autre dimension dans les adaptations. En effet, à première vue, Isabelle Pandazopoulos restitueles descriptions homériques. Toutefois, elle se détache de cette épopée par ses choix de transcription, c’est -à-dire qu’elle procède à un tri des épisodes et décide de les restituer ou non. Effectivement, elle reprend par exemple l’épisode du Cyclope, caractérisé par une hypotypose, introduite par le mot « aperçu » : « nous avons aperçu à sa pointe extrême une caverne ombragée de lauriers devant laquelle des brebis et des chèvres se reposaient …». Martine Laffon aussi restitue certaines descriptions homériques comme celle de l’île de Calypso perçue comme un locus amoenus avec la présence de la végétation, du chant des oiseaux, de sources d’eau fraîche: lieu idyllique . On a donc des descriptions très visuelles qui sont ici reprises, dressant des tableaux sous les yeux du lecteur, au profit d’autres qui ne sont pas traitées, comme par exemple la description des âmes des prétendants qui parviennent aux Enfers en s’envolant telles des chau ves-souris. Ce passage n’est que résumé par Isabelle Pandazopoulos : « Les âmes des prétendants sont conduites aux Enfers par Hermès. »
Toutefois, la vue est moins importante dans l’adaptation de Martine Laffon où l’on retrouve des passages en italique, des extraits qui insistent sur la vision d’Ulysse sur sa propre vie, son ressenti pouvant être exprimé à travers des formes de rêveries.
Une brume légère se lève, le crépuscule vient… Ulysse a froid. D’une main passée à la hâte sur ses yeux, il efface les souvenirs si vifs de ce premier jour. […]Ulysse, aveuglé par la lumière, cherche l’ombre de sa demeure. […]Pourtant, demain, dès l’aube, fidèle à ce qu’il veut savoir de lui-même, il appellera ses souvenirs, et ils surgiront des profondeurs de la nuit. Isabelle Pandazopoulos propose donc au lecteur de visionner certaines scènes homériques, tandis que Martine Laffon privilégie le côté philosophique et moral de l’épopée en proposant au lecteur la vision du héros sur lui-même.
D’ailleurs, le paratexte des deux adaptations témoigne decette importance de la vue.
C’est ce qui est souligné chez Isabelle Pandazopoulos qui intègre des dossiers et d’autres textes à son œuvre. En effet, avant même que le récit commence, elle propose au lecteur une introduction contenant des informations sur Homère, L’Iliade, la tradition orale, le texte original de L’Odyssée et sa place dans la littérature. L’introduction inclut également les deux cartes du trajet supposé d’Ulysse. Mais Isabelle Pandazopoulos ne s’en tient pas là. Elle apporte aussi des précisions sur les personnages et les divinités dont il est question dans L’Odyssée. Ainsi explique-t-elle le devenir des héros de la guerre de Troie et la généalogie des dieux olympiens dans L’Odyssée : « Ménélas », « Ajax le petit », « Les dieux de l’Olympe dans l’Odyssée ». L’introduction est donc fournie, elle apporte des informatio ns, des précisions sur le contexte et le contenu de l’œuvre odysséenne. De plus, Isabelle Pandazopoulos intègre à certains chants, des tableaux explicatifs sur les modes de vie des grecs à l’époque d’Ulysse, ainsi qu’un dossier intitulé Voir et comprendre.
Ce dossier est un aperçu des œuvres d’art représentant des scènes de L’Odyssée, de l’antiquité au XXIème siècle. Cette adaptation accorde donc de l’importance àl’impact de L’Odyssée d’Homère, qui traverse les âges et les arts. On retrouve encore une not e de l’adaptatrice qui explique ses intentions ainsi que les œuvres majeures héritières de ce poème. Isabelle Pandazopoulos montre donc comment L’Odyssée d’Homère a été et reste un moteur d’inspiration artistique universel.
Martine Laffon, quant à elle, ne s’encombre pas de telles précisions et son adaptation ne comporte pas de notes excessives. Le paratexte se résume à une brève présentation du poète Homère, de Marine Laffon elle-même, ainsi que d’autres livres du même auteur ou de la même collection. Cette adaptation se centre donc sur le récit de Martine Laffon et non sur le texte original et son impact. S’il y a si peu d’informations concernant l’œuvre d’Homère chez Martine Laffon, c’est que son adaptation a un parti pris interprétatif et qu’e lle privilégie son contenu, portant en lui-même un autre type de connaissance : philosophique et moral.
L’adaptation d’Isabelle Pandazopoulos est alors didactique, tandis que le message que dégage Martine Laffon est implicite : c’est au lecteur de le déduire du texte. Bien que les apports soient différents dans ces deux adaptations, le lecteur visé est un lecteur curieux, observateur, qui peut comprendre le récit dans son intégralité, c’est -à-dire saisir les changements de caractère et les allusions à la culture antique, s’intéresser à la réception de cette œuvre, mais aussi comprendre sa dimension morale et philosophique.

Le développement de l’esprit critique

Ces deux adaptations permettent aussi de développer l’esprit critique du lecteur. En effet, il s’agit d’abord d’adaptations, c’est -à-dire que leur fidélité au texte d’origine est très relative. Les adaptations étant proposées aux classes de 6 ème , elles sont d’abord raccourcies. Isabelle Pandazopoulos passe par une traduction avant l’adaptation, et conserve les XXIV chants d’Homère ainsi queles trois grandes parties qui structurent le poème : «Le voyage de Télémaque » , « Le récit du voyage d’Ulysse» , et « La vengeance d’Ulysse» . Afin de raccourcir l’œuvre pour la rendre accessible à un enfant de 6 ème , Isabelle Pandazopoulos a recours à des résumés, qui sont écrits en italique, souvent au début ou à la fin des différents chants. Ceux-ci permettent de faire avancer le récit, tout en conservant son sens. De plus, les marques de suppressions sont clairement notées par des points de suspension entre crochets.
Cette notation souligne le travail de traduction et une connaissance précise de l’œuvre d’origine. Toutefois, l’adaptateur se doit de faire des choix car il ne peut pas retranscrire tous les évènements du texte d’origine. Ainsi les étapes du voyage d’Ulysse sont-elles identiques dans les deux adaptations bien que des passages soient supprimés, comme celui de la pendaison des servantes infidèles. Isabelle Pandazopoulosessaye donc de rester proche des textes : « nous retournons donc aux textes, à leur authenticité . » L’entreprise ambitieuse d’Isabelle Pandazopoulos est donc de rester fidèle aux textes tout en les présentant à un public plus jeune.
Martine Laffon, quant à elle, a une démarche bien différente. Effectivement, philosophe de formation, elle propose une autre lecture du mythe. De ce fait, elle se réapproprie l’œuvre d’Homère en lui donnant une autre perspective. Les étapes du voyage d’Ulysse sont alors racontées dans un ordre chronologique par le héros lui-même, vieillissant.
On a une mise en abîme tout au long de l’œuvre et des allés -venus entre le récit et des commentaires. Ces allés-venus se distinguent par des caractères en italiques. Martine Laffon accorde donc de l’importance aux réflexions d’Ulysse sur son parcours, sur sa vie. En effet, la voix du héros est celle de la sagesse, et se démarque de la figure traditionnelle d’Ulysse. On a donc avec ces deux adaptations, deux perspectives différentes qui entretiennent chacune un rapport particulier avec le texte d’origine.

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Table des matières
Remerciements 
Sommaire 
Introduction 
PARTIE 1 – UN UNIVERS GENERATEUR D’IMAGINATION
CHAPITRE 1 – DES ŒUVRES FANTOMES
CHAPITRE 2 – LE VOYAGE,L’ AVENTURE
CHAPITRE 3 – LE MERVEILEUX
PARTIE 2 -LA FORMATION D’UN LECTEUR
CHAPITRE 1 – UN LECTEUR CURIEUX
CHAPITRE 2 –L’IDENTIFICATION
CHAPITRE 3 – LE DEVELOPPEMENT DE L’ ESPRIT CRITIQUE
PARTIE 3 -LA FORMATION D’UN INDIVIDU
CHAPITRE 1 –DES CONNAISSANCES ENCYCLOPEDIQUES
CHAPITRE 2 –UN VOYAGE A TRAVERS LA VIE
CHAPITRE 3 –GRANDIR,S’ EMANCIPER
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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