Un traitement journalistique de l’information
Des formats issus du journalisme traditionnel
Si YouTube est considéré comme une plateforme innovante d’information, les formats traditionnels du journalisme ont néanmoins toujours leur place et sont même de plus en plus d’actualité. On constate que des formats journalistiques comme l’interview, le reportage, le portrait et même l’investigation ne sont plus exclusivement utilisés par les médias traditionnels mais également par les youtubeurs d’information. Il est de plus en plus fréquent de voir des vidéos qualifiées de « reportage » ou bien « d’enquête » par leurs auteurs. L’utilisation de formats issus du journalisme traditionnel est alors revendiquée.
Prenons par exemple le youtubeur Micode, aux 629 000 abonnés. Il s’est rapidement fait connaitre pour ses vidéos dans lesquelles il vulgarise des sujets en lien avec la cybersécurité et l’informatique de manière générale. Au mois d’avril 2019, il a réalisé trois volets de son nouveau format « Safe code, l’enquête ». Le but ? Dévoiler qui se cache derrière les arnaques aux faux virus ou aux faux supports téléphoniques. Son enquête l’a menée jusqu’à l’Ile Maurice et au contact de nombreuses sources.
Ce style d’enquête s’apparente au journalisme d’investigation et il n’est pas le seul créateur à réaliser ce genre de format. Le youtubeur Sylvqin (46 000 abonnés) en a d’ailleurs fait sa spécialité. Le 9 janvier 2019, il publie une vidéo dans laquelle il dévoile comment le groupe Lafont Presse plagie des articles de magazines entiers en les copiant depuis des sites web.
Quant au youtubeur Le Roi des Rats (978 000 abonnés), il a dévoilé de nombreuses affaires liées au monde de YouTube comme l’affaire Math Podcast (expliquée en introduction) ou encore, des scandales liés à la pédophilie sur la plateforme. Certaines de ses enquêtes sont mêmes citées par des médias traditionnels .
Le format reportage est également de plus en plus commun. La chaine HugoDécrypte, a lancé le 31 mars 2019 un nouveau format de vidéos qui prend le nom de « reportages ». Dans ce format, Hugo Travers est accompagné d’un journaliste reporter d’images (Benjamin Aleberteau) et va sur le terrain pour assister à des évènements et interviewer des sources en lien avec le thème de la vidéo. La première vidéo de ce type est « J’intègre des vrais druides en Bretagne (Reportage) ». Dans celle-ci, il se rend en Bretagne où il assiste à une cérémonie de la Gorsedd (Fraternité des druides, bardes et ovates de Bretagne). Il rencontre le grand druide de Bretagne et interroge des participants à la cérémonie. Comme un journaliste professionnel, il va donc sur le terrain pour récolter les informations et rapporter ce qu’il a vu.
Autre genre journalistique régulièrement utilisé par Hugo Travers, celui de l’interview. Muni de son micro, il interroge des militants pro-Front National, pro-Macron ou pro-Mélenchon dans son format « #VlogPrésidentiel ». Il questionne principalement des jeunes, car c’est son cœur de cible. Il a également interviewé de nombreux politiques dont Edouard Philippe, Bruno Le Maire, Benoît Hamon (etc.) dans la cadre de l’élection présidentielle de 2017.
L’usage de ces formats et genres montre alors un vrai lien et des similarités entre vidéastes d’information et le journalisme. On constate que dans leur façon d’informer leur audience, les créateurs reproduisent des schémas informatifs bien ancrés dans les médias traditionnels comme si la mention du mot « enquête » ou « interview » donnait plus de légitimité, plus de sérieux au contenu. Désormais, des genres comme l’interview et le reportage ne sont pas réservés qu’aux youtubeurs d’information. Si la mention du format n’est pas systématique, on voit ces genres se développer également sur des chaines de divertissement, de beauté et même de cuisine. Par exemple, la youtubeuse beauté EnjoyPhoenix (3,5 millions d’abonnés) a lancé un format dans lequel elle passe vingtquatre heures avec un youtubeur. Dans la vidéo « UNE JOURNEE AVEC TIBO INSHAPE ! » publiée le 19 janvier 2019, elle le suit dans son quotidien, l’interroge sur son passé et sa vie actuelle. Dans les commentaires de cette vidéo elle explique : « Je voulais voir qui se cachait derrière cette pêche incroyable, découvrir son vrai visage, l’histoire derrière la création de sa chaine… » Sans s’en rendre compte, la youtubeuse beauté va plus loin qu’une simple vidéo de divertissement. En réalité, elle l’interview et réalise un réel portrait du youtubeur. Son contenu se rapproche par conséquent des formats journalistiques. Les formats et genres traditionnels du journalisme sont donc bien présents sur la plateforme, les youtubeurs allant jusqu’à parfois qualifier leurs contenus de « reportage » ou d’ « enquête ». Les contenus informatifs sur la plateforme peuvent alors être assez similaires à ceux proposés par les médias traditionnels.
Des méthodes journalistiques
Pour informer leur audience, certains youtubeurs traitent l’information de façon journalistique. Avant tout, définissons ce qu’est un traitement journalistique de l’information. La « Charte d’éthique professionnelle des journalistes » du Syndicat National des Journalistes définit le journalisme de la manière suivante : « Le journalisme consiste à rechercher, vérifier, situer dans son contexte, hiérarchiser, mettre en forme, commenter et publier une information de qualité ; il ne peut se confondre avec la communication. Son exercice demande du temps et des moyens, quel que soit le support. ». Elle détaille ensuite ceci : « [Un journaliste digne de ce nom] tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ».
Traiter journalistiquement l’information consiste alors à réaliser un travail conséquent et fastidieux de recherche, de vérification afin de ne pas déformer les faits et de transmettre une information fiable. Le journaliste s’oblige à consulter systématiquement les différents points de vue et à donner les différentes versions et suit un principe d’objectivité, qui consiste à imposer une distance critique entre les faits et sa propre interprétation des faits.
Le travail de recherche et de vérification des sources correspond donc à des méthodes journalistiques de traitement de l’information, de plus en plus communes sur la plateforme YouTube. Les créateurs ne souhaitent pas diffuser de fausses informations dans le but de conserver la confiance de leur audience. HugoDécrypte s’efforce de respecter ces méthodes. Dans les vidéos de la chaine, nous pouvons constater une certaine rigueur journalistique. Premièrement, le contenu de la chaine tend vers la neutralité de l’information. Hugo Travers ne donne quasiment jamais son opinion. Comme il l’explique aux Inrockuptibles le 11 novembre 2016, la neutralité demeure pour lui le meilleur moyen de décrypter un discours car « ce n’est pas en jugeant les valeurs mais en énonçant les faits qu’on lutte » . Concernant le travail de recherche et de vérifications, Hugo Travers explique également réaliser un travail de veille journalistique et de vérification et depuis le 19 août 2018, les sources des vidéos sont partagées en description. Les sources utilisées proviennent d’articles et d’enquêtes réalisés par des médias traditionnels de tous bords politiques (franceinfo, Europe 1, France 24, Le Monde…). En réponse à un commentaire sous la vidéo « PIRATAGES, DÉMISSIONS DU GOUVERNEMENT, JEU VIDÉO DU FUTUR, ARMES DE GUERRE… 5 actus de la semaine », publiée le 7 octobre 2018, il détaille ses méthodes : « On fait évidemment de la veille pendant la semaine (c’est obligatoire, ne serait-ce que pour travailler sur le format des actus du jour d’Instagram et Messenger). On définit en fin de semaine les 5 actualités qui nous semblent les plus pertinentes pour le format. Après, on est une équipe de 4-5 sur ce format pour vérifier les informations, monter, etc. Enfin, tu as quelques sources que l’on utilise dans la description à chaque fois. » .
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Table des matières
INTRODUCTION
I. Un traitement journalistique de l’information
A. Des formats issus du journalisme traditionnel
B. Des méthodes journalistiques
C. L’obtention d’une certaine légitimité : Partenariats entre vidéastes et rédactions
II. Des formats innovants qui attirent une audience jeune
A. La vulgarisation et les formats courts pour rendre accessible l’information aux plus jeunes
B. Le journalisme incarné permettant aux internautes de s’identifier
C. L’interaction avec la communauté
III. Une indépendance qui permet certaines prises de liberté
A. Une rigueur journalistique pas nécessairement respectée
B. La relation entre youtubeurs et entreprises : la question des partenariats
C. YouTube comme lieu d’expression et d’opinions
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
RESUME
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