UN SURRÉALISME MIS EN VALEUR PAR L’ORNEMENT
L’hybridité et la chimère dans le courant surréaliste, leurs perceptions
L’hybridité peut se retrouver dans plusieurs sphères de mon travail. Elle prend forme sur les toiles et elle est le point de départ de ma recherche. Cette notion qui consiste, non pas à mélanger, mais à unir deux espèces ou deux éléments afin d’en former un troisième, hybride, est le fond de mon travail de création. Elle permet l’épanchement d’une foule de représentations. Dans l’histoire de l’art, ce terme est rarement abordé; il est beaucoup plus près des domaines de la science et de la biologie. Par contre, il est fascinant de constater la présence de l’hybridité dans plusieurs œuvres importantes. Plus précisément, les artistes surréalistes ont utilisé l’hybride mais sans vraiment le savoir, ni sans vraiment le nommer.
Le surréalisme prônait la libre expression de toutes les représentations possibles. Il mettait de l’avant l’idée de la pulsion créatrice, de l’utilisation de toutes les parts de l’imaginaire, partie de notre pensée dont plusieurs ont eu tendance à négliger l’importance. De nombreuses créatures innommables se sont vues peintes, sculptées ou dessinées par un grand nombre d’artistes. Les chimères, créatures hybrides et imaginaires, ont souvent été représentées dans un large éventail d’œuvres de l’histoire de l’art. Comme le dit Françoise Py, les chimères sont des amalgames de plusieurs règnes, de plusieurs espèces qui s’entrecroisent et s’influencent entre elles : « Le surréalisme a fait renaître Chimère. Les cadavres exquis peints ou dessinés favorisent la fusion des règnes et l’interpénétration de l’animé et de l’inanimé, des êtres et des choses. Le recours à l’inconscient engendre des créatures chimériques et des figures spectrales. » Que ce soit du vivant ou de l’inerte, elles ont comme source plusieurs entités. Dans le courant de la peinture surréaliste, plusieurs artistes ont utilisé la chimère comme élément central de leur création. Ils croyaient au pouvoir du rêve et de l’imaginaire. Donc, ils laissaient libre cours à leurs pulsions imaginatives, ils accordaient notamment une grande importance à l’hallucination. Ils utilisaient leur monde intérieur et faisaient confiance à l’inconscient.
Les sujets des œuvres appartenant à ce courant et souvent leurs titres échappaient à la raison, ils se rattachaient beaucoup plus aux domaines des pulsions et de la spontanéité. Henri Behar, historien de la littérature française, décrit bien l’utilisation de l’imagerie surréaliste : «[…] il y a peu de raisons d’analyser l’imagerie surréaliste du point de vue des éléments individuels. S’il est tentant de classer ceux-ci en tant que, disons, animaux, végétaux ou minéraux, de tels exercices ont une application limitée. Ce qui importe, comme la définition l’implique, ce n’est pas tant les éléments mais plutôt la nature du rapport entre eux . » Selon Behar, l’imagerie surréaliste est utilisée en tant qu’un tout et ainsi une seule masse chimérique n’est donc pas dissociée de ses composantes de diverses provenances. Dans mes compositions, il faut considérer « la nature du rapport entre eux [les éléments] ». Ils sont interdépendants, ils dépendent les uns des autres. Les éléments décoratifs floraux agissent comme camouflage des scènes florales et animales, faisant référence à la mort, qui sont moins près d’un certain but esthétique. Donc, toutes les parties de l’ensemble sont utiles entre elles, car elles sont inter reliées et interdépendantes.
II est très pertinent de se questionner sur la perception de l’hybridité par ses récepteurs. Elle est forcément perçue comme une étrangeté, une incongruité. Un parallèle important avec le grotesque est très propice à effectuer. Ce parallèle est l’importance de l’imaginaire dans ces deux notions. L’hybride, chimère, est une créature ou une entité créée soit par le réel soit par l’imagination. Cette citation de l’auteur Pierre Livet décrit très bien l’état d’esprit qui entoure mon travail : « Quand une image a été produite avec l’intention que celui ou celle qui « voit-dans » cette image ce qui y est dépeint fasse semblant que cela même qui est reconnu possède une existence réelle, on a alors une image fictionnelle».Je mets donc en scène des hybrides irréels, imaginaires, qui n’ont une existence qu’à travers eux-mêmes.
Comme le mentionne Livet, l’imagination est très importante dans la perception que les récepteurs ont de l’hybridité : Qu’est-ce que le système de l’imagination? C’est un système permettant de se représenter des situations contraires aux faits ou à nos croyances sur les faits. […] on est alors prêt à envisager l’imagination comme une capacité dont la fonction propre serait de simuler la possession de croyance concernant des objets ou des situations que l’on sait irréels, une capacité de simulation.
Face à l’hybridité, les spectateurs doivent faire usage de simulation afin de pouvoir croire aux êtres irréels illustrés dans mes créations. La simulation est donc une notion d’une grande importance puisque mon travail même est simulation, il simule des créatures, des arrangements, il invente des scènes, des images. Sur un autre plan, les récepteurs ont aussi recours à la simulation pour adhérer à tout ce qui leur est présenté. Donc, l’hybridité est perçue comme étant une chimère, une notion utilisant l’imagination comme moteur, comme élément premier dans sa propre création.
Les métaphores du grotesque
Le mot grotesque, par définition, peut être un adjectif définissant la chose qualifiée comme étant invraisemblable, bizarre, extravagante. Cette définition peut aussi s’appliquer à mon travail de création. L’auteur Peter Dubé explique ce que désigne le mot grotesque :« Plus précisément, l’expression désigne le mode décoratif élaboré de pièces et corridors (dites « caves » en raison de leur enfouissement) où cohabitent figures monstrueuses et scènes défiant toute logique.». Puisque le surréalisme est au centre même de ce travail, l’extravagance et l’invraisemblance des représentations mises en place dans ces images sont propres au grotesque en tant que terme adjectival.
L’atmosphère qui règne dans l’exposition Séduction Décorative est bel et bien bizarre et cela est l’effet recherché. Le mot grotesque désignant aussi le loufoque et l’étrange définit agréablement le fruit de mon travail. Il met l’accent sur l’incompréhensible, sur l’imaginaire inconscient. « Grotesque – un mot balancé pour décrire quelque chose qui s’écarte de la norme : quelque chose de difforme, d’effroyable mais de comique Peter Dubé, La Tête au ventre, L’association des serpents et des oiseaux, des tigres et des moutons : sur le passage d’un mot et d’une idée dans une culture, 2007, néanmoins.». Cette citation de Peter Dubé démontre bien l’atmosphère dans lequel les grotesques évoluent. Les hybrides illustrés dans mon œuvre sont certes issus d’un imaginatif grotesque, mais d’un point de vue esthétique, il est très pertinent d’analyser l’importance du grotesque dans l’art et l’influence qu’il a pu exercer dans ma création
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Table des matières
RÉSUMÉ
REMERCIEMENTS
LISTE DES ILLUSTRATIONS
INTRODUCTION
UN SURRÉALISME MIS EN VALEUR PAR L’ORNEMENT
1.1 Une picturalité née du surréalisme
1.2 Représentations grotesques
1.3 Le décoratif rococo et l’éclectisme baroque
1.4 L’ornement porteur d’ordre
L’ORNEMENT COMME CAMOUFLAGE DE LA LAIDEUR
2.1 L’hybridité et la chimère dans le courant surréaliste, leurs perceptions
2.2 Les métaphores du grotesque
2.3 La part de plaisir dans l’acte créatif
2.4 Le décoratif comme camouflage de la laideur
SÉDUCTION DÉCORATIVE
3.1 L’importance de la couleur et l’atmosphère qu’elle suscite
3.2 La diversité et l’éclectisme des représentations
3.3 Les œuvres
3.4 La séduction et l’hybridité
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE
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