Un sous-contexte de la petite phrase (la communication politique)

Le discours politique

Généralités

Dans une étude consacrée au phénomène des « petites phrases » et dans un champ de recherches appartenant aux Sciences de l’Information et de la Communication, il faut préciser où l’on replace le thème du discours politique. Tout d’abord, du fait de son caractère très vaste et complexe, il nous fallait le circonscrire et le thème de ce mémoire le permet. Ensuite, nous essayerons d’en faire ressortir les aspects qui nous permettent de situer ces « petites phrases » en tant qu’elles s’inscrivent, ou non, à un moment donné, dans une stratégie de communication politique.
Soyons prudent avec cette notion de communication politique pour ne pas la confondre avec celle de discours politique. Nous allons y revenir, mais observons tout d’abord ce dernier. D’un point de vue général, et dans un premier temps, on peut dire que nous considérerons ici le discours politique en tant qu’il est celui tenu par ceux que l’on nomme les femmes et hommes politiques. Cela peut paraître une évidence, mais ne l’est sans doute pas si l’on considère que beaucoup d’autres acteurs tiennent parfois un discours dit « politique », comme par exemple les dirigeants d’entreprises, les dirigeants syndicaux ou autres acteurs exerçant des responsabilités et pouvant se trouver en situation de s’exprimer publiquement ou de prononcer des discours.
Ensuite, et selon une définition très généraliste, rappelons qu’un « homme politique » est celui qui « s’occupe des affaires publiques » (Le Petit Larousse, 1995 : 800). Quant au discours, et pour compléter ce qui a été dit un peu plus haut, celui-ci peut être défini comme un « …mode d’appréhension du langage… » et, ce qui lui est lié, «…l’activité de sujets inscrits dans des contextes déterminés. » (Maingueneau, 1996 : 28). Alors, une définition assez généraliste du discours politique pourrait donc se résumer ainsi : il serait l’activité langagière, dans un contexte précis, de ceux dont la responsabilité est de gérer les affaires publiques. Ici apparaissent d’emblée deux points sur lesquels nous pouvons d’ores et déjà attirer l’attention : d’une part, l’acteur est bien identifié, il ne s’agit pas d’un discours prononcé par un inconnu et d’autre part, celui-ci le fait dans un contexte qui est clair et dont le cadre est parfaitement identifié.
Cette notion de contexte fait penser à une autre approche pour dessiner le cadre du discours politique. Christian Le Bart nous propose le concept de logiques de position pour cerner les environnements dans lesquels vont être exercés les discours politiques : logiques de position qui, selon lui, sont au nombre de quatre. Il nous propose tout d’abord l’origine et la trajectoire sociale qui vont, d’après lui, déterminer la façon de s’exprimer du locuteur, arguant du fait que le parcours et les origines de celui-ci doivent être pris en considération. La 2e notion qu’il met en avant est celle de clivage politique. Il avance que ce marquant idéologique va déterminer une certaine façon de discourir et l’utilisation d’un certain vocabulaire : pour schématiser, selon la tendance politique, le vocabulaire utilisé, les figures rhétoriques ou le style seront différents. Le 3e point est le rôle du locuteur : le discours sera influencé par le fait que celui-ci est un maire, ministre ou Président de la République. Enfin, le 4e déterminant est la conjoncture politique, la campagne électorale pouvant être l’une de celles-ci (Le Bart, 1998 : 28-40). Ce qui ressort à ce stade est la multiplicité des éléments à prendre en compte pour déterminer le discours politique. Il semble aller de soi qu’il ne faille pas s’en tenir aux seuls mots ou aux seuls locuteurs pour en saisir la portée et tout ce qu’il recouvre.

Discours politique et pouvoir

Une autre approche du discours politique est celle de Constantin Salavastru, un philosophe ayant travaillé sur l’art oratoire et la rhétorique en politique, qui le définissait ainsi en 2003 à l’occasion d’un séminaire consacré à la « logique discursive » : « le discours politique est une forme de la discursivité par l’intermédiaire de laquelle un certain locuteur (individu, groupe, parti etc.) poursuit l’obtention du pouvoir dans la lutte politique contre d’autres individus, groupes ou partis » (Salavastru, 2003 : 1). Cette définition fait apparaître deux points nouveaux intéressants. Le 1er est le fait que le locuteur, donc celui qui s’exprime, n’est pas nécessairement un individu mais il peut être également un groupe ou un parti. On imagine ici que le discours en question peut être celui prononcé par une personne au nom de lui-même, ou par une personne au nom du groupe qu’il représente, par exemple un parti politique. On peut aussi imaginer, dans ces conditions, que le discours en question peut être oral ou écrit. Le 2e point qui ressort de cette définition est la notion de pouvoir. Le discours politique aurait donc comme objectif l’accession au pouvoir ou, comme on peut le lire entre les lignes, la volonté de le garder. Replacé dans le contexte de notre étude, précisément, cette approche est intéressante. En effet, le candidat à l’élection présidentielle est à l’évidence dans cette recherche de pouvoir et les « petites phrases » qui pourraient apparaître dans son discours auraient donc également cet objectif.
Avec cette approche où intervient la notion de pouvoir, Constantin Salavastru rejoint le point de vue de Patrick Charaudeau pour qui le langage, l’action et le pouvoir sont liés. C’est précisément ce qui apparaît lorsque ce dernier écrit que « le gouvernement de la parole n’est pas le tout de la politique, mais il ne peut y avoir d’action sans parole : la parole intervient dans l’espace de discussion pour que soient définis l’idéalité des fins et les moyens de l’espace public» (Charaudeau, 2005 : 16). Ce point de vue qui tend à vouloir rendre indissociable le langage et le pouvoir est essentiel dans la recherche que nous menons ici. En effet, on peut se demander ce qu’il en est de cette relation entre ces deux entités dans le discours de quelqu’un qui n’est pas encore en situation de pouvoir, parce que candidat. Comment le discours de quelqu’un qui n’a pas le pouvoir peut-il être intimement lié à celui-ci ? Peut-être parce que, par les mots qu’il choisira d’emprunter, il se mettra en position, au regard de l’opinion, d’être au pouvoir ou en situation de pouvoir. Sans chercher à se poser ici la question de savoir qui parle, cette théorie rejoint ceux qui pensent que l’action politique, plus que d’être seulement liée à son activité discursive, s’y confond. C’est à nouveau le cas de Christian Le Bart lorsqu’il écrit que « le métier politique consiste (…) à savoir poursuivre des stratégies discursives (convaincre, se légitimer, délégitimer autrui) en ayant intégré l’ensemble des contraintes de champ. C’est l’intériorisation du rôle » ou encore « les politiques existent plus que jamais à travers ce qu’ils disent, la capacité à exister à travers ce qu’ils font apparaissant beaucoup plus aléatoire » (Le Bart, 2010 : 79). Partant de ce point de vue, comment peut-on qualifier le rôle du discours dans l’activité de l’acteur politique autrement que central, fondamental, intrinsèque ? Finalement, ce discours politique dès lors que l’on commence à s’y intéresser ne constitue-t-il pas l’essence même de l’activité publique, ce qui expliquerait pourquoi le rôle de la communication politique est grandissant ? En effet, si l’on part du postulat que, d’une part, la politique et le pouvoir sont liés et que d’autre part, l’action politique et le discours politique tendent à se confondre, on voit bien qu’une des préoccupations majeures de l’acteur politique va être de chercher à améliorer la qualité de sa communication politique. Mais ce n’est pas encore le moment de se pencher en détail sur cette question.

Un objet multiple

Si l’on revient au discours politique, on perçoit, par les références que l’on vient d’évoquer, qu’il est multiple, complexe et qu’il fait appel à diverses notions. C’est sans doute le moment d’essayer d’en proposer une nouvelle définition qui met clairement en évidence son aspect multiforme et qui devrait nous conduire dans la direction recherchée pour aborder la question centrale de cette étude : « Le discours politique est ce lieu par excellence d’un jeu de masques. Toute parole prononcée dans le champ politique doit être prise à la fois pour ce qu’elle dit et pour ce qu’elle ne dit pas. Elle ne doit jamais être prise au pied de la lettre, dans une naïve transparence, mais comme résultat d’une stratégie dont l’énonciateur n’est pas toujours le maître » (Charaudeau, 2005 : 5). Cette proposition semble nous faire progresser d’un niveau dans l’approche que nous faisons du discours politique et de son univers emmêlé. Il nous apparaît de plus en plus, par tout ce que nous venons de montrer, que plusieurs couches le composent, s’y superposent et le déterminent.
L’auteur que nous venons de citer, Patrick Charaudeau, se situe précisément dans cette approche de « complexité » lorsqu’il décrit le discours politique. Au fil de ses recherches sur ce sujet, on retrouve le postulat qui veut que le discours politique serait constitué de trois composantes que sont le logos, l’ethos et le pathos. Le logos correspond au discours en lui-même, à l’argumentation, l’ethos est l’image de soi construite par le locuteur, tandis que le pathos est l’émotion qui y est véhiculée. Si on devait représenter schématiquement ce postulat, on distinguerait assez bien les trois « entités » que sont celui qui parle, le discours qu’il porte, et celui qui le reçoit. En effet, même si ces émotions émanent de celui qui parle, elles sont reçues et ressenties par celui qui écoute, par celui qui reçoit le discours. Or, ajoute le chercheur, « il semble (…) que le discours politique, tout en restant un mélange de ces trois composantes, s’est progressivement déplacé du lieu du logos vers celui de l’ethos et du pathos, du lieu de la teneur des arguments vers celui de leur mise en scène » (Charaudeau, 2005 : 35). Nous pourrions donc dire que, selon cette hypothèse, le discours politique en tout cas ce qui le constitue en tant que tel, n’est plus le texte en lui-même, les propositions, les idées mais la façon dont elles sont délivrées, dans quelles circonstances, avec quels affects, quelle force de conviction ou de persuasion, quels présupposés ou références, voire dans quel but et avec quelle stratégie. A ce moment, on pense à un mot qui résume assez bien tout ceci : le mot « théâtre ». En effet, si l’on continue dans cette direction qui voudrait que l’ethos et le pathos jouent désormais un rôle prépondérant vis-à-vis du discours politique, on ne peut s’empêcher d’associer celui-ci aux notions de mise en scène, de techniques, de rapport avec l’auditoire… Si l’image de l’homme politique et les émotions qu’il transmet semblent devenus aussi centraux dans le discours politique, cela va impliquer de devoir se pencher sur la façon dont le locuteur gère cette image et ces émotions, et sur le rôle joué par les mots dans cette « mise en scène » générale à laquelle participe a priori aujourd’hui le discours politique.
Avant de nous pencher sur la question de la communication politique, disons un mot de ce que peut véhiculer par ailleurs le discours politique comme réputation, comme connotation. On ne peut nier le fait que le discours politique « traîne » une réputation qui dans son ensemble le dessert, et l’on verra qu’au moment d’aborder la « petite phrase » d’un point de vue général, curieusement, certains points communs apparaissent quant à cette « réputation ». Le discours politique est en effet souvent « illustré » par des formules ou expressions qui le stigmatisent plus qu’elles ne le mettent en valeur : on pense par exemple à la langue de bois, expression qui revient régulièrement pour décrire le discours politique. Pour décrire ce dernier, l’opinion parle aussi parfois de « beaux discours » et on comprend par cette antiphrase qu’elle pense en fait tout le contraire, tout comme quand les locuteurs sont qualifiés de « beaux parleurs ». Tout cela signifierait-il que l’action politique ne se réduit pas à ses discours, comme on l’a un peu évoqué plus haut, ces expressions ayant tendance à vouloir dire que si les paroles ne sont pas suivies des actes, alors, elles ne servent à rien ? Ceci rappelle par ailleurs le nom d’une émission politique diffusée sur France 2 à laquelle ont été invités tous les candidats aux élections présidentielles 2012 : Des paroles et des actes, un titre qui résume peut-être à lui tout seul ce qu’est l’action politique et qui semble vouloir quant à lui dissocier ces deux composantes, signifiant par là-même que l’une (la parole) n’inclut pas l’autre (l’acte) ? Ce qui est certain en tout cas c’est que cette réputation « d’inutilité » de la parole politique existe depuis un certain temps déjà même si les femmes et hommes politiques tentent de la gommer par tous les moyens et notamment celui de l’utilisation de certaines techniques de communication politique, même si ce n’est pas le seul objectif de ces dernières.
Nous venons donc de nommer les grandes caractéristiques d’un discours politique et avons mis en avant son caractère « multiple ». Regardons à présent de quelle manière celui-ci se situe vis-à-vis des techniques de communication.

Un sous-contexte de la petite phrase : la communication politique

Le moment est venu de regarder de quelle manière ce discours politique, que nous venons de définir, circule, se diffuse, et à l’aide de quelles techniques. Ainsi, rappelons que nous essayons à travers cette étude d’observer si les « petites phrases » jouent un rôle dans la stratégie de communication d’un homme politique, et plus particulièrement au cours d’une campagne électorale. Aussi, on ne pouvait dans ce mémoire traiter de ce sujet sans aborder précisément la question de la communication politique : celle-ci diffère du discours politique, dont nous venons de dresser le cadre. Elle en diffère par le fait qu’elle fait immanquablement penser à la forme utilisée pour diffuser des idées, quand le discours politique en lui-même concerne plus le fond. Essayons alors de définir ce qu’est la communication politique, en commençant par un bref retour en arrière.

Les origines de la communication politique : la propagande ?

« La communication politique, au sens moderne, désignant l’ensemble des pratiques visant à établir des liens entre les professionnels de la politique et leurs électeurs, en usant notamment des voies offertes par les médias (de l’article de presse au clip, du publipostage au courrier électronique, du débat télévisé au blog…), a pris naissance aux Etats-Unis » (Riutort, 2007 : 25). Dans cette définition qui est en même temps une façon de resituer les origines de cette « discipline », le sociologue nous livre plusieurs informations.
Tout d’abord, et en comparaison avec le discours politique, il cite un acteur supplémentaire : le monde des médias, qui serait donc intrinsèquement lié à la communication politique : on comprend aisément que le lien entre un acteur politique et sa « cible », à savoir la population, va se faire par le biais des médias. Ensuite, il nous dit que c’est aux Etats-Unis que la communication politique, selon lui, trouve ses origines : il évoque d’ailleurs plutôt l’opinion publique et la façon dont les politiques vont s’y intéresser, celle-ci tendant « …à s’ériger aux Etats-Unis, dès la fin du XIXe siècle, en principe majeur de légitimation des gouvernants » (ibid. : 26).
L’appellation d’opinion publique est d’ailleurs à rapprocher de celle de relations publiques, qui se développent également aux USA dans les années 1920. A cette époque, « les relations publiques se professionnalisent sous l’influence d’un Edward Bernays, qui y a vu un moyen de ‘cristalliser l’opinion publique’, pour reprendre le titre d’un de ses ouvrages » (Lhérault/Daklia, 2008 : 205). Dans ces propos, on voit apparaître la notion d’influence des masses et de l’opinion. En filigrane de ces notions en apparaît une autre, fondamentale : la propagande, dont Edward Bernays se voudra l’un des théoriciens, notamment au travers de son oeuvre très célèbre : Propaganda (1928). Il y écrit que « la manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes des masses, joue un rôle important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays » (Bernays, 1928 : 31). A travers ces propos où apparaît le mot gouvernement, on perçoit l’importance de l’approche propagandiste dans la communication entre les acteurs politiques et la population à cette époque aux USA.
La « propagande » a pourtant des origines tout autres puisque le terme a été utilisé pour la première fois dans le contexte religieux : congregatio de propaganda fide (congrégation pour la propagation de la foi), instituée le 22 juin 1622 par le pape Gregoire XV pour « répandre la religion catholique et diriger toutes les missions » (Breton, 1997 : 69). Voici une définition très générale de ce terme : « action systématique exercée sur l’opinion pour faire accepter certaines idées ou doctrines, notamment dans le domaine politique, social, etc. » (Le Petit Larousse (1995 : 829). Peut-être que cette autre approche, pourtant historique, rappelle l’origine « religieuse » du terme : « La propagande applique les techniques de la foi collective et vise à la socialisation des doctrines politiques et des idéologies » (Delporte, 2003 : 3).
Ramenons le terme dans le champ politique et citons le point de vue du politologue Jacques Gerstlé qui rappelle que « dès 1927, Lasswell publie un ouvrage sur les techniques de propagande pendant la 1ère guerre mondiale. Il la définit comme le management des attitudes collectives par la manipulation des symboles assez proche de certaines définitions actuelles de la communication politique » (Gerstlé, 2004 : 30), Lasswell ayant été un spécialiste américain reconnu des relations entre la communication et la politique. Même si cette notion de propagande semble avoir aujourd’hui une certaine connotation négative, Philippe Breton, nous rappelle que ce terme « n’est devenu péjoratif que depuis peu ». Pour illustrer ses propos, il cite l’oeuvre de Serge Tchakholine, Le viol des foules par la propagande politique (1952), dans lequel l’auteur regrette que les méthodes de la propagande « aient été insuffisamment utilisées ‘pour la bonne cause démocratique’ » (Breton, 1997 : 70). En d’autres termes, même si, dans l’opinion, ce terme de propagande semble le plus souvent associé à des actions menées par des régimes non démocratiques ou pendant des périodes troubles puisque, selon certains, elle « (…) s’appliquait à entretenir le rapport inégalitaire entre les acteurs politiques et la masse par le caractère unilatéral du message (…) » (Delporte, 2006 : 30), il semblerait qu’il puisse également être associé à l’activité politique classique d’une démocratie.

De la propagande à la communication politique

Replaçons-nous brièvement dans le contexte américain pour citer la fameuse théorie de la « seringue hypodermique » de Lasswell, qui mettait en avant « la puissance de conditionnement des médias de masse » (Riutort, 2007 : 36), son principe général étant que les médias contrôlent l’opinion en lui injectant certaines « doses de messages » à intervalle régulier. Cette théorie sera mise à mal dans les années 1940-1950 par les travaux de Lazarsfeld et ses équipes de Columbia, pour qui ce phénomène aurait des « effets limités ». Le chercheur avance que « les récepteurs ne subiraient (…) qu’une « exposition sélective », au sens où ils filtreraient en amont l’émetteur (du choix d’un journal à celui d’un bulletin d’information) à partir de leurs préférences initiales » (Riutort, 2007 : 36). Dans cette théorie, nommée two-step flow of communication, Lazarsfeld évoque également le rôle joué par celui qu’il nomme le leader d’opinion, par exemple le père de famille, qui retraduit les informations qu’il a lui-même réceptionnées. En résumé, cette théorie met en avant qu’un certain nombre de « filtres » existeraient et que le conditionnement des masses ne serait donc pas une évidence. C’est en quelque sorte une façon de dire que la « communication » vient s’immiscer dans les relations entre les médias et les masses.
« Si l’on en croit l’idée généralement admise, nous serions passés, dans une période que l’on situe, selon le cas, quelque part entre les années 1950 et 1980, d’un âge de la propagande à un âge de la communication politique, mouvement qui aurait ainsi accompagné le basculement du temps des masses à celui de l’opinion publique » (Delporte, 2006 : 30). C’est le cas français que l’historien dépeint dans cet article, même s’il n’est pas clairement établi que ce phénomène ait un lien avec ce qui s’est passé aux USA. Et quand il ajoute que « par la posture d’écoute et de dialogue qu’elle suppose, la communication constitue le liant de la société démocratique, en rupture avec la propagande, par nature totalitaire », il apporte le présupposé que la communication politique serait à mettre en lien avec la nature démocratique d’un régime politique.
Les Sciences de l’Information et de la Communication semblent également défendre cette hypothèse, à savoir qu’il existerait un lien entre la propagande et la communication politique, comme par exemple dans cet article : « la tension entre les catégories « propagande » et « communication politique » est devenue particulièrement manifeste dans les années quatre-vingt, décennie caractérisée par la construction de la communication comme catégorie d’analyse dominante, dans la sphère politique et au-delà » (Ollivier-Yaniv, 2010 : 31). Il semble donc que les années 1980 aient marqué en France un tournant dans cet avènement, cette mise en place d’une communication politique. C’est également dans cette décennie qu’apparaît une autre définition de la communication politique allant dans ce sens : il s’agirait ainsi d’un « espace où s’échangent les discours des trois acteurs qui ont la légitimité à s’exprimer publiquement sur la politique et qui sont les hommes politiques, les journalistes et l’opinion publique au travers des sondages » (Wolton, 1989 : 39). Là encore on voit que la communication a investi le champ et que les échanges entre les acteurs sont au coeur du processus. La communication politique se distinguerait donc de la propagande par ce dialogue qui apparaît être central et où une certaine mise en commun des intérêts semble prévaloir. On pourrait alors imaginer qu’une stratégie de communication, dans le cadre d’une campagne électorale se déroulant en 2012, n’aurait pas pour seul objectif la conquête du pouvoir, mais également celui de la mise en place d’une organisation permettant l’atteinte d’objectifs communs définis dans le cadre de ladite communication politique, grâce aux possibilités de dialogue qu’elle permet. Mais le thème de la propagande n’est pas le seul à évoquer. Lorsqu’il est question de discours politique, la manipulation est un sujet qui revient régulièrement et qui semble jouer un rôle incontournable.

La manipulation

« De manière apparemment paradoxale au regard du sens commun, la manipulation des discours est définie comme étant plus caractéristique des régimes démocratiques que des régimes totalitaires » (Ollivier-Yaniv, 2010 : 33). Cette approche un peu directe qui consiste à dire que la manipulation n’est pas l’apanage des régimes totalitaires, peut surprendre au premier abord. Mais cette vision est partagée par d’autres chercheurs, qui estiment par ailleurs que les techniques manipulatoires ont des points communs avec la propagande.
Ainsi, Philippe Breton pense que la propagande est un « type de techniques de manipulation de la parole mises en oeuvre de façon consciente et systématique. La propagande est plutôt née au sein des régimes démocratiques que des régimes totalitaires » (Breton, 1997 : 68), et ajoute un peu plus loin : « De nombreux partis politiques, y compris démocratiques dans les valeurs qu’ils défendent, utiliseront constamment et systématiquement le terme propagande pour désigner la partie spécifique de leur action qui concerne la diffusion de leurs idées auprès du public » (Breton, 1997 : 69). Ce que l’auteur nous dit en plus ici est que la manipulation et la propagande seraient donc liées, et par ailleurs bien présentes au sein des régimes démocratiques : on ne peut alors s’empêcher de faire le lien avec le discours politique. En effet, qui, dans les sociétés modernes, ne cherchent à convaincre, si ce ne sont tous ceux qui cherchent à « vendre quelque chose » ? On voit bien que dans cette catégorie, l’on peut aussi bien inclure toutes les démarches commerciales qui visent à « faire acheter » que tous les discours politiques qui visent à « faire adhérer », notamment en période de campagne électorale.
Les discours politiques sont-ils donc par nature manipulatoires ? Les techniques de communication politique vont-elles systématiquement s’appuyer sur ces ressorts pour augmenter leur efficacité ? Cette définition de la manipulation interpelle : « La manipulation consiste à entrer par effraction dans l’esprit de quelqu’un pour y déposer une opinion ou provoquer un comportement sans que ce quelqu’un sache qu’il y a eu effraction » (Breton, 1997 : 26). Cette notion de « violence psychologique », expression également utilisée par le chercheur et qui justifie l’emploie de ce terme en l’associant à de la dissimulation, tend à montrer que, si la manipulation semble bel et bien exister, son image ne semble pas être celle d’un concept flatteur ou positif.
Au fur et à mesure de notre étude ici, nous essayerons de déterminer quelle part prend la manipulation dans le discours politique et si les « petites phrases » que nous avons sélectionnées révèlent certaines techniques manipulatoires.

Le contexte de la campagne électorale

Généralités

On l’a vu, la communication politique peut se définir comme l’interaction de trois acteurs que sont les femmes et hommes politiques, les médias, et l’opinion publique. On imagine aisément que ce processus est encore plus vrai dans le cas d’une campagne électorale, et notamment à l’occasion d’un scrutin national. Comment en effet s’adresser à son électorat sans passer par le filtre des médias ? Comment les convaincre et faire porter son discours sans utiliser les relais médiatiques qui vont le permettre ? J.G. Blumer a défini trois périodes depuis l’après-guerre qui montrent comment la communication politique a évolué pendant cette période et le rôle qu’y ont joué les médias, sans distinction géographique.
Il observe tout d’abord la période 1945-1960 et considère qu’elle reposait sur les partis politiques eux-mêmes. Il explique que cette époque était marquée par le fait que ceux-ci dominaient le système et jouissaient donc d’un accès facile aux médias. Puis, il pointe le rôle déterminant joué par la télévision, quand cette dernière connait un essor considérable dans les années 1970 et 1980. Enfin, il décrit le développement des supports de communication à partir de la fin des années 1980, avec, en plus, l’arrivée d’internet (Blumler, 1995).
On voit l’importance des médias dans cette description. Le rôle de la télévision semble incontournable, d’abord par le développement très important que ce média a connu. Ainsi, en France, le taux d’équipement croît effectivement très vite pendant la période décrite ci-dessus : « En 1973, 79% des ménages sont équipés de téléviseurs (14,5 millions) et en 1988 le taux dépasse 94% avec 28 millions d’appareils » (Gerstlé, 2004 : 42). Un candidat en campagne ne peut ignorer ce phénomène et doit s’y adapter : nous y reviendrons.

Interactions

Mais lorsque l’on parle de campagne électorale, il faut citer une autre catégorie d’acteurs : les spin doctors ou conseillers en communication. Cette appellation anglo-saxonne vient de l’adjectif anglais spin, notamment utilisé dans le jargon sportif, to put a spin on a ball, signifiant littéralement « donner de l’effet à une balle » (Robert & Collins, 1990 : 668). Les premiers spin doctors ont officié aux USA : « Si la fonction a fait son apparition dans les années 1930 et a été généralisée au cours des années 1960, l’expression ne se diffuse dans le débat public qu’à partir de l’élection présidentielle de 1984 qui a opposé R. Reagan à W. Mondale » (Riutort, 2007 : 64). Il faut rappeler que Ronald Reagan avait plutôt « perdu » ce débat face à son adversaire : ses conseillers décidèrent alors de faire campagne juste après le débat pour « faire tourner la suite » (spin this afterward), c’est à dire « faire le débat sur le débat » : « Ceci permit à Reagan, grâce à une intense campagne de spinning, d’être donné vainqueur du débat » (Salmon, 2007 : 116). En France, « à partir de l’élection au suffrage direct en 1965, les présidentiables recourent volontiers à des conseillers susceptibles de les éclairer (…) » (Riutort, 2007 : 65). Il n’est pas surprenant de constater que la profession est originaire des USA, tout comme l’est la communication politique. Par ailleurs, l’influence des communicants en politique a été plus tardive en France, même si, dans les années 2010, ils sont très présents dans le paysage politique français et présentent des profils très divers : on peut en effet y inclure les conseillers en communication appartenant à des cabinets privés, mais aussi les instituts de sondage et enfin les propres équipes de communication des partis politiques ou des candidats en campagne. Dans le cas qui nous occupera dans cette étude, le directeur de la communication du candidat François Hollande était Manuel Valls.
Par ailleurs, une campagne électorale est un moment où se cristallisent de multiples phénomènes. Un candidat en campagne poursuit l’objectif de séduire ses électeurs potentiels. Pour arriver à ses fins, il va devoir créer en quelque sorte des « conditions d’adhésion » pour séduire son électorat. A cet égard, il semble par exemple que la symbolisation, joue un rôle déterminant dans la façon dont les politiques abordent leur stratégie : « Ceux qui aspirent au pouvoir se livrent une lutte qui passe par les représentations, les images que tous les citoyens se font, souvent inconsciemment, du passé, du présent et de l’avenir d’eux-mêmes, de leurs groupes d’appartenance et de référence et de leur collectivité nationale. C’est pourquoi, la communication des prétendants au pouvoir consiste dans les efforts pour exercer un contrôle symbolique sur la définition collective de la situation politique » (Gerstlé, 2004 : 138). En d’autres termes, la clé, pendant une campagne électorale, serait de faire émerger des mots, des images, des symboles rassembleurs et compréhensibles par tous.
Jacques Gerstlé semble confirmer ici ce qui a été dit par d’autres avant lui : « le porte-parole autorisé ne peut agir par les mots sur d’autres agents et, par l’intermédiaire de leur travail, sur les choses mêmes, que parce que sa parole concentre le capital symbolique accumulé par le groupe qui l’a mandaté et dont il est le fondé de pouvoir » (Bourdieu, 1982 : 107). Ramené au discours politique et à la volonté de conquérir le pouvoir, ce qui est propre à une campagne électorale, on peut interpréter ces propos du célèbre sociologue de la manière suivante : l’orateur, autant pour se légitimer que pour séduire son électorat, devra adjoindre à ses propos cette dimension symbolique qui serait une manière de « rendre hommage » par avance à ceux qui pourraient lui faire confiance.

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Table des matières
Remerciements
Introduction 
1ère partie : La petite phrase : contexte et définition
A) Le contexte général de la petite phrase : le discours politique
B) Un sous-contexte de la petite phrase : la communication politique
C) Identifier la petite phrase
D) La petite phrase : un objet d’études ?
2ème partie : Candidat, corpus, techniques d’extraction 
A) Un candidat, deux journaux
B) Présentation des petites phrases et de leur contexte
C) Les techniques d’extraction des petites phrases
3ème partie : Les petites phrases de Francois Hollande : un outil efficace dans sa stratégie de communication ? 
A) « Cet adversaire, c’est le monde de la finance »
B) « C’est le rêve français que je veux réenchanter »
C) « Président normal »
D) « Sale mec »
Conclusion 
Bibliographie 
Annexes 
Table des matières

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