Un retour vers architecture

L’ARCHITECTURE INCORPORéE à LA MACHINE

Grâce aux avancées techniques et énergétiques (l’énergie du charbon, la machine à vapeur et les chemins de fer), les rythmes de production et de déplacement sont plus rapides. Énergie et transport constituent alors les deux composantes nécessaires à la mise en place d’une unité de production à une échelle commerciale internationale.
On aurait pu penser que les débuts de la révolution industrielle se feraient dans les domaines de la fonderie, mais elle se déclenchera dans le milieu de la mode par la transformation des filatures de coton.
Vers 1780, ce seront en effet les premières à pouvoir se moderniser grâce à une nouvelle génération de machines à vapeur inventées par J. Watt et M. Boulton. Ces derniers produiront au cas par cas des machines adaptées à un usage donné.
Ainsi, ce sera à partir de ces deux éléments que la diffusion de la mécanisation d’un savoir faire débute : la machine générique est inventée« La manufacture Watt et Bulton sera la première à s’organiser, non pas autour de la fabrication mais autour d’une activité de conception c’est à dire d’une activité d’invention systématique et programmée. Le symbole le plus direct de cette activité est « le plan », outil ancien de l’architecte, qui trouve ici un nouveau champ d’expansion.»
Le plan constitue l’emblème d’une génération d’ingénieurs et de savants, afin de montrer et de trouver les solutions techniques, que ce soit à l’échelle de la machine ou du bâtiment.
Anciennement associé à l’architecte, le plan trouve une renaissance dans un nouveau champ d’expansion plus technique. Dans le cas de la filature à coton, le bâtiment n’est pas perçu comme un lieu de production, car construit comme une machine : c’est-à-dire un bâtiment à étage conçu sur les principes d’une montre, où une grande roue hydraulique entraîne simultanément des centaines de métiers à filer.
Elle développera d’ailleurs avant Ford une mécanisation verticale avec ce procédé.
Bage préfigurera le plan libre que toutes les usines adoptèrent : c’est-à-dire un bâtiment revêtu de briques, composé de plusieurs niveaux, supportés par des colonnes et poutres en fonte libérant l’espace à chaque étage en vue d’accueillir l’outil de travail, le tout concentré au sein d’une même parcelle.
Cette fabrique montre une forme classique de l’usine dès la fin du XVIIIème siècle : un bâtiment constitué de brique, d’aspect simple, pauvre de façade, adjacent à des cheminées et constitué  d’une toiture à pente classique qui prendra la forme de dents de scie un peu plus tardivement. Ce sera la conception de l’usine à shed, invention permettant une lumière homogène dans les ateliers pour pallier le manque de lumière à l’intérieur de ces constructions austères.
La deuxième forme attachée à l’usine sera la halle : un haut bâtiment de plain-pied, rendu possible grâce à une structure en acier. Découlant du plan libre poussé à l’extrême, ce lieu joue sur l’idée de libérer l’espace en enlevant l’opacité des façades. Cette forme architecturale deviendra alors le symbole de l’industrialisation telle que les halles de gare, reprise pour la première exposition universelle de Londres en 1851 dans l’immense bâtisse de verre de Joseph Paxton.
Les ingénieurs débordent d’imagination et il est possible de la retrouver au travers des objets cachés dans un éclectisme surabondant sous la halle de Paxton. Le bâtiment en lui-même a plus d’importance que les inventions installées à l’intérieur. Le Crystal Palace s’approche plus de l’ingénierie que de l’architecture qu’on connaît à cette époque-là.
Les ingénieurs ont pris en main cette période, ce que l’architecte n’a pas su faire, bloqué dans une image académique, associé aux façades éclectiques. Ce grand événement, qu’est la première exposition universelle est là pour démontrer la suprématie de l’Angleterre dans le domaine industriel, qui exportera ses usines et leur typologie en Europe et jusqu’au Brésil durant le XIXème siècle. Le Crystal Palace exposera alors les mérites d’une construction modulaire et flexible au travers des matériaux industrialisés.
Il est intéressant de constater une opposition entre le complexe usinier et les bâtiments culturels, sociaux, commerciaux qui reprennent les avancées métallurgiques des structures des usines mais qui demeurent cependant cachés sous un parement de pierre et autres ornementations.
Les industriels de l’acier développeront, grâce à la fabrication en série, des catalogues entiers d’éléments architectoniques en fonte ornementée dernier cri : une folie qui deviendra vite onéreuse.
Ces catalogues seront réalisés plus pour une architecture publique, que pour l’architecture industrielle. Jusqu’à ce que les industriels aient réalisé assez de bénéfice pour habiller leur bâtiment de référence éclectique, le but étant de marquer leur position sociale. Les architectes reviendront alors sur le premier plan, afin de concevoir l’habillement des industries, nécessaire à la mise en place d’une image. Ce tournant peut-être daté à partir de 1850.
Nous pourrons prendre comme exemple parmi tant d’autre, l’usine de Carlsberg à Copenhague qui constitue un ensemble de bâtiments en briques composé d’énormes statues d’éléphants supportant l’entrée de la brasserie : un mélange d’orientalisme et de néo-classicisme pour des bâtiments plus fonctionnels. Également, l’usine de tapis Templeton à Glasgow est une copie du palais des Doges de Venise par l’architecte William Leiper (1888-1892). Malgré les avancées techniques des matériaux de construction, l’architecture n’entame pas de réelle révolution esthétique pour l’époque, rattrapée par un académisme architectural. La société ne semble pas encore prête.

RéVOLUTIONS D’UN MODE DE VIE

«Metropolis» du réalisateur Fritz Lang, datant de 1927, prend comme parti de nous montrer la décadence de ce système : la figure de l’ouvrier, représenté dans le film, s’épuise à la tâche dans les souterrains de la ville pour pouvoir faire fonctionner « le jardin d’Éden », lieu bourgeois et de plaisir, tout droit inspiré de l’imagination d’un industriel. Fritz Lang démontre l’aliénation du travail à la chaîne, à la limite de la saturation, thème que reprendra dix ans plus tard Charlie Chaplin, dans « Les Temps Modernes » (1934), également très critique sur le sujet bien que moins marquant dû à sa tournure plus comique. On assistera dans le film à la juxtaposition de deux images ; un bétail laissant apparaître doucement un groupe d’homme allant au travail.
Critique acide d’une société à la recherche du bonheur. Ces deux films montrent et remettent en question le travail des ouvriers sur deux continents différents permettant de mettre en évidence le contraste entre l’effervescence des idées et la pauvreté d’un travail : l’ouvrier, nouvelle classe sociale, se trouve mise en contradiction avec les industriels bourgeois.
Mais dans l’épuisement du travailleur, on peut également y trouver le malheur de l’usinier. Car si l’ouvrier évolue dans de bonnes conditions de travail et de vie, il constituera une meilleure main-d’œuvre. C’est dans cette ambiguïté entre bonté et profit qu’à la fin du XIXème siècle, le patronat améliore les ateliers et insuffle la construction de logements décents pour ses travailleurs. Les architectes sont appelés à repenser un modèle construit seul, sur lui même, car l’industrie devient fortuitement une nouvelle centralité urbaine.
Les usines conçues trop petites sont trop proches des habitations construites à la va-vite sur des terrains mal proportionnés.

L’USINE CRéATRICE D’URBANISME

Alors que les ateliers regroupés en cœur de ville disparaissent, la puissance et la précision de la machine remplacent les défaillances de l’homme. Le tisserand exproprié de son travail devient mécanicien, observateur du travail d’un atelier mécanisé qui se prénomme fabrique. Au fil des siècles, l’usine rentrera dans une cadence frénétique au rythme des machines, donnant la mesure à ses usagers. L’artisan sort de l’atelier pour rentrer dans les manufactures, puis dans les fabriques développées au sein des faubourgs des villes et à proximité des différentes sources d’énergie.
Ces faubourgs s’urbaniseront rapidement par l’arrivée de leurs travailleurs et l’industrie devient, malgré elle, le cœur d’une machine urbaine.
Par exemple en Alsace, avec l’arrivée en 1850 d’avancées majeures dans la fermentation de la bière et une volonté de toucher un marché plus grand, la brasserie de la famille Hatt se délocalise doucement dans le faubourg de Cronenbourg. Elle sort du cœur de la ville de Strasbourg et par la même occasion commence à perdre son aspect artisanal en modernisant ces équipements. «A partir de 1850, FrédéricGuillaume I Hatt installe ses caves route d’Oberhausbergen, dans un faubourg de Strasbourg dénommé
Cronenbourg. Un choix judicieux : le terrain est vaste, le chemin de fer tout proche et l’eau y est abondante et de qualité.»
Le choix d’un site d’implantation d’une zone industrielle dans une région reste le même à toute époque. Il s’agit d’une synthèse entre une bonne connexion aux voies de transport, leur rapport au lieu de production et de la matière première, leur proximité aux agglomérations et la nature du terrain. Ces caractéristiques sont pour la plupart du temps les mêmes pour la construction d’une ville. Il est facile d’imaginer l’attractivité d’une usine à recréer une cité à côté de la cité, principalement lors qu’aucune législation n’est venue limiter ou réglementer le choix des entrepreneurs.

O.S.T OU LA TYRANNIE DES MACHINES

L’année 1908 marque le début de la théorisation du travail par des industriels tels que Ford aux USA, ou Renault en France, qui amèneront le nouveau rythme du travail à la chaîne.
Par ce nouveau système, ils chercheront à commercialiser la Ford T dans toutes les classes sociales, démocratisant la voiture. Elle sera le symbole de cette période allant vers une modernité par cette cadence du travail, dissimulant durant longtemps les capacités techniques et d’organisation des usines électriques ou chimiques hautement formées.
Car l’industrialisation est avant tout un nouveau mode de fonctionnement dictant les règles d’une nouvelle société et d’un nouveau rapport au monde ; celui du capitalisme.
Le Fordisme se base sur des systèmes déjà préexistants. Il prend comme exemple les boucheries de Chicago : pour éviter que la viande ne périsse rapidement, les carcasses passent d’une salle à une autre, de l’abattage à la vente, d’un poste à un autre, d’une main à une autre. On amplifie des systèmes déjà existants en passant à une échelle supérieure.
C’est ce qu’instaure Frederick Winslow Taylor avec le Taylorisme et l’OST (organisation scientifique du travail) en théorisant le travail des ouvriers dans un axe vertical et horizontal.
Mais Taylor ne connaît pas encore la chaîne de montage et base son organisation du travail sur les outils machines. Il faut comprendre que la chaîne mécanisée, c’est obliger un ouvrier à travailler à une certaine vitesse, une dictature que l’on ne connaît pas encore avec l’outil machine. Le Fordisme dans une production à la chaîne accorde le travail et le pouvoir d’achat, permettant une économie de dépense.
Elle amènera aussi à la crise des années trente par cette accumulation intensive.
Le travail fordiste est divisé en une tripartition: la conception par l’autonomie des ingénieurs, la fabrication qualifiée qui demande une main d’oeuvre formée adaptée, l’exécution du montage déqualifié, qui demande le plus de mains d’oeuvre la moins compétente.
En conséquence, l’ouvrier en bas de l’echelle perd son rapport à son métier de par ce système, et par la même occasion, à l’outil qu’il soit mécanique où pas, faisant partie d’un maillon ou il ne peut suivre le processus de montage.

AU SERVICE DE L’INDUSTRIEL

Il faut dire que la politique hygiéniste qui consiste à améliorer les habitations ouvrières sur le principe de plus de lumière, plus d’air dans des logements décents et impliquant une nouvelle réflexion urbaine avec des rues plus larges vient en partie pour des raisons économiques. De l’intérêt qu’ont les industriels à avoir des ouvriers en bonne santé, pouvant travailler.
Même si la vie s’améliore avec la venue de ses nouvelles règles urbaines, à l’accès à de nouveaux produits dans les foyers ouvriers et à de nouveaux logements, l’industrialisation renforce la séparation des classes sociales. Car la venue du taylorisme amène un nouveau système, une nouvelle organisation qui ne planifie pas que le travail, mais la vie extérieure des travailleurs à leurs dépens pour le bien être de la production.

UN RETOUR VERS L’ARCHITECTURE

L’USINE MODERNE ALLEMANDE

Il faudra attendre le XXème siècle, pour que quelques architectes européens questionnent l’industrie et essaient de participer aux grandes innovations. Il est possible de considérer le Deutscher Werkbund, association de douze industriels avec une douzaine d’artistes et architectes, comme l’un des initiateurs à une modernisation de la conception architecturale en Allemagne.Il repose les bases d’un art total, questionnant les formes architecturales et développant une nouvelle industrie. L’Angleterre passe la main et reste généralement dans des formes de la première révolution. En France l’inspiration industrielle auprès des architectes reste encore bien timide même si le pays emploie de nouveaux matériaux tels que le béton.
La filature de Six à Tourcoing de François Hennebique en 1895 constituera l’une des premières usines à utiliser ce nouveau matériau.
Behrens apparaît comme l’un des premiers architectes à initier un art total basé sur l’esprit mécanique. C’est-à-dire un art qui englobe autant l’image que l’architecture, prenant les différentes échelles de conception pour aboutir à une unité de vie. Occupant le poste de conseiller artistique de la firme AEG, il entame une réflexion sur les nouveaux bâtiments monumentaux de l’entreprise.On peut voir dans ces affiches qu’il promulgue autant les produits de la marque que le bâtiment.
Il préfigure les idées de Gropuis, apprenti dans son cabinet, ainsi que de nombreux autres architectes du style international :
Le Corbusier, Adolf Meyer… qui mènera au Bauhaus. Cependant, il ne faut pas oublier que dans cette réflexion d’art total, la possibilité de réalisation vient de l’approbation du patron qui peut y voir un avantage marketing.
Dans la proposition de Behrens, pour le bâtiment abritant les turbines électriques, on épure et on délaisse tout ce qui fait référence à un style ancien pour garder l’esprit du temple dans ses formes primitives. Ces nouvelles formes, aussi rationnelles que les équipements techniques internes, viennent d’une fascination pour certains de l’industrialisation.

SCISSION ENTRE LE Modèle ANGLAIS ET L’USINE MODERNE

Les années trente constituent une période faste. En Alsace, les brasseries enchaînent des projets d’agrandissement.
Chez Kronenbourg, une nouvelle tour de refroidissement du moût conçue par l’architecte Alfred Heim prend un langage néo-gothique. Construite en béton, elle répond à la modernisation de la brasserie par des références à l’architecture médiévale allemande. Heim sera aussi l’architecte de la brasserie Shutzenberger, ou l’on peut retrouver la même tour de refroidissement dans le même style allemand, mais de manière un peu plus ostentatoire. Les parallèles entre les deux usines sont faciles à distinguer, et nous pourrons y constater le goût de l’utilisation des anciens styles architecturaux pour représenter la modernité de la fabrication de la bière.
Deux styles s’affrontent donc au début du XXème siècle : d’une part les précurseurs qui voient en l’usine un autre avenir en profitant des avancées technologiques pour appliquer une nouvelle approche et se libérant du dictat stylistique des néo, et d’autre part, les académistes respectant les codes de l’époque. Mais ce sera de l’autre côté de l’Atlantique que sera poussée la théorisation du système industriel, et ce, principalement dans le milieu de la fabrication automobile. Des précurseurs comme les architectes Albert Kahn et Ernest Ransonne vont se tourner vers d’autres typologies, les préliminaires d’un style international d’après-guerre. Et bien qu’en France des usines comme les filatures de Six à Tourcoing utilisent le béton, ce sera toujours dans un style classique.
Les Américains emploieront le béton armé dans des superstructures sur plusieurs niveaux.
Ils utiliseront aussi les éléments préfabriqués, d’importantes baies vitrées, le plan libre, la toiture plate… c’est-à-dire la plupart des composants que l’on retrouvera dans la villa Savoye de Le Corbusier.« Avant 1914, les ingénieurs et les architectes américains sont en effet allés beaucoup plus loin que les Européens dans la recherche de bâtiments industriels adaptés aux nouvelles technologies de fabrication»
D’autres usines marqueront l’architecture européenne, et ce principalement en Allemagne. Dans un élan germanophone et dans un style expressionniste, elle questionne les typologies passées. En dehors des deux usines Fagus et AEG, nous citerons : Hans Poelzig avec l’usine chimique de Luban (1912) et Mendelsohn avec la chapellerie Steinberg à Lukenwalde (1922-1923). Ce dernier sera d’ailleurs fortement inspiré par son voyage aux États-Unis, changeant sa vision de l’architecture.
À chaque fois, ces usines sont construites par des industriels qui ont envie d’architecture et de modernité et qui cherchent à collaborer avec des architectes avides d’expérience. Car ces quelques noms et exemples que l’on peut citer montrent bien qu’ils ne représentent pas une globalité de l’architecture industrielle de ce temps. L’usine est en effet plutôt tournée vers un éclectisme passé.
Ce sont des bâtiments inscrits dans une logique d’art global comme l’insufflait Behrens.
Les photos de Hans Spoelzig donnent une ambiance très proche du film « Metropolis », du mouvement de l’expressionniste allemand.
L’usine sulfurique de Luban en Pologne (1911-1912), est bâtie de grand mur de brique, composé de plusieurs saillies, percé par différentes typologies d’ouvertures. L’angle se compose d’une tour qui redescend par la juxtaposition de plusieurs volumes formant un tout. C’est un travail sur l’assemblage de volumes simples qui est proposé.
Les usines italiennes seront modernistes, fortement influencées par le futurisme. Ce nouveau mouvement est fortement influencé par l’industrie automobile et par sa vitesse.
Le Lingotto de Fiat construit par l’ingénieur Mattè-Trucco (1920-1923) prend la forme d’un énorme bloc de béton proche de la forme des usines de Détroit qu’a pu construire Albert Kahn, mais qui a pour première particularité d’avoir sur son toit une rampe hélicoïdale et un circuit automobile pour tester les véhicules en construction dans les étages inférieurs. Angliolo Mazzoni dans les années trente produit une centrale thermique à Florence, composé de forme pure. Une tour de contrôle est conçue d’un cylindre surmonté d’une plateforme en saillie.
Le système américain influencera après la Première Guerre mondiale tout autant que les usines allemandes, l’architecture industrielle européenne, tel que l’usine Fagus. Grâce à l’architecte « moderniste », l’architecte entre aucœur du processus industriel.

LA RECHERCHE D’UNE HARMONISATION INDUSTRIELLE

Si l’architecte est présent sur certains projets phares dans le monde industriel, il le sera beaucoup plus sur la question de l’urbanisme. Le modèle classique de la cité a explosé avec l’installation des industries proches des centres, créant ainsi de nouveaux quartiers parallèles aux centres historiques. «Après la Première Guerre mondiale, les architectes sont dépassés par la nouvelle dimension du phénomène industriel, et abandonnent le terrain aux ingénieurs. À part quelques rares exemples, les grands noms du Mouvement moderne délaissent le programme industriel pour se consacrer au logement et à l’urbanisme même si, comme Le Corbusier, ils font fréquemment référence à l’usine dans leurs manifestes.» En France, Tony Garnier esquisse et repense le modèle de la ville par de nouvelles « cités industrielles » au début du XXème siècle.
Il l’imagine près de Lyon, mais le terrain reste fictif. La ville se situe sur un plateau permettant de lui donner une vue panoramique, alors que sont rejetées en fond de vallée les activités industrielles. La démarche est novatrice dans sa démarche de totaliser les idées d’une Europe cherchant à se moderniser par l’industrie.
Garnier s’est fixé le but de créer une ville nouvelle, apportant le bien-être, basé sur des formes simples, avec un urbanisme raisonné, assimilé à une ville de taille moyenne de 35 000 habitants, autonome énergétiquement, basé sur les nouvelles idées sociales qui circulent alors.
C’est ainsi que le travail de l’architecte se cible sur le logement et sur la vie en dehors de l’usine, avec ses places et ses salles de spectacles : une cité laïque basée sur le travail et le plaisir social après le pointage quotidien.
Délocalisées dans un autre paysage, les usines métallurgiques sont dessinées par de grandes cheminées. Un autre secteur industriel enchaîne côte à côté une série de halles métalliques. Ce sont les chantiers navals, entourant un canal relié au système hydraulique inventé.

UNE GUERRE NOVATRICE

La tension sur le vieux continent, touchant les autres pays mondiaux, se ressent fortement dans la production industrielle. Cette période d’avant-guerre  sera génératrice de procédés techniques dans le monde industriel : amélioration du fonctionnement de l’air conditionné, éclairage fluorescent, travail sur l’enveloppe, utilisation de l’aménagement intérieur pour améliorer l’efficacité du bâtiment… des nouvelles technologies qui s’imposent d’elles-mêmes dans une amélioration des sites de production.
On assiste alors à deux types de solutions : l’une est une architecture forte principalement en béton armé fortifié, l’autre correspond à une réflexion de camouflage ou d’allégement par les ingénieurs.
On citera le prototype de l’ingénieur américain Herbert H. Stevens pour des constructions pneumatiques. C’est une structure gonflable composée de membranes de feuille d’acier de 1,70 millimètre d’épaisseur pour une structure ayant un diamètre de 370 mètres, ancrée à des massifs de béton et maintenue en lévitation grâce à 16 souffleries, le tout climatisé.
L’hypothèse d’une usine rétractable dans le sol est avancée par les Anglais en 1939, mais la forme de camouflage la plus répandue sera de développer les usines souterraines creusées dans des galeries telles que l’usine « Ring-Kalk » d’Eberhard Kuen, dédiée à la construction d’avion. Le site blindé pour supporter les bombes est démesurément grand.
C’est un labyrinthe de galeries elliptiques, où sont intégrés dans leur structure béton, les rails permettant de déplacer le matériel d’un secteur à un autre.
Mais il n’est pas possible de mettre sous terre toutes les usines. Et c’est dans une Europe appréhendant les bombardements que l’on a éloigné des frontières les zones industrielles, servant à la production de guerre. C’est le début d’une décentralisation, mais qui ironiquement se centralisera dans la région parisienne pour la France. Henri Puget dira d’une façon satirique :
« Quelle magnifique cible, cette région parisienne, avec ses nids d’usines, à 300 kilomètres de la frontière, et vers qui convergent les voies d’eau ! Par les belles nuits, l’Oise et la Marne, rubans de clarté diffuse, guidant trop aisément le vol des avions de bombardement. »
Cela aura pour conséquence une décentralisation d’usine tardive face à la menace, une politique que l’Union soviétique réalisera dès 1928 créant ainsi des centaines de nouvelles villes industrielles.

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Table des matières
AVANT-PROPOS
1er partie: une SOCIÉTÉ bouleversée
La mécanisation d’une pensée
L’architecture incorporée à la machine
Révolutions d’un mode de vie
L’usine créatrice d’urbanisme
O.S.T ou la tyrannie des machines
Au service de l’industriel
2éme Partie : UN retour Vers Architecture
L’usine moderne allemande
Scission entre le modèle anglais et l’usine moderne
A la recherche d’une harmonisation industrielle
Culture du machinisme
Une guerre novatrice
L’industrialisation du bâtiment moderne
Réorganisation d’un territoire
BIBLIOGRAPHIE
ICONOGRAPHIE

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