Notes de bas de page
Certains ouvrages auxquels il sera fréquemment fait référence seront abrégés dans les notes :
Brendan Cassidy, The Life & Letters of Gavin Hamilton : Artist and Art Dealer in Eighteenth-Century Rome, Londres, Harvey Miller, 2011, 2 vols. : Cassidy, LLGH.
Ilaria Bignamini & Clare Hornsby, Digging and Dealing in Eighteenth-Century Rome, New Haven, Yale University Press, 2010, 2 vols. : Bignamini, DD.
On n’utilisera pas les abbréviations usuelles des notes (comme: op. cit. ou idem) pour ces ouvrages. Il sera cependant fait usage de « ibidem » pour répéter la note précédente.
Les articles et ouvrages cités moins systématiquement seront indiqués de la façon suivante :
Pour les articles : Nom de l’auteur, « Titre de l’article », Nom du périodique, date, n° du périodique, pagination inclusive ou page(s) à laquelle il est fait référence.
Pour les autres ouvrages : Nom de l’auteur, Titre de l’ouvrage (abrégé pour les titres longs), volume, date, chapitre / partie ou page(s) à laquelle il est fait référence.
Exemple de titre abrégé : Canova et ses ouvrages ou Mémoires historiques sur la vie et les travaux de ce célèbre artiste, est indiqué dans les notes de la façon suivante : Canova et ses ouvrages.
On se réfèrera à la bibliographie pour les prénoms des auteurs, et les titres complets.
Les références à d’autres parties du mémoire sont indiquées sur le modèle suivant :
Deuxième partie, sous-partie A, 1
Les notes de bas de pages ne suivent pas une numérotation continue. Les abbréviations « idem », « ibidem » et « op. cit. » ne renvoient qu’aux notes d’une même page.
Idem : même référence que celle citée précédemment mais pagination différente.
Ibidem : même référence que celle citée précédemment et même pagination.
Op. cit. : ouvrage identique au dernier ouvrage du même auteur cité sur la même page.
Citations
Les citations sont notées en langue originale et entre guillemets dans le corps du texte. Les conventions de notation retenues par Brendan Cassidy sont conservées pour les citations extraites de son ouvrage1.
Des traductions sont fournies dans les notes de bas de page. Ces traductions ne sont qu’indicatives et n’ont vocation qu’à être des supports à la compréhension. Les traductions depuis l’anglais ont été établies par l’auteur de ce mémoire. Les traductions depuis l’italien ont été établies par l’auteur avec l’aide de M. Flavio Rugarli.
Les citations sont parfois coupées pour des raisons pratiques, toute coupure est indiquée par des crochets encadrant des points de suspension : […]. Cette notation existant aussi dans les retranscriptions de Brendan Cassidy pour indiquer un trou dans le document original, elle est ici remplacée par des points de suspension : …
Renvois aux annexes
Les renvois aux annexes sont indiqués dans les notes de bas de page.
Les lettres n°161 et n°170 de l’ouvrage de Brendan Cassidy2 sont retranscrites en annexes3. Pour ces deux lettres les notes de bas de pages ne renvoient cependant jamais aux annexes mais directement à l’ouvrage de Brendan Cassidy.
Les annexes contiennent de courtes biographies de personnages importants pour cette étude4. On se réfèrera directement au volume d’annexes pour en connaître la liste. Afin de ne pas alourdir les notes de bas de pages, aucun renvoi vers ces biographies ne sera fourni.
Renvois aux illustrations
Les renvois aux illustrations sont indiqués entre parenthèses dans le corps du texte sur le modèle suivant : (figure N°). Lorsque les illustrations ne sont utilisées qu’à titre d’exemple, les renvois figurent dans les notes de bas de page.
Gavino Hamilton, un Écossais dans la ville éternelle : réseau, commerce et aspirations.
Un beau jour de l’année 1769, Gavin Hamilton, dont le rapport d’un restaurateur a éveillé la curiosité, se rend avec empressement à proximité de la Villa d’Hadrien dans une zone marécageuse propriété de Luigi Lolli1. Se doute-t-il qu’il est sur le point d’entreprendre la première d’une remarquable série de fouilles ? L’artiste écossais a alors quarante-six ans et déjà une longue carrière de peintre et de marchand d’art à son actif. Voilà treize ans qu’il s’est installé définitivement à Rome et trente ans le séparent de son premier voyage dans la cité de Saint-Pierre. Écossais, Gavin Hamilton le demeure. La plupart de ses clients vivent en Grande-Bretagne et l’artiste entretient des liens étroits aussi bien avec l’importante communauté britannique installée à Rome qu’avec les grands touristes de passage. Mais il s’intègre bien à sa nouvelle patrie. Nombre de ses collaborateurs, de ses amis et de ses proches sont italiens. Symptôme de l’assimilation de cette nouvelle composante de son identité, l’ancien étudiant de l’université de Glasgow signe déjà ses lettres à ses correspondants italiens du nom de « Gavino Hamilton ».
Convertis tardivement à l’activité de fouilleur alors qu’il disposait déjà d’un solide réseau et d’une bonne expérience du commerce des antiques, Gavin Hamilton y trouva une occasion d’accroître sa renommée. Réseau, commerce et aspirations, ces trois thèmes, abordés préalablement à l’étude des méthodes de fouilles de Gavin Hamilton en constitueront la toile de fond.
De Muirdeston au Vatican, le réseau de relations sociales de Gavin Hamilton
Quel meilleur moyen pour dresser le portrait d’un homme du passé que de se pencher sur son réseau de relations sociales ? Si les témoignages de ses contemporains peuvent se révéler partiaux, de même bien sûr que sa correspondance ou ses écrits, les relations qu’il entretenait et les différents cercles de sociabilité auquel il appartenait, si l’on peut les cartographier, fournissent des informations plus objectives. Un problème persiste cependant. Celui des lacunes de la documentation et de l’évaluation de l’intensité des relations. La démarche n’en demeure pas moins productive, et ce particulièrement dans un cas comme celui de Gavin Hamilton.
Situé à la croisée de multiples milieux sociaux et de deux cultures, le réseau de Gavin Hamilton frappe par son étendue et sa diversité. Dans le cadre d’une étude des fouilles et du rapport à l’Antiquité de l’artiste, la compréhension même partielle de son réseau, permet d’imaginer les influences variées qui ont pu le toucher, de mieux comprendre ses relations avec ses pairs et avec les représentants de l’autorité, et, tout simplement, de mieux cerner le personnage.
Des racines écossaises
Toute sa vie durant et même après plusieurs décennies passées loin de son pays natal, Gavin Hamilton garde des attaches avec des membres de sa famille proche ou éloignée et, semble-t-il, conserve un certain sentiment de solidarité avec ses compatriotes.
Aucune lettre échangée entre Gavin Hamilton et sa famille proche n’est aujourd’hui conservée. Nous sommes sur ce point réduit à constater que, mis à part une éventuelle correspondance, les liens entre l’artiste et les membres de sa famille restés en Écosse ont dû être assez lâches. De 1756 à sa mort en effet, Gavin Hamilton ne se rend en Écosse que pour deux courts séjours en 1786 et 1790, notamment afin de régler les affaires de la propriété familiale dont il hérite à la mort de son frère aîné1. La correspondance conservée de Gavin Hamilton avec ses clients nous permet cependant de constater que l’artiste ne rompt pas totalement avec sa famille écossaise. Dans une lettre datée du 12 septembre 1782 il recommande ainsi son frère James Hamilton (militaire de carrière qui accéda plus tard au rang de général) à Lord Shelburne alors premier ministre2. Notons enfin que Gavin Hamilton signe la plupart de ses lettres « Gavin Inglis Hamilton » à la suite de la mort de son frère, du nom que son père Alexander Inglis Hamilton avait dû adjoindre au sien afin d’hériter de son oncle Alexander Inglis mort sans héritiers et propriétaire de Muirdeston. Peut-on voir là de la part de l’artiste écossais le signe d’un désir d’affirmer sa filiation et son statut d’aîné de la branche des Inglis-Hamilton ?
Les liens de Gavin Hamilton avec certains membres de sa famille éloignée son paradoxalement mieux attestés qu’avec les membres de sa famille proche. Les Dukes of Hamilton, par exemple, soutiennent leur lointain cousin dès le début de sa carrière de peintre. Dès 1752, le Duke of Hamilton lui passe commande d’un portrait en pied de sa jeune épouse Elizabeth Cunning1. Vingt ans plus tard, Gavin Hamilton réalise le portrait de leur fils Douglas, 8th Duke of Hamilton, après le passage de ce dernier à Rome dans le cadre de son Grand Tour (figure 2). Les relations de Gavin Hamilton avec William Hamilton, ambassadeur britannique à la cour de Naples, collectionneur d’antiquités et connaisseur renommé, sont encore mieux documentées. Un certain nombre de lettres échangées entre les deux hommes survivent. La première d’entre elles, datée du 5 juillet 17782, concerne une commande passée par William Hamilton à son parent éloigné d’un tableau représentant une allégorie de la peinture. La suite de leur correspondance, ainsi que les comptes rendus de Gavin Hamilton à Charles Townley, révèlent une estime mutuelle et l’entretien de relations amicales entre les deux Écossais. L’ambassadeur rend visite au peintre lorsqu’il est de passage à Rome4, Gavin Hamilton évoque à plusieurs reprises son envie de lui rendre visite à Naples5, les deux hommes s’assistent dans leurs négociations pour l’achat d’antiquités dans leurs villes respectives6 et Gavin Hamilton, de retour de son voyage en Angleterre, escorte jusqu’en Italie en 1786 la future Emma Hamilton en vue de son mariage avec William Hamilton. La jeune femme à la beauté légendaire et future maîtresse de Lord Nelson ne manque pas d’exercer son charme sur l’artiste qui en peignit plusieurs portraits et n’oubliait pas de la mentionner (par son prénom) dans ses lettres à William Hamilton.
Mais le lien de Gavin Hamilton avec son pays natal ne se traduisait pas seulement par un attachement à sa famille au sens étroit ou large du terme. Dans une lettre au Duke of Dorset datée du 25 janvier 1772, Thomas Jenkins met en garde son correspondant contre ce qu’il désigne comme « the Scotch crew ». Cette « bande écossaise » que le marchand anglais se plaît à calomnier est constituée de trois membres : Gavin Hamilton, James Byres et Colin Morison. Si la concurrence entre marchands peut expliquer les propos de Thomas Jenkins, il n’en demeure pas moins que ces derniers nous révèlent l’existence d’une solidarité entre les trois antiquaires écossais les plus en vue de Rome. Les trois hommes se rendent mutuellement service et semblent prendre sous leur aile avec un soin particulier certains jeunes artistes écossais venus à Rome perfectionner leur art. James Byres recommande ainsi à Gavin Hamilton la jeune peintre Anne Forbes4 qu’il prendra comme élève et Gavin Hamilton semble avoir obtenu la même faveur de la part de James Byres pour le peintre écossais David Allan.
James Stuart, Nicholas Revett et Matthew Brettingham, une vieille amitié
Pour qui s’intéresse au rapport à l’Antiquité de Gavin Hamilton, sa longue amitié avec les auteurs des mythiques Antiquities of Athens et avec Matthew Brettingham le jeune, premier d’une longue série d’agents britanniques installés à Rome dans le commerce d’antiques pour le compte d’amateurs d’outre-Manche6, revêt une importance considérable. La rencontre et la compagnie de ces personnages est un moment fondateur de l’engouement de l’artiste écossais pour l’Antique, préfigurant ses futures entreprises.
Les circonstances exactes de leur rencontre demeurent inconnues. Celle-ci a cependant dû avoir lieu à Rome entre 1744, date à laquelle la présence de Gavin Hamilton en Italie est attestée pour la première fois, et l’été 1748. À cette date en effet, les quatre jeunes hommes entreprennent ensemble de se rendre à pied jusqu’à Naples. Ce voyage dont des échos hauts en couleurs nous sont parvenus grâce à une lettre de Nicholas Revett à son père et une autre de Gavin Hamilton à Ignazio Hugford dura en tout six semaines1. Entre 1748 et 1750, James Stuart, Nicholas Revett et Gavin Hamilton partagent un appartement à Rome sur la Strada Felice (aujourd’hui Via Sistina). C’est à cette époque que naît le projet des Antiquities of Athens dans lequel Gavin Hamilton semble avoir à l’origine joué un rôle moteur3. L’artiste écossais aurait par exemple invité James Stuart à rejoindre l’entreprise4 et son rôle dans la rédaction des Proposals for publishing an accurate description of the antiquities of Athens, &c. (1749)5 est souligné par Lionel Cust6 et Louis Hautecoeur. Nous aurons l’occasion de revenir plus tard sur ce document précieux pour notre étude.
« My little familly », Gavin Hamilton l’italien
Si Gavin Hamilton reste sa vie durant lié à l’Écosse et à des amis d’origine britannique, il n’en demeure pas moins que le jeune Écossais qui arrive à Rome au début des années 1740 puis s’y installe définitivement en 1756 s’intègre rapidement à son pays d’adoption et s’y attache au point de ne plus jamais réussir à le quitter.
Plongé jeune dans un pays dont il ne parle pas la langue, la première étape de l’intégration de l’artiste écossais à son nouveau milieu est bien sûr l’apprentissage de l’italien. Gavin Hamilton en acquiert rapidement la maîtrise, si bien que la première lettre qui nous soit parvenue de lui, datée du 28 juillet 1748 et destinée à Ignazio Hugford4, est entièrement rédigée dans cette langue5. Par la suite, l’italien semble devenir une langue si naturelle pour l’antiquaire que son vocabulaire et son orthographe contaminent souvent sa correspondance en langue anglaise. On ne compte pas les lettres de Gavin Hamilton à Charles Townley se terminant par un cordial « Addio », parsemées d’expressions voire d’insultes italiennes et où le « ch » devient « c ».
Mais Gavin Hamilton ne se contente pas de parler la langue de son nouveau pays, il se lie aussi intimement avec certains de ses habitants. Il ne subsiste aujourd’hui que peu d’informations sur la vie privée de Gavin Hamilton et les avis de spécialistes comme Brendan Cassidy ou Ilaria Bignamini divergent donc légèrement sur ce point1. Tenons-nous en à ce que l’on peut affirmer avec certitude. Gavin Hamilton entretenait une relation empreinte d’affection avec sa bonne Margherita et subvenait en partie à ses besoins et à ceux de sa famille. Dans une lettre à Charles Townley datée du 5 août 1774 il déclare : « […] I must take this opportunity to acquaint you that my housekeeper Margarita has taken the 2nd appartment of Barazzi’s new house near Benedetto’s wich she has furnished out very neatly to accommodate strangers. », et plus loin : « As I have much at heart the interest of my little family, & as I want to put them in a way to live without my assistance, I should be much obliged to you if you coud recommend some body to her new appartment, […] ». Dans une lettre du 15 novembre 1780 à Charles Townley, Thomas Jenkins ajoute : « […] I am Glad of it for Poor Ham’s sake, who to Serve that Weak Woman Margherita & Her Family, has brought his Affairs into Strange disorder, […] ». Gavin Hamilton semble qui plus est avoir fait de Margherita l’héritière de sa maison à Rome.
Attaché à ses habitants et profondément intégré à cette Rome où il avait passé le plus clair de sa vie et connu ses plus belles réussites, Gavin Hamilton la considéra comme sa véritable patrie. Tenté parfois de revenir s’installer sur les terres familiales dont il avait hérité en Écosse l’artiste ne peut se séparer de « son Italie ». Les lettres qu’il écrit lors de son dernier séjour en Grande-Bretagne (en 1789-1790) ne laissent planer aucun doute : «Tutti li mei amici mi vorrebbero fissare qua ma temo il freddo di Londra e l’umido, e poi non posso scordarmi della mia Italia doppo aver passato con tanto piaciere la maggior parte della mia vita. »1, ou encore: «In short I find no good air for my lungs and no proper aliment for the mind. I am afraid I cannot hold out long here but must resolve to cross the Alps once more. Rome has always been propitious to me, and I hope still to be cherished by her even in time of adversity. ». Et la ville éternelle le chérit encore huit ans durant.
« The unsolicited friend of every deserving artist »
Durant l’été 1764, David Allan, jeune artiste écossais, prend la route de Rome dans l’espoir d’y parfaire son art. Des lettres de recommandation lui ont été fournies par ses mécènes, un groupe d’aristocrates de sa région, qui lui ont cependant précisé avant son départ : « We need not give you a letter to Gavin Hamilton for he is the unsolicited friend of every deserving artist. Should his character be altered, let us know, and you shall have a regular introduction. ». À de nombreux égards, cette considération ne se révèle aucunement exagérée.
David Allan, comme de nombreux autres jeunes artistes anglo-saxons, est en effet aidé par Gavin Hamilton à son arrivée à Rome4. Nous avons déjà évoqué le cas d’Anne Forbes mais l’on peut aussi citer à titre d’exemples ceux de l’écossais Guillaume Cochran, des Anglais Nathaniel Dance et John Day et des Américains Benjamin West et John Singleton Copley.
S’il est aujourd’hui difficile de savoir si Gavin Hamilton a véritablement formé des élèves1, la liste des jeunes artistes qu’il a aidés d’une manière ou d’une autre à Rome est imposante. Sa correspondance révèle de plus qu’il pouvait, par l’intermédiaire de ses relations, continuer à soutenir des artistes en difficulté après leur départ de Rome. C’est le cas de John Day, parti à Rome avec Gavin Hamilton en 1756 et que l’artiste aide par la suite à plusieurs reprises en lui envoyant une aide financière en Angleterre par l’intermédiaire de Lord Shelburne et Charles Townley. Au sein de la société d’artistes étrangers à majorité anglo-saxonne qui s’était alors constituée à Rome, Gavin Hamilton occupait donc une place centrale et jouait le rôle de mentor auprès des jeunes arrivés. Notons à ce propos qu’il fut aussi l’ami d’un artiste français comme Charles-Louis Clérisseau, mentionné à plusieurs reprises dans sa correspondance, et que l’hypothèse d’une rencontre avec le jeune Jacques-Louis David a été évoquée.
Intégré à sa nouvelle patrie et en maîtrisant parfaitement la langue, l’antiquaire écossais ne bornait pas ses relations au sein du milieu artistique romain aux seuls étrangers. On peut établir avec certitude que Gavin Hamilton connaissait et fréquentait Giovanni Battista Piranesi avec qui il organisa ses premières fouilles à la Villa d’Hadrien. L’artiste se déclare aussi l’ami de Giacomo Quarenghi, architecte italien aujourd’hui connu pour son oeuvre à Saint-Pétersbourg. C’est néanmoins sa relation avec Antonio Canova, après l’arrivée de ce dernier à Rome en 1779, qui est la plus marquante. Les deux hommes semblent avoir entretenu une amitié sincère et Gavin Hamilton avoir orienté l’oeuvre de l’artiste vénitien vers un classicisme plus poussé fondé notamment sur l’étude de l’antique. Comme à son habitude, Gavin Hamilton apporta son aide au jeune homme, plaidant par exemple sa cause auprès de l’ambassadeur vénitien à Rome ou lui servant d’intermédiaire auprès de Pompeo Batoni8. Nous aurons l’occasion de revenir sur les conseils dispensés au sculpteur par l’artiste écossais qui apportent un éclairage précieux sur sa culture et sa conception du Beau.
L’Antiquité pour horizon. Fouilleurs, antiquaires et restaurateurs
Les activités de marchand d’antiques et de fouilleur de Gavin Hamilton, tout comme sa fascination pour l’Antiquité notamment sensible dans son oeuvre de peintre, le poussent à fréquenter un cercle qui se confond souvent avec celui des artistes tout en en demeurant distinct. Dans une ville dont une grande partie de l’attractivité, des exportations mais aussi de la production artistique et intellectuelle est étroitement liée à l’Antiquité, tout un monde d’entrepreneurs, d’intellectuels et de sculpteurs vivent les yeux rivés sur les dernières découvertes archéologiques de la région et les oreilles tournées vers les dernières avancées de la connaissance en ce domaine. Au sein de ce microcosme partageant un horizon commun, les nouvelles circulent rapidement. Tous se connaissent et se doivent d’entretenir un solide réseau de relations à même de leur fournir l’aide nécessaire à l’accomplissement de leurs entreprises, quelle qu’en soit la nature. Gavin Hamilton, bien sûr, n’échappe pas à cette règle.
Devenu après 1769 l’un des principaux fouilleurs actifs à Rome, Gavin Hamilton entretient d’étroites relations avec certains de ses homologues qui se muent parfois en amitiés. Sa relation avec Nicola La Piccola, artiste, fouilleur et gardien du Musée du Capitole, semble par exemple avoir été empreinte de confiance. Une lettre de Gavin Hamilton à Charles Townley datée du 3 mai 1773 décrit le fouilleur italien lui montrant dans le plus grand secret le produit de ses fouilles, de peur que les autorités ne s’en saisissent. Si les deux hommes ne semblent avoir entretenu qu’une relation d’affaires, on peut en revanche parler d’amitié entre l’artiste écossais et Giovanni Volpato, graveur, fouilleur et marchand d’antiques originaire de Vénétie. Gavin Hamilton propose régulièrement à ses clients le produit ses fouilles à partir de 1779 et parle de leur relation dans une lettre du 18 mai 1779 à Charles Townley en ces termes : « He is my particular friend & if any thing particular is found I shall be the first to see it & perhaps may help him to smugle some little interesting bitt for you. ». En 1796, l’antiquaire écossais s’associe enfin à Giovanni Pierantoni, sculpteur et restaurateur, pour fouiller le site d’Acquatraversa.
Mais Gavin Hamilton ne fréquente pas uniquement ce milieu d’artistes-fouilleurs. Fils d’une famille appartenant à la petite aristocratie et ayant reçu une éducation universitaire, il côtoie aussi le cercle plus purement intellectuel des antiquaires. Quelques indices disséminés dans le fil de sa correspondance nous permettent de supposer qu’il débattait ou s’entretenait avec certains des plus grands antiquaires de son temps. On peut par exemple avancer, d’après une lettre datée du 26 décembre 1772 et destinée à Lord Shelburne, que Gavin Hamilton a probablement eu un échange avec Anton Raphaël Mengs à propos d’une statue qu’il venait de découvrir à Tor Colombaro : « With regard to the subject of this statue, tho I have hitherto called it a Meleager, yet Mengs & some others think it may be a young Hercules […] ». Nous avons déjà mentionné les relations entretenues par Gavin Hamilton avec William Hamilton qu’il faut aussi ranger parmi les grands antiquaires du siècle. On peut de plus légitimement s’intérroger sur la nature du rapport ayant existé entre Johann Joachim Winckelmann et l’artiste écossais. L’antiquaire prussien occupant le poste de Commissario delle Antichità à une époque où Gavin Hamilton s’était déjà fait une place importante parmi les marchands romains d’antiques (entre 1763 et 17683), les deux hommes se sont certainement connus et rencontrés. Si l’on a pu dire qu’ils avaient été proches, nous n’avons trouvé trace d’aucun document d’époque pouvant permettre de l’affirmer. La question de l’influence exercée sur Gavin Hamilton par les théories de celui qui fût peut-être le plus grand antiquaire de son temps est tout autre. Nous aurons l’occasion de l’aborder par la suite. L’artiste écossais semble en revanche avoir eu une relation quelque peu conflictuelle avec le cardinal Albani. Surnommé par Gavin Hamilton « the old Cardinal », ce dernier réclama en effet à plusieurs reprises le produit de ses fouilles pour enrichir ses collections. Nous traiterons plus loin la question des Visconti.
Le souverain pontife et ses antiquaires, Pie VI et les Visconti
Solidement implanté dans la cité de Saint-Pierre, Gavin Hamilton étend son réseau jusqu’au plus haut sommet de l’État et soigne ses relations avec les tout puissants Commissari delle Antichità.
L’arrivée de Pie VI sur le trône pontifical en février 1775 est une aubaine pour l’artiste écossais qui connait bien ce nouveau pape. Alors qu’il n’était encore que le cardinal Gianangelo Braschi, ce dernier occupait en effet le poste de Tesoriere Generale, supérieur direct du Commissario delle Antichità, et de ce fait familier du milieu des fouilleurs, antiquaires et marchands d’antiques romains. Peu d’informations subsistent sur la relation entre le chef de l’Église romaine et l’antiquaire écossais. Deux lettres adressées à Charles Townley l’année de l’élection de Gianangelo Braschi par le sacré Collège nous permettent cependant d’affirmer que Gavin Hamilton était alors bien en cour auprès du nouveau souverain. Le 15 février, l’artiste écrit à son propos : « He has allwise been my friend when treasurer & have grownds to hope that he will still remimber me. ». Quelques mois plus tard Gavin Hamilton rend visite à Pie VI après lui avoir offert un buste de Sabine6 à l’histoire mouvementé7 : « I have been this morning with the Pope who gave me a most gracious reception, as I might expect after making him a present of the Sabina. ». En homme avisé, Gavin Hamilton savait ménager ses relations avec les représentants du pouvoir.
Si la bienveillance du souverain pontife pouvait être précieuse à tout fouilleur ou marchand d’antiques installé sur les rives du Tibre, celle du Commissario delle Antichità lui était en revanche indispensable. Fonctionnaire chargé sous la tutelle du Camerlengo et du Tesoriere Generale d’accorder les licences de fouille, de contrôler les exportations d’antiques et de cibler les oeuvres susceptibles d’être ajoutées aux collections pontificales, le Commissario delle Antichità était un personnage incontournable pour un homme engagé dans des activités telles que celles de Gavin Hamilton. La mort précoce de Johann Joachim Winckelmann en 1768 voit Giovanni Battista Visconti nommé à ce poste stratégique. À sa mort en 1784, son fils Filippo Aurelio Visconti lui succède et occupe le poste jusqu’en 1799. Frère aîné de Filippo Aurelio et antiquaire de renom, Ennio Quirino Visconti devient quant à lui directeur du musée du Capitole en 17944 et publie en 1797 la collection d’antiques rassemblée par le prince Borghèse à partir du produit des fouilles de Gavin Hamilton à Gabies5. Gavin Hamilton entretient de bonnes relations avec cette famille devenue incontournable et semble en particulier avoir été proche du père. Giovanni Battista, Commissario au cours des années qui virent l’Écossais entreprendre l’essentiel de ses fouilles, appartenait à la même génération que lui. Dans sa correspondance, Gavin Hamilton mentionne à plusieurs reprises avoir été invité par le Commissario à visiter en sa compagnie des sites auxquels il n’aurait autrement pas pu avoir accès. Bien que leurs intérêts puissent parfois entrer en conflit, Giovanni Battista Visconti lui accorde de plus certaines faveurs. En 1782, Gavin Hamilton obtient par exemple de sa part l’exclusivité pour l’achat d’un buste de Périclès appartenant aux collections du Vatican. L’antiquaire écossais semble enfin avoir été touché par la détérioration de l’état de santé du Commissario dans les dernières années de sa vie. Connaisseurs, les Visconti représentaient pour l’artiste écossais une source d’informations fiables et l’on sait qu’il les consultait parfois à propos des antiques qui passaient entre ses mains1. On ne dispose que de peu d’informations sur les relations de l’artiste avec les fils de Giovanni Battista. Notons cependant qu’Ennio Quirino Visconti fait référence au fouilleur écossais en termes élogieux dans ses Monumenti Gabini, soulignant le rôle dans la découverte de Gabies du : « […] celebre pittore scozzese sig. Gavino Hamilton, solertissimo ed indefesso cercatore d’antichità […] ».
Gavin Hamilton et l’aristocratie romaine
En dehors de ses relations avec les représentants de l’autorité, Gavin Hamilton cultivait aussi des sympathies au sein de l’aristocratie romaine. Né dans une famille appartenant à la petite noblesse, l’antiquaire écossais maîtrisait les codes de ce milieu. Son éducation, ses manières élégantes et sa conversation3 devaient inspirer confiance aux aristocrates romains qui pouvaient voir en lui, si ce n’est l’un des leurs, du moins un semblable. Ajoutées à sa réputation d’honnêteté, ces qualités lui fournissaient parfois un avantage décisif dans ses négociations avec les grandes familles de la ville4. Il n’est pas anodin que ce soit vers Gavin Hamilton que le marchese Giuseppe Rondanini se tourne en 1775 pour obtenir des lettres d’introduction auprès de personnalités britanniques en prévision de son voyage en Angleterre5. La commande passée à l’artiste par le prince Borghèse et le droit qu’il lui accorda de fouiller partout sur ses terres ont aussi probablement été motivés par ce climat de confiance.
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Table des matières
INTRODUCTION
Première Partie. Gavino Hamilton, un Écossais dans la ville éternelle : réseau, commerce et aspirations
A : De Muirdeston au Vatican, le réseau de relations sociales de Gavin Hamilton
1 : Des racines écossaises
2 : James Stuart, Nicholas Revett et Matthew Brettingham, une vieille amitié
3 : « My little familly », Gavin Hamilton l’italien
4 : « The unsolicited friend of every deserving artist »
5 : L’Antiquité pour horizon. Fouilleurs, antiquaires et restaurateurs
6 : Le souverain pontife et ses antiquaires, Pie VI et les Visconti
7 : Gavin Hamilton et l’aristocratie romaine
8 : De Naples à Venise, l’Italie comme terrain de prospection
9 : Une figure incontournable du Grand Tour
B : « A non purely platonic love for old sculpture », Gavin Hamilton marchand d’antiques
1 : « The Golden Age of Classical Dilettantism » ? Le marché des antiques à Rome et ses fluctuations
2 : La clientèle de Gavin Hamilton
3 : La demande, le goût des amateurs britanniques
4 : Convaincre, les ruses d’un marchand
5 : Les chemins de l’exportation
6 : « The den of Lions », Gavin Hamilton et la législation pontificale
7 : « I am no longer the only purchaser there », la concurrence sur le marché romain des antiques
8 : « A good fellow », la réputation de Gavin Hamilton en tant que marchand
C : Sur les pas d’Achille, la quête de la renommée
1 : « A monument to myself », une oeuvre pour la postérité
2 : « The noble collection », Gavin Hamilton et la réception de ses antiques
Deuxième Partie. « The most successful excavator of the century », les fouilles de Gavin Hamilton, organisation et méthode
A : Prospection, la recherche de sites prometteurs
1 : Une lecture profitable, la consultation des textes antiques
2 : Un indice précieux, les ruines
3 : « Cava Vergine »
4 : « The pleasing story of old times »
5 : « Trials », inspection du terrain et sondages
B : Négociations avec les propriétaires et licences de fouille, les prérequis légaux
1 : La législation
2 : Diversité des pratiques
C : « My Caporale with his Myrmidons », les équipes d’ouvriers de Gavin Hamilton
1 : « My Aquilani », origine du recrutement et hiérarchie
2 : Une supervision à distance ?
3 : « A very fine head », un vol sur les chantiers de Gavin Hamilton
4 : Le calendrier des fouilles
D : La fouille
1 : Préparer le terrain
2 : Le but de la fouille
3 : « Breaking ground », les méthodes d’excavation
E : De la tranchée à l’entrepôt. Contrôle, secret et concurrence autour des découvertes
1 : Législation et contrôle
2 : « My hidden treasures », dissimulation des découvertes
3 : Le secret dévoilé, concurrence et contrôle
F : Un lourd investissement financier
G : Les fouilles. Jeu de hasard, passion de la découverte et effet de mode
1 : La pelle et le dé, fouille et jeu de hasard
2 : La passion de la découverte
3 : Effet de mode et attraction touristique
Troisième Partie. Un regard sur l’Antiquité : comprendre et restaurer l’art des Anciens
A : La culture d’un connaisseur
1 : Un élève de l’université de Glasgow
2 : La bibliothèque disparue
3 : Le milieu romain
4 : Un érudit en matière d’Art
B : Un univers de représentations culturelles
1 : « The wonder of the world », un corpus d’oeuvres universellement admirées
2 : « True Greek Taste », l’émergence d’un nouveau paradigme esthétique
3 : « The finest age », périodisation de l’histoire de l’art antique
C : « The speculative turn of Hamilton’s mind », interpréter les vestiges de l’Antiquité
1 : Sujet et attributs, identifier l’iconographie
2 : Datation et attribution, un nouveau cadre d’interprétation de l’art antique
3 : De Capri à Gabies, comprendre les sites antiques et leur histoire
D : Les paradoxes de la restauration
1 : Les sculpteurs et leur encadrement
2 : Dessins et moulages, garder une trace de l’état de l’oeuvre avant sa restauration ?
3 : Examen et respect de la matérialité du fragment
4 : Un rôle de concepteur
5 : « Restoring the figure to its antient beauty », le traitement des lacunes
6 : « Con la pelle sua », la surface du marbre
7 : Conserver les oeuvres à l’état fragmentaire, vers un nouveau rapport à l’antique
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
RÉSUMÉ
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