Un regard à visée culturelle, un dessin empreint de références artistiques
Le fond et la forme : l’album de jeunesse
Si l’album est par définition, « un livre où prédominent les illustrations »,Sophie van der Linden dans son recueil réflexif intitulé Album[s] indique qu’il vientétymo logiquement du latin albus qui signifie « blanc ». De ce fait, qu’il soit « espace, surface ou recueil, l’album est d’abord un support, blanc. »
Ce support doit être compris comme la reproduction de créations originales qu’elles soient textuelles ou picturales. Le format des albums de jeunesse est variable, l’illustration y a souvent une dimension importante qui justifie des choix de format et de mise en page. Les albums d’E. Houdart sont généralement édités dans des formats à la française, dont la hauteur est plus importante que la largeur. Ses albums chez l’éditeur Thierry Magnier sont particulièrement grands ce qui met en valeur et permet d’apprécier tous les détails de ses illustrations.
L’album est un lieu de rencontre de deux langages distincts mais liés : le texte et l’image. Sophie Van der Linden définit les différentes formes que peut prendre leur interaction : il peut y avoir redondance lorsque texte et images racontent la même chose, il peut y avoir un lien de complémentarité entre le texte et l’image mais il peut aussi y avoir disjonction lorsque chacun adopte un discours autonome qui peut se révéler contradictoire ou apporter des lectures plurielles et parallèles.
Lorsqu’Emmanuelle Houdart travaille avec des auteurs, c’est la complémentarité textes-images qui est mise en avant mais on remarque bien souvent que la richesse de ses illustrations peut mener sur d’autres pistes au gré de l’imagination du lecteur.
Si le texte est communément associé à la lecture, on omet bien souvent d’expliciter les images pourtant prépondérantes dans l’album. Sophie Van der Linden, dans son ouvrage Lire l’album , remarque que l’on s’attarde peu sur l’acte de lecture d’images. Celles-ci étant purement picturales mais sans signe, elles sont considérées d’une lecture et d’une compréhension évidentes qui ne nécessitent aucun apprentissage. Ce qui explique que les albums de jeunesse soient mis en avant pour les non-lecteurs. Or il est primordial de savoir lire une image, d’en connaître les codes afin de pouvoir l’interpréter. Une image possède son propre langage utilisant un code de communication visuelle s’appuyant sur des signes, l’utilisation d’un nuancier de couleurs spécifiques selon l’effet désiré, une composition graphique créant une dynamique et tenant compte du chemin visuel du lecteur… Autant d’éléments qui permettent d’accéder au sens de l’image.
Dans le socle commun de connaissances, de compétences et de culture, le domaine 1, des langages pour penser et communiquer met en avant la nécessité pour l’élève de connaître et comprendre les particularités des différents langages artistiques qu’il emploie en s’appuyant sur des notions d’analyses d’œuvres . En ce sens, l’étude d’illustrations d’albums de jeunesse correspond à ce domaine et aux objectifs des programmes de l’éducation nationale qui dès le cycle 1 visent à découvrir différentes formes d’expression artistique telle que l’illustration. Cela prépare les élèves aux compétences développées à travers l’enseignement artistique en cycle 2 et 3 à savoir s’exprimer, analyser sa pratique et établir une relation avec celle des artistes et s repérer dans les domaines liés aux arts plastiques et visuels, être sensible aux questions de l’art.
Dans le cadre de la littérature pour la jeunesse, la question de l’illustrateur ou du créateur se pose. L’image a-t-elle été conçue pour un texte préexistant ou l’image est-elle le point de départ du projet livre ? En ce qui concerne Emmanuelle Houdart, ses collaborations avec des auteurs prennent différentes formes : elle peut travailler de concert avec l’auteur en créant des illustrations répondant au texte ou en lien avec la ligne directrice définie conjointement, mais elle peut aussi, comme c’est le cas avec Marie Desplechin, proposer des illustrations et laisser à l’auteur le soin de tisser l’histoire en s’appuyant sur celles-ci. Emmanuelle Houdart revêt parfois aussi le costume d’auteur-illustrateur pour certains projets qu’elle souhaite mener dans leur globalité. Une œuvre d’art, dans les arts visuels, est un objet physique ou immatériel qui remplit une fonction esthétique. En ce sens, l’illustration est une forme d’art, et on peut la considérer comme une illustratrice créatrice et étudier ses illustrations telles des œuvres.
La boîte à images d’Emmanuelle Houdart
Emmanuelle Houdart utilise principalement des feutres à l’alcool comme médium qu’elle rehausse parfois avec des crayons de couleurs. Elle travaille sur du papier Bristol de grand format et commence par une esquisse au crayon de papier et utilise des calques pour adapter sa composition avant de reprendre les contours de son dessin au feutre fin noir. Cette méthode lui retire toute possibilité de revenir sur le travail effectué. Puis elle colore ses dessins aux feutres à l’alcool en faisant beaucoupde mélanges. Elle l’explique dans une interview menée par Salomé, 7 ans, fille du bibliothécaire de la médiathèque Michel Serres de Saint-Avertin (37) : « Je fais beaucoup de mélanges. Déjà parce que le feutre c’est une matière totalement inintéressante à la base ; c’est plat. Pas comme avec la peinture où on trouve de la texture, de la nuance, de la transparence… Toutes choses que tu ne trouves pas dans les feutres. Par contre si tu mélanges du rouge avec un feutre ivoire par exemple, tu vas le délaver un peu et tu auras des jolies nuances. Même le noir. Je l’efface avec du rouge et ça me donne une sorte de brun. C’est comme ça que je construis tous mes verts, en effaçant du vert avec de l’orange… Bref, je fais beaucoup de mélanges ! » Emmanuelle Houdart est passionnée par la couleur et en particulier par le rouge et ce qu’elle appelle « tous les petits verts » . On le remarque particulièrement dans l’album Emilie Pastèque entièrement réalisé en nuances derouge et de vert, les deux couleurs de la pastèque. Cette imprégnation de la couleur dans les illustrations d’Emmanuelle Houdart se manifeste par ses choix : chaque dessin est basé sur unmonochrome déclinant toutes les nuances d’une même couleur ou une dichromie.
Mais ces camaïeux restent toujours cerclés d’un noir profond, surlignant chaque trait.
Dans l’interview citée précédemment, Elle explique que la couleur apporte une conclusion à ses dessins : « la couleur, c’est ce qui ramène l’équilibre à l’intérieur du dessin à la fin. »
Un regard sensible, dans l’œil d’Emmanuelle Houdart
Ma planète , premières sensations
La première étape consiste à recueillir les ressentis face à ces illustrations
L’écrivain Claire Ubac exprime très justement les réactions que celles-ci peuvent provoquer : « tes dessins sont lisses en apparence et leur trait contient une infinité de mondes en profondeur. Parfois, on ne se sent pas de taille à les affronter, ce qui est respectable puisque, par là même, on en reconnaît la puissance. »
L’attirance et la répulsion sont souvent présentes face à ce monde fantasque. Celui-ci émerveille et rencontre une adhésion totale ou au contraire il effraie ou met mal à l’aise le spectateur, en particulier le lectorat adulte. Cet univers non policé n’a rien de choquant face à l’imagination débridée des enfants, ce qui explique peut-être l’adhésion qu’Emmanuelle Houdart rencontre auprès du jeune public. La jeune Salomé, citée précédemment, qui l’interviewa, explique ainsi « j’aime beaucoup tes dessins. C’est comme quand je mange des bonbons acidulés, c’est bizarre mais c’est bon. »
Ses albums proposent une expérience sensorielle et émotionnelle. Cela correspond aux réactions des élèves que j’ai pu observer.
Les choses que je sais , l’approche descriptive et interprétative
En premier lieu, il y a l’observation : on constate qu’il n’y a pas de fond permettant de se situer géographiquement ou temporellement puis, d’une manière globale, on remarque beaucoup d’éléments enfantins dans les illustrations d’E Houdart : de nombreux doudous, jouets, poupées et mobilier. C’est un univers enveloppant et apaisant, empli d’édredons et d’oreillers moelleux. La texture des peluches ou du pelage des animaux représentés est d’une telle précision que l’on a la sensation de pouvoir réellement les toucher. Mais cet univers est surtout très peuplé.
L’artiste fait la part belle aux personnages, qu’elle définit ainsi : ils sont « très bavards, malgré leur bouche close. Peu modestes, toujours au premier plan. »
L’omniprésence des personnages se justifie par l’intérêt de l’artiste à son égard : « c’est le personnage qui porte tout. Il n’y a que lui qui compte. Ce qui m’intéresse c’est le sens que le personnage doit donner à l’histoire. Après j’ajoute des choses. »
C’est probablement pour cela que ses personnages sont chargés de nombreux atours : vêtements, chaussures, sacs, chapeaux, toute une panoplie vestimentaire qui témoigne de leur coquetterie. Les personnages sont toujours élégants, on constate un réel goût pour la mode avec un souci du détail dans les motifs des tissus, dans les tapisseries du mobilier, qui n’est pas sans rappeler le travail du couturier Christian
Lacroix. Cette élégance vestimentaire n’est pas qu’utilitaire : « se tenir au chaud, séduire un homme, nier les modes, raconter qui nous sommes. » , E. Houdart défend le droit à la différence et à suivre notre libre-arbitre en alliant l’aspect pratique de la garde-robe à des qualités esthétiques. Elle utilise les motifs des vêtements de ses personnages pour nous les dévoiler un peu plus : « mes personnages sont des séducteurs. Les motifs qui ornent leurs vêtements sont parfois simples signes d’élégance, d’autres, symboles de leurs pensées intimes. » . A ses débuts, elle glisse sur chaque manteau ou pantalon des poches pleines à ras bord sur le principe de « dis-moi ce que tu as dans tes poches et je te dirai qui tu es. » , elle se concentre dorénavant plutôt sur les motifs des tissus.
La particularité des personnages crées par Emmanuelle Houdart est qu’ils sont souvent monstrueux. Des monstres élégants, effrayants ou non, qui pullulent dans ses albums tant et si bien qu’E. Houdart est souvent considérée comme la spécialiste des monstres sur lesquels elle pose un regard bienveillant. « Le monstre est parfaitement subversif. Il ne connaît aucune loi, ne respecte pas les règles des proportions, se fout des usages et des conventions, se trouve souvent là où on ne l’attend pas et peut tout se permettre. C’est mon grand ami de papier. »
Le monstre pour elle, qu’il soit hybride ou difforme, est un patchwork d’émotions, des parcelles disparates de nous-même cousues ensemble. C’est principalement l’humanité du monstre qui fascine l’artiste : « ce qui m’intéresse dans le monstre, on a tous à un moment donné un côté monstrueux. Dans certaines circonstances, à un moment de sa vie, on est tellement décalé par rapport à ce qui se passe que l’on se sent monstrueux. »
Bien que le monstre soit un des éléments prépondérants de son œuvre, je n’ai pas souhaité développer cette thématique avec les élèves car je l’ai précédemment fait lors de mon expérience professionnelle en bibliothèque scolaire en tant qu’animatrice BCD (Bibliothèque Centre Documentaire). J’avais travaillé en partenariat avec l’enseignant d’une classe de CE2 particulièrement difficile, sur la monstruosité cachée en chacun de nous. J’avais utilisé les albums Monstres malades et L’abécédaire de la colère comme inducteurs afin de réaliser des masques monstrueux à partir des travers de chacun. Cette production a permis aux élèves de verbaliser les émotions parfois violentes qui les animent mais aussi de leur faire accepter ce monstre qui se trouve en eux. L’objectif commun à l’enseignant et moi-même était de travailler ainsi sur la tolérance face aux monstres que nous abritons tous.
Dans une rencontre d’auteur en bibliothèque, l’interview s’attarde particulièrement sur l’album Saltimbanques mettant en scène des personnages circassiens appelés communément monstres de foire. E. Houdart y affirme « être monstrueux, c’est la différence ultime, la plus extrême. »
On peut considérer que c’est justement cette différence qui interpelle l’artiste, chaque monstre qu’elle crée est un éloge et une invitation à l’acceptation de la différence. En cela, l’œuvre d’E. Houdart est un parfait outil, pour les élèves, d’éducation à l’altérité.
La garde-robe , le pouvoir symbolique de ses illustrations
De nombreux objets symboliques sont méticuleusement disséminés dans les albums d’E. Houdart. Elle dessine tous ces symboles dans une sorte de superstition amusée, multipliant les talismans et autres gris-gris issus de toutes cultures pour se protéger de l’âge adulte et garder son intuition d’enfant. Elle confectionne et collectionne d’ailleurs ses propres talismans qu’elle décrit ainsi : « Cheveux de miel et de blé de mes enfants. Une pincée de chaque, tous les matins dans une tasse de thé.Talismans contre la tendance à devenir une grande personne. »
E. Houdart mélange indistinctement plusieurs types de symboles tels ceux définis par Gustav Jung qui distingue :
Ø les grands symboles organisateurs : ceux qui se rattachent au cosmos et régissent certaines règles chez les humains.
Ø les symboles qui appartiennent au patrimoine : Ils s’adressent aux personnes de même culture. Cette catégorie de symboles concerne les connaissances religieuses, culturelles et artistiques et notre histoire collective.
Ø les symboles personnels : ceux que nous créons et qui participent à notre connaissance de nous-même.
Tous sont porteurs de sens, ceux d’Emmanuelle Houdart partent de l’intime pour tendre à l’universel : « J’aime les symboles forts, limite un peu dérangeants, pour moi ça veut juste dire exactement ce que je ressens. Je cherche les symboles personnels qui vont dire exactement ce que j’ai envie de dire. »
L’apport du travail de symbolisation, selon Louise Poliquin est une plus grande profondeur pour les images suscitées qui prennent de ce fait plus de pouvoir. L’enrichissement des images d’Emmanuelle Houdart est lié à leur apport symbolique.
Le lien avec les arts plastiques et les textes officiels
En ce sens, l’étude des albums d’Emmanuelle Houdart correspond aux exigences du socle commun de connaissances, de compétences et de culture entré en vigueur en septembre 2016. La découverte de cette artiste – illustratrice entre dans les compétences exigées dans le domaine 1 : Les langages pour penser et communiquer, et en particulier le sous domaine comprendre, s’exprimer en utilisant les langages des arts et du corps. Etudier certains de ses albums entrent aussi en lien avec le domaine 3 : La formation de la personne et du citoyen à travers l’expression de la sensibilité et des opinions, le respect des autres ainsi qu’avec le domaine 5 : Les représentations du monde et de l’activité humaine et son sous-domaine qui traite de l’interprétation des productions culturelles humaines.
De plus, de par les nombreuses influences artistiques et littéraires de cette artiste, l’étude de ses albums permet, à partir du cycle 3, de s’intégrer dans le projet de culture littéraire et artistique recommandée par les programmes tant dans la thématique « se confronter au merveilleux, à l’étrange » que celui qui s’intitule « se découvrir, s’affirmer dans le rapport aux autres » et bien sûr « le monstre, aux limites de l’humain » en sixième. Cette étude permet aussi de créer des liens de transversalité avec l’histoire des arts au cycle 3 en mettant en prolongement les albums vus avec les arts du spectacle vivant telles que les chorégraphies de Pina Bausch, les arts du visuel avec les installations d’Annette Messager ou les arts du son avec la Messe pour le temps présent de Pierre Henry.
L’ouverture sur le Parcours d’Education Artistique et Culturelle (PEAC)
Travailler à partir d’albums d’E. Houdart s’inscrit dans le cadre du Parcours d’Education Artistique et Culturel dont le but est d’inciter tous les élèves à se confronter à l’art et à l’acquisition d’une culture artistique personnelle. Les principaux objectifs du PEAC sont :
Ø Diversifier et élargir les domaines artistiques abordés à l’école en ouvrant le champ de l’expérience sensible à tous les domaines de la création et du patrimoine ;
Ø Articuler les différents temps éducatifs et en tirer parti, en facilitant un travail convergent des différents acteurs et structures contribuant à l’éducation artistique et culturelle ;
Ø Donner sens et cohérence à l’ensemble des actions et expériences auxquelles l’élève prend part dans le cadre d’enseignements ou d’actions éducatives, le parcours n’étant pas une simple addition ou juxtaposition d’actions et d’expériences successives et disparates, mais un enrichissement progressif et continu. Mise en pratique Abris en cycle 2 J’ai réalisé une séquence d’arts plastiques dans une classe de CE1 composée de 26 élèves . Je l’ai commencé par la présentation de l’album Abris (couverture, nom de l’auteur, éditeur) puis par une lecture offerte en montrant les illustrations après la lecture de chaque double page. J’ai ensuite demandé aux élèves de me définir avec leurs propres mots la notion d’abri. J’ai écrit leurs différentes propositions au tableau : « un lieu, un endroit, on s’y sent bien, se reposer, calme, dormir, lire, sécurité, dans les arbres… »
Je leur ai ensuite donné la consigne : « je vais passer vous voir un par un et je souhaiterai que vous utilisiez vos mains ou vos bras pour me représenter un abri et je prendrai cet abri en photo ». Pendant ce temps je leur ai demandé d’écrire une phrase commençant par : « Pour moi un abri, c’est… » dans leur cahier de brouillon.
Deux propositions m’ont semblé particulièrement intéressantes : P. a placé les mains sur ses yeux et J. a fermé ses mains en une coque protectrice.
A la séance suivante, après avoir fait reformuler la séance précédente, j’ai distribué les photos imprimées à chacun afin qu’ils dessinent un abri sur leur photographie. Les photos étaient imprimées en noir et blanc et la consigne était de continuer l’abri au feutre coloré, soit de dessiner par-dessus l’abri fait avec les mains en lui apportant des détails, soit d’un dessiner un autre.
J’ai ensuite plastifié les productions en y ajoutant les phrases de chaque élève à propos de leur abri. Le travail des élèves a été exposé dans le couloir devant leur classe. (Une évaluation formatrice est programmée afin que chacun puisse s’exprimer sur sa production et celle de ses pairs et s’autoévaluer en fonction des objectifs explicités dans la consigne. Cette évaluation sera l’occasion de confronter sa production avec la proposition de l’illustratrice en lien avec l’album dont une analyse d’images est aussi prévue.)
La troisième séance a été consacrée à l’analyse de trois illustrations de l’album, en suivant un certain nombre de questions . Durant celle-ci, l’autre enseignante stagiaire présente dans la classe a montré successivement trois illustrations du livre tandis que je notais les réponses des élèves au tableau. La première illustration a permis aux élèves d’avoir une première approche de l’analyse d’image. J’interroge d’abord les élèves sur la présentation générale de l’illustration en explicitant d’où peut provenir l’image (un journal, un dictionnaire, un album de jeunesse, la reproduction d’un tableau). Puis, je les amène à s’interroger sur les éléments plastiques tels que le format (portrait ou paysage, expliqué au tableau par le biais de dessins et mis en lien avec les séances d’informatique lors d’ateliers d’écriture sur un logiciel de traitement de textes) ; les différences de plan (premier, deuxième, troisième) auxquelles j’ai donné sens en mettant en scène les élèves ; les couleurs en les nommant et en les définissant (vives, claires, foncées). Je les ai ensuite interrogés sur la technique utilisée, les élèves ont émis des hypothèses en lien avec leurs propres productions ou leurs habitudes de dessin. J’ai validé leurs hypothèses en leurs expliquant la façon dont E. Houdart réalise ses illustrations. Puis, nous nous sommes interrogés sur les intentions de l’artiste : pourquoi avoir choisi telle ou telle représentation d’un abri ? Ils ont validé ou non les choix de l’artiste et ont ensuite nommé les émotions que ces images suscitaient chez eux. J’ai pris le temps de bien mettre en place le questionnement et d’expliciter clairement le vocabulaire lors de la première analyse, puis, nous avons suivi le même procédé pour les deux autres illustrations. Cela a permis aux élèves de se familiariser avec cette pratique en l’acquérant. En fin de séance j’ai distribué à chaque élève une grille simplifiée d’analyse d’image reprenant les différentes étapes que nous venions de suivre, je leur ai expliqué qu’elle pourrait leur servir à nouveau et s’adapter à tous types de documents visuels et plastiques : photographie, tableau, sculpture, installation. Les élèves l’ont collé dans leurs cahiers des arts.
La dernière séance a été consacrée au bilan avec une présentation et une observation des productions des élèves. J’ai proposé aux élèves d’observer leurs propres productions en se posant les mêmes questions que lors de l’analyse d’images.
Le vocabulaire de la séance précédente a été réinvesti, les élèves ont su nommer le format de leurs productions, la technique utilisée et ils ont émis des rapprochements entre les différents travaux : représentations graphiques des abris (arbre, maison), poses similaires des mains ou des bras, description d’un abri commun (lieu où l’on lit, où l’on se repose). Les élèves ont réussi à se décentrer pour parler des productions de leurs pairs sans nécessairement se focaliser sur la leur. Ils ont distingué que certaines des propositions étaient différentes et ont justifié leurs choix : un abri coloriéen totalité alors que les autres comportaient des dessins colorés mais sans remplissage, des poses originales car uniques dans l’ensemble des propositions. Les élèves ont su nommer les consignes demandées et constater que celles-ci avaient été respectées. Enfin, ils ont nommé les sentiments que leur ont inspiré leurs productions. Cette séance-bilan m’a permis d’établir ma grille d’évaluation sur cette séquence.
Je souhaitais évaluer trois compétences spécifiques :
Ø Savoir coopérer dans un projet artistique
Ø Proposer des réponses inventives dans un projet individuel et collectif : en lien avec les notions de flexibilité et d’originalité établies par J.P. Guilford.
Ø S’exprimer sur sa production, celle de ses pairs, sur l’art : observer les productions de chacun, faire le lien avec l’œuvre d’E.Houdart.
La séance a donné aux élèves la possibilité d’avoir un regard extérieur sur leurs productions et de répondre à des critères précis : réponse en cohérence avec la consigne, explicitation de la démarche, réponses similaires ou hors norme.
J’ai proposé un prolongement en EPS à travers une danse sur le thème de l’abri dans laquelle les élèves doivent créer la chorégraphie.
La consigne était la suivante : « nous avons travaillé sur l’abri et vous avez fait des propositions d’abris avec vos mains puis vous avez représenté des abris en les dessinant. Maintenant, vous allez chercher à représenter et à créer des abris avec votre corps tout entier.
Conclusion
Je souhaitais valider l’hypothèse selon laquelle la rencontre des élèves avec les albums d’E. Houdart influencerait leur rapport à l’autre et leur créativité en éveillant leur regard. J’étais consciente que la principale limite de cette analyse serait la temporalité : je défends que la lecture et l’observation de ses albums apportent des clés culturelles tant littéraires qu’artistiques, une éducation à l’altérité alliés à un plaisir ludique.
Cependant, tout cela n’est observable qu’à long terme, dans le cadre d’un projet de classe utilisant la transdisciplinarité. Nous pourrions travailler en mise en réseau en lisant différents albums et petit à petit établir des inférences dans les motifs intra textuels. Si nous commencions avec l’album Emilie Pastèque : reconnaître le vampire de Monstres malades représenté sous la forme d’un doudou, retrouver des titres d’albums d’E. Houdart dans la bibliothèque du personnage. Nous découvririons aussi des inférences intertextuelles qui nous amèneraient à élargir et à lire d’autres auteurs : Maurice Sendack, Peter Sis, Kitty Crowther, Susie Morgenstern, tous présents dans la bibliothèque d’Emilie Pastèque.
Au niveau transdisciplinaire, cet album nous permettrait de découvrir :
Ø En arts plastiques en lien avec l’amoncellement les œuvres d’Annette Messager, artiste collectionneuse mais aussi les cabinets de curiosités et les représentations du monde qu’ils donnent à voir ou encore l’œuvre de Jérôme Bosch.
Ø En éducation morale et civique, les dessins pour la presse de Roland Topor
Nous pourrions alors nous approcher un peu de cette volonté d’E. Houdart : « La durée m’importe par-dessus tout. (…) Et mettre au monde quelque chose qui demeure. » en construisant et en inscrivant des compétences et des connaissances dans la durée en systématisant des questionnements, des réflexions et des postures favorisant l’ouverture culturelle et de ce fait l’acceptation de l’autre.
Travailler en projet de classe sur différents albums met en relief la liberté de représentation des personnages par l’artiste, des personnages disparates et loufoques qui incitent à la fantaisie et à l’acceptation de soi-même et des autres. L’artiste l’exprime dans l’interview de Claude André, cité précédemment : « (…) c’est comme si le personnage venait dire à l’enfant : « Tu vois, moi, je m’habille comme ça, avec deux chaussures différentes, une cage à oiseaux sur la tête, des bracelets en cheveux tressés et une écharpe en caramel. Fais-en autant ! Choisis ta vie ! Choisis la fantaisie ! »
La force évocatrice des illustrations de cette artiste apporte à tous une étendue des possibles, une liberté d’interprétation qui invite à une liberté de pensée. Je suis consciente que mon analyse est plus qualitative que quantitative de par le temps imparti et le champ d’observation réduit. Cependant, je reste intimement convaincue que le travail mené avec cette classe : production d’arts plastiques, danse, analyse d’images de l’album a permis de semer des graines. Ces graines de l’esprit peuvent être observables dans le cadre des enseignements ou impalpables mais exprimée par la notion de plaisir communiqué et partagé. En témoigne la remarque d’un des élèves lorsque je suis revenue en classe sept mois après la première lecture de l’album et qui m’a spontanément amené l’album Mon arbre d’Ylya Green en me disant : « c’est comme l’abri. » Alors, même si rien n’est grave dans un dessin, cela ne signifie pas pour autant que cela n’a pas d’importance.
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Table des matières
Introduction
Un regard à visée culturelle, un dessin empreint de références artistiques
Le fond et la forme : l’album de jeunesse
La boîte à images d’Emmanuelle Houdart
Dedans, au cœur de ses albums
Un regard sensible, dans l’œil d’Emmanuelle Houdart
Ma planète, premières sensations
Les choses que je sais, l’approche descriptive et interprétative
La garde-robe, le pouvoir symbolique de ses illustrations
Le lien avec les arts plastiques et les textes officiels
L’ouverture sur le Parcours d’Education Artistique et Culturelle (PEAC)
Evaluer en arts plastiques et sur la créativité en particulier
Mise en pratique
Abris
Analyse de ma pratique
Conclusion
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