Un principe de droit humain et ses difficultés d’interprétation
L’article 12 de la CDE instaure le principe de participation, qui prescrit une obligation légale aux Etats parties d’écouter et d’entendre les enfants capables de discernement sur toute question les intéressant. L’Observation Générale (OG) no. 12 du Comité des Droits de l’enfant précise, de manière très large, que le terme de participation est utilisé pour décrire : « des processus continus qui comprennent le partage d’informations et le dialogue entre enfants et adultes, sur la base du respect mutuel, et par lesquels les enfants peuvent apprendre comment leurs vues et celles des adultes sont prises en compte et influent sur le résultat de ces processus» (CRC/C/GC/12).
Lansdown affirme que cet article de la CDE est celui qui a été le plus été débattu et que « malgré son usage largement répandu, il subsiste un manque considérable de clarté à propos de ce que signifie la participation dans le contexte des droits de l’enfant » (Percy-Smith & Thomas, 2010, p. 11).
Hanson et Poretti (2011) évoquent le terme de « fourre-tout » en parlant de la notion de participation à laquelle sont associées des activités aussi diverses que la participation des enfants au sein de leur famille, leur citoyenneté ou encore la considération portée à la voix des enfants dans des programmes de développement. Liebel (2010) relève que les spécialistes de la CDE ne parviennent pas à trouver un consensus sur l’importance à accorder aux droits participatifs. Nul doute que la diversité de l’interprétation du principe participatif et l’absence d’un consensus parmi les experts complexifient sa mise en œuvre sur le terrain.
Des ayant-droits à considérer
Aujourd’hui, les enfants de moins de 18 ans représentent environ un tiers de la population mondiale et n’ont jamais été aussi nombreux . En outre, 27 ans après l’entrée en force de la Convention, il est avéré que les enfants sont peu informés de leurs droits. Davantage perçus dans les pays occidentaux comme des bénéficiaires passifs des politiques, plutôt que comme des partenaires, les enfants n’ont pas participé à l’avènement de la CDE, et n’ont pas lutté pour obtenir ce nouveau statut (Stoecklin, 2015, Cours MIDE, Séminaire Participation). Néanmoins, plusieurs études ont démontré que les enfants et les jeunes manifestent leur volonté de participer à la construction de la société (UNICEF France, 2014 ; UNICEF Suisse, 2015 ; European Commission, 2015 ; OEJAJ, 2007). Reddy et Ratna (2002), dans le cadre de leur expérience indienne, ont constaté que la motivation des enfants à participer est corrélée à leur possibilité de poursuivre leurs propres objectifs qui visent notamment l’amélioration de leur qualité de vie. Selon l’étude belge, les enfants ont confiance dans cette pratique qui leur permet d’exprimer leurs opinions, d’essayer de persuader les adultes et de se laisser convaincre en retour. Ils la considèrent comme un moyen d’apprentissage et se montrent très réalistes sur ce qu’elle implique. Ils « ne rêvent pas de prendre le pouvoir ni de décider de tout tous seuls » (OEJAJ, 2007, p. 190). Ils y voient de nombreux avantages pour eux-mêmes, mais aussi dans leurs relations avec les adultes qui les comprendraient mieux, et intégreraient de nouvelles propositions dans leurs décisions qui seraient mieux appliquées. Ils contestent l’idée que la participation est inutile, qu’elle constitue une perte de temps et une source d’ennui et qu’elle leur volerait leur enfance. Ils se montrent également très lucides sur les limites liées à la participation et sur le risque de manipulation.
Critiques et questionnements
Au fil des ans, de nombreux projets participatifs ont vu le jour dans toutes les régions du monde, la plupart du temps sous l’égide d’ONG’s ; ils ont permis aux enfants de s’exprimer sur les sujets qui les intéressent et/ou les concernent et de tenter d’agir pour un changement. Cependant, l’impact des projets participatifs incluant des enfants demeure insignifiant sur la société. Cairns (2006) observe que la capacité des enfants à influencer l’agenda politique a peu évolué malgré l’intérêt soulevé par les droits politiques des enfants. La question de « savoir si les personnes ou organisations qui interviennent en faveur des enfants représentent de manière appropriée, les vues, les intérêts et les demandes de ceux qu’ils disent représenter » est récurrente (Stammers, cité par Hanson, 2011). Shier affirme que le droit donné aux enfants de pouvoir s’exprimer sur les sujets qui les concernent compte tenu de leur capacité de discernement fait son chemin, mais il « est moins clairement établi qu’ils puissent s’asseoir à la table des délibérations des décideurs » (2010, p. 36). Certains protagonistes postulent que la participation des enfants vise surtout à en faire des futurs citoyens responsables. Lister, cité par Tisdall, confirme cette idée en affirmant que « le modèle d’investissement humain est construit sur la croyance que les enfants sont des humains en devenir : investir dans les enfants maintenant assure leur future contribution à la société en tant qu’adultes, autant économiquement que socialement. » (2014, p. 14).
Etat de la recherche sur le rôle des adultes en contexte de participation
Constats des experts
La littérature s’est peu intéressée à la vision et perception qu’ont les animateurs de la participation des enfants et de la manière qu’ils ont de la mettre en œuvre. Eurochild a réalisé en 2012 une consultation auprès de ses membres, sur les difficultés rencontrées par les ONG’s dans une démarche participative. Le déficit de ressources financières et en personnel ou le manque de motivation des enfants apparaissent comme des obstacles à la mise en œuvre de la participation ; un niveau d’implication insuffisant de la part du personnel qui ne comprend pas toujours les bénéfices de la participation des enfants ne facilite pas l’intégration des jeunes dans les projets participatifs. Le manque d’expérience et de capacité à travailler avec les enfants ainsi qu’une non-reconnaissance des enfants comme citoyens sont considérés comme facteurs limitant la participation. La Commission Européenne a rédigé un important rapport en 2015 intitulé « Evaluation of legislation, policy and practice on child participation in the European Union ». Une des questions soulevée par cette étude, concerne non seulement le fait « qu’il existe différentes interprétations de la participation, mais plus fondamentalement encore, qu’il y a un manque de compréhension chez les professionnels et un manque de connaissance et d’engagement pour le droit des enfants. » (EU, 2015, p. 222).
L’étude de Golay et Malatesta (2014) a mis en évidence que le rôle que les professionnels jouent dans les conseils et leurs choix pédagogiques, est une dimension cruciale qui affecte comment les enfants se comportent et s’ils sont entendus au niveau local. Taft a mené une étude sur les relations de pouvoir entre adultes et enfants au sein du mouvement péruvien d’enfants travailleurs, engagé dans une vision idéale d’un dialogue égalitaire entre adultes et enfants. L’auteure a observé, que malgré les bonnes intentions de part et d’autre, le pouvoir reste dans les mains des adultes, par une répétition du modèle classique profondément ancré dans la culture. Elle postule que le partage du pouvoir est « incroyablement difficile à mettre en œuvre dans le contexte social plus large des inégalités fondées sur l’âge.» (2015, p. 471). Elle y voit même le danger que l’accroissement de la voix des enfants ait pour effet de justifier un recentrage du pouvoir des adultes.
Point de vue des enfants
Une étude espagnole menée par trois chercheuses de l’Université de Barcelone (Agud, Novella Camara & Berne, 2014) auprès d’un panel de 47 enfants s’est penchée sur les conditions permettant l’expression de l’opinion des enfants dans trois différents cadres, à savoir l’école, les loisirs et la communauté. Les enfants ont décrit leurs attentes concernant le rôle des animateurs de la participation. Ils ont cité l’importance de la gestion et de la cohésion du groupe, et l’inclusion de chacun dans le projet. Ils ont également souligné l’importance que les animateurs connaissent le monde de l’enfance, qu’ils soient capables d’une écoute active des enfants, que le langage utilisé soit compréhensible et que les décisions prises soient mises en œuvre. La qualité des relations entre participants et le recours aux critiques constructives font partie de leurs préoccupations. Les enfants souhaitent que l’implication des animateurs dans le projet participatif soit un modèle pour eux, qu’ils soient davantage partenaires que leaders et qu’ils établissent une relation de proximité et de confiance avec les enfants. Les enfants âgés entre 10-18 ans qui ont participé à l’étude de l’OEJAJ (2007) ont déterminé que le fait de se sentir à l’aise, d’avoir confiance en les animateurs et autres participants, confiance en eux-mêmes, de recevoir des informations de qualité et d’avoir du temps à disposition sont des éléments qui favorisent leur implication. Ils identifient trois éléments restreignant leur participation : le manque d’intérêt pour la question traitée, l’absence de considération des adultes vis-à-vis de leurs opinions et la crainte de s’exprimer par peur que leur avis ne soit pas intéressant, par peur de représailles ou par gêne.
Dans le rapport d’évaluation 2015 de la Commission Européenne, les enfants ont relevé que les attitudes négatives ou indifférentes des adultes à leur égard étaient un facteur retenant leur participation ainsi que la crainte des réactions de leurs pairs. Un manque de confiance en eux ainsi que la peur de faire le mauvais choix est un frein à leur participation. Le rapport précise que les adultes pensent souvent connaître la réalité des enfants et qu’ils portent une attention très symbolique à leurs opinions ; il souligne également le manque de culture d’échange au sein des familles et au sein de l’école. Certains enfants ont relevé que les interactions avec les adultes sont faibles et qu’il arrive que les adultes trahissent leur confiance. Les enfants ont également signalé des problèmes pratiques, tels qu’un manque de temps, des difficultés liées au langage, des facteurs religieux ou culturels qui affaiblissent les possibilités de participer tout comme l’insécurité liée au statut dans le cas de la migration par exemple. Paz et Pinto (2016) ont mené une étude sur le partenariat entre adultes et enfants et ont identifié que les enfants attendent que les adultes leur fassent confiance, les écoutent, se montrent honnêtes et ne jugent pas leurs capacités. Par contre, les enfants ont exprimé que si les adultes et les enfants devenaient des partenaires « tout le temps », les choses seraient « hors contrôle ».
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 : Problématique et question de recherche
1.1. Un principe de droit humain et ses difficultés d’interprétation
1.2. Des ayant-droits à considérer
1.3. Critiques et questionnements
1.4. La question du contre-rôle
1.5. Etat de la recherche sur le rôle des adultes en contexte de participation
1.5.1. Constats des experts
1.5.2. Point de vue des enfants
1.6. Problème et question de recherche
Chapitre 2 : Concept de participation
2.1. Essai de définition
2.2. Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (CDE)
2.2.1. Les droits participatifs
2.2.2. Corrélation entre psychologie du développement et culture
2.3. Fonction et rôle attendus des adultes en contexte de participation
2.3.1. Trois types de processus participatifs
2.3.2. Conditions définies par l’Observation Générale no.12
2.3.3. Dispositifs d’évaluation et de mesure d’implication des enfants
Chapitre 3 : Relations asymétriques adultes-enfants
3.1. Relations de dépendance naturelle
3.1.1. Evolution des relations adultes-enfants
3.2. L’âge, facteur de discrimination ?
3.3. « Adultism » versus égalité des droits
3.4. Ecoles de pensées en droits de l’enfant
3.5. Pouvoir, domination et autorité
3.5.1. Le pouvoir : répressif ou stratégique ?
3.5.2. La domination
3.5.3. L’autorité, une notion en mutation
3.6. Synthèse du cadre théorique
Chapitre 4 : Analyse de la perception du processus participatif et des pratiques des animateurs
4.1. Méthodologie
4.1.1. Déroulement des entretiens
4.1.2. Précautions éthiques
4.2. Analyse des entretiens
4.3. Résultats de l’enquête qualitative
4.3.1. Expérience de participation et perception du concept
4.3.2. Population touchée
4.3.3. Fonctionnement : buts, résultats et modalités d’évaluation
4.3.4. Fonctions, rôles, compétences professionnelles et personnelles, formation spécifique
4.3.5. Vision de l’enfant et de ses compétences
4.3.6. Quid du partenariat et du partage du pouvoir entre adultes et enfants
4.4. Discussion des résultats
4.4.1. Perception du processus participatif
4.4.2. Buts visés : devoir d’éducation en filigrane
4.4.3. Mode d’évaluation et suivi des projets
4.4.4. Formation des professionnels
4.4.5. Fonction et rôle des animateurs
4.4.6. Image de l’enfant et perception de ses compétences
4.4.7. Relations de pouvoir, de domination et d’autorité
4.4.8. Participation, protection et autorité
4.4.9. Conditions-phare du développement de la participation
Conclusion
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