Un point sur l’émergence des notions de formation et de formateur
L’expression elle-même formation des adultes est récente : elle ne part pas d’un champ disciplinaire unique, représente des valeurs communes, des pédagogies et des supports mis en place portés par des acteurs, des institutions différentes, des archives dans différents lieux notamment de personnalités et d’associations. De ce fait elle peine à donner une image claire tout en préservant la diversification des approches. Il est à noter que le vocabulaire utilisé pour parler d’éducation et de formation en dit long sur les contextes socioculturels et les manières de penser la formation ainsi que sur la façon de nommer le public concerné par les formations d’adultes. S’agit-il «d’élèves… d’hommes à former,… de stagiaires,… de personnes en formation, d’apprenants » (Laot & Olry, 2005, p.13) ? Il en est de même pour l’appellation des formateurs. Sont-ils des enseignants, des instructeurs, des tuteurs ou des formateurs ? Les différentes nominations des uns et des autres témoignent des représentations dont ils font l’objet et sur la formation elle-même. C’est ce que révèle chaque période de la formation des adultes.
Plutôt que de scinder l’histoire de la formation d’adultes et celle des formateurs j’ai pris le parti de montrer l’intrication des différents acteurs avec tout ce qui permet de construire une formation : les dispositifs, les contenus, les méthodologies d’intervention et matériels utilisés, les décisions politiques qui les impulsent et les commandent. J’ai donc opté pour mettre en tension ces différentes composantes qui donnent à voir une dynamique, une prise en compte des réalités des contextes, des difficultés et des espoirs rencontrés au fil du temps, et de mentionner les dates qui ont compté.
Quelques jalons temporels et l’apparition du terme formation
Le rôle central joué par la philosophie du siècle des Lumières et la Révolution française
Cette période représente un élan de liberté et d’égalité pour tous qui ambitionne de transformer la société entière. Le fait de recevoir une éducation et d’apprendre tout au long de la vie ont toujours fait partie de la condition humaine mais c’est au dix huitième siècle, qualifié de siècle des Lumières et de la Révolution, qu’il a été permis de penser autrement la place de chacun, de façon à ce « que les hommes puissent devenir individuellement et collectivement responsables de leur destinée » (Laot & Olry, 2005, p. 14) , en se libérant de « la tutelle des princes et de l’Eglise » (Dastur, 2007, p 1). Le suffrage universel, le libre choix reconnus pour tous sur le plan politique ont conduit à des questionnements, à des remises en cause, à des projets nouveaux afin de rendre chacun capable d’effectuer des choix. Cette déclaration de principe fondée sur l’égalité des droits de chaque citoyen était généreuse mais devenait plus complexe dès lors qu’il s’agissait de trouver des modalités d’application et d’assurer concrètement cette volonté de bonheur pour tous, cette utopie du progrès dans tous les domaines. Des rivalités, des prises de pouvoir ont cohabité avec un idéal inscrit dans le rapport Condorcet, présenté à la Convention en 1792. Condorcet y exprimait une confiance en l’homme tant dans son épanouissement individuel que social. Par ailleurs cette instruction visait à « embrasser tous les âges de la vie » pour lutter contre l’ignorance et permettre à chacun d’étendre ses connaissances, de les questionner, de les confronter à d’autres. L’Etat manifestait clairement l’intention de favoriser l’épanouissement de ses citoyens tout en les « contrôlant et les moralisant » (Laot & Olry, 2005, p. 15). C’est alors qu’a émergé le type d’instruction et d’éducation à promouvoir et qu’ont été désignés ceux qui seraient en charge de les dispenser. La nouvelle maxime « Liberté, égalité, fraternité » a à la fois enthousiasmé et provoqué des réserves. Le peuple n’allait-il pas dépasser ceux qui représentaient et symbolisaient le pouvoir ? Du côté du peuple des réticences sont également apparues sur fonds de luttes de classes avec une méfiance pour les initiatives de l’Etat dans ce domaine. Il s’agissait avant tout de favoriser l’instruction du peuple mais les finalités pouvaient apparaître comme contradictoires. Certains privilégiaient « l’alphabétisation, d’autres le développement de l’esprit civique, voire révolutionnaire ». L’instruction voulait se donner comme finalité de favoriser les échanges entre les classes sociales et de concourir ainsi à « la paix sociale » (Laot & Orly, 2005, p. 15). Beaucoup de cours du soir pour adultes ont été donnés. Ils avaient pour mission de « prolonger l’enseignement primaire, assurant ainsi une instruction générale » comme prolongation de l’enseignement et de l’éducation (Laot & Olry, 2005, p. 5).
Les premiers formateurs ont été des maîtres des écoles primaires qui n’avaient pas reçu la moindre formation supplémentaire pour assumer leurs nouvelles fonctions. Après leurs journées de travail auprès des enfants, ils dispensaient des cours du soir auprès des adultes, sans beaucoup de compensation financière.
Les associations s’imposent dans le champ de l’éducation et de la formation
La période de l’après-révolution de 1789, et tout au long du dix neuvième siècle, l’instruction du peuple a été dispensée de façon dispersée avec des propositions très diverses de la part de ceux qui les mettaient en place. Au cours de cette période les gouvernements successifs et des associations de différentes obédiences se sont engagés pour concrétiser ce rêve d’un accès au savoir pour tous. Leur rôle a été primordial pour mettre en œuvre les idéaux proclamés par la Révolution française. Les associations ont montré leur dynamisme, leur engagement porté par des valeurs. Elles ont permis l’éclosion d’une multitude d’expériences, initiées par des collectifs et des personnalités, mais sans grande unité au départ. Des actions furent mises en place par quelques municipalités et par des sociétés industrielles militant pour offrir une diversité d’ « actions éducatives » à vocation sociale et professionnelle (Laot & Olry, 2005, p. 15). C’est ainsi que furent crées les associations polytechniques puis philotechniques. Plus tard les syndicats prendront la relève, mais pour l’heure, ces derniers se centraient plus sur les droits des travailleurs.
Le rôle important des associations s’est ainsi maintenu malgré la loi Le Chapelier de 1791, supprimant les corporations et les associations. Dans les faits beaucoup étaient tolérées mais étaient surveillées. J’en citerai deux qui se sont montrées particulièrement dynamiques dans la deuxième partie du dix neuvième siècle, l’éducation ouvrière d’une part et l’éducation populaire d’autre part. L’éducation ouvrière avait monté des bourses du travail ayant la fonction de placement mais proposait également « des bibliothèques, des musées du travail et des possibilités d’enseignement professionnel ou général ». L’ensemble de ces activités a pu être qualifié « d’universités de l’ouvrier », jouant un grand rôle dans la constitution du mouvement ouvrier (Laot & Olry, 2005, p. 17). L’éducation populaire, quant à elle, regroupait également « une grande diversité d’actions éducatives », un projet social porté par des valeurs (Laot & Olry, 2005, p. 19). Elle proposait des œuvres complémentaires de l’Ecole organisées soit par « des laïcs, des chrétiens ou du clergé de toutes confessions ». Ces actions ont été reconduites après les événements du Front populaire de 1936, qui ont fait reconnaître des possibilités de temps de loisirs pour les ouvriers. Ce fut alors l’éclosion des maisons de la culture, des auberges de jeunesse, l’accès possible au cinéma et au théâtre pour tous. Une idée nouvelle s’imposait, la vie d’un être humain ne se limitait plus à son travail. Pendant la seconde guerre mondiale, et spécialement dans les réseaux de la Résistance, des « chrétiens humanistes et des communistes, des ingénieurs et des ouvriers se sont découverts des valeurs communes » (Laot & Orly, 2005, p. 19), un même idéal. Ils se sont engagés dans la formation sociale et des expériences éducatives diverses, donnant naissance, la guerre terminée, à d’autres initiatives de formation comme celles proposées par Peuple et Culture, autre mouvement d’éducation populaire.
Cette multiplication d’expériences manquait certes d’homogénéité. Néanmoins, elle a été porteuse d’une véritable pédagogie des adultes et du souci d’une éducation sociale pour tous, pouvant être donnée au sein de l’Ecole, et en dehors d’elle. Toutes ces expériences ont permis de faire avancer cette notion de formation des adultes, de distinguer la période de l’adolescence de celle de l’âge adulte, de réserver plus le terme d’éducation aux enfants et celui de formation aux adultes, tout en sachant que l’enfant rejoignait encore très vite le monde des adultes (Laot & Olry, 2005, p.16). Il a fallu attendre la loi Astier de 1919 pour que l’Etat s’engage et que des cours professionnels et de perfectionnement soient organisés partout en France, destinés aux ouvriers de moins de dix huit ans. Jusque-là l’Etat s’était montré discret, à l’exception de l’exemple du Cnam. Dès sa création, en 1794, ce dernier avait fondé un musée et un établissement d’enseignement. De son côté la loi de 1901 avait redonné droit de cité aux associations.
Des années 1950 aux années 1960, la formation des adultes à la recherche d’une visibilité
Cette décennie a été à la recherche d’une cohérence dans la multiplicité des offres de formation et a connu le début d’une institutionnalisation d’un système de formation. Le terme même d’éducation permanente se précisait et a été utilisé la première fois en 1955 par Pierre Arents, « chargé d’inspection générale de l’éducation populaire et membre de la Ligue de l’enseignement » (Laot & Olry, 2005, p. 26). Dans l’immédiat après-guerre la reconstruction de la France génère des besoins en main d’œuvre spécialisée, d’autant que cette période connaît une forte croissance et le plein emploi. Des cours de formation professionnelle accélérée en six mois sont mis en place. Dans le même temps, en 1959, la scolarité obligatoire passait à seize ans, avec la constitution d’un cycle professionnel censé combler le manque d’ouvriers spécialisés. Malgré ces efforts l’apprentissage déclinait et traduisait des divergences au sein de la formation des ouvriers. Fallait-il proposer une formation spécialisée ou privilégier une formation plus générale donnant la possibilité aux ouvriers de mieux comprendre et de dominer le monde technique et scientifique qui les entourait ? Une cassure est alors apparue, le travail n’étant plus pensé dans sa globalité. Il s’agissait avant tout de « permettre à la main d’œuvre spécialisée de s’adapter à la tâche », et le plus rapidement possible (Laot & Olry, 2005, p. 26-27).
Par ailleurs un manque d’ingénieurs et de cadres se faisait sentir. L’Etat décida de se pencher davantage sur la formation des adultes. Jusqu’en 1948 les actions de formation relevaient de l’initiative du secteur privé, notamment à travers les associations. C’est l’arrêté du 15 avril 1948 qui institue des « cours de perfectionnement conduisant à la promotion ouvrière ». Cette notion de promotion a fait débat à l’époque mais il y avait l’idée et la volonté du législateur et donc de l’Etat d’aider les adultes à se promouvoir » « (Laot & Olry, 2005, p. 27), en mettant en place des moyens. Fallait-il créer « des facultés ouvrières de culture et de technique » comme l’avait pensé Michel Debré en 1951 ? Les cours du soir se sont multipliés durant la décennie qui s’est étendue des années 1950 à 1960. En 1952 « les centres associés du Cnam » sont créés sur tout le territoire français. En lien avec « des groupes industriels, des municipalités, des facultés, des chambres de commerce » ainsi que des instituts de promotion supérieure du travail (IPST), ils ont développé des formations adaptées aux besoins locaux (Laot & Olry, 2005, p. 28). Pouvait-on pour autant tenter de penser la promotion sociale dans le cadre d’une réforme générale de l’enseignement ? Il faudra attendre la loi du 31 juillet 1959 pour que l’Etat s’engage dans « une réelle politique de diversification de l’offre de formation » (Laot & Olry, 2005, p. 28) via le ministère de l’Education.
Les années 1960-1970, une pédagogie spécifique pour les adultes se met en place
Une grande figure Bernard Schwartz a marqué la formation continue. En 1954 est créé à Nancy le Centre Universitaire de coopération économique et sociale (CUCES) en partenariat avec l’Education Nationale, l’Ecole des Mines de Nancy et des organisations patronales. Bernard Schwartz en prend la direction à partir de 1960 : il met au point des pratiques comme les bilans préalables valorisant l’expérience des candidats à la formation, tant sur le plan de leur vie personnelle que professionnelle. Sa pédagogie s’est appuyée sur les analyses de besoins, la définition de modules, la formation de formateurs et une autre façon de penser l’évaluation sous forme d’évaluation permanente (Laot & Olry, 2005, p. 43). Le CUCES formera des acteurs majeurs de la formation continue. Ses apports furent nombreux tant en pédagogie que sur le plan de l’organisation de la formation et de la recherche. En 1969 Bernard Schwartz fut appelé auprès d’Edgar Faure, alors ministre de l’Education, pour monter les AUREFA (Associations universitaires régionales pour l’éducation et la formation des adultes). L’idée était de promouvoir une logique territoriale et de mutualiser les compétences des différents acteurs impliqués. Malheureusement ils ne verront jamais le jour, Olivier Guichard, successeur d’Edgard Faure refusant des structures autonomes risquant de porter ombrage à l’Education nationale (Laot & Olry, 2005, p. 52).
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Table des matières
Introduction
CHAPITRE I CONTEXTE SOCIO-HISTORIQUE DES METIERS DE LA FORMATION
1-1 Un point sur l’émergence des notions de formation et de formateur
1-1-1 Quelques jalons temporels et l’apparition du terme formation
1-1-2 De la notion de formateur à celle de métiers de la formation
1-1-3 Les formations et les formateurs en Travail social
CHAPITRE II CADRE THEORIQUE ET EPISTEMOLOGIQUE
2-1 Le choix de la phénoménologie comme démarche et comme posture
2-1-1 Un abécédaire regroupant les priorités à explorer
2-2L’approche anthropologique, sociale et culturelle: un recours à la notion de geste
2-2-1 La notion de « geste linguistique » ( M. Merleau-Ponty)
2-2-2 Les gestes dans leur dimension culturelle (G. Gebauer et Ch. Wulf)
2-2-3 La démarche anthropologique de Marcel Jousse
2-2-4 L’approche des gestes par l’histoire de l’art (B. Pasquanelli)
2-2-5 L’étude de l’expression gestuelle chez les hommes politiques (R. Zayan et G. Calbris)
2-2-6 Le corps et les gestes dans le cinéma muet
2-2-7 Corps, gestes et parole en sciences de l’éducation
2-2-8 Les gestes, un récapitulatif des premières définitions
2-2-9 Les gestes de métier et les gestes professionnels (A. Jorro et Ch. Alin)
2-2-10 L’utilisation du mot geste en Travail social (J. Libois)
2-3 La parole comme « énoncé porteur de signification » : ses différents visages (Ph. Breton)
2-3-1 Une définition élargie de la parole, au-delà de l’oral
2-3-2 Parole et communication, deux termes distincts et indissociables
2-3-3 Parole, geste, la geste-formation
2-4 Les retombées pour l’offre de présence : les valeurs et les gestes, deux analyseurs possibles
2-4-1 Le geste professionnel de l’offre de présence : un soutien pour tous les métiers tournés vers autrui
2-4-2 Les valeurs et les gestes
CHAPITRE III LA MISE EN PLACE D’UN PROTOCOLE DE RECHERCHE PLURIEL
3-1 Les entretiens semi-directifs : une approche globale de ce que les formateurs disent d’eux-mêmes et de leur engagement
3-1-1 Les dix entretiens exploratoires
3-1-2 La recherche d’un échantillon stable
3-1-3 Synthèse des quatre thèmes dégagés par l’analyse des dix-sept entretiens semi-directifs
3-2 Les entretiens de confrontation : au-delà des discours, une confrontation des formateurs à leurs propres pratiques par l’image
3-2-1 Le recueil de l’activité filmée
3-2-2 L’entretien de confrontation : une spécificité au regard de l’entretien d’auto-confrontation (J. Theureau) et de l’entretien d’explicitation (P. Vermersch)
3-2-3 Le déroulement de l’entretien de confrontation
3-3 Les observations des films par le chercheur seul. Invention d’un dispositif en deux temps
3-3-1 Les gestes s’exposent : premier protocole d’observation
3-3-2 Le discours et les gestes dialoguent : deuxième protocole d’observation
CHAPITRE IV ANALYSE DES DIFFERENTS ENTRETIENS ET OBSERVATIONS
4-1 Les points forts de l’analyse des entretiens semi-directifs
4-1-1 Le repérage de quatre thèmes et des indicateurs dominants, première étape
4-1-2 Le découpage de passages de discours : deuxième étape
4-1-3 La synthèse de l’analyse thématique des dix-sept entretiens semi-directifs constitue la 3e étape
4-1-4 La quatrième étape s’intéresse à l’apport et aux limites de l’approche quantitative des données
4-1-5 Les retombées des résultats obtenus sur l’offre de présence
4-2 Les entretiens de confrontation : un feed-back renvoyé par l’image et le son
4-2-1 Le renoncement de Patrick et de Maurice à se faire filmer
4-2-2 L’analyse expérimentée avec Lucie: le gestuel fait partie de son discours
4-2-3 Les quatre formateurs de l’échantillon stabilisé à l’épreuve de la caméra
4-2-4 Dominantes et caractéristiques émergeant des deux entretiens de confrontation
4-2-5 Une première classification de styles d’offres de présence
4-3 Analyse des observations : la mise en œuvre des deux protocoles d’observation
4-3-1 Premier protocole : une classification des gestes étudiés
4-3-2 Deuxième protocole : mise en perspective des textes et des gestes
CHAPITRE V INTERPRETATION DES RESULTATS ou « les coulisses du jeu interprétatif »
5-1 Des résultats à l’interprétation : repérage de caractéristiques significatives
5-2 La reconnaissance et la place accordée à autrui
5-3 Le geste professionnel de l’offre de présence en action
Conclusion