Un usage métonymique de la figure des Muses
Que les divinités inspiratrices soient employées au pluriel ou au singulier, elles semblent connaître différents usages, dont l’interprétation dépend du contexte du poème ; il serait possible de les classer en différentes typographies. Dans la thèse qu’il développe sur les personnages mythologiques , Pierre Léonard constate que les dieux désignent la plupart du temps, par un usage métonymique, les arts qu’ils président ou les objets qu’ils ont faits être.
Il convient également ici de considérer que les Muses sont utilisées dans un emploi métonymique où seule une partie de leurs attributs ou attributions sont pris en compte dans la signification du poème.
La Muse peut tout d’abord évoquer la figure de l’autorité et de l’inspiration poétique ; telle est sa fonction initiale et le cas le plus présent dans le recueil. Ainsi, dans l’ode « Au roi Henry II » : Muse, repren l’aviron Et racle la prochaine onde Cette figure de la Muse, utilisée comme apostrophe, permet de présenter un aspect central et important de cette divinité, qui n’est plus à démontrer, c’est -à-dire la figure de l’inspiration poétique. Convoquées dans certains poèmes, elles évoquent l’origine divine de l’inspiration poétique et se présentent comme les initiatrices indispensables de tout travail créatif. Les neuf sœurs sont également présentées comme des figures d’autorité car ce sont elles qui ont octroyé à Ronsard son don poétique :
Les neuf divines Pucelles Gardent la gloire chez elles, Et mon luth qu’ell’ont fait estre.
Une muse intime et personnelle
La Muse, dans les Odes, se fait également intime et personnelle. En effet, trois phénomènes instaurant ce rapport peuvent être identifiés. Dans un premier temps, l’utilisation du déterminant possessif « ma » devant le nom « Muse » ou devant le nom d’une Muse en particulier.
L’inspiration : les quatre fureurs
Après avoir étudié les diverses figures et visages endossés par les Muses, il s’agit d’étudier plus précisément les enjeux poétiques présentés par cette figure mythique. Elles sont, comme nous l’avons vu, une des figures privilégiées de l’inspiration poétique, puisque ce sont elles qui l’insufflent au poète. Il s’agit donc maintenant d’en étudier les manifestations concrètes chez le poète. Il est nécessaire de s’intéresser plus précisément à la notion de « fureur », d’une part de voir de quelle façon la théorie des quatre fureurs de Ficin est utilisée par Ronsard et comment s’articulent les différentes fureurs, et d’autre part les manifestations de cette fureur, qui permettent d’instaurer un certain statut au poète et qui le placent dans une position supérieure par rapport au reste des hommes.
Les Muses, Apollon, Vénus et Cupidon : les différentes fureurs semblent indissociables
La théorie des quatre fureurs est développée par Platon et transmise à la connaissance des érudits du XVIe siècle par Marsile Ficin, traducteur et commentateur de Platon. Pour notre étude, il s’agira de s’appuyer sur l’ouvrage de Monalisa Carrilho de Macedo qui présente et étudie les théories de cet auteur. Ces quatre fureurs constituent des étapes de connaissance du divin, elles constituent chacune des paliers et semblent devoir être exclusives les unes des autres. Selon M. Carrilho de Macedo, il apparaît qu’une hiérarchie soit établie entre les différents types de fureur poétique , chacun étant présidé par une divinité particulière.
Dans les Odes de Ronsard, cette hiérarchie semble bouleversée. En effet, lorsqu’il est question des différentes fureurs, celles-ci ne sont pas présentées dans un ordre fixe, qui établirait une hiérarchie entre elles. Ainsi, dans l’« Ode à Michel de l’Hospital » ces quatre fureurs sont présentées de la façon suivante.
Si dans l’extrait des Odes, Ronsard évoque l’image du palier par le complément circonstanciel « tour à tour », le poème « La Lyre » semble brouiller toute notion de palier lorsqu’il est question de ces quatre fureurs. Dans le recueil des Odes, il semble bien que, en ce qui concerne l’inspiration poétique, les différentes fureurs se mêlent et s’allient pour tendre vers un même but. Il s’agira plus précisément d’étudier les rapports qui lient la fureur poétique et la fureur amoureuse, puis ceux liant la fureur poétique et la fureur prophétique.
Il apparaît tout d’abord que les Muses entretiennent un rapport étroit avec tout ce qui a trait à l’amour. Dans l’ode « A sa maistresse », Ronsard utilise plusieurs éléments qui rapprochent la femme aimée et les Muses. La deuxième strophe du poème peut tout particulièrement retenir notre attention :
Quand je vous diray, Mignonne,
Approchez vous, qu’on me donne
Neuf baisers tout à la fois,
Donnez-m’en seulement trois
La chiffre « neuf » retient tout d’abord notre intérêt, la coïncidence est très peu probable dans ce cas-là : il s’agirait bien d’évoquer ici le souvenir des Muses par le nombre des membres du groupe, d’autant plus que le chiffre neuf est renforcé par la locution « tout à la fois », ce qui accentue ce sentiment de cohésion et de groupe. Le terme de « baisers » est intéressant en ce qu’il réunit les deux figures dont il est question. D’un côté, il évoque bien entendu l’univers amoureux et d’un autre, il peut être associé au souffle de l’inspiration qui est l’image de la transmission de l’inspiration. En effet, on retrouve l’image voilée du baiser en tant que médium de l’inspiration poétique dans l’ode « A Remy Belleau » :
Tant de beaux vers que tu avois Receu de la bouche des Muses.
Sans qu’il soit véritablement cité, on comprend bien ici que la bouche est l’instrument même du baiser, d’autant plus que le verbe au passé composé « avoir receu » évoque une action : il ne s’agit pas d’un acte symbolique et abstrait, mais bien d’un acte concret, voire charnel.
De plus, l’apostrophe « mignonne » de l’ode « A sa maistresse » rappelle un autre appellatif présent dans l’ode « A Joachim Du Bellay, Angevin, poëte excellent », « ma mignonne », utilisé dans cette ode pour désigner la Muse. Ainsi, Muse et femme aimée – ou tout du moins célébrée – sont réunies par la même dénomination. L’amour participe de l’inspiration poétique et le poète semble être nécessairement un amoureux :
Apres dix mille ennuis, une gloire eternelle
A ceux, qui comme toy seront amoureux d’elle.S’adressant ainsi à Magny, poète de son état, Ronsard établit un lien entre la figure de l’amoureux et celle du poète. Cette coexistence entre ces deux facettes de l’artiste semble par ailleurs être une condition d’assurance de succès et de gloire durable, car le poète apparaît de cette façon comme un artiste total et complet. Dans cette optique, il convient d’étudierl’ode 26 du livre II qui met en perspective la poésie, les Muses et l’amour.
L’ode semble prendre ici la forme d’une leçon que Ronsard donnerait à son ami Du Bellay à propos de la création poétique et de ses sources – plus particulièrement les divinités représentant la fureur poétique et la fureur amoureuse. Deux cas de figures sont envisagés par Ronsard : soit Muses et Amour œuvrent ensemble pour l’inspiration poétique, soit les Muses – et par elles les poètes – rejettent l’amour. Toutefois, l’adverbe « tousjours » placerait très rapidement la position de Ronsar d du côté d’un choix arrêté, qui annulerait finalement le choix de l’une des propositions initiales. La seule option possible est la coexistence des ceux types de fureur et des deux types de sources d’inspiration. Par la phrase négative, Ronsard pourrait introduire l’importance de ne pas s’attacher à un seul type de poésie, car cela en ferait un mauvais poète et les Muses l’abandonneraient, ne viendraient plus lui procurer quelconque inspiration. L’intérêt pour la poésie amoureuse se précise d’autant plus dans la suite de l’ode, notamment par ces trois vers : Mais au brave qui met les amours à desdains, Toutes le desdaignant l’abandonnent soudain,
Et plus ne luy font part de leur gentille veine. Ronsard met ici en parallèle les deux situations par la répétition du verbe « desdaigner » sous forme d’une polyptote. Il s’agirait ainsi d’opposer les situations des poètes, suivant s’ils s’attachent à un seul type de poésie, ou au contraire s’ils en couvrent différents styles et aspects. Il semble donc que les différents tons poétiques vont de pair et que les poètes, pour être vraiment glorieux, doivent composer sur tous les tons. A ces prescriptions abstraites vient s’appuyer l’expérience personnelle.
Une manifestation de la fureur poétique : l’enthousiasme
L’inspiration se manifeste par la présence de la divinité elle-même qui semble prendre possession du poète. Cette possession permet au poète de se présenter dans une position privilégiée et supérieure par rapport au reste des hommes. Dans les Odes, lorsqu’il s’agit d’évoquer la création poétique, la théorie de l’enthousiasme reste très présente. Cette théorie est définie comme suit par Marsile Ficin, dans la lettre « De furor » : le furor poeticus est « une sorte de possession par les Muses qui, quand elle s’empare d’une âme rassise et inébranlable, la fait sortir d’elle-même et la met en mouvement à travers des chants et diverses formes poétiques » . Cet enthousiasme apparaît nettement dans le recueil : nombreux sont les groupes prépositionnels ou autres expressions qui évoquent cette notion.
On peut citer rapidement le groupe prépositionnel « dedans moy » complément intégré au verbe « enfanter » dès l’ode d’ouverture pour évoquer le projet de la Franciade : le recueil se trouve placé sous l’égide de l’enthousiasme. Pour étudier la manifestation de cette théorie dans le recueil des Odes, il s’agit d’étudier plus précisément l’ode « A Calliope » du Livre
II, qui met en scène l’enthousiasme. Cette ode est capitale et nous aurons le loisir de la rencontrer à nouveau dans la partie suivante. L’ode s’ouvre sur deux impératifs adressés à la Muse Calliope – « descen » et « repousse » – impératifs qui permettent d’instaurer la figure concrète de la Muse qui est mise en scène en train de posséder le poète. La possession se concrétise par la suite grâce à l’anaphore « par toy » répétée par deux fois en début de vers.
Un poète prophète et une poésie sacrée
Si le poète cherche effectivement à se créer un statut et une certaine légitimité, autant à lui qu’à sa poésie, cette glorification se fait grâce à la figure des Muses qui non seulement transmettent son statut particulier au poète, mais surtout car elle fait de lui un poète sacré, l’élevant au-dessus de sa condition de mortel et révélant le caractère sacré de la poésie. Celui ci, grâce à une chaîne inspiratrice, devient un prophète, interprète des dieux. Sa poésie est instituée d’un caractère sacré car elle permet de révéler des secrets connus seuls des dieux et permet d’une certaine façon de vaincre la mort, par le lien qu’entretiennent les Muses avec la Mémoire.
La chaîne inspiratrice relai entre hommes et puissances supérieures
La chaîne inspiratrice est la transmission de pouvoir, de savoir entre la plus haute divinité – Jupiter – et les hommes, à travers différentes figures qui constituent autant de maillons de cette chaîne. On peut étudier une première description de ce phénomène de chaîne dans l’ode « A Bouju, Angevin » : Phoebus ravit les neuf Sœurs, Puis leurs picquantes douceurs Ravissent les beaux esprits Qui d’elles se sont espris.
Dans ces quelques vers, le phénomène de chaîne implique trois groupes de protagonistes :
Apollon, les Muses et « les beaux esprits » qui désignent les poètes. Ces trois groupes semblent entretenir un rapport de hiérarchie, puisque les puissances supérieures transmettent leur savoir aux mortels – et en particulier ici aux poètes. Toutefois, cette hiérarchie pourrait légèrement s’abolir dans la mesure où le verbe « ravir » implique également, pour les poètes seulement, un mouvement ascendant : grâce à la chaîne inspiratrice, les poètes s’élèvent et peuvent espérer partager certaines caractéristiques divines. De plus, ce même verbe semble pouvoir être utilisé et interprété dans une autre de ces acceptions, dans le sens de « charmer ».
Cette interprétation semble d’autant plus valable qu’elle est associée à quelques mots appartenant au même réseau lexical. En effet, le substantif « douceurs » et le verbe « se sont épris » évoquent une absence de violence dans la transmission, une certaine harmonie dans ce phénomène de chaîne. Une nouvelle fois, la relation qui unit les Muses aux poètes est d’ordre amoureuse ou tout du moins admirative. Dès lors, la possibilité d’une chaîne inspiratrice provient d’une attitude des poètes, qui honorent les Muses : ainsi, l’utilisation de la subordonnée relative déterminative permet à Ronsard de restreindre le nombre de personnes qui bénéficient de ce traitement de faveur de la part des Muses. Il s’agit une nouvelle fois de mettre en valeur le poète, en le plaçant au-dessus des autres Hommes, place offerte par les Muses elles-mêmes.
Les Muses constituent ainsi le dernier relais de la chaîne qui relie les dieux aux Hommes. Monalisa Carrilho de Macedo, dans l’ouvrage consacré à la fureur poétique , rapporte la théorie de l’aimant développée par Platon dans l’Ion : les Muses représentent l’aimant tandis que le poète représente le fer. Ainsi, ils sont tous deux attirés l’un vers l’autre et se transmettent leurs propriétés. Cette image de la chaîne inspiratrice et de l’aimant est plus particulièrement développée dans l’ode « A Michel de l’Hospital », par la parole de Jupiter :
La théorie présentée par Ronsard se compose de deux parties distinctes : l’une expose un condensé de la théorie de Platon et a donc une visée générale, tandis que l’autre applique cette théorie au propos des Odes. C’est la seconde partie de cette théorie qui nous intéresse plus particulièrement. La chaîne inspiratrice est mise en valeur très clairement, en particulier en ce qui concerne le rôle de chacun des protagonistes, et plus précisément celui des Muses et du poète. Par un savant jeu des pronoms, les rôles de chacun au sein de la chaîne inspiratrice sont distribués. On peut noter qu’il y a une réelle insistance sur le rôle de chacun des membres : cette insistance se porte en particulier sur la transmission d’un pouvoir. A chaque étape, à chaque intervenant, on trouve un terme différent évoquant une forme de pouvoir, liée dans un premier temps uniquement aux dieux évoqués. Toutefois, c’est grâce à la chaîne inspiratrice qu’un peu de cette puissance est transmise aux Hommes, par l’intermédiaire du poète. La puissance « attaint » le poète à travers la figure essentielle de la Muse : il s’agit bien de transmettre une part de divin. La Muse est seule ici présentée comme l’intermédiaire entre le divin et l’humain : elle est en quelque sorte le messager des dieux,chargée par Jupiter lui-même de prodiguer au poète. De plus, si le verbe « transmettre » semble tout d’abord impliquer un mouvement descendant qui va de la divinité au poète, l’on pourrait voir par l’utilisation du verbe « ravir », une volonté de révéler un mouvement ascendant : il s’agit pour les divinités d’attirer les poètes à elles, dans un mouvement d’ascension . Ainsi, le poète semble bien s’élever de sa condition, d’autant plus que l’adjectif « saints » est associé aux poètes. Il s’agit donc bien, comme l’image de l’aimant, de transmettre des caractéristiques divines au poète. Il est à remarquer que la chaîneinspiratrice n’a pas une vocation réductrice, mais au contraire une ouverture au plus grand nombre : le nombre de bénéficiaires ne cesse d’augmenter au fur et à mesure que la chose descend vers les hommes. Plutôt que d’établir une hiérarchie stricte et discriminante excluant certaines personnes, il semblerait que la chaîne inspiratrice ait une vocation à transmettre au plus grand nombre. Comme le souligne Henri Weber, « si la poésie oppose le poète au vulgaire, aux habitudes de la société, elle a finalement un but social, puisque le poète, comme les devins ou les prophètes, révèle aux hommes la vérité et la science » . Ronsard semble ainsi faire référence à une conception d’une poésie qui aurait pour but soit de fournir aux Hommes un condensé des connaissances humaines soit de leur permettre d’accéder à des secrets auxquels ils n’auraient pas accès sans la poésie.
Par ailleurs, la théorie de la chaîne inspiratrice implique que la poésie n’est pas une expression du poète lui-même mais une expression divine. Dans l’ode « A Michel de l’Hospital », Jupiter explique aux Muses :
Pour monstrer en chacun lieu
Que les vers viennent de Dieu,
Non de l’humaine puissance
C’est ici que la chaîne inspiratrice semble trouver son but et sa signification profonde. En effet, celle-ci permet d’insister de manière plus marquée sur le caractère divin de la poésie après avoir développé la théorie de la chaîne inspiratrice : Jupiter affirme, dans les quelques vers qui précèdent ce passage, qu’il ne suffit pas d’écrire des vers, de les mettre en forme pour faire de la bonne poésie. La fureur est une condition obligatoire à la création d’une bonne poésie, différenciant ainsi le « bon » poète du « mauvais ». Dès lors, il est légitime de s’interroger sur ce qu’est un bon poète. Il s’agirait ainsi, grâce à la figure du poète, de révéler la nature divine de la poésie, en lui conférant ainsi une certaine grandeur. Tel semble être le « bon » poète, celui qui a accès aux secrets divins et celui qui, par la chaîne inspiratrice, opère le lien entre le divin et l’humain. Il devient prophète, instaurant par cette figure la poésie comme une source de savoir.
Le poète prophète : la poésie comme source de savoir
La chaîne inspiratrice instaure un statut supplémentaire pour le poète, qui est directement assimilé à un prophète. C’est là son rôle même, celui d’être le lien entre les Hommes et les dieux, à travers la poésie. Conséquence également de l’enthousiasme et du statut du poète comme médium, le poète est défini comme un « oracle », un « prophète » des dieux. Ainsi, comme le souligne Henri Weber , la poésie devient un mode de connaissance ; la fonction du poète est alors d’interpréter les signes ou paroles divines puis de prodiguer une connaissance du divin, qu’il reçoit lui-même grâce à la chaîne inspiratrice. Puisque cette chaîne inspiratrice met en évidence que les Muses constituent le lien privilégié de communication entre les dieux supérieurs – surtout Jupiter – et le poète, il est normal que celles-ci soient liées directement à une forme de savoir. Ainsi, il est fréquent que les Muses soient associées au savoir, et ce, dès la première ode :
Pour n’avoir eu l’experience
Des Muses, ne de leur science
Si les Muses sont ainsi unies au savoir, elles le sont d’autant plus dans l’ode « A madame Marguerite », où elles apparaissent, comme nous l’avons constaté dans la première partie, comme un groupe de divinités possédant une multitude de savoir. Elles prodiguent ce savoir à ceux qu’elles élisent et protègent : elles sont qualifiées de « nourrices » par Ronsard . Ce rôle est renforcé par la figure divine qui représente Marguerite, c’est -à-dire Athéna, qui incarne elle aussi une divinité de la connaissance. Cette omniprésence de la connaissance permet d’instaurer la figure allégorique qui lui fait pendant : « le vilain monstre Ignorance » . Une fois tué, le cadavre devient une offrande aux Muses , renforçant ainsi leur rôle dans le combat contre l’Ignorance. Il s’agit ainsi pour Ronsard, à travers la figure des Muses et du combat, d’assigner un but à la poésie, celui de prodiguer une connaissance et de lutter contre l’ignorance chez les Hommes. Ce but correspond à l’idéal d’une totale connaissance par les Humanistes de la Renaissance. Il apparaît clairement que c’est essentiellement par la poésie que le poète peut éduquer les Hommes :
Conclusion
La figure des Muses ne peut se réduire au seul mythe de l’inspiration : elle constitue un système de significations autour de l’idée de Poésie dans son ensemble. Elle s’adapte au contexte de l’ode pour en appuyer la signification. La diversité des Muses participe de la diversité poétique du recueil même. Il s’agit d’une part de valoriser tous types de sujet s : si le recueil mêle les différents tons et styles poétiques, ceux-ci sont placés sous la protection de la Muse, qui semble abolir toute échelle de valeur entre eux. Il n’y aurait pas de poésie « basse », mais uniquement une poésie « haute », dont les différents sujets sont viables au même titre. De plus, la Muse se fait intime et personnelle afin de mieux introduire la spécificité de la figure du poète. L’inspiration poétique a son importance dans la mesure où elle semble permettre d’abolir toute hiérarchie entre les différents types de fureurs : elles sont complémentaires et toutes sont nécessaires lors de la création poétique. Celles -ci permettent de faire de Ronsard un poète par enthousiasme, possédé par la divinité elle-même.
Cette mise en scène permet au poète de construire le statut d’un poète élu, qui devient, grâce à la chaîne inspiratrice, dépositaire des connaissances et secrets des divinités. La poésie se fait sacrée. Non seulement elle émane des dieux, mais elle permet de révéler leur secrets a u poète voire au reste des Hommes. Les secrets semblent être de différents ordres. Tout d’abord une présence sensible du divin qui occupe chaque chose – à l’image de la nature – mais aussi le secret de l’immortalité, tant pour ceux qui sont loués que pour le poète lui même. Il s’agit, à travers ce réseau de significations assuré par les Muses, non seulement de glorifier la poésie dans tout ce qu’elle a de plus varié, mais aussi de louer le poète lui-même.
Comme le souligne Daniel Ménager , l’importance du poète – et donc son rôle – est double : il permet aux hommes d’accéder aux connaissances divines et apparaît comme le seul capable de leur conférer une véritable gloire. La gloire se perpétue à travers l’œuvre écrite, dont les vers semblent plus solides que la pierre. Cette permanence à travers les âges semble justement favorisée par le mythe, qui ne constitue pas un discours figé mais qui est vivant, reconstruit à loisir par le poète pour, dans notre cas, révéler aux Hommes les secrets divins cachés et construire une digne image de la poésie et du poète.
L’étude mériterait d’être élargie à l’ensemble de l’œuvre poétique de Ronsard. Il s’agirait ainsi d’examiner l’utilisation de la figure des Muses dans les autres recueils du poète, pour saisir leur évolution – et par là l’évolution de la conception poétique – à travers sa carrière toute entière.
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Table des matières
Introduction
Partie 1 : Figures des Muses
1. LES MUSES : UN USAGE ORNEMENTAL ?
2. LA MUSE NOMMEE : UN STYLE ET UN TON PARTICULIERS
3. UN USAGE METONYMIQUE DE LA FIGURE DES MUSES
4. UNE MUSE INTIME ET PERSONNELLE
Partie 2 : L’inspiration : les quatre fureurs
1. LES MUSES, APOLLON, VENUS ET CUPIDON : LES DIFFERENTES FUREURS SEMBLENT INDISSOCIABLES
2. UNE MANIFESTATION DE LA FUREUR POETIQUE : L’ENTHOUSIASME
3. L’ENTHOUSIASME : UN POETE ELU
Partie 3 : Un poète prophète et une poésie sacrée
1. LA CHAINE INSPIRATRICE RELAI ENTRE HOMMES ET PUISSANCES SUPERIEURES
2. LE POETE PROPHETE : LA POESIE COMME SOURCE DE SAVOIR
3. LE POETE ET LA MEMOIRE
Conclusion
Bibliographie