Un pas vers le développement d’une compétence de communication interculturelle

Le contexte singulier de la Caraïbe

En menant le projet pédagogique collaboratif entre les jeunes apprenants guadeloupéens et les partenaires européens, nous souhaitions faire intervenir la « motivation intégrative » définie par Gardner et Lambert (1972), cités par Byram (2011 : 254), en suscitant l’intérêt de l’apprentissage de la LE afin de les faire se sentir plus proches des membres de la communauté-cible et de leur culture. Il a en effet été démontré que les apprenants s’investissent davantage dans l’apprentissage linguistique s’ils ont conscience que la langue leur permettra de communiquer avec des locuteurs natifs. Ce qui représente une dimension essentielle dans cette recherche-action du fait de l’éloignement géographique du territoire guadeloupéen par rapport à l’Italie et à l’Europe continentale en général. Le pays de la langue cible semble très lointain pour ces jeunes élèves, inaccessible immédiatement, et vraisemblablement pour toujours voire très longtemps. Un nombre limité d’élèves du groupe de cette recherche-action a déjà voyagé hors de la Guadeloupe. Il est aisé de comprendre l’attitude de ces adolescents : pourquoi apprendre une langue et développer une compétence d’ouverture aux cultures des LE étudiées à l’école, si ces dernières ne servent pas à communiquer dans un contexte concret. L’insularité (voire la double insularité) propre à l’académie de Guadeloupe ne suffit pas à expliquer cette difficulté d’ouverture à l’Autre. Outre le fait que les différentes communautés résidant en Guadeloupe cohabitent mais ne se côtoient pas, la Caraïbe est un ensemble d’îles proches, voire très proches en ce qui concerne les Petites Antilles.

La dimension interculturelle en cours de langue étrangère

Le cours de LE doit créer un « troisième lieu » tel que le préconisait Kramsch en 1995 (Byram, 2011 : 256), un espace où les apprenants puissent acquérir une meilleure perception de leur culture et de celle des autres. Nous rejoignons donc l’objectif de l’enseignement des langues tel que décrit dans le CECRL, la prise de conscience de la dimension interculturelle dans le cours de LE. En entretenant des relations d’égal à égal avec des locuteurs natifs, l’apprenant peut prendre conscience de sa propre identité et de celles des interlocuteurs (2001 : 8), comme le font les jeunes guadeloupéens en entrant en communication avec les jeunes italiens. Devenus ainsi des locuteurs interculturels, nous émettons le souhait que les élèves guadeloupéens pourront entretenir des relations humaines avec des personnes d’autres langues et appartenant à d’autres cultures, lors du recueil de témoignages de migrants. En incluant la dimension interculturelle au cours d’italien, le souhait est donc émis de voir se développer une compétence communicative interculturelle chez l’apprenant, permettant ainsi un dialogue entre individus ayant des identités sociales différentes, «une interaction entre ces différentes personnes, prises dans toute la complexité qu’elles ont en tant qu’êtres humains, dans leurs identités multiples et en même temps, dans le respect de la personnalité individuelle de chacun » (Byram, Gribkova et Starkey 2002 :10). Le projet pédagogique collaboratif européen vise également à ce que les jeunes guadeloupéens prennent conscience de leur statut de citoyens européens. Située en zone Amériques, l’éloignement géographique de l’académie de Guadeloupe ne favorise pas le sentiment d’appartenance à l’Union Européenne. Il s’agissait de mettre ici l’enseignement des langues en adéquation avec le défi particulier que représente l’intégration européenne (Zarate, 2003 : 15).

La télécollaboration en contexte d’enseignement

Aux origines de la communication médiatisée par ordinateur

Le terme « télécollaboration » a connu de multiples appellations, au gré des avancées dans les pratiques pédagogiques liées aux nouvelles technologies, et du développement d’Internet. La thématique de la télécollaboration, des échanges interculturels en ligne ou de la communication médiatisée par ordinateur (CMO) en langues tient une place croissante dans le champ de l’apprentissage assisté par ordinateur (ALAO). Warschauer peut être considéré comme le pionnier des échanges en ligne, dès 1995, il publiait un ouvrage collectif intitulé Virtual Connexions : Online Activities and Projects for Networking Language.
Cependant, en 2000, il co-dirigea avec Kern un autre livre dans lequel l’expression adoptée devenait «Network based Language Teaching» (NBLT) que les auteurs définissent ainsi : « NBLT, c’est de l’enseignement des langues impliquant l’utilisation d’ordinateurs connectés les uns aux autres dans un réseau local ou global » (Mangenot, 2013 : 5). En 2003, la notion de compétence interculturelle dans le domaine de la CMO apparaît pour la première fois dans un numéro de la revue Language Learning & Technology, intitulé Telecollaboration et coordonné par Belz. La télécollaboration y est définie comme se caractérisant « par une communication interculturelle institutionnalisée et utilisant les moyens informatiques, guidée par un expert des langues/cultures (enseignant) avec pour objectif l’apprentissage des langues et le développement de la compétence interculturelle » (Mangenot, 2013 : 5-6). En 2006, Belz et Thorne introduisent le terme de «Internet-mediated Intercultural Foreign Language Education» (ICFLE), apportant ainsi dans la désignation même de la télécollaboration la dimension culturelle.

La télécollaboration à l’échelle européenne

Le projet pédagogique mené par les jeunes guadeloupéens avec les partenaires européens via le dispositif eTwinning relève donc d’une télécollaboration de deuxième type telle que définie par O’Dowd. Plusieurs plateformes de télécollaboration incluant une dimension interculturelle existent mais toutes n’ont pas pour objectif le développement de la compétence interculturelle, même si langue et culture ne peuvent être dissociées (Mangenot, 2013 : 10). Plusieurs projets de télécollaboration, ou d’échanges en ligne (le terme « interactions en ligne » ayant été écarté par des chercheurs se réclamant de l’analyse conversationnelle) sont recensés par Mangenot (2013 : 10). Le plus récent est le dispositif eTwinning. Créé en 2005 par la Commission Européenne, le dispositif a été renouvelé au vu de son succès et s’adresse aux établissements scolaires européens, de la maternelle au lycée.
eTwinning a pour but de « faire collaborer (au sens fort de construction d’un objet commun) des établissements scolaires européens via Internet, dans une pédagogie de projet inspirée de la pédagogie Freinet » (Mangenot, 2013 : 10). Nous reviendrons sur ce dispositif, qui a été utilisé dans le cadre de cette recherche-action, lors de la présentation du contexte du terrain. Cependant, il est à noter que eTwinning permet de mener des projets dans une ou plusieurs langues officielles de la communauté européenne et permet ainsi de créer des occasions de communication exolingue.

Situations de communication en contexte exolingue

Un facteur de motivation dans l’apprentissage des langues étrangères

La notion de communication exolingue a été formulée pour la première fois par Porquier (1979, 1984) dans la recherche d’individualiser les spécificités de la communication dans des situations de contact. Elle se définit « selon une diversité de paramètres et de facteurs, comme le produit de situations dans lesquelles les partenaires ne disposent pas d’une langue maternelle commune ou choisissent de communiquer par d’autres moyens » (Porquier, 1994 : 164). Une série de paramètres entrent en compte dans la communication exolingue, tels que, bien entendu la ou les langues et le milieu linguistique de l’interaction, mais aussi le cadre institutionnel, le type d’interaction et le contenu de celle-ci (Porquier, 1994 : 164). L’exolingue est par conséquent défini principalement en fonction d’une disparité, dont les interlocuteurs sont conscients, de la maîtrise du ou des codes (un des éléments du modèle de la communication de Jakobson) par les interlocuteurs (Cappellini, 2017 : 2). Dans une étude menée par Gonzalez (2010) auprès d’étudiants colombiens et français à propos de la dimension relationnelle d’échanges par courriel selon la méthode de l’analyse conversationnelle, l’auteur a pu constater que les échanges en contexte exolingue ont « une influence positive sur la motivation à l’apprentissage [de la LE] et sur le développement des compétences langagières, communicatives et culturelles de l’apprenant » et que ce genre de dispositif « favorise l’utilisation de la langue comme moyen de communication dans des contacts réels permettant ainsi à l’apprenant de mieux s’approprier le fonctionnement du code linguistique et mieux comprendre les règles sociales de fonctionnement de la communication » (2010 : 3-4)

Contact interculturel et développement d’une compétence interculturelle

Cependant, il semble qu’il faille tenir compte du fait que chaque apprenant est un individu différent, dont la personnalité complexe peut avoir une influence sur l’intersubjectivité qu’il peut ou qu’il veut développer. De plus, si la mise en relation en contexte exolingue représente une expérience suscitée, comme c’est le cas en classe de LE, l’interaction devient quelque chose de formel, d’obligé, imposé par le professeur. Il est donc possible que l’apprenant ne souhaite pas s’ouvrir à l’Autre en ne prenant pas la part souhaitée par l’enseignant, ou par l’interlocuteur natif-même, dans l’échange en LE proposé. Il a en effet été démontré par exemple par O’Dowd, cité par Cappellini (2017 : 7) que le contact interculturel n’amène pas forcément au développement de la compétence communicative interculturelle. Cappellini ajoute que certains chercheurs (Ware, 2005 ; O’Dowd et Ritter, 2006) formulent la notion de « communication ratée ou échouée (missed / failed communication) ». Ainsi, nous verrons si les jeunes guadeloupéens adhéreront à l’une des activités mises en place lors du projet pédagogique à distance, celle de la correspondance écrite en tant qu’activité d’interaction asynchrone dans un contexte exolingue, en langue italienne.

Construction de soi et motivations dans les apprentissages

Rapport aux apprentissages à l’adolescence

La construction progressive de soi est inséparable du rapport au savoir, en particulier chez les lycéens. La maturation existentielle de l’adolescent trouve son pendant dans la construction qu’il se fait de son rapport avec les apprentissages scolaires. C’est ce que Bautier et Rochex, cités par Barrère (1999 : 143-145) définissaient en 1998 en s’intéressant à l’expérience scolaire des nouveaux lycéens, pour lesquels «la fréquentation prolongée des savoirs scolaires [était] socialement inédite, dans une institution brouillée par le mélange inextricable des objets de formation intellectuelle et d’une demande impérieuse d’insertion et d’utilité sociale». Giordan (2009: 51-56) explique que le désir d’apprendre est « bien présent chez le petit enfant » puis « s’éteint progressivement au cours de la scolarité ». À partir de la classe de 4ème (vers l’âge de 13/14 ans), « l’intérêt pour les savoirs de l’école s’étiole », apprendre n’est plus un plaisir. C’est ainsi que « les moins rétifs ont mis en place des stratégies pour avancer de classe en classe avec le moindre mal, mais sans vraie passion.
Les autres, faute de motivation, vacillent, vivotent ou se font exclure ». Ainsi, nous pouvons observer un certain nombre d’élèves que l’on qualifie de « décrocheurs » et dont les profils sont très différents. Le processus de décrochage est long mais peut-être repéré bien avant l’abandon total de la scolarité, et la perte d’une série de « liens établis avec les savoirs, les adultes de l’école, un projet personnel, des rythmes sociaux, des pairs, l’entourage » (Goëmé 2012 : 12).

Le processus de décrochage scolaire

Afin de repérer le processus de décrochage, il convient de distinguer ce que l’élève ressent, et ce qui est perceptible par les adultes, qu’ils soient parents, professeurs ou conseiller principal d’éducation (David 2012 : 16). C’est généralement au stade « désimpliqué » que l’on se rend compte que l’élève est engagé dans un processus de décrochage. Il convient de distinguer ici les différents profils de « décrocheurs » que nous évoquions précédemment, tels que les définit Arbouche (2012). Dans un premier temps, il existe les « décrocheurs-perturbateurs », ceux que l’on peut appeler les présents et visibles. Il s’agit d’un profil d’élève que tout enseignant identifie immédiatement, celui qui met en danger sa scolarité et qui perturbe le déroulement des cours.
Ensuite, viennent les décrocheurs absents et invisibles, ceux qui ne s’impliquent plus dans leur scolarité et qui traduisent leur désintérêt pour les apprentissages par un absentéisme lourd. Il s’agit du profil de l’élève qui est sur le point de décrocher totalement en abandonnant sa scolarité. Enfin, il existe le profil des «décrocheurs passifs», « décrocheurs en difficulté scolaire » ou encore «décrocheurs de l’intérieur» qui représentent les présents et pourtant invisibles. Ces élèves assistent aux cours, mais n’y prennent pas part. Ils attendent, discrets, que les heures de classe se déroulent, leurs difficultés et leurs lacunes ne leur permettant pas de s’accrocher aux apprentissages.

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Table des matières

Introduction
PARTIE 1. CADRE THEORIQUE D’UNE RECHERCHE-ACTION EN CLASSE DE LANGUE ETRANGERE
1.1. La compétence interculturelle
1.1.1. Un cadre défini par le CECRL
1.1.2. Le contexte singulier de la Caraïbe
1.1.3. La dimension interculturelle en cours de langue étrangère
1.2. La télécollaboration en contexte d’enseignement
1.2.1. Aux origines de la communication médiatisée par ordinateur
1.2.2. La télécollaboration à l’échelle européenne
1.3. Situations de communication en contexte exolingue 
1.3.1. Un facteur de motivation dans l’apprentissage des langues étrangères
1.3.2. Contact interculturel et développement d’une compétence interculturelle
1.4. Construction de soi et motivations dans les apprentissages
1.4.1. Rapport aux apprentissages à l’adolescence
1.4.2. Le processus de décrochage scolaire
1.4.3. La connaissance de soi comme objectif pédagogique
PARTIE 2. UNE RECHERCHE-ACTION EN CONTEXTE
2.1. Une terre d’immigration dans le bassin caribéen
2.1.1. Un long passé colonial
2.1.2. Un brassage multi-ethnique
2.1.3. Un espace géographique riche en diversité
2.1.4. Une destination privilégiée dans la Caraïbe
2.1.4.1. Focus sur les trois communautés majoritaires
2.1.4.2. Une concentration urbaine
2.1.4.3. Une possible réponse au vieillissement de la population
2.2. Contexte scolaire du terrain de recherche-action
2.2.1. L’académie de Guadeloupe
2.2.1.1. Une académie récente
2.2.1.2. État des lieux des structures et du public
2.2.2. Le lycée d’enseignement général et technologique Félix Proto
2.2.3. Un cadre institutionnel
2.2.3.1. Le projet académique
2.2.3.2. Le projet d’établissement
2.2.3.3. Les programmes officiels
2.3. L’italien, une discipline linguistique
2.3.1. D’une discipline marginale à la création d’un concours
2.3.2. Reconnaissance de l’italien en tant que discipline linguistique
2.3.3. Constat actuel de l’enseignement de l’italien
2.3.3.1. Au niveau national
2.3.3.2. L’italien ultramarin
2.3.3.3. Une communauté d’apprentissage de l’italien
2.4. Méthodologie et recueil de données
2.4.1. Pédagogie de projet
2.4.1.1. De Dewey au CECRL
2.4.1.2. L’approche actionnelle
2.4.1.3. Une utilité sociale
2.4.1.4. Le rôle de médiateur de l’enseignant
2.4.1.5. L’évaluation du projet
2.4.2. Le dispositif européen eTwinning
2.4.2.1. Présentation générale
2.4.2.2. Un projet collaboratif sur l’ouverture à l’altérité
PARTIE 3. ANALYSE ET INTERPRETATION DES DONNEES 
3.1. Se positionner en tant que membre d’un partenariat pédagogique 
3.1.1. Appartenance à une communauté d’apprentissage
3.1.2. Présenter et partager son territoire
3.1.3. Découvrir les pays partenaires et leur position géographique en Europe
3.2. La place des langues
3.2.1. Rapport aux langues et contact linguistique
3.2.1.1. Le français et le créole
3.2.1.2.. Les autres langues vivantes
3.2.1.3. Le contact linguistique
3.3. Un panorama des langues vivantes
3.3.1. Le dessin réflexif
3.3.1.1. La démarche
3.3.1.2. La consigne
3.3.2. Un panorama commun et parfois varié
3.3.3. Langues maternelles et langues de l’école
3.3.3.1. Le français, une langue maternelle associée à l’Hexagone
3.3.3.2. Le créole, un rapport affectif
3.3.3.3. L’anglais, une langue conflictuelle
3.3.3.4. L’espagnol, une langue appréciée en manque de références
3.3.3.5. L’italien, pour changer
3.3.4. Les réelles motivations dans l’apprentissage des langues étrangères
3.3.4.1. Le professeur et son enseignement
3.3.4.2. La langue, un outil de communication
3.4. Échange épistolaire en contexte exolingue 
3.4.1. Mise en place de l’activité
3.4.1.1. Le contrat didactique
3.4.1.2. Freins éventuels
3.4.2. Observation et analyse des échanges écrits langagiers
3.4.2.1. Les formules d’ouverture
3.4.2.2. Les formules de salutations et signatures
3.4.2.3. Les post-scriptum
3.4.3. Une communication échouée
3.5. Entrée dans la thématique de l’altérité 
3.5.1. Une introduction à la thématique
3.5.1.1. Le sentiment d’humanité
3.5.1.2. Les droits de l’homme et de l’enfant
3.5.1.3. Une chanson sur l’altérité
3.5.2. A la découverte de parcours migratoires
3.5.2.1. Déconstruire les préjugés
3.5.2.2. Des parcours migratoires réussis en Italie
3.6. Mise en images et en paroles d’un parcours migratoire
3.6.1. Recueillir un témoignage en allant vers l’Autre
3.6.2. Un parcours migratoire en images
3.6.3. Apprendre à mettre en images
3.6.4. S’approprier un parcours migratoire
3.6.4.1. Mise en images
3.6.4.2. Mise en paroles des images
PARTIE 4. UN PAS VERS LE DEVELOPPEMENT D’UNE COMPETENCE DE COMMUNICATION
INTERCULTURELLE
4.1. Indicateurs positifs d’une évaluation sommative
4.2. La médiation par le dessin
4.3. Des postures différentes pour une évolution des rapports en cours de langue étrangère
Conclusion 
Bibliographie

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