Un parcours de recherche au coeur de la construction de l’économie sociale et solidaire

C’est lors de l’assemblée générale du Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (LISE) en 2015 qu’Antoine Bévort, professeur de sociologie émérite au CNAM, a évoqué la possibilité de faire un doctorat par la voie de la validation des acquis de l’expérience (VAE). Au fil de la discussion, le format m’a semblé adapté pour faire valider les compétences acquises au cours d’un parcours professionnel de chercheur contractuel d’une vingtaine d’années. Antoine Bévort a été mon premier référent scientifique. Il m’a suivi notamment sur la partie parcours de recherche. Il n’a pu poursuivre l’accompagnement en raison de la fin de son éméritat. Marcel Jaeger, professeur de sociologie émérite au CNAM, a repris l’accompagnement du doctorat au dernier trimestre 2018 .

Des études en économie au CRIDA : quelques étapes biographiques

Retour sur un cursus universitaire (1988-1992) : une orientation vers un savoir économique ouvert aux sciences sociales

Après l’obtention d’un Baccalauréat Économique & Social en 1988, je m’orientai vers des études d’économie que j’effectuais à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) jusqu’à l’obtention d’un Diplôme d’études approfondies (DEA) en 1993. Rétrospectivement, l’orientation vers les sciences économiques tint à l’intérêt suscité par la découverte et l’enseignement de cette discipline en classes de première et terminale.

À l’époque, les programmes scolaires faisaient une part de choix aux savoirs économiques et à quelques-unes de ses figures majeures (Adam Smith, Ricardo, Marx, Keynes). L’enseignement de la sociologie restait relativement périphérique dans le secondaire. Cette orientation est aussi à resituer dans la période de la fin des années 1980 où malgré la reprise économique (1988- 1990), la question des débouchés professionnels des cursus universitaires devenait de plus en plus prégnante.

Mon cursus universitaire me conduisit rapidement à m’intéresser aux courants théoriques que l’on regroupe depuis Keynes sous l’appellation d’hétérodoxie. Sans être totalement rebuté par la formalisation mathématique, je trouvais peu de sens à la modélisation et était attiré par les approches économiques ouvertes aux autres sciences sociales. Les années 1980 et 1990 se caractérisèrent par un affaiblissement des paradigmes qui structurèrent à la fois la recherche universitaire et les débats idéologiques dans les années 70. Elles se traduisaient par une progression des idées libérales, une crise du keynésianisme et le déclin du marxisme. La période fut politiquement marquée par les inflexions successives prises à partir de 1983 par les gouvernements socialistes : tournant de la rigueur, déflation compétitive, réhabilitation de l’entreprise, libéralisation des marchés financiers, stratégie européenne d’unification d’un marché unique , puis de création d’une union monétaire . Dans ce contexte, les politiques macro-économiques telles que la relance par la demande ou la maîtrise de l’appareil productif par les nationalisations, n’avaient plus rien d’une évidence. Sur le plan théorique, l’approche dite néo-classique s’imposait progressivement comme le paradigme dominant des enseignements en économie que nul ne saurait ignorer et par rapport à laquelle chacun était amené à se positionner. Les critiques dont elle faisait l’objet freinaient peu une hégémonie grandissante qui s’appuyait sur le rayonnement international de ses idées régulièrement récompensées par des prix Nobels . En outre, la théorie néo-classique pouvait alors faire valoir certaines avancées tant sur le plan théorique que dans les thématiques de recherche abordées. En effet, les enseignements reçus intégraient les travaux de ce qu’Olivier Favereau (1989) qualifia de théorie standard étendue. Théorie des coûts de transaction (Coase), théorie contractuelle de la firme (Williamson), théorie des droits de propriété (Delmsetz), théorie de la croissance endogène (Romer), l’histoire économique néo-institutionnaliste (North), etc., témoignaient d’une capacité à expliquer des phénomènes empiriques qui étaient longtemps restés problématiques – l’entreprise, les institutions, le progrès technique, la monnaie, l’altruisme – dans le cadre de la théorie de l’équilibre général. En relâchant soit l’hypothèse d’information parfaite – on parle alors d’asymétries informationnelles – soit celle de rationalité optimisatrice – il est question de rationalité limitée – d’autres modes de coordination que le marché (le contrat, la hiérarchie, la coopération, les droits de propriété) furent progressivement endogénéisés dans les modèles d’équilibre partiel. Ce positionnement dominant de la théorie standard annonçait la progressive fermeture du champ des sciences économiques (Postel, 2011) dénoncée par l’AFEP à la fin des années 2000. Néanmoins, l’enseignement des années 1980 et 1990 laissait encore une large place à la pluralité des approches en premier comme en second cycle. Les cours de macro-économie et de micro économie cohabitaient avec des cours qui faisaient encore la part belle aux apports de Marx, Schumpeter ou Keynes. De même, il existait des champs de recherche – économie du développement, économie du travail et de l’emploi, économie de l’environnement et des ressources naturelles, épistémologie et histoire de la pensée économique – largement tenus par des économistes hétérodoxes, sensibles à l’histoire des faits économiques ou à l’approche interdisciplinaire. Enfin, les courants tels que l’école de la régulation ou l’analyse économique des conventions offraient des cadres théoriques et des programmes de recherche stimulants.

C’est vers un autre courant hétérodoxe que je m’orientais en 1992 en m’inscrivant dans le DEA d’économie de l’environnement et des ressources naturelles. À l’époque la thématique de l’écologie apparaissait encore relativement subversive, du moins constituait un vrai défi théorique pour les principaux paradigmes économiques qu’ils fussent néo-classique, keynésien, marxiste ou schumpétérien. Les limites de la croissance et les insuffisances du PIB, l’intégration des flux énergétiques et de matières, la non prise en compte par le marché et par l’Etat d’externalités qui résistent à la valorisation monétaire étaient encore des problématiques novatrices. Cette orientation devait beaucoup à l’enseignement passionnant de René Passet, fondateur de ce DEA, et à la lecture de plusieurs articles de l’auteur de « l’Economique et le vivant » (1979). Tout en intégrant les apports de la bioéconomie de Georgescu-Roegen, notamment la prise en compte de la loi l’entropie énergétique et matérielle dans les processus économiques, René Passet (2006) ne s’inscrivait pas pour autant dans une perspective malthusienne revendiquée aujourd’hui par certains partisans de la décroissance. Rapprochant le processus évolutionniste de destruction-créatrice mise en évidence par Schumpeter de la thermodynamique des systèmes ouverts, il invitait à « insérer les activités économiques dans les écosystèmes naturels et humains » (p.82). Cette approche se démarque d’une simple internalisation des effets externes par valorisation économique de la nature et extension de la sphère marchande (comme le marché des droits à polluer). La coévolution des processus économiques et des écosystèmes appelle à tenir compte des indicateurs énergétiques, matériels et de qualité de vie à côté du calcul monétaire. Le rapprochement des théories économiques et des sciences du vivant anticipait la constitution au tournant des années 1990 du courant de l’économie écologique qui regroupait différents économistes critiques de l’approche « mainstream » de l’économie de l’environnement. Au-delà des courants, l’idée commune à l’ensemble de ces chercheurs était que l’économie est encastrée dans la nature et qu’il existe des limites matérielles à la croissance.

Mon mémoire de DEA s’intitulait Progrès technique et environnement : apports et limites de l’approche évolutionniste, thème suggéré par ma directrice de mémoire Sylvie Faucheux . Sur le plan théorique, le mémoire synthétisait les apports du courant évolutionniste du progrès technique par rapport aux modèles de croissance néo-classiques qui l’ont longtemps considéré comme un phénomène exogène à l’équilibre économique optimal. L’approche évolutionniste conçoit le progrès technologique comme un processus endogène, cumulatif, incertain et spécifique. Elle ouvre à la reconnaissance du rôle historique des sources d’énergies et des ressources naturelles comme facteurs structurants des paradigmes techno-économiques (Freeman, 1992), concept mobilisé pour expliquer les grands cycles économiques. Pour autant, l’intégration partielle et balbutiante des dimensions énergétiques et matérielles ne permettait pas à l’analyse évolutionniste de se départir d’une vision globalement optimiste du progrès technique et de la croissance. Les débats sur l’émergence d’un nouveau paradigme technoéconomique structuré autour des technologies de l’information conduisaient alors à des visions prospectives plutôt positives en matière de développement durable. Organiser le système productif autour de l’information comme nouveau facteur clé était considéré comme annonciateur d’un nouveau cycle de croissance plus respectueux de l’environnement car reposant moins sur la découverte d’une nouvelle source d’énergie que sur des gains substantiels en termes d’efficacité énergique et de matière. Cependant, l’impact controversé des technologies de l’information sur les consommations d’énergies et l’incertitude inhérente aux trajectoires technologiques ne permettaient pas de souscrire à l’hypothèse d’un processus de dématérialisation de l’économie intrinsèquement moins énergivore. Des études postérieures confirmèrent qu’en soi les « nouvelles technologies de l’information et de la communication ne sont pas synonymes de préservation de l’environnement » (Faucheux et al., 2001) et que leur potentiel dépend fortement du mode de gouvernance de l’interface entre NTIC et environnement par les institutions.

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Table des matières

Introduction générale
Mes motivations
Le format du doctorat
Première partie : Retour sur mon parcours professionnel
I.1. Des études en économie au CRIDA : quelques étapes biographiques
I.1.1. Retour sur un cursus universitaire (1988-1992) : une orientation vers un savoir économique ouvert aux sciences sociales
I.1.2. Premières expériences professionnelles (1993-1998) : la découverte de l’économie sociale et solidaire
I.1.3. Le CRIDA, un creuset original d’expériences de recherche et d’intervention
I.2. Postures et méthodes de recherche
I.2.1. Thématiques de recherche : entre héritage et reconstruction
I.2.2. Revue des méthodes expérimentées
I.2.3. Recherche engagée et co-production des savoirs
I.3. Animation scientifique et diffusion des connaissances
I.3.1. Animation scientifique
I.3.2. Rédaction et diffusion des connaissances scientifiques
I.3.3. Interactions avec le milieu professionnel et diffusion des savoirs dans la société
Seconde partie : Synthèse des travaux de recherche
II. Introduction
Sociologie économique et économie plurielle: un cadre théorique
Secteur sans but lucratif, économie sociale, économie solidaire, entreprise sociale. Éléments de définition
II.1.1. La dimension socio-politique de l’économie solidaire
II.1.1.1 Retour sur la notion d’initiative
II.1.1.2. Espaces publics de proximité et démocratisation de l’économie
II.1.1.3. L’organisation en réseau comme mutation de l’action solidaire et associative ?
II.1.1.4. Changement social et économie solidaire
II.1.1.5. Conclusions
II.1.2. L’économie sociale et solidaire comme nouveau domaine de l’action publique
II.1.2.1. Problématique, recherches et cadre théorique
II.1.2.2. L’émergence des politiques locales de l’ESS en France
II.1.2.3. La singularité de la trajectoire française de l’ESS à l’épreuve de la comparaison européenne
II.1.2.4. Le statut européen des associations et le manifeste sur les SSIG
II.1.2.5. Conclusions
II.2. Recomposition de l’action associative et de l’ESS : modes de contractualisation et de financement, utilité sociale, innovation sociale
II.2.1. La subvention à l’épreuve de la diversité des régulations locales
II.2.1.1. Le contexte et enjeux d’une recherche exploratoire
II.2.1.2. Coexistence et enchevêtrement des modes de contractualisation
II.2.1.3. Une identification complexe de la prise d’initiative
II.2.1.4. Les nouveaux référentiels de l’action publique locale
II.2.1.5. Arbitrages financiers et techniques de rationalisation budgétaire
II.2.1.6. La taille et les compétences des collectivités
Les financements publics locaux aux associations : une étude à partir des budgets et des comptes publics
II.2.1.7. Signes d’essoufflement du relais de l’État par les collectivités locales
II.2.1.8. Contester les priorités budgétaires et/ou changer le « modèle » socio-économique des associations ?
II.2.1.9. Financements publics locaux aux associations : des données publiques non exploitées par les chercheurs et peu revendiquées par les têtes de réseaux associatives
II.2.1.10. Compléter les enquêtes à partir des budgets associatifs par des enquêtes à partir des budgets publics
II.2.2. L’utilité sociale comme notion régulatrice de l’action associative et de l’ESS
II.2.2.1. Situer les travaux sur l’utilité sociale dans mon parcours de recherche
II.2.2.2. Les enjeux socio-politiques et socio-économiques de l’utilité sociale
II.2.2.3. Apports et limites d’une approche par les externalités
II.2.2.4. Ambivalences et controverses autour de la définition de l’utilité sociale
II.2.2.5. De l’utilité sociale comme enjeux d’évaluation et de régulation
II.2.2.6. En conclusion : vers trois approches de l’utilité sociale
II.2.3. L’innovation sociale, un référentiel ambivalent à l’heure de l’austérité économique et de la reconfiguration des politiques sociales
II.2.3.1. L’innovation sociale dans mon parcours de recherche
II.2.3.2. L’innovation sociale face à l’innovation technologique : un enjeu de définition
II.2.3.3. La fin du monopole de la société civile sur l’innovation sociale
II.2.3.4. Vers une polarisation croissante des conceptualisations de l’innovation sociale
II.2.3.5. La diffusion de l’innovation sociale
II.2.3.6. Conclusion
II.3. Les politiques d’accueil des jeunes enfants et de l’aide à domicile : une perspective historique et comparative
II.3.1 De l’aide a domicile aux services à la personne : une perspective historique et comparative de la place des associations 273
II.3.1.1. Les travaux sur l’aide à domicile et les services à la personne
II.3.1.2. De l’aide à domicile au service à la personne : l’enchevêtrement des modes de régulation
II.3.1.3 Le quasi-marché en France : une mise en concurrence des modes de régulations autant qu’une compétition entre modes d’interventions et organismes prestataires
II.3.1.4. Du rôle historique des associations dans la construction du secteur de l’aide à domicile au risque de leur banalisation progressive
II.3.1.5. Une mise en perspective de mes travaux au regard de l’état des connaissances
II.3.2. La gouvernance des systèmes locaux de la petite enfance : une comparaison européenne
II.3.2.1. La petite enfance : une thématique qui structure mon parcours de recherche
II.3.2.2. Situer et contextualiser les cadres théoriques mobilisés
II.3.2.3. Méthodes comparative d’études de cas et analyse statistique
II.3.2.4. Comparaisons européennes de la gouvernance locale de l’accueil des jeunes enfants
II.3.2.5. Les déterminants des solutions de garde des parents et la polarisation sociale des modes de garde: une comparaison France-Italie
II.3.2.6. Conclusion : apports de la recherche au regard des évolutions institutionnelles récentes
Conclusion Générale
Bibliographie

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