Un outil pour inclure plus efficacement les élèves à haut potentiel

C’est sous les traits d’une jeune adolescente que surgit, pour la première fois dans ma vie, le paradoxe des élèves intellectuellement précoces. Ce sujet étant particulièrement médiatisé, j’en avais, évidemment, déjà entendu parler, mais jamais je n’avais été confronté de façon aussi forte à cette souffrance que je ne parvenais pas à appréhender. Comment cette élève de douze ans pouvait-elle avoir de tels résultats au collège et être si proche du décrochage scolaire alors que son quotient intellectuel — officiellement mesuré par un WISC2 — était de 147 ? L’institution avait pourtant tenté de l’aider puisqu’elle avait reçu l’autorisation de sauter une classe. Cela n’avait pourtant pas suffi et cette jeune fille qui aurait pu — aurait dû — être si brillante, se dirigeait vers un échec scolaire qui semblait inéluctable. Face à ce constat, je me suis demandé comment nous, professeurs, pourrions intégrer plus efficacement dans nos classes ces élèves à besoins spécifiques. L’utilisation des outils numériques, dont notre établissement venait d’être doté, me semblait être une solution puisqu’ils permettent de s’adapter à la diversité des apprenants en différenciant plus aisément notre pédagogie. Aussi m’interrogeais-je, logiquement, sur les possibilités offertes par ces outils pour parvenir à réussir l’inclusion de ces élèves à haut potentiel. En lisant plusieurs ouvrages concernant les spécificités de ces élèves à haut potentiel, je me demandais s’il ne serait pas possible de renforcer leurs motivations face aux apprentissages (Albaili, 2003) tout en tentant de les aider à restaurer une estime de soi qui peut parfois être dégradée (Peters et coll., 2000) et leur permettre de développer également des compétences sociales. Les outils numériques pourraient parfaitement nous aider puisque nous savons qu’ils favorisent la mise en relation des individus et sont un vecteur d’interactions au service de la co construction des connaissances (Dillenbourg, 1999 ; Georges, 2003). En outre, de nombreuses recherches ont également montré que « l’interaction avec l’environnement, en l’occurrence les échanges avec d’autres apprenants, facilite l’acquisition des connaissances » (Bonnassies, 2006). L’écriture collaborative, notamment, nous semble être une des formes de ce travail les plus efficaces, en ce sens qu’elle demande aux membres du groupe de négocier, de coordonner leurs actions et de s’accorder sur un projet commun (Lowry, Curtis & Lowry, 2004). Plusieurs auteurs ont d’ailleurs souligné que « ce type d’activité favorise chez les élèves la réflexion sur la façon optimale d’atteindre des objectifs fixés et permet de développer une attitude active des apprenants qui se soutiennent mutuellement » (Swain, 2006, 2010).

C’est pour ces raisons que je me suis tourné, pour cette recherche, vers un dispositif visant à amener ces élèves à développer une posture d’auteur, à l’aide de la réécriture, lors d’un travail d’écriture collaborative grâce à un service web de traitement de texte collaboratif en temps réel : Etherpad. Nous nous concentrerons, au cours de cette étude, sur deux points principaux, tout d’abord, le développement de compétences métacognitives chez ces élèves puis, dans un second temps, le développement de compétences sociales en analysant, notamment, comment ils interagissent entre eux au cours de ce travail. Nous essaierons ainsi de voir si cet outil d’écriture collaborative qu’est l’Etherpad peut être utilisé efficacement pour inclure de manière plus efficace ces élèves à haut potentiel dans nos classes.

Enfant précoce, élève intellectuellement précoce, surdoué ou tout simplement doué… Le vocabulaire permettant de désigner ces enfants particuliers est étonnamment varié, et ce, tant dans les publications destinées à un large public que dans la littérature scientifique. Les anglophones utilisent principalement les termes de « talented children » (enfants talentueux) ou « gifted children » (enfants doués), les canadiens francophones conservent cette notion en parlant de douance. En France, nous avons tout d’abord utilisé le terme de surdoué, mais les polémiques qu’il entraînait ont obligé les auteurs a préféré un autre lexique basé davantage sur la précocité.

Pourtant, ce terme « précoce », longtemps en vogue, comporte une équivoque. Il laisse penser que cet enfant, en avance sur les autres, sera un jour rattrapé ; il suffirait donc d’attendre un peu pour que tous atteignent le même niveau et que cet enfant « doué » ne se distingue plus de ses camarades. Or, un enfant « doué » n’est pas un enfant qui se développe juste avant les autres. S’ils ont une avance intellectuelle non négligeable, ils peuvent avoir également, dans le même temps, un retard conséquent aussi bien émotionnellement que socialement. Ce terme même d’avance est, lui aussi, sujet à caution. Ces jeunes zèbres – encore un autre mot utilisé par Jeanne Siaud Facchin pour les qualifier – deviendront grands et garderont toujours cette vivacité d’esprit à un âge même où ces capacités sont pourtant censées stagner voire décroître.

Une revue de la littérature scientifique nous montre qu’il n’existe pas réellement de consensus d’un point de vue terminologie. Cependant, depuis peu, l’Éducation nationale a choisi un autre vocable qui semble mieux adapté pour décrire la particularité de ces élèves : le « haut potentiel ». Il permet notamment de mettre l’accent sur la possibilité d’expression de cette capacité. Un haut potentiel peut rester latent ou bien s’exprimer et donner alors lieu à des productions exceptionnelles. Ce terme permet, en outre, de ne pas prendre position ni quant à l’origine de ce potentiel (génétique, environnementale ou d’une association des deux) ni quant à son évolution dans le temps. C’est celui que nous utiliserons principalement dans notre mémoire.

L’identification de ces enfants présentant un haut potentiel est un aspect primordial de toute étude sérieuse les caractérisant. Selon Koren (1994), il semble « peu réaliste d’envisager de présenter un bilan exhaustif de [cette] problématique ». Pour lui, cette notion d’identification présente plusieurs facettes, d’abord la diversité des définitions de la précocité retenues par les auteurs, puis la multiplicité des critères utilisés, mais également les techniques d’évaluation employées.

En France, les auteurs du rapport Delaubier (2002) indiquent que l’échelle d’intelligence de Wechsler pour enfants (W.I.S.C : Wechsler Intelligence Scale for Children ; Wechsler, 1996), dans sa version 3 – depuis 2014, nous en sommes à la version 5 – est le test plus utilisé tant par les psychologues scolaires que par les établissements accueillant des enfants intellectuellement précoces. Ce test, bien sûr, n’a pas la prétention de définir l’intelligence, d’ailleurs si pour Binet, « l’intelligence était ce que mesurait [son] test », pour David Wechsler elle « est la capacité globale et complexe de l’individu d’agir dans un but déterminé, de penser de manière rationnelle et d’avoir des rapports utiles avec son milieu. (Wechsler, 1956, p.3) » C’est avec cette pensée qu’il met au point, dès 1949, une batterie de différentes épreuves qui permettent d’évaluer un ensemble d’aptitudes intellectuelles impliquées dans les processus d’apprentissage. La construction très pragmatique de ce test permet d’obtenir plusieurs niveaux d’informations quant aux potentialités de l’enfant, il rend notamment compte de son niveau de performance pour chacune des grandes fonctions cognitives. Le WISC V, version utilisée depuis 2016, comprend à présent 5 indices principaux :

• L’Indice de Compréhension verbale (ICV, déjà présent avec le WISC IV)
• L’indice visuo-spatial
• L’indice de raisonnement fluide
• L’indice de mémoire de travail (IMT déjà présent avec le WISC IV)
• L’indice de vitesse de traitement (IVT déjà présent avec le WISC IV) .

Les résultats du WISC ne sont cependant pas exprimés sous la forme d’un Quotient Intellectuel (rapport entre l’âge mental et l’âge réel) tel que le proposait le psychologue allemand William Stern en 1912, mais plutôt en situant sa performance par rapport à celles d’enfants appartenant à la même tranche d’âge. Cet étalonnage, révisé régulièrement selon les indications fournies par l’INSEE, est construit de telle manière que le Q.I. moyen soit égal à 100 et que l’écart-type des notes soit de 15. Même si dans certaines recherches, on constate une grande tolérance quant au seuil au-delà duquel le Q.I. d’un individu dénote une intelligence supérieure, on note que la plupart des psychologues cliniciens s’accordent autour du seuil de 130 concernant l’échelle globale (soit deux écarts-types audessus de la moyenne de leur groupe de référence). Nous pouvons donc en conclure, que selon le modèle statistique sur lequel repose l’étalonnage (courbe de Laplace-Gauss) les enfants dont le QI dépasse les 130 représentent 2,3 % de la population générale.

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Table des matières

Introduction
Première partie Contexte de la recherche et apports théoriques
Les enfants à haut potentiel
Définitions et nomenclature
L’identification du haut potentiel
Un problème d’échantillonnage
Caractéristiques des enfants à haut potentiel 15
Un cerveau différent : laminaire ou complexe
Les besoins des EHP
L’enfant à haut potentiel : un élève à besoins éducatifs particuliers
La scolarité des élèves à haut potentiel
Historique de la scolarisation des élèves à haut potentiel
Le paradoxe des enfants doués : la sous-réalisation
Modes de scolarisation des enfants à haut potentiel
La pédagogie du contrat : vers une individualisation
Haut potentiel et créativité
Les outils numériques : une aide à la remédiation
L’écrit intermédiaire : un objet didactique
De quoi parle-t-on ?
Un outil métacognitif : Écrire pour penser et apprendre
Activités du scripteur
Écrire en collaboration
Indicateurs de l’activité réflexive dans les écrits intermédiaires
Problématique et hypothèses de recherche
Deuxième partie Cadre méthodologique
Présentation du projet de recherche
Origine du projet
Le corpus d’étude
Les élèves de l’étude
Présentation
Profil général des élèves
Construction des corpus d’écrits
Un écrit créatif
Un écrit réflexif
Les écrits intermédiaires
Matériel et procédures
L’Etherpad : un outil d’écriture collaborative
Mode d’emploi
Évolution des écrits et du chat
Méthode d’analyse des textes
Entretiens – Questionnaire
Avec la psychologue de l’éducation nationale
Avec la professeure de français
Avec les élèves
Conclusion

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