Un nouveau territoire à caractère urbain
Le caractère rural commence progressivement à s’évaporer et des habitations s’installent anarchiquement et au hasard sur les anciens terrains meubles (ibid : 10). Dans le Bulletin de la Société pour l’amélioration du logement datant de 1902, les propos de l’architecte Guillaume Fatio sont repris par Dominque Schoeni à la page 9 de son historique. Il y est décrit la nouvelle forme urbaine que prend les Pâquis : « Aujourd’hui, la surface presque totale du quartier (…) s’est couverte d’habitations urbaines (…) [et] on continue à élever des immeubles de cinq à six étages le long d’anciens chemins de campagne destinés (…) à être bordés de pelouse ou de terrains agricoles. On crée, ainsi, à plaisir, des rues étroites où l’air et le soleil ne pénètrent pas (…) » (ibid : 10). Les pâturages sont donc remplacés par des maisons et leurs jardins mais aussi des immeubles qui rendent aux Pâquis un aspect plus moderne dès le début du XXème siècle14 : les rues quadrillent rectangulairement le quartier entre la Gare Cornavin, la rue du Mont-Blanc, les quais du Mont-Blanc et Wilson, le parc Mon Repos et enfin la rue de Lausanne. Fleurissent par ailleurs des petits commerces et lieux de loisirs mais aussi un casino, des bistrots, des cabarets, des salles de musique et des maisons closes. Puis, par une planification réfléchie de la ville mais aussi une nouvelle forme de stratification sociale, les délimitations produites forment le quartier que l’on connaît aujourd’hui, un espace à « double caractère (…) avec d’une part les habitations populaires avec les industries et artisanat local et d’autre part les quais avec hôtels luxueux, restaurants, commerces et grands boulevards. » (ibid : 11).
Une mutation de quartier ? Eléments de réponses Comme nous l’avons vu auparavant, les Pâquis jouissent d’un espace répondant parfaitement aux besoins d’une population dans une ville : il est proche d’espaces de détente (lac, quais, parcs) mais aussi de la gare et des grands axes de communication. C’est pour cette raison que la deuxième moitié du XXème siècle a vu le quartier subir de « nombreuses opérations de démolition-reconstruction » (ibid : 12), notamment suite au retour des organisations internationales après la Guerre Mondiale de 1939-1945. Ces opérations immobilières dans une période faste économiquement vivifient le marché de l’hôtellerie et celui des logements en particulier jusqu’à la fin des années 1970. Ainsi, comme le relèvent Claire Barbas et Céline Berset en page 12, « la moitié des immeubles présents sera rénovée, certaines rues modifiées et élargies. ». Signe d’une mutation urbaine importante, les « nouveaux espaces accueillent aussi un changement de fonction ; locaux pour l’administration, les commerces » (BARBAS et BERSET, 2014 : 12).
Nous observons à cette période un processus gentrificationnel car les « changements morphologiques entraînent une certaine rupture sociale, les usagers ne sont plus les mêmes et sont plus tournés vers l’extérieur du quartier » (ibid : 12). Même si la population résidente est remplacée à cette période « par une population plutôt défavorisée (immigrants du sud de l’Europe) », le principe de la modification du quartier reste le même à l’heure actuelle. Il semblerait que nous assistons aujourd’hui à une nouvelle forme de gentrification aux Pâquis poussée notamment par des « nouveaux modes de vie (…) plus centrés sur le privé des appartements que sur la vie publique de la rue », par le remplacement des petits commerces locaux qui « font place à des surfaces commerciales importantes fonctionnant à l’échelle supérieure » (ibid : 12) ou par l’internationalisation du quartier17 Par une méthodologie empirique d’immersion itinérante dans l’espace, je chercherai donc à observer les Pâquis par le biais de la phénoménologie afin de rendre compte de l’exactitude ou non des faits évoqués ci-dessus.
La phénoménologie est relatée par divers auteurs comme Edward Relph, Michel Henry, Edmund Husserl ou encore Amadeo Giorgi, qui la décrit d’ailleurs comme « l’étude des structures de la conscience, ce qui inclut une corrélation entre les actes de la conscience et leur objet […] et les divers styles et modalités de présence manifestés par la conscience. » (GIORGI, 1997 : 342). En ce qui concerne la méthode phénoménologique d’observation, c’est une science qui consiste, selon Catherine Meyor, à mettre en évidence les phénomènes sous la forme de « représentations, impressions, ressenti, densité, épaisseur, volume, etc. » (MEYOR, 2005 : 36). Elle présente toutefois certaines problématiques comme celle de la subjectivité. En effet, bien que l’approche soit « (…) potentiellement riche et féconde dans son application aux sciences humaines (…) » (ibid : 25), elle reste sujette au risque qu’elle ne soit pas « une méthodologie sûre et scientifique » (LÉVY, 1990 : 85). Malgré cela, l’apport de la subjectivité dans la méthode en phénoménologie est intéressant dans la mesure où elle permet d’ « ouvrir le regard du chercheur sur les modes par lesquels son être se dévoile dans le phénomène » (MEYOR, 2005 : 34).
Les Pâquis et ses contrastes saisissants
Après avoir parcouru cette rue Philippe-Plantamour aux immeubles rénovés de haut standing et résolument convertie pour une certaine couche sociale aisée, je me redirige en direction du nord-est du quartier par la rue de Monthoux. Le contraste est subitement saisissant : je découvre un cadre différent, presque sale comparé à la rue précédente, qui voit un bar à shisha côtoyer un garage ou un magasin de seconde-main peu coûteux destiné aux enfants. Au croisement de la rue des Pâquis, je m’aperçois que le nombre de petits commerce (épicerie, vêtements de seconde-main, etc.) et artisans (couturier) remplacent les annonces de bureaux à louer. La clientèle n’est ici absolument pas la même qu’auparavant. Seul un magasin de glaces « à l’italienne », propre à une forme de gentrification comme pourrait l’être les yogourteries de Plainpalais, est visible. Ce type de magasin remplace d’autres arcades pour proposer un type de produit de qualité mais au prix élevé. Je marche ensuite en direction de la rue de Zurich afin de voir l’évolution du quartier comparé à d’anciennes photographies datant du début du XXème siècle.
La rue Léon-Nicole n’est plus celle qu’elle était : les petites maisons ont été remplacées par des immeubles bien plus imposants abritant clubs-dancings et habitations. Ce constat me réconforte dans mon hypothèse initiale qui cherchait à démontrer que la gentrification a déjà eu lieu, et d’une manière peut-être plus importante que celle que je suppose existante aujourd’hui aux Pâquis. Je poursuis mes recherches en m’arrêtant quelques instants devant l’imposante baie vitrée du Novotel, un hôtel moyen-haute gamme construit à destination d’une catégorie sociale spécifique (touristes aisés et fonctionnaires internationaux). Après donc les appartements de luxe de la rue Philippe-Plantamour, un autre type de service est proposé : l’hôtellerie. Elle s’impose aux Pâquis en étant une des principales ressources du quartier en termes d’emploi. En effet, selon l’Office Cantonal de la Statistique de Genève (OCSTAT), on dénombre en 2008 2’350 emplois dans le secteur de l’Hôtellerie et de la restauration pour un total de 7’376 emplois, soit un taux de 32% derrière les 49% du secteur tertiaire et des services .
Des contrastes qui se confirment En direction du lac, entre la rue de Monthoux et celle du commencement Phillipe-Plantamour, nous pouvons constater des différences liées au contexte urbain avec plus de saleté, de bruit et d’inconfort. Entre les deux extrémités des Pâquis, la différence est ainsi frappante. En effet, en termes de commerce par exemple, la rue de Monthoux dévoile deux magasins de seconde main tandis qu’au niveau de la rue des Pâquis, en direction du square des Alpes, l’artère dispose de magasins de vêtement plus luxueux. Après quelques mètres, je découvre une nouvelle rue, celle d’Alfred-Vincent. Ici, un service est existant : c’est le Centre Médical du Léman qui occupe un immeuble en son entier. Puis une scène cocasse s’offre à moi : deux bâtiments côte à côte et dont l’architecture semblait commune ne se coordonnent plus : l’un a subi une opération de rénovation (coloration de la façade, sécurisation de l’entrée, pose de digicode) tandis que l’autre conserve son caractère historique.
Si les opérations de rénovations sont, il faut le reconnaître, nécessaires pour le maintien d’un bâtiment, nul doute que la nouvelle version de ces appartements provoque majoritairement une hausse du loyer comme souligné dans la revue de la littérature de ce travail : il en résulte bien souvent des expulsions. Cette rue peu fréquentée conserve néanmoins un caractère d’antan avec des artisans comme l’ébénisterie Bachmann ou le café Chez Dédé où se réunissent des locaux et genevois qui, depuis longtemps, considèrent les Pâquis comme un lieu de rencontre faisant partie des habitudes. En repassant devant le bâtiment des télécoms, je tourne deux fois à gauche, une fois en direction de la rue Pellegrino-Rossi puis en direction de la rue Sismondi. Des cafés et des épiceries se juxtaposent tout comme de modestes clients aux tables des petites terrasses… Puis le contraste de ce quartier se réaffirme dès lors où l’on se rapproche géographiquement du lac ou du square des Alpes: on y découvre une utilisation tout à fait différente des lieux, moins chaleureuse que les rues du Pâquis-centre. Les habitations sont remplacées notamment par des hôtels-résidences (CityZen, Adagio Appartments) et se succèdent entre les rues des Pâquis et Sigismond-Thalberg une galerie d’art commerciale du XIXème siècle, des restaurants-bars chics et branchés (Eastwest, Bistrot du Boeuf Rouge, l’Entrecôte Couronnée et le Maxim’s), une station radio commerciale (Yes FM), des sièges d’entreprises (dont l’imposant SGS tout en verre) et enfin des boutiques de vêtements luxueux (Boutique Basile).
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Table des matières
GENEVE, UNE VILLE EN MUTATION
LA GENTRIFICATION DANS LA LITTERATURE ACADEMIQUE
UN HISTORIQUE DE LA GENTRIFICATION
L’EVOLUTION DES ETUDES
LA GENTRIFICATION : UNE CONFRONTATION D’IDEES
L’IMBRICATION D’AUTRES CONCEPTS
LES CRITERES DE GENTRIFICATION
LES PAQUIS, CADRE D’EXPERIENCE PHENOMENOLOGIQUE
HISTORIQUE ET LOCALISATION DU QUARTIER DES PAQUIS
LA MUTATION DU XIXEME SIECLE
UN NOUVEAU TERRITOIRE A CARACTERE URBAIN
LE COSMOPOLITISME DU XXEME SIECLE
UNE MUTATION DE QUARTIER ? ELEMENTS DE REPONSES
TRAVAIL DE TERRAIN : LA MARCHE AU SEIN DU QUARTIER DES PAQUIS
SECTEUR ‘’ALPES’’
SECTEUR ‘’NAVIGATION’’
SECTEUR ‘’WILSON’’ ET ‘’MON REPOS’’
CONCLUSION DE LA RECHERCHE EMPIRIQUE
LES PERSPECTIVES D’UNE GENTRIFICATION AUX PAQUIS
QU’EN EST-IL DE LA GENTRIFICATION AUX PAQUIS ?
LE CONTEXTE SUISSE
LES POLITIQUES CANTONALES ET COMMUNALES ONT-ELLES UNE INFLUENCE ?
LES PERSPECTIVES DANS LE QUARTIER
LA GENTRIFICATION AUX PAQUIS : CONSTAT
BIBLIOGRAPHIE
ARTICLES
OUVRAGES
PRESSE
DOCUMENTS OFFICIELS
SITES INTERNET
FIGURES
PARTIE 1: CADRE THEORIQUE
PARTIE 2: PAQUIS
FIGURE 8
PHOTOGRAPHIES COMPLEMENTAIRES (VICTOR PERRIN (2015))
PARTIE 3: CONCLUSION
FIGURE 1556
FIGURE 1656
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