Une opposition directe avec Le Nouvelliste de la Sarthe et le reste de la presse conservatrice et cléricale locale
Comme tout bon journal politique et organe propagandiste qui se respecte, il est nécessaire d’attaquer dès que possible ses opposants. En ce qui concerne Le Petit Manceau, ses principaux opposants sont les journaux locaux composant la presse cléricale et conservatrice. Toujours intéressé et au courant des publications de cette dernière, même au niveau national, il est un organe local qui monopolise tout de même les attaques : Le Nouvelliste de la Sarthe. Journal nommé et publié ainsi dès l’année 1888, il s’inscrit cependant dans la lignée journalistique bien plus ancienne du Journal politique et littéraire du département de la Sarthe créé en 1812. Le Nouvelliste de la Sarthe reste profondément ancré dans les réseaux ultra-conservateurs et aristocratiques de la Sarthe, il est notamment subventionné par le duc de Doudeauville membre de la très ancienne famille nobiliaire française des De la Rochefoucauld. Ce dernier est notamment connu pour avoir été député sarthois de 1871 à 1898. Au départ monarchiste assumé, il glisse à la fin des années 1880 vers le boulangisme dont il devient un véritable adepte et défenseur. Très actif à la Chambre durant ses députations, il est toujours aux côtés ou même suivi par des droites plus ou moins conservatrices. Luttant perpétuellement contre tous les gouvernements ou les projets de loi provenant de la Gauche républicaine, le duc de Doudeauville reste un grand conservateur107. Le Petit Manceau, journal républicain radical et Le Nouvelliste de la Sarthe, journal conservateur et clérical, étaient donc faits pour s’opposer.
Une affaire abordée précédemment a particulièrement opposé nos deux journaux : la fermeture de l’église de Courceboeufs. Les confrontations directes commencent dès la fin du mois de février 1906 à l’occasion d’un article publié par Le Nouvelliste se réjouissant de la résistance réalisée par les habitants contre le receveur des finances chargé de réaliser l’inventaire de l’église.
Pour résumer les faits, le receveur des finances, après avoir été accueilli froidement mais cordialement par le curé, se dirige vers l’église et entre dans cette dernière où il retrouve plusieurs dizaines d’habitants chantant des cantiques. Se trouvant dans l’impossibilité d’avoir le silence et d’ordonner la sortie des fidèles, le receveur se retire à la mairie suivi de chanteurs puis ajourne l’inventaire. Le Nouvelliste, dans son article se réjouit de cette réaction catholique. Le 1er mars, Le Petit Manceau publie alors un petit article qui relève une contradiction de la part de ces catholiques : « Quand des catholiques passent outre des recommandations de leur pasteur et refusent de l’écouter, Le Nouvelliste est content. Nous aussi ».
Le Petit Manceau ne se contente pas d’attaquer Le Nouvelliste. Les organes cléricaux et leurs bpublications sont bien connus du journal républicain et vice versa. Une seconde affaire que nous avons abordée plus haut sur la question de la fermeture de l’église de Courceboeufs provoque une nouvelle prise d’armes entre journalistes. Dès le 17 mars, le journal ne manque pas de tacler également celui intitulé La Croix du Maine. Cette affaire s’inscrit dans celle décrite précédemment
concernant le soi disant chantage financier mené par l’évêque sur la population sarthoise.
Courceboeufs voit son église fermée par décision de l’évêque puis de nouveau ouverte après perception suffisante. Le journal républicain, ne voyant aucun relais de ces événements par la presse cléricale, s’empresse d’accabler le curé local qu’il accuse de mener un train de vie bien trop aisé pour une commune démunie109. Cette accusation, réalisée initialement par une lettre écrite par un cultivateur de la commune alors relayée par le journal républicain, donne lieu à un échange de lettres très actif entre journaux cléricaux et journaux conservateurs. Le 24 mars, la réponse du curé est publiée dans les colonnes du journal républicain. Ce dernier manifeste dès lors son mécontentement quant à la première publication de cette lettre dans les journaux conservateurs sarthois (la Sarthe, le Nouvelliste, l’Express) : « Il ne devrait pas ignorer que la bonne foi et les convenances lui commandaient d’attendre l’insertion de sa lettre dans nos colonnes pour la livrer aux feuilles de droite ». On sent immédiatement que la tension est vive. L’auteur de l’article lance même aux lecteurs que « Ce procédé douteux nous permet de jeter au panier la missive du curé Poisson ». Le curé toujours attaqué sur son train de vie et sa fortune fait l’objet d’un calcul rapide additionnant les traitements qu’il va encore recevoir pendant quelques années et les revenus que le denier du culte va lui fournir. Cela aboutissant à une somme d’argent largement acceptable pour un simple desservant. Le journal républicain en profite une fois de plus pour dénoncer et qualifier son discours de victimaire et non avenu. Pour donner un pied de nez aux journaux concurrents l’article se conclue même par un Post Scriptum cynique : « Nous pensons qu’il ne sera pas besoin de faire appel à la bonne foi de nos confrères la Sarthe, le Nouvelliste et l’Express, et qu’ils s’empresseront de publier la réponse ci-dessus à la même place et en mêmes caractères que ceux réservés par eux à la lettre de M. Poisson ».
Le 8 mai 1906, Le Nouvelliste est qualifié de « journal royaliste ». Au sein d’un grand article de deux colonnes intitulé « A travers la presse réactionnaire »111, Le Petit Manceau s’en donne à coeur joie pour descendre ses principaux concurrents conservateurs. Le discours concerne une analyse du Nouvelliste concernant les élections législatives qui ont vu faire passer au second tour le candidat radical Bouttié devant le candidat conservateur Fouché déjà institué. Un extrait de cette analyse est publiée, on peut y lire que pour Le Nouvelliste, les électeurs vont rapidement revenir sur leur pas et retirer ce vote radical qu’ils ont réalisé « par camaraderie »112 ; « Ils reviendront à résipiscence et feront passer l’intérêt général avant leurs sentiments ». La réponse du Petit Manceau, prise sur un ton très familier envers le journal conservateur, témoigne de la véritable violence qui existe entre les deux organes. On peut même lire : « Nouvelliste, mon cher, la fâcheuse méningite vous guette, car il vous a fallu vous torturer la cervelle pour en trouver une de ce calibre là ! ». Les propos du journal vont même jusqu’à prendre un ton menaçant : « Vous pouvez continuer sur ce ton. Chacune de vos insultes vous sera comptée… en bulletin de vote ».
L’Express fait aussi l’objet d’attaques par le journal républicain. Il est également taxé de « journal royaliste ». Publiant l’édition traitant de l’élection seulement à 5h du soir, les propos d journal sont extrêmement virulents vis à vis du candidat radical : « vieillard intriguant, dont l’incapacité soulevait le rire dans les tournées électorales ». Le journal manifeste alors son intransigeance face à ces propos : « De telles injures […] ne peuvent que soulever la répulsion et le dégoût ». Cet article étant signé au nom du Petit Manceau, on peut conclure que les réactions et les prises de positions virulentes vis à vis de ces deux organes conservateurs témoignent d’un état d’esprit partagé dans toute la rédaction.
Les attaques sont également à voir dans l’autre sens. Le Nouvelliste et sa rédaction ne manquent pas de répartie quand la nécessité de défendre son honneur s’impose. On le voit dans un article publié le 15 février 1906 intitulé « Arguments captieux ». Dans cet article le journal réagit aux accusations du Petit Manceau qui les accuse d’être contradictoires avec leurs propres propos et valeurs au sujet des inventaires. Il les accuse notamment de ne pas respecter la loi en encourageant les catholiques à empêcher les fonctionnaires de l’État de les réaliser. Le Nouvelliste se fait alors un malin plaisir à démontrer les propres contradictions des républicains face à leur conception de l’obéissance à la loi : « Ce qu’ils oublient surtout, c’est qu’un républicain n’a pas le droit de préconiser la légalité ; car ils l’ont toujours violée, et, s’ils ne l’avaient pas fait, la République n’existerait pas ». L’auteur en vient même à citer Ledru-Rollin en 1848 : « »A la force brutale des majorités, j’oppose la force des armes ; j’en appelle aux armes ! » Ainsi ont toujours parlé les républicains. ». Cette attaque est développée sur une entière colonne de la première page du journal : « Un républicain qui prêche le respect de la loi cesse, par le fait même, d’être républicain ».
Le Nouvelliste de la Sarthe : du discours victimaire au discours offensif
Comme nous l’avons expliqué précédemment, Le Nouvelliste de la Sarthe est l’organe médiatique des mouvements conservateurs, conservateurs à tendances royalistes du département de la Sarthe. Nous allons nous intéresser à la réaction de la rédaction de ce journal vis à vis du débat, du vote et de l’application de la loi de séparation des Églises et de l’État. Opposition ? Défaitisme ? Réaction ? Lutte active ou bien passive ? Toutes ces questions sont posées par le journal à des intervalles chronologiques différentes que nous allons tenter d’analyser. Deux grands discours ressortent du journal, le premier est particulièrement défaitiste et victimaire.
Un premier discours pessimiste et victimaire ou de la persécution francmaçonnique
Les propos récurrents des journalistes du Nouvelliste sont bien souvent centrés sur une accusation directe de la Franc-maçonnerie dans la persécution de l’Église. L’objectif ici n’est pas de développer le propos sur l’organisation qu’est la Franc-maçonnerie et sur ses diverses implications dans le pouvoir républicain. Nous allons ici rendre compte de la vision que peuvent avoir ces défenseurs de la religion d’une société secrète vue comme la plus grande persécutrice religieuse du pays. Les attaques ne se font pas attendre, dès le 2 février 1905, dans un article intitulé explicitement « La Franc-maçonnerie et la Séparation »114, l’auteur relate les propos d’ « une des notabilités les plus considérables de la Franc-maçonnerie » sur l’adoption nécessaire et inéluctable de la loi de séparation. Cet article est particulièrement intéressant car il rend compte de l’état d’esprit de la population catholique défendant le Concordat au début de l’année 1905 mais aussi de celui des francs-maçons et certainement de nombreux autres républicains. En effet on peut lire, par les propos relayés, que la loi doit être débattue et votée après les élections législatives de 1906. Les républicains radicaux ne voulant pas mettre en jeu la majorité législative avec la loi de séparation, il est vivement conseillé de reporter son vote. Le journal s’empresse de dénoncer, tout d’abord l’implication d’une société ouvertement anti-religieuse dans les sphères du pouvoir, mais aussi la manipulation et la tromperie des électeurs. Cette prise de position est même vue comme un aveu de faiblesse de leur part : « Les Franc-maçons […] ne sont pas assez sots pour s’imaginer que la Séparation […] se puisse accomplir en France sans émouvoir profondément la nation. ». Dans un article du 11 février 1905, intitulé « 375 voix pour la Séparation » abordant le vote du passage à l’ordre du jour de la discussion du projet de Séparation à la Chambre par 375 voix contre 103115, les accusations de persécutions franc-maçonniques vont bon train. On peut notamment y lire : « La Séparation […] sera votée, si la Franc-Maçonnerie l’exige », « Peu à peu tout se réalise ; oui, tous les caprices des sectes clandestines prennent corps et s’insinuent dans la Constitution ou dans le Code ». L’article est même conclu sur ces mots : « Combes ou Rouvier, Loubet ou Brisson, peu importe aux Loges, quel que soit l’homme, il n’est que leur esclave : il signera toujours… ». Au fil des débats de la Chambre sur la loi de séparation, les accusations en direction de la Franc maçonnerie continuent : « Ce qu’il importe donc actuellement à la Franc-maçonnerie, ce n’est plus tant d’obtenir le vote de la Séparation qui lui paraît acquis, que d’introduire dans la loi nouvelle la location des églises et de faire accepter du clergé une indemnité dérisoire et temporaire. »116 Le 10 avril 1905, la responsabilité des élus de la Chambre est mise en cause. Accusés de voter pour le projet de loi de Briand par défaut et par soumission aux hautes autorités radicales et républicaines, l’exemple est pris du député de l’Aveyron Lacombe qui manifeste de son adhésion relative au projet dans un autre journal cité : « Je représente une circonscription catholique […] et on sera furieux contre moi ; mais il faut bien que j’adhère au projet Briand ». On reproche même à Joseph Caillaux, fils d’Eugène Caillaux défunt homme politique conservateur, et député dit « progressiste » de Mamers depuis 1898118, de voter de « peur de ne point paraître assez avancé ». Ces accusations d’élus, à caractère plus local, se muent rapidement pour se rediriger vers la Franc-maçonnerie sur un ton défaitiste manifeste : « Ainsi donc, entre le pouvoir civil et le pouvoir spirituel, le divorce va s’accomplir, sans que personne l’ait souhaité, sauf dans les Loges où depuis longtemps on guettait cette échéance ». Les attaques et la haine de la rédaction à destination de la Franc-maçonnerie sont telles qu’ils en viennent même à prendre la défense, teintée de cynisme, de Briand. On peut lire dans un article du 25 avril 1905 concernant le caractère libéral du projet adopté : « M. Briand n’est pas un Père de l’Église, […] mais il a paraît-il, une qualité : il n’appartient pas à la Franc-Maçonnerie. ».
Les attaques redoublent alors : « Les Loges obnubiles l’intelligence ; le Franc-maçon ne connaît que sa haine, il veut frapper sans cesse et frapper fort. Pour lui, ce qui n’est pas violent ne compte point, il ignore les demi-mesures le doigté, les nuances, il assène des coups comme un Apache, et n’est content que s’il vous laisse étendu, à demi-mort, sur le champ de bataille ». Au moment du vote de la loi à la Chambre en juillet 1905, le déferlement d’attaque redouble de force. Le propos se centre toujours sur une attaque perpétuelle de cette société vis à vis de l’église, le lecteur est mis en garde : « Ils seront toujours là les hommes du Bloc et des Loges ». Au moment de l’adoption par le Sénat de la loi de séparation, La franc-maçonnerie est évidemment nouvellement ciblée : « Jamais encore l’obéissance maçonnique n’avait été plus cyniquement pratiquée ». La plupart des autres attaques à l’égard de la société secrète ressemblent tant sur la forme que sur le fond à celles que nous venons de décrire. La moralité à retenir des propos du Nouvelliste est que la Franc-maçonnerie est l’instigatrice transgénérationnelle de la séparation des Églises et de l’État, elle est le cancer de la nation et de la foi religieuse.
Un deuxième discours offensif : les techniques d’oppositions
Le premier discours du journal, qui tend à contrer le vote même de la loi de séparation des Églises et de l’État, tient à rester dans le cadre de la loi. La pétition semble être la meilleure technique de révolte respectant la paix civile. Dès le 9 mars 1905 un article est publié dans Le Nouvelliste attestant de la mise en circulation, par l’initiative du Comité catholique du Mans, d’une pétition à signer contre le principe même de la suppression du Concordat125. Quatre grandes revendications composent cette pétition : Maintien du Concordat « solennellement conclu entre le Saint-Siège et la nation française » ; « Les conditions d’existence du culte catholique ne peuvent pas, sans péril pour la liberté et la paix religieuse, être réglées en dehors de toute entente avec le chef suprême » ; Référence aux vols commis par la République à l’Église durant la Révolution l’endettant perpétuellement envers l’institution romaine – et enfin le droit pour les catholiques de pouvoir s’organiser et s’exprimer librement sur la scène publique. L’enthousiasme de la rédaction du Nouvelliste autour de cette dynamique pétitionnaire est très important. Au début de l’année 1905 la loi n’en est qu’au stade de la discussion à la Chambre et au vote de quelques articles. L’espoir de voir le peuple catholique peser sur les décisions prises par les parlementaires est encore présent.
Dans un article du 20 avril intitulé « Le Pétitionnement »126 on peut clairement visualiser l’état d’esprit des défenseurs du Concordat : « De nombreux députés ont voté le passage à la discussion des articles, avec la résolution de voter finalement contre l’ensemble du projet à moins qu’il ne fût profondément amendé. […] Il est donc encore temps pour leurs électeurs, de dire très haut ce qu’ils demandent ». La pétition est également vue comme un moyen de propagande afin de ramener la population vers la défense de l’Église : « Recueillir des signatures, c’est en même temps accomplir l’oeuvre critique et nécessaire d’éclairer ceux qui ne le seraient pas encore ». Le mouvement pétitionnaire du voisin mayennais est notamment abordé. Le 12 avril précédent, l’Association des catholiques du département de la Mayenne, organisatrice de la tournée pétitionnaire dans ce département, annonce un résultat de plus de 125 000 signatures127. Après avoir fièrement annoncé ce résultat, l’auteur donne également les résultats d’autres départements. On peut véritablement ressentir le nouveau souffle que cette pétition crée chez les catholiques. Cette mobilisation pourrait être un moyen pour réveiller les consciences, permettre une mobilisation de masse et ainsi faire plier les défenseurs de la Séparation.
Les résultats de la pétition en Sarthe sont presque publiés tous les jours d’avril à juin 1905
Le tableau ci-dessous récapitule toutes les signatures recueillies dans les communes de nos deux cantons analysés. A comparer les deux cantons, il est flagrant que celui de Conlie rapporte beaucoup plus de signatures que celui de Pontvallain. Ce dernier tient un bilan nul à part pour les communes de Pontvallain et de la Fontaine-Saint-Martin qui restent relativement peu rentables pour la pétition. Ici transparaît clairement la différence de la pratique du culte que nous avons développé plus tôt dans l’introduction. La population du canton de Conlie semble bien plus attachée à la vie religieuse de son canton que la population du canton de Pontvallain. Pour cette dernière il semble que la présence ou non de religieux ne soit pas un bouleversement capital dans la vie de la communauté. On peut noter que les mentions aux communes du canton de Pontvallain sont très tardives, on peut penser que la pétition a d’abord et d’avantage tourné dans l’Ouest du département avant de gagner les régions les moins gagnées par la religion. Cela s’expliquerait tout d’abord par l’aspect de rentabilité propre à la pétition mais aussi au fait que le mouvement pétitionnaire est encore plus précoce et plus important dans le département de la Mayenne.
Le discours d’opposition va rapidement se structurer autour de plusieurs grandes figures du monde ecclésiastique français. Les premiers « héros » catholiques sont les cinq cardinaux qui envoient une lettre au président de la République pour manifester leur opposition à la loi de séparation. Cette lettre est rapidement relayée par la presse conservatrice, elle est présente sur la première page du Nouvelliste le 29 mars128. Une préface de l’auteur confirme sa vive adhésion aux propos des cardinaux. On retrouve, dans les revendications formulées, une similitude avec les revendications de la pétition : Liberté d’organisation du culte, propriété pleine des biens de l’Église, maintien du Concordat vu comme seul contrat légitime entre l’Église et l’État français et enfin le discours concernant la dette de l’État français à l’Église à cause des « méfaits » commis durant la Révolution. L’évêque du Mans Marie Prosper de Bonfils s’investit personnellement aux côtés des cardinaux en publiant dans les journaux conservateurs son adhésion à leur lettre dès le 1er avril.
Par soumission naturelle au supérieur ecclésiastique, il devient le leader de l’opposition catholique sarthoise à la loi de séparation. Le discours du journal va rapidement se muer en appel à la réaction physique et même à la haine de la République. Le 12 juillet 1905, le journal relaie les propos de la Semaine religieuse de Nancy et de La Croix de Meurthe-et-Moselle. Dans le premier on peut lire :
« La République, que tant de catholiques pouvaient admettre en principe, jusqu’au jour où elle a attaqué les religieux, se rend définitivement odieuse et s’empoisonne par ses propres produits. ».
Dans le second on peut clairement lire un appel à une révolution anti-républicaine : « La République se sépare officiellement de l’Église apostolique et romaine. Nous catholiques, nous nous séparons de la République française. […] La République veut la guerre. Elle l’aura. […] En avant donc ! La République est notre ennemie. A bas la République ! ». Dès le 15 juillet 1905 le premier article du journal est intitulé « Soyons des opposants »131, le rédacteur en chef du journal, auteur de l’article, appelle clairement les catholiques à s’opposer au vote et a fortiori à l’application de la loi : « Nous sommes l’opposition, il faut agir en opposants, et ne point renoncer à la lutte pour obtenir des avantages sous lesquels l’ennemi a dissimulé des pièges… ». Comme on peut le voir, on se trouve encore face à un double discours : on peut autant lire cela comme un appel à la mobilisation citoyenne ou comme un appel à la réaction violente. Le discours reste manifestement et peut être même volontairement flou et ambigu. Le 26 août, le journal, relatant les propos d’un journal intitulé La Correspondance hebdomadaire, appelle presque explicitement, les fidèles à se grouper autour du curé pour livrer bataille : « Il est urgent de s’associer, de se grouper autour du prêtre qui est le meilleur ami et le plus fidèle défenseur du peuple contre les charlatans qui le dupent et qui l’exploitent. A l’oeuvre donc et que partout l’association paroissiale réunisse sous sa bannière ceux qui sont et qui veulent demeurer catholique »132. On note ici la virulente agressivité témoignée à l’égard de l’État français. On utilise un discours qui fait appel à une identité catholique supérieure aux identités nationales. Le lecteur catholique est mis au pied du mur, s’il ne se mobilise pas il ne pourra plus demeurer catholique. Il en va de l’existence même du catholicisme et de la religion. Ce type de discours a un seul objectif : galvaniser les troupes contre l’oppresseur républicain et francmaçonnique.
On peut aisément penser que la volonté du journal de relayer ces propos en première page n’est pas anodin et témoigne du véritable objectif de constituer un rapport de force massif face aux autorités républicaines. Le problème reste toujours le même, on ne peut s’assurer que cette lecture du discours est la bonne et qu’il ne s’agit pas juste d’un appel à la foi et à la prière autour du prêtre.
L’apparent appel à une résistance active n’est pas si simple. En effet, le 9 décembre, à la veille du vote de la loi de séparation, les propos du comte Albert de Mun, député du Finistère, membre de l’Académie française et d’esprit modéré, sont relayés sur la première page. Il appelle les catholiques à adopter une résistance passive : « Je pense encore que, devant cette résistance passive de tout un clergé, de tout un peuple, les armes des persécuteurs s’émousseraient bientôt entre leurs mains ». Ce discours va néanmoins s’effriter au fil des mois notamment à cause des inventaires qui vont réveiller de plus vives émotions chez les catholiques défenseurs du Concordat. Les inventaires des églises provoquent un vif émoi chez les catholiques. Ces derniers considèrent cette intrusion de l’État dans les lieux sacrés comme un véritable sacrilège ayant pour simple but la spoliation des biens de l’Église et des fidèles. Cet émoi est renforcé par la demande expresse de l’État, aux fonctionnaires chargés de réaliser les inventaires, de faire ouvrir les tabernacles pour pouvoir noter leur contenu. Le sacrilège de l’État est manifeste et indéfendable.
Les inventaires sont lancés dès le 1er janvier 1906 mais ont véritablement lieu, en Sarthe, du mois de février à mars. Ces événements provoquent nombre d’incidents que la presse conservatrice et catholique se plaît à relayer. Les premiers incidents faisant la une du journal sont ceux ayant eu lieu aux Sables-d’Olonne et à Tours. Le journal se targue d’une levée de boucliers catholiques. En réalité les soulèvements restent rares et très épars sur le territoire français.
fierté de la presse cléricale
L’événement qui va véritablement défrayer la chronique est l’inventaire de l’église Sainte Clotilde qui a lieu le 1er février 1906 à Paris. Dès le lendemain une première page entière est dédiée à l’événement. L’inventaire s’est tellement envenimé que le préfet de police de Paris en est venu à ordonner un assaut des forces de police sur l’église. Une vaste bagarre se déclenche provoquant l’effroi et le chaos autour de la scène. Le journal s’en donne à coeur joie et décrit longuement la scène martyrisant les catholiques et dépeignant une population inoffensive et pieuse victime d’un État persécuteur et violent. Le lendemain un gros titre « LA BATAILLE CONTINUE » occupe la première page. Les heurts provoqués lors de l’inventaire de l’église de Saint Pierre du gros caillou à
Paris sont également l’oeuvre d’une reprise par notre journal. On se rend véritablement compte ici que la résistance passive n’est pas la seule réaction prônée et respectée par la rédaction du Nouvelliste. Rapidement les fidèles sont érigés en héros christiques et en martyrs : « Des femmes des vieillards, des enfants, un vieux prêtre à barbe banche sont précipités du haut des marches et les derniers rangs d’agents les reçoivent à coups de bottes et de poings ». La martyrisation gagne aussi les fonctionnaires de l’État alors vus comme des frères catholiques contraints par la force de réaliser une « triste besogne ». Les individus impliqués dans l’organisation des inventaires qui vont démissionner de leur fonction, en raison d’un conflit avec leur propre foi, vont être portés en héros comme ayant connu une révélation et ayant rejoint le bon côté des justes.
|
Table des matières
I/ Un environnement médiatique et informatif offensif qui influence les comportements à suivre (1905-1906)
1/ Le Petit Manceau : Un discours assuré et moqueur à l’encontre des cléricaux et de l’Église
a) Un parti pris républicain, un net caractère anticlérical et radical
b) Une attaque perpétuelle : Une Église victimaire, cupide et faussement pieuse
c) Des affaires utilisées à des fins politiciennes ou une stigmatisation de l’église déclinante
d) Une opposition directe avec Le Nouvelliste de la Sarthe et le reste de la presse conservatrice et cléricale locale
2/ Le Nouvelliste de la Sarthe : Du discours victimaire au discours offensif
a) Un premier discours pessimiste et défaitiste ou de la persécution francmaçonnique
b) Un deuxième discours offensif : les techniques d’oppositions
c) Une attente continuelle des consignes du Souverain Pontife
d) Des propos accusateurs à l’encontre de la population catholique de France et du département
II/ Des élites politiques et institutionnelles : L’application de la loi sur le terrain, divergences des élus et mesures de l’opinion
1/ Des opinions municipales divergentes
a) La Séparation accueillie dans les conseils municipaux
b) Un canton radical et un canton conservateur ? Une réalité plus complexe
2/ La surveillance et la mesure électorale ou de l’inquiétude des hautes autorités
républicaines
a) Surveillance et délations : Des moyens pour installer la République laïque
b) L’élection législative de 1906 : une indication de l’opinion sur la loi de Séparation
c) Des affrontements entre élus sur la question des presbytères : entraide locale ou prise de parti préfectorale ? Des divergences cantonales et communales
III/ De l’évêque à la fabrique : le modèle de la résistance passive ?
1/ Une autorité épiscopale investie auprès des tenants du culte
a) Le maintien de l’autorité de l’évêque dans les communes par la location et la vente des presbytères
b) Le médiateur ecclésiastique des communes : Le Vicaire Général Lefebvre
2/ Les modes d’oppositions à la loi
a) Les inventaires : une dernière mobilisation possible
b) 1906 Une année de sursis : lutte active ou passivité exemplaire ?
c) Les protestations de clôture des Conseils de fabrique : la dernière tribune de l’opposition
3/ L’après loi : l’absence ou la reprise du culte ?
a) La concession de jouissance gratuite des églises : une victoire pour l’Église
b) Le maintien du culte dans l’attente d’un statut légal
c) La place des laïques dans l’organisation et l’entretien du culte : une mentalité religieuse en évolution
Télécharger le rapport complet