Un enfant, ses parents et un psychomotricien : le tissage d’une alliance thérapeutique

La mise en place d’une alliance thérapeutique constitue un élément clef de toute prise en charge. Cette alliance représente les liens, unissant les partenaires, qui reposent sur un sentiment de confiance et la collaboration mutuelle de chacun des membres de l’alliance. Dans le cadre d’un suivi en psychomotricité au sein d’une structure de soin pour enfant, le processus est plus complexe. En effet, un bon investissement du suivi est favorisé par une double alliance thérapeutique ; une première avec l’enfant et une seconde avec les parents.

Lorsqu’un enfant franchit la porte d’une structure de soin, il est accompagné le plus souvent de ses parents. L’ensemble des membres de cette famille apportent avec eux quelques bagages ; leur passé respectif et commun, leurs vécus psychoaffectifs, leurs difficultés, leurs représentations et leurs attentes… Tout cela participe à l’environnement dans lequel l’enfant se développe depuis sa naissance, et même depuis sa conception. Pour reprendre les mots de D. W. Winnicott, « un enfant seul n’existe pas » (1972, p. 115). L’équipe pluridisciplinaire qui reçoit cette famille doit alors prendre en compte le motif d’admission, qui concerne l’enfant, mais aussi tous les éléments qui sont intervenus dans le développement de celui-ci.

Ce mémoire relate des questionnements qui me sont apparus au cours de mes différents stages. Pour chacun j’ai pu découvrir une façon différente de faire et d’être du psychomotricien. À partir de la rencontre avec quelques parents et la participation au suivi en psychomotricité de leur enfant, je me suis interrogée sur différents niveaux d’élaboration de l’alliance thérapeutique. Je me suis intéressée à la place attribuée à chacun des partenaires de l’alliance. Car si l’implication des parents dans le suivi de leur enfant est nécessaire au bon déroulement de la prise en charge, il ne faut pas que cela empiète sur l’espace thérapeutique de l’enfant. En effet, cet espace doit rester un temps privilégié pour le patient.

Contexte clinique

Présentations institutionnelles

Le CMP
L’un de mes stages longs de troisième année s’est déroulé au sein d’un Centre Médico-Psychologique (CMP). Le CMP est une structure de soin pivot des secteurs de psychiatrie, sa mission est d’assurer des consultations médico-psychologiques et sociales pour tout enfant en souffrance psychique et organiser leur orientation éventuelle vers des structures adaptées. Ce CMP est dédié aux enfants et s’inscrit dans une association d’orientation psychanalytique qui propose des soins de proximité aux habitants (du bébé à l’adulte) souffrant de troubles psychologiques et psychiatriques. Dans le projet d’établissement, il est indiqué que la prise en charge propose de remédier aux difficultés actuelles de l’enfant et de prévenir l’installation de troubles importants à l’âge adulte.

Avant toute mise en place de projet thérapeutique, l’enfant et ses parents sont reçus en consultation avec le médecin pédopsychiatre. Celui-ci va évaluer les difficultés de l’enfant et apporter des renseignements aux parents quant à la prise en charge au sein du CMP. Par la suite, au cours des réunions hebdomadaires, le médecin présente l’enfant à l’ensemble de l’équipe pluriprofessionnelle afin de discuter des bilans qui permettraient de comprendre le fonctionnement de l’enfant. Cela permettra d’envisager un traitement adapté pour cet enfant (psychothérapie ou rééducation individuelle ou en groupe). Les bilans et les thérapies sont prescrits par le médecin et commenceront avec l’accord des parents et seront rediscutées régulièrement en réunion à la demande des thérapeutes. La demande est telle qu’une liste d’attente est établit pour chaque discipline. Certains enfants sont en parallèle suivis par des professionnels libéraux.

L’équipe se compose d’un médecin pédopsychiatre, d’une secrétaire, d’une assistante sociale, de psychologues, d’orthophonistes et d’une psychomotricienne.

Le CAPP
Mon deuxième stage long s’est déroulé au sein d’un Centre d’Adaptation PsychoPédagogique (CAPP). Il s’agit d’une structure d’aide et de soutien visant à favoriser la prévention, l’adaptation et l’intégration scolaire, personnelle et sociale des enfants et adolescents en difficulté. Le centre s’inscrit dans le champ d’action du Département et de l’Education Nationale pour la prévention, le dépistage, le soutien et l’accompagnement scolaire. Il intervient en étroite collaboration avec les établissements scolaires.

Dans le projet d’établissement il est précisé que les attentes, les besoins et la demande des parents font l’objet d’une écoute attentive et d’une analyse qui constitue les prémices du projet thérapeutique. Il s’agit aussi de faire comprendre que le but d’une prise en charge est d’apporter un mieux-être à l’enfant au regard de ses difficultés scolaires. Le centre cherche donc à guider les parents vers une prise de conscience de la situation de leur enfant au sein de sa famille et de l’école. Cette guidance devrait les amener à s’approprier l’aide qui leur est proposée. Cette aide, psychologique ou rééducative, ne peut être vécue comme une décharge de leurs difficultés au CAPP mais comme un soutien en collaboration étroite avec eux. Le CAPP veille au respect et au renforcement de la responsabilité parentale. Le fonctionnement du CAPP peut s’apparenté à celui du CMP mais les parents sont d’abord reçus par l’assistante sociale qui tente de comprendre l’indication et la demande. Puis, la consultation initiale n’est pas forcément réalisée par un médecin pédopsychiatre, elle peut aussi être menée par l’un des psychologues de l’équipe alors appelé consultant. Celui-ci restera le pilier de la prise en charge de l’enfant au CAPP, qui bien souvent commencera par une psychothérapie. Par la suite, la prise en charge en orthophonie, en psychomotricité, en rééducation psychopédagogique ou psycho-relationnelle, en individuel ou en groupe, est discutée lors des réunions de synthèse hebdomadaires. L’orientation thérapeutique y est principalement psychanalytique.

Présentation de la population accueillie

Un point non négligeable à préciser de ce contexte clinique est la population accueillie dans ces centres. La majorité des familles sont démunies et en difficultés financières, sociales ou culturelles, ce qui aura un impact sur le suivi de ces familles. Toutes les familles rencontrées portent des origines culturelles marquant souvent leur histoire. J’ai découvert, au fil de l’année, que c’est un point essentiel à prendre en compte dans la prise en charge et notamment sur le regard que l’on porte sur ces familles. Participer aux réunions de synthèses des deux établissements m’a permis d’entendre et de prendre conscience des antécédents traumatiques de certaines familles. J’ai été marquée par tous ces récits de vie terribles au sein desquels des enfants essaient tant bien que mal de grandir. Chaque histoire est différente mais certains schémas se ressemblent : précarité, conditions de vie insalubres, membres de la famille présentant des troubles psychiatriques, violences conjugales, maltraitance, retrait des enfants de la famille, difficulté d’accès ou refus des soins, mères célibataires et bien d’autres… Beaucoup de questionnements et réflexions sont apparus au cours de ces stages, je ne pourrai tous les traiter au sein de ce mémoire. J’ai donc orienté mon travail sur le suivi de ces enfants en psychomotricité au sein d’une institution pluridisciplinaire. Je me suis intéressée à différents éléments qui sont en jeu au cours de la prise en charge. L’enfant évoluant au sein d’un environnement familial et matériel, de nombreux facteurs sont à prendre en compte dans son développement psychique, affectif et psychomoteur. Nous verrons que ces éléments peuvent avoir des répercussions tout au long du suivi et sur sa réussite ou non. Ma réflexion au sein de ce mémoire s’étaye sur l’ensemble des situations, des familles rencontrées ou seulement évoquées en synthèse. C’est dans la rencontre avec certaines familles et en observant leur prise en charge que mes réflexions sont apparues. J’ai considéré qu’il serait pertinent de m’appuyer spécifiquement sur la prise en charge en psychomotricité de deux enfants que j’ai suivis au CMP.

Présentation des patients

Issa

Issa est un jeune garçon d’origine marocaine né en janvier 2012, il a donc 7 ans et 9 mois lorsque je le rencontre en septembre 2019. Issa est le deuxième d’une fratrie de trois enfants tous nés en France ; il a un grand frère de 9 ans et une petite sœur de 4 ans et demi diagnostiquée épileptique. Ses parents sont mariés et très présents dans la vie d’Issa. Son père, sans emploi stable, trouve du temps pour jouer avec ses enfants ou les emmener au parc ou au stade. Sa maman ne travaille pas, c’est elle qui organise le quotidien du foyer et effectue les accompagnements pour les suivis.

Anamnèse
La grossesse, désirée par les deux parents (Mr et Mme F.), s’est bien passée jusqu’au terme auquel il est né sans complication. Issa était un bébé calme et facile à porter, il avait un regard présent et pouvait attraper des objets. Il a utilisé le quatre pattes puis a marché à 14 mois. L’acquisition de la propreté a été compliquée jusqu’à ses 3 ans. Concernant l’alimentation, il a toujours refusé certaines textures ou formes ; les purées et les soupes, ou les petits pois et haricots. La première année de sa vie, il a été gardé par sa mère, puis il est allé à la haltegarderie et au jardin d’enfants. Aujourd’hui, il est scolarisé en CP à 12 élèves. Issa partage sa chambre avec son grand frère, ils aiment jouer ensemble, parfois se chamaillent. Avec sa petite sœur, Issa peut être maladroit. Il est très lent pour toutes les activités de la vie quotidienne (habillage, repas). Au moment du bilan psychomoteur en décembre 2017, Issa (5 ans, 11 mois) a été maintenu en grande section. Avec ses camarades, ça se passe bien. Sa maîtresse témoigne d’une concentration fluctuante, d’un manque d’organisation, d’une agitation et le décrit comme un petit garçon hypersensible. Il porte des lunettes depuis 2017 et l’audiogramme atteste d’une bonne audition.

Suivis thérapeutiques
La PMI a orienté Issa vers le CMP en janvier 2015 suite aux inquiétudes de la haltegarderie qui décrit Issa comme un enfant qui papillonne beaucoup avec un contact fuyant, il parlait alors très peu et de façon inintelligible. Le personnel de la haltegarderie a aussi remarqué qu’Issa prenait la main de l’adulte pour prendre des objets car il semblait avoir des difficultés pour les manipuler lui-même. Sa rentrée en petite section de maternelle, initialement prévue en janvier 2015, a été reportée de plusieurs mois, en septembre 2015 car Issa (3 ans et demi) n’avait pas acquis la propreté et présentait un gros retard de langage. Il a d’abord été suivi en orthophonie en libéral à partir de mars 2015 sur indication du CMP. En juin 2016, les progrès en langage étaient nettement perceptibles. L’orthophoniste décrit, à ce moment-là, une bonne qualité relationnelle et un bon investissement du traitement de la part d’Issa. En janvier 2018, un bilan de renouvellement du suivi est réalisé en prévision de la fermeture du cabinet libéral. Le compte-rendu parle d’un retard de langage et de parole sévère. Il met en évidence un profil hétérogène ; bonne compréhension mais trouble phonologiques et morphosyntaxiques évidents en production. En conclusion, l’hypothèse d’un trouble neuro-développemental de type dysphasique avec trouble de l’attention et dysgraphie associés est posé. Un suivi en psychomotricité est préconisé par l’orthophoniste libérale. En avril 2018, il a commencé à être suivi par une orthophoniste du CMP deux fois par semaine. En octobre 2018, la thérapeute décrit Issa comme logorrhéique, dispersé et instable. Il a tendance à vouloir diriger les séances et fait preuve d’une certaine rigidité. Les différents temps de la séance sont représentés par des pictogrammes ce qui semble l’aider à se canaliser et se repérer dans le temps. Avant, en avril 2017, un bilan psychologique est réalisé au CMP, la passation de celui-ci est longue et laborieuse car Issa parle énormément mais de façon intelligible. Le WPPSI met en évidence des réponses projectives mobilisées par des angoisses d’un registre archaïque, une persévération dans la noncompréhension des consignes et un fonctionnement psychique dysharmonique. Issa présente un évitement du regard et fait preuve d’une lenteur considérable due à une inhibition massive. Issa semble ne pas comprendre la situation de test. Aucune psychothérapie ne peut être mise en place suite à ce bilan car Mme F refuse cette prise en charge. Une psychothérapie sera finalement mise en place durant le mois de janvier 2020 au CMP. Mme F. a finalement accepté suite aux inquiétudes des thérapeutes quant au développement et aux manifestations psychiques d’Issa. Elles font part de l’anxiété majeure contre laquelle il s’agite comme s’il tentait de maîtriser et de remplir toutes les situations sans laisser de place à sa pensée.

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Table des matières

Introduction
1. Contexte clinique
1.1. Présentations institutionnelles
1.2. Présentation de la population accueillie
1.3. Présentation des patients
1.3.1. Issa
1.3.3. Kassim
1.4. A la rencontre des parents
1.4.1. Élaboration du questionnaire
1.4.2. Entretien et résultats
1.4.2.1. Issa
1.4.2.2. Kassim
1.5. Réflexions sur les réponses de ces mamans
2. L’alliance thérapeutique et ses composantes
2.1. Aspects théoriques de l’alliance thérapeutique
2.2. La rencontre thérapeutique
2.2.1. La rencontre avec l’enfant
2.2.2. La rencontre avec les parents, le temps du bilan
2.3. Expliquer le métier de psychomotricien
2.4. Vignette clinique : le suivi de Luis
2.5. La relation thérapeutique
2.5.1. La relation avec l’enfant en psychomotricité
2.5.2. La relation avec les parents
2.5.3. La place du transfert et du contre-transfert
2.5.3.1. Les origines psychanalytiques
2.5.3.2. L’aspect corporel en psychomotricité
2.5.3.3. L’aspect relationnel en psychomotricité
2.5.3.4. L’aspect culturel dans les thérapies
3. L’ajustement temporel des différents partenaires
3.1. Avancer avec les parents
3.1.1. Être parent d’un enfant différent
3.1.2. Le temps de la prise en charge
3.1.3. Le jugement dans le suivi
3.1.4. L’accueil des familles démunies
3.2. Ruptures dans le suivi
3.2.1. L’exemple du suivi d’Issa
3.2.2. Les difficultés de l’équipe institutionnelle
3.3. Les temps d’échanges sur le suivi en psychomotricité
3.3.1. Entre indication, demande et attentes parentales
3.3.2. Les consultations
3.3.3. Mme F. et son rapport avec la scolarité d’Issa
3.4. Suivis pluridisciplinaires et difficultés d’accordage
3.4.1. Illustration clinique
3.4.2. Les prérequis à la mise en place de la gestuelle
3.4.3. Des signes pour tout un entourage
3.4.4. Revenons à Kassim
4. Discussion
4.1. Le questionnaire, point de départ à ce mémoire
4.2. Mon évolution personnelle
4.3. Deux alliances pour une même famille
4.3.1. Temps d’accordage – contribution du thérapeute
4.3.2. Prise de recul et analyse de la pratique du thérapeute
Conclusion

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