Cancer. Un mot et le monde entier se renverse. Un mot qui nous renvoie inéluctablement à un parent, un ami, une connaissance. Nous sommes tous concernés par cette maladie qui confronte aux limites du supportable. Entre profondeurs déchirantes et ressources insoupçonnées, le cancer bouleverse toutes les certitudes des malades et bien-portants qui s’en approchent.
C’est lors de ma troisième année d’études de psychomotricité que j’ai voulu explorer l’ineffable des cancers pédiatriques pour comprendre dans quelles dimensions cette maladie si destructrice impactait le vécu psychocorporel des patients atteints. J’ai souhaité saisir la subtilité d’un accompagnement psychomoteur auprès de ces familles qui traversent l’impossible.
C’est ainsi que j’ai effectué mon stage de troisième année d’études de psychomotricité dans un service de cancérologie pédiatrique prenant en charge des enfants, adolescents et jeunes adultes âgés de 0 à 24 ans atteints de cancers.
Le cancer est une maladie chronique qui s’impose comme une véritable épreuve affectant l’organisme tant dans sa dimension corporelle que psychique. Afin de combattre la maladie cancéreuse, des protocoles médicaux lourds de conséquences sont mis en place. Tout au long de cette année de stage, j’ai rencontré des patients abîmés tant par la maladie que par les traitements anticancéreux très spécifiques et agressifs. Au-delà de la virulence de la maladie c’est celle inhérente aux traitements qui m’a particulièrement interpellée, notamment dans les nombreuses répercussions psychocorporelles qu’ils induisent. Le véritable aspect curatif des traitements pouvant même parfois être remis en question tant leurs effets iatrogènes sont importants. Je me souviens particulièrement de Romane âgée de 9 ans, suivie en psychomotricité car elle refusait de prendre les médicaments per os (par la bouche) qui a un jour demandé : « Pourquoi je dois prendre un médicament qui me rend malade ? ». Cette question si pertinente et déstabilisante marque le commencement d’un travail personnel de réflexion sur les diverses problématiques rencontrées dans le traitement de la maladie cancéreuse et sur l’accompagnement qu’un psychomotricien pourrait offrir.
UN CORPS À CORPS ENTRE DEUX IMPOSSIBLES : LE CANCER PÉDIATRIQUE ET SA PRISE EN CHARGE
« À l’annonce du mot “cancer” se brisent les ailes du désir, et l’esprit se noie dans un abîme sans fond, tandis que le corps est précipité́ dans l’horreur de la chute : tomber cancéreux, c’est “tomber-mourir” dans un univers déchaîné […]». (D. Deschamps, 1997).
La maladie cancéreuse
Définition
Le cancer est une maladie « caractérisée par la prolifération incontrôlée de cellules, liée à un échappement aux mécanismes de régulation qui assure le développement harmonieux de notre organisme » (Ligue contre le cancer s.d.). Les cellules cancéreuses se multiplient alors de façon anarchique, donnant naissance à des tumeurs malignes qui se développent en envahissant, puis en détruisant les tissus environnants.
Les cellules cancéreuses peuvent également circuler sous forme libre et s’implanter dans d’autres parties du corps, constituant alors des métastases qui perturbent le fonctionnement de l’organe atteint.
Ainsi, le cancer peut survenir n’importe où dans l’organisme. Il n’existe pas moins de 200 types de cancers différents répartis en quatre grandes catégories :
– Les carcinomes qui affectent les cellules épithéliales formant un épithélium recouvrant les surfaces internes (revêtement des organes) ou externes (épiderme par exemple).
– Les sarcomes qui touchent les cellules des tissus conjonctifs. Les cellules cancéreuses apparaissent dans un tissu de support comme les os, les nerfs, la graisse ou les muscles.
– Les leucémies qui sont des cancers du sang et de la moelle osseuse.
– Les lymphomes qui sont des cancers du système lymphatique.
L’étiologie du cancer est multifactorielle. Cependant, l’étude des mécanismes biologiques à l’origine des cancers a permis d’identifier un certain nombre de facteurs de risques augmentant l’incidence du cancer de façon non négligeable. On distingue :
– Le mode de vie : Les risques liés aux comportements individuels tels que le tabagisme, la consommation d’alcool, le surpoids ou l’obésité, une mauvaise alimentation et une sédentarité sont d’importants facteurs de risques. Selon l’OMS, le tabagisme, à l‘origine d’environ un quart des décès par cancer, constitue le facteur de risque le plus important.
– Les relations de l’organisme avec son environnement : L’environnement dans lequel nous vivons peut nous exposer à des risques de cancer par l’intermédiaire d’agents cancérogènes.
– Des facteurs génétiques : La présence de variations génétique constituerait une facteur de prédisposition.
– Des infections virales, notamment le papillomavirus humain (PVH), le virus de l’hépatite B et C, le virus d’Epstein Barr .
Les cancers pédiatriques
Alors que les adultes développent principalement des carcinomes, chez les enfants de moins de 15 ans les cancers les plus courants sont les leucémies (29 % des cas), les tumeurs du système nerveux central (25 %), et les lymphomes (10 %) .
Les cancers de l’enfant, de l’adolescent et certains cancers des jeunes adultes diffèrent des cancers de l’adulte par leurs caractéristiques physiologiques et biologiques et ne peuvent donc pas être traités de la même façon. De plus, bien souvent aucune cause n’est retrouvée, à l’exception de mutations génétiques, limitant alors fortement la possibilité de prévention. Chaque année en France 2 200 enfants de 0 à 17 ans développent un cancer. Même si le taux de survie à 5 ans dépasse aujourd’hui les 80 %, le cancer reste la première cause de décès par maladie chez les enfants de plus de 1 an et 2/3 des enfants ayant survécus garderont des séquelles de leur traitement. Les séquelles consécutives à la maladie cancéreuse et aux traitements peuvent fortement altérer la qualité de vie des enfants, adolescents et jeunes adultes. Ces séquelles concernent entre autres les fonctions cognitives, la fatigabilité, les fonctions exécutives. C’est pourquoi la mise en place de mesures adaptées en phase curative afin de garantir la meilleure qualité de soins possible et prévenir d’éventuels troubles est indispensable.
Le travail de guérison en oncologie pédiatrique
Les traitements médicaux
Il existe différents types de traitements anticancéreux spécifiques, proposés seuls ou associés selon le type de cancers et le stade de la maladie. Les modalités de traitements sont discutées en réunion de concertation pluridisciplinaire permettant ainsi l’élaboration d’un programme personnalisé de soins qui pourra être adapté en fonction de l’évolution de la maladie et des besoins du patient .
Les différents traitements sont :
– La chirurgie : il s’agit de l’exérèse locale de la tumeur maligne. La chirurgie peut intervenir en début de traitement et être complétée par d’autres techniques dites traitements adjuvants ou de sécurité. Ou bien, elle peut être proposée après un traitement néoadjuvant qui aura pour but de réduire la tumeur et faciliter l’opération chirurgicale.
– La radiothérapie : elle consiste au traitement locorégional des tumeurs par irradiation des cellules cancéreuses, tout en préservant les tissus et organes sains avoisinants. On distingue deux types de radiothérapies qui sont la radiothérapie externe (les rayons sont émis par une source externe placée au regard de la lésion) et la curiethérapie (les rayonnements sont émis par une source introduite sur le site même de la tumeur).
– La chimiothérapie : c’est un principe de traitement qui regroupe l’administration d’un large éventail de médicaments dits cytotoxiques agissantssur l’ensemble du corps dans le but de détruire les cellules cancéreuses et les éventuelles métastases. Les différentes tumeurs ne sont pas sensibles aux mêmes chimiothérapies. La chimiothérapie peut être administrées en intraveineuse ou per os et peut nécessiter une hospitalisation complète, une hospitalisation protégée ou bien être réalisée en ambulatoire selon sa toxicité, la durée de perfusion ou l’administration concomitante de produits. Les traitements chimiothérapiques en s’attaquant à l’ensemble des cellules saines comme tumorales du corps humain, engendrent de nombreux effets secondaires notamment la chute de cheveux (alopécie), des vomissements, une fatigue importante, des lésions de la bouche (mucite) …
– L’immunothérapie : elle regroupe un ensemble de stratégies visant à utiliser les défenses des cellules immunitaires de l’organisme pour détruire les cellules cancéreuses.
– Les thérapies ciblées : elles ont pour but de bloquer la prolifération des cellules cancéreuses en ciblant spécifiquement certaines molécules de l’organisme.
– L’hormonothérapie : cette technique consiste à bloquer certaines hormones pour éviter qu’elles ne stimulent la prolifération des cellules cancéreuses, notamment dans le cas de cancers du sein, de l’utérus et de la prostate.
– La greffe de moelle osseuse (ou cellules souches) : la greffe consiste à remplacer la moelle osseuse du patient. Elle est utilisée dans certains cas de leucémies et de lymphomes. La greffe peut-être une greffe autologue (ou autogreffe), le patient reçoit alors ses propres cellules souches hématopoïétiques préalablement prélevées ou bien elle peut être allogénique (ou allogreffe), le patient reçoit alors des cellules souches issues d’un donneur compatible. La greffe peut également être nécessaire afin de régénérer les cellules sanguines après une chimiothérapie agressive ou pour renforcer le système immunitaire afin de combattre la maladie.
Ces traitements sont suivis d’une période de surveillance s’étendant sur plusieurs années, le risque de récidives et de séquelles physiques, psychiques et cognitives étant important.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. UN CORPS À CORPS ENTRE DEUX IMPOSSIBLES : LE CANCER PÉDIATRIQUE ET SA PRISE EN CHARGE
A. La maladie cancéreuse
1. Définition
2. Les cancers pédiatriques
B. Le travail de guérison en oncologie pédiatrique
1. Les traitements médicaux
2. Les soins de support
3. Les établissements de soins
II. COMME LE CIEL VEUT LA TERRE : ÉVOLUER AU SEIN DE L’INSTITUTION PORTEUSE DE TOUT ET SON CONTRAIRE
A. L’espace hospitalier entre la vie et la mort : Le service d’oncologie pédiatrique
1. L’espace
2. Le personnel
3. L’organisation
B. La psychomotricité ou la force d’un accompagnement au cœur de la faiblesse
1. Indications en psychomotricité
2. Le temps de la rencontre
3. Comment accompagner en psychomotricité
4. La position de stagiaire
III. DES BRIS DE RÊVES : QUAND LE CANCER RENVERSE LES CERTITUDES DE JUSTINE ET ALICE
A. La féminité désormais intouchable de Justine 24 ans
1. Anamnèse
2. Histoire médicale
3. Observations psychomotrices
4. Projet thérapeutique
5. Questionnements personnels
B. Alice 5 ans, du traumatisme au sourire éternel
1. Anamnèse
2. Histoire médicale
3. Observations psychomotrices
4. Projet thérapeutique
5. Questionnements personnels
IV. COMMENT LE CORPS EST ATTAQUÉ PAR LES TRAITEMENTS À RÉPÉTITION
A. Le corps comme objet de soins et l’éclatement de l’enveloppe corporelle
B. Les manifestations toniques de l’intrusion
V. COMMENT LE CORPS EST MUTILÉ PAR LES TRAITEMENTS ANTICANCÉREUX
A. Perceptions et représentations d’un corps transformé
1. Quand les contours s’estompent : l’altération du schéma corporel
2. Les bouleversements de l’image du corps
B. Les modifications de la sensorialité
VI. UNE MISSION AU SERVICE DE L’INSOUTENABLE : ÊTRE STAGIAIRE PSYCHOMOTRICIENNE EN SERVICE D’ONCOPÉDIATRIE
A. La place du psychomotricien durant la phase curative de la maladie cancéreuse en oncologie pédiatrique
1. La force du lien
2. Le cadre thérapeutique
3. La prise en compte de l’entourage
B. Trouver un second souffle
1. La découverte du drame et son appréhension professionnelle
2. Le triomphe de la vie
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE