• Un objet de recherche inscrit dans une histoire singulière et un contexte professionnel L’objet de cette thèse porte sur l’évolution de la fonction et de l’identité professionnelle des maîtres formateurs. Chercher à comprendre cette évolution renvoie à la propre quête identitaire de l’auteur.
Après des études assez chaotiques dans divers domaines et une entrée à 28 ans dans le monde de l’éducation en tant qu’instituteur puis professeur des écoles, c’est exclusivement dans l’espace des zones d’éducation prioritaire (ZEP), pendant 21 ans, qu’est acquise une expérience d’enseignant du premier degré. La prise de fonction de maître formateur à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres (IUFM) de Nantes après 10 ans d’enseignement à temps plein, tout en restant en poste dans la même école, s’accompagne d’une impression de réussite et de confirmation identitaire dans le métier. Cependant, un sentiment de décalage, voire de malaise entre une identité d’enseignant jusqu’alors bien assumée et assurée et celle, nouvelle, de maître formateur apparaît dès les premières années d’exercice de la fonction. En effet, malgré l’ouverture intéressante à d’autres publics dans différents contextes professionnels, malgré le sentiment d’efficacité dans la manière d’enseigner et de progression dans les activités de formation, malgré les temps de formation et d’échanges informels au sein du réseau ou du monde des maîtres formateurs, ce sentiment ne parvient pas à se résorber tant du côté de la classe avec les élèves, que du côté de la formation avec les autres formateurs et fait obstacle à une recomposition ou une assurance d’une nouvelle identité.
L’appétit de savoir ouvert par le goût de la fonction de maître formateur et ce décalage identitaire ressenti par l’exercice de cette même fonction conduisent le professionnel à poser sa réflexion au sein de l’université de Nantes et à questionner plus finement les contenus, les démarches d’enseignement et de formation. C’est par la préparation d’un Master en Sciences de l’éducation et de la formation que prend véritablement forme cette thématique de recherche sur les maîtres formateurs.
Dès le début de la recherche en 2003, il apparaît primordial d’analyser les changements survenus chez les maîtres formateurs dans/par l’exercice de la fonction, les multiples ajustements qu’ils ont à opérer avec autrui et plus largement la façon dont ils s’adaptent et construisent des « identités qui tiennent » , pour rester en cohérence avec eux-mêmes.
Ce faisant, et c’est là un travail difficile, appréhender la construction identitaire des maîtres formateurs provoque aussi un déplacement progressif d’une identité questionnée de « maître formateur » à une identité, pour le coup, toute nouvelle et non encore expérimentée de « chercheur ».
La littérature récente sur les formateurs de terrain
Les travaux de recherche sur les enseignants exerçant une double fonction d’enseignant et de formateur sont, à notre connaissance, peu nombreux dans l’espace français. En 2012, on trouve dans les bases de données comme celle du documentation (SUDOC) ou celui du portail de ressources documentaires du centre d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ), un nombre conséquent de références à la requête : « formateur* ». En restreignant la recherche à l’équation « formateur* identité », 38 résultats pour le SUDOC et 231 pour le CEREQ apparaissent rassemblant tout type de publications. Parmi ces titres, une bonne partie ne relève pas exactement de l’identité mais se rapporte à des analyses de l’activité en clinique du travail ou en didactique professionnelle ou à des guides divers pour outiller les pratiques ou, encore, à des recherches collaboratives chercheurs-formateurs. Une autre part touche des formateurs de type particulier, dans les domaines du bâtiment ou des transports, de la santé, du travail social …. Depuis l’année 2000, concernant des travaux sur l’identité proprement dite des formateurs en général, nous relevons trois monographies issues de thèses ou d’habilitation à diriger des recherches (Gravé, 2002 ; Pariat, 2004 ; Lescure, 2005) et quatre ouvrages collectifs (Allouche-Benayoun & Pariat, 2000 ; Bouyssières, 2004 ; Laot, Lescure & Olry, 2005 ; Lescure & Frétigné, 2009).
Lorsque l’on poursuit la consultation, en saisissant : « formateur* d’enseignant* » ou « formateur* terrain » ou « maître* formateur* », les moteurs de recherche renvoient, là aussi, à des travaux dont une bonne majorité porte sur des activités de formation des formateurs en direction des (futurs) enseignants. Pour les formateurs d’enseignants, on lit des titres indiquant l’analyse des pratiques ou des dispositifs de formation ou discutant la professionnalisation des formés. On note plus spécifiquement pour les formateurs de terrain, des thèmes sur le tutorat, l’entretien de conseil, l’accompagnement ou encore leur formation ou leur professionnalisation.
En associant, dans des recherches avancées, les critères : « identit* » ou « dynamique* » ou « professionnalité » aux équations de recherche ci-dessus, la liste des titres qui s’affichent ne dépasse pas, à chaque fois, cinq résultats. Nous comptons trois publications sur l’identité des formateurs d’enseignants (Altet, Paquay & Perrenoud, 2002 ; Baillauquès, Lavoie, Chaix & Hétu, 2002 ; Perez Roux, 2012a), un article spécifique sur les formateurs de terrain débutant du second degré (Brau-Anthony, Mieusset, Lenfant-Corblin & Moit, 2011) et enfin un seul article sur les maîtres formateurs (Benaïoun-Ramirez, 2009). Si l’on pousse l’investigation avec les mêmes critères du côté des conseillers pédagogiques, les résultats sont aussi rares. Seule une thèse déjà ancienne s’intéresse à l’identité professionnelle de ces professionnels (Leblan, 1995) . On peut y rajouter la thèse J.L. Allain (2010) sur le travail de régulation des conseillers pédagogiques de circonscription. Même si elle n’apparaît pas dans ces bases de données, le sujet traite de manière indirecte de l’identité de ces formateurs du premier degré.
Comparée à la littérature en langue anglaise, en particulier américaine et britannique, beaucoup plus abondante sur la question des formateurs de terrain, la littérature française portant sur l’aspect sociologique de ces fonctions paraît vieillissante et pauvre. S’il est vrai que l’ensemble des publications en anglais recouvre un territoire plus vaste, constatons également que la production relative aux « mentor teachers » ou « master teachers » provient aussi davantage des milieux professionnels que dans notre hexagone.
Toujours est-il que la courte bibliographie française constituée depuis une douzaine d’années témoigne de la rareté des travaux sociologiques sur les formateurs de terrain du premier degré et des maîtres formateurs particulièrement. Il faut remonter aux travaux pionniers de P. Pelpel (1996) ou à ceux de D. Villers (1994) pour rencontrer les premiers intérêts portés à ces praticiens formateurs. Dans ses recherches P. Pelpel s’intéresse aux pratiques de stage mais également à l’identité et à la professionnalisation des formateurs de terrain. D. Villers, lui, étudie les textes réglementaires relatifs à la formation pratique des instituteurs de 1794 à 1994 et, à travers l’analyse du discours de maîtres formateurs, met en évidence l’évolution de cette formation et la nature des savoirs qu’ils mobilisent sur les terrains de stage.
Un contexte de transformation des politiques éducatives
Parmi les éléments nouveaux qui participent de l’évolution de l’identité professionnelle des maîtres formateurs, il en est un qui paraît fondamental et évident, c’est celui de la transformation des politiques éducatives. Celles-ci marquent une profonde transformation du système éducatif français. Concernant tous les niveaux d’enseignement, cette mutation touche particulièrement les maîtres formateurs par le fait qu’ils travaillent à l’école primaire mais également interviennent en formation au sein de l’université. Pour donner un premier exemple de cette évolution, citons le long processus de recrutement des enseignants qui s’est imposé en élevant progressivement le niveau d’accès au métier. La sociographie des enseignants du premier degré s’est transformée. Les lycéens entrés avec le baccalauréat et formés à l’école normale d’instituteurs n’ont pas le même profil que les étudiants recrutés aujourd’hui avec un master préparé à l’université. Les transformations des politiques éducatives émanent de mutations sociales, culturelles et économiques inter-reliées (Maroy, 2005a) . Examinons celles qui semblent avoir une incidence décisive sur l’activité et l’identité professionnelle des maîtres formateurs.
Des mutations sociales
La question de l’égalité des chances travaille la société dans son ensemble et interroge particulièrement l’école. Cette formulation de l’idéal de justice paraît aujourd’hui épuisée ou tout au moins concurrencée par une autre, d’inspiration néolibérale, qui s’exprime au travers du mot d’ordre de la formation tout au long de la vie. Dans ce nouveau modèle, chaque individu est tenu de se constituer et d’entretenir un portefeuille de compétences en mobilisant des ressources diverses (Derouet, 2005) . Ce changement de perspective affecte bien sûr la conception et les objectifs de l’école pour tous. Le passage d’une conception collective à un système centré sur l’initiative individuelle impacte directement la relation pédagogique de l’enseignant avec ses élèves mais également celle du formateur de terrain avec les futurs enseignants. En effet, le modèle de la formation tout au long de la vie met fin à la séparation de l’école (normale) et du monde qui constituait la base de la conception moderne de l’instruction et de la formation des maîtres. Il procède clairement du déclin du « programme institutionnel » c’est-à-dire du « dispositif symbolique de l’éducation pensé et construit comme une institution chargée de fabriquer des citoyens autonomes par la grâce de l’intériorisation de valeurs et de principes vécus comme universels. » (Dubet, 2008, p. 19) . Les citoyens, dont les enseignants, sont partagés entre les deux rhétoriques en présence : conserver cette exigence de justice avec son système de protection mis en place par l’Étatprovidence tout en profitant de l’autonomie que propose le modèle néolibéral. Ainsi, c’est dans un compromis entre les deux modèles, que l’on peut lire la mise en place du socle commun de connaissances et de compétences . Déclaré comme un minimum garanti à tous par l’Etat et ses agents, il vise à fonder une culture commune dont l’école est le vecteur de transmission.
Une mondialisation de l’économie
La dynamique de mondialisation économique domine largement les politiques éducatives des pays développés.
Les pouvoirs centraux, sous l’influence des recommandations des organismes intergouvernementaux (OCDE, Banque mondiale), ont prêté nettement plus d’attention à l’efficacité de leur politique rapporté au budget investi et se sont mis à penser leur action sur le plan comptable et donc s’intéresser à son efficience. (Dutercq & Resnik, 2009, p. 6) .
Pour la France, l’Union européenne, constitue un niveau transnational de plus en plus agissant. Même si les compétences de la commission européenne sont limitées en matière d’éducation et de formation, ses recommandations fortes orientent le cadre de l’action nationale. Dans les pays européens, on assiste à des mouvements de convergence entre les systèmes éducatifs, comme l’instauration des principes du Nouveau management public. Ce dernier, progressivement mais fortement, influence les administrations de l’éducation. La recherche de l’efficacité avec l’introduction de la logique de compétences, la responsabilisation des acteurs locaux ou la mise en place d’outils d’évaluation (accountability) externe assortis de comparatifs internationaux s’imposent aujourd’hui au fonctionnement des établissements. Les finalités de l’école s’en trouvent modifiées. Ce qui ne va pas sans provoquer une remise en question de l’action des enseignants du premier degré auprès de leurs élèves ainsi qu’une mise à l’épreuve de leurs idéaux humanistes et éducatifs. C’est ainsi la question que S. Coculou (2010) pose dans sa thèse en interviewant des enseignants du premier degré des secteurs public et privé :
Ramenés justement à la réalité de la lutte contre l’échec scolaire, par une prise en compte constante du principe d’égalité des chances, les enseignants du service public d’éducation découvrent l’exigence institutionnelle de répondre à cette problématique de la réussite, bien autrement que par des mots et des projets. Des résultats sont attendus, anticipés, planifiés. Ils marquent l’entrée dans la performance. Il n’est pas inutile alors de penser comment des cultures professionnelles fondées sur d’autres principes que ceux de la production de résultats, intègrent de nouveaux concepts, issus plus de la sphère économique que de la sphère éducative. (Coculou, 2010, p. 23) .
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Table des matières
Introduction
Première partie – Enjeux et problématique de la thèse
Chapitre 1 – Enjeux du travail de thèse
1.1 La littérature récente sur les formateurs de terrain
1.2 Un contexte de transformation des politiques éducatives
Chapitre 2 – Problématique de la thèse
2.1 La construction de la problématique
2.2 La question de recherche et nos hypothèses
2.3 Les objectifs de cette recherche
Deuxième partie – Cadrage théorique et aspects méthodologiques de la recherche
Chapitre 3 – Cadrage théorique
3.1 Le dispositif : un outil opérationnel de régulation
3.2 Les identités professionnelles des acteurs
3.3 L’épreuve : un outil conceptuel prometteur
Chapitre 4 – Aspects méthodologiques de la recherche
4.1 La constitution du corpus de données
4.2 Le recueil des données
4.3 L’analyse de contenu de données
4.4 Le plan de l’analyse
Troisième partie – Analyses et résultats et de la recherche
Chapitre 5 – Les évolutions de la fonction de maître formateur
5.1 Du maître d’application au maître formateur à l’IUFM
5.2 Les effets de la réforme 2010 de la formation initiale des enseignants sur la fonction de PEMF
5.3 La fonction de PEMF : une double fonction en tiraillement
Chapitre 6 – Les dispositifs vécus par les maîtres formateurs avant la réforme
6.1 Un rapport assuré aux élèves
6.2 Les rapports complexes aux collègues de l’école
6.3 Les motivations des PEMF à exercer cette double fonction
6.4 Les rapports aux professeurs stagiaires
6.5 Les rapports aux formateurs
6.6 Le rapport problématique à sa « propre » formation
Chapitre 7 – Les dispositifs vécus par les maîtres formateurs au moment de la réforme
7.1 L’accueil des nouveaux dispositifs institutionnels de formation initiale
7.2 Les dispositifs vécus un an après la réforme
Chapitre 8 – Des épreuves professionnelles aux identités professionnelles des PEMF
8.1 L’évolution de la fonction de PEMF
8.2 L’évolution des identités professionnelles des PEMF
Conclusion
Bibliographie
Annexes
Annexes 1 – Portraits du PEIMF (années 90)
Annexes 2 – Guides d’entretien des PEIMF
Annexes 3 – Portraits des PEMF du corpus
Annexes 4 – Extraits de retranscriptions et d’analyses d’entretiens
Annexes 5 – Dispositifs de formation initiale et missions des formateurs de terrain
Annexes 6 – Rapports des PEMF du corpus en 2009
Annexes 7 – Rapports des PEMF en 2010 et 2011
Annexes 8 – Dynamiques des PEMF