Un catalyseur externe : l’adhésion à l’Union européenne

Un catalyseur externe : l’adhésion à l’Union européenne 

L’adoption de la Ley Organica de Extranjería de 1985

Notre analyse prend pour départ la date de la première réglementation de l’immigration en Espagne. C’est le 1er juillet 1985 que le Parlement espagnol approuve une « loi organique relative aux droits et aux libertés des étrangers dans le pays » . Ce cadre légal à l’égard de l’entrée, du séjour et de la sortie des personnes d’origine étrangère dans le pays peut être considéré comme le point de départ du développement de la politique espagnole vis-à-vis du phénomène de l’immigration. Dans le présent chapitre, nous allons donc analyser une série de thématiques qui tiennent à la « naissance » d’une politique migratoire en Espagne. La question essentielle autour de laquelle nous structurerons nos réflexions est la suivante : pourquoi assistons-nous au développement d’une politique migratoire en Espagne précisément à ce moment-là?

Une considération préliminaire doit être faite ici à propos des interactions entre le cadre légal de l’immigration et le phénomène migratoire vers le pays. Il nous faut comprendre si la politique migratoire espagnole se développe en réponse à un changement significatif des configurations migratoires dans le pays. En d’autres termes, ce que nous voulons saisir c’est si cette « naissance » répond à une volonté ou à une nécessité politique de régulation de l’entrée, de la résidence et de la sortie des étrangers dans le pays, ou si elle sert plutôt d’autres raisons politiques. En fait, dans la période qui précède l’élaboration de la loi, le nombre d’étrangers dans le pays est extrêmement réduit et il ne se vérifie aucune intensification brusque des flux migratoires vers le pays, qui restent très limités et constants, comme nous pourrons le voir dans les deux chapitres qui suivent. Considéré alors que le début de la réglementation migratoire en Espagne n’est pas le fruit d’une nécessité pertinente au phénomène que l’on prétend réguler, il nous faut interroger d’autres facteurs explicatifs. Dans ce chapitre, nous allons donc analyser le contexte, les raisons et les enjeux de l’approbation de la loi, en commençant par examiner le cadre régulateur du phénomène antérieure ainsi que la genèse de la LOEX, pour ensuite nous interroger sur les raisons exogènes de son apparition. La coïncidence temporelle entre l’adhésion espagnole à l’UE et l’élaboration d’un cadre de politique migratoire dans le pays peut déjà nous donner une piste de recherche. Cependant, il nous faudra analyser la place des enjeux migratoires dans le processus d’adhésion et, en particulier, dans les négociations, où ressort l’attention donnée à l’émigration espagnole, plus qu’à l’immigration vers l’Espagne. Pour éclairer l’ampleur de cette influence extérieure, il nous faudra comprendre la différente vision à égard du phénomène migratoire qu’il y a l’époque en Espagne et en Europe. Également, il nous faudra prendre en considération deux processus inhérent la libre circulation qui se développent parallèlement en Europe dans cette période. L’Acte Unique Européen, ainsi que la signature de l’accord de Schengen de la part de cinq pays membres de l’UE, déterminent des conséquences fondamentales pour la vision politique de l’immigration en Europe. De même, ces processus ont une influence centrale aussi en Espagne dans l’élaboration du cadre juridique naissant vis-à-vis du mouvement de personnes, qui paraît orienté par une vision de ce pays comme un « espace de transit » des flux migratoires provenant du continent africain et dirigés vers le cœurs de l’Europe. Une fois éclairés les enjeux politiques qui sont à la base de la loi de 1985, nous pourrons finalement nous consacrer à l’analyse de son contenu et de son corollaire, le processus de régularisation. Cela nous permettra de comprendre la façon dont les enjeux et les conditions de sa naissance ont été transcrites dans la réglementation à l’égard de l’immigration dans le pays, ainsi que les effets qu’elles ont produits.

En considération de la durée et de l’influence de cette régulation de l’immigration dans le déroulement de la politique migratoire espagnole, l’analyse développée dans le présent chapitre pourra nous mettre ainsi sur la bonne voie pour examiner les pratiques politiques qui seront appliquées par la suite. En effet, on se retrouve devant une politique migratoire ambivalente, dans laquelle une loi restrictive « européenne » se côtoie avec des pratiques laxiste « espagnoles ». Cette ambivalence paraît refléter, ceci dès le début de la politique d’immigration espagnole, les contradictions et les ambiguïtés inhérentes à la construction européenne.

Un cadre préexistant lacunaire

La LOEX de 1985 peut être considérée comme la pierre angulaire de la politique migratoire espagnole qui s’est développée jusqu’à nos jours. C’est à partir de ce nouveau cadre légal, dont nous analyserons les caractéristiques par la suite, que les différents gouvernements espagnols qui se sont succédé au pouvoir ont élaboré leurs orientations politiques à l’égard de l’immigration dans le pays. Son importance pour les évolutions postérieures de la politique d’immigration procède de son caractère « fondateur », dans le sens qu’antérieurement aucune loi ne régulait intégralement les principes qui déterminent l’entrée, la sortie et la permanence des étrangers dans le pays. Jusqu’à ce moment-là, la matière était régulée de façon fragmentaire, principalement par un décret royal de 1852 et des dispositions génériques présentes dans l’article 13.1 de la Constitution de 1978. Dans le cadre normatif préexistant à la LOEX de 1985, c’est d’abord le décret de 1852 qui introduit les contrôles d’entrée aux frontières, l’autorisation administrative d’entrée, ainsi qu’il définit l’infraction d’entrée non conforme aux normes et sa sanction . Ensuite, la Constitution de 1869 commence à reconnaître des droits aux étrangers dans le territoire espagnol, de même que la Constitution de 1931, élaborée pendant la deuxième république, qui accordait une série de droits aux étrangers, certains explicitement et d’autres indirectement en les reconnaissant à toute personne .

En ce qui concerne la période qui suit la fin de la guerre civile, comme le souligne clairement E. Aja, « il n’y aurait pas de sens de parler de droits des étrangers pendant le franquisme, quand les Espagnols eux-mêmes en manquaient » . Le pouvoir discrétionnaire du régime de Francisco Franco, qui s’appliquait massivement vis-à-vis des nationaux, rencontrait encore moins de barrières à l’égard des concessions de permis de résidence et du travail des étrangers, ainsi qu’au moment de décider de leur expulsion .

La transition espagnole qui suit la mort de Franco guide le pays vers une monarchie parlementaire dans laquelle les contrôles croisés entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire de l’Etat réduisent progressivement l’exercice arbitraire du pouvoir, autant vis-à-vis des nationaux que des étrangers. La Constitution de 1978 réorganise le fonctionnement des institutions, mais reformule aussi les bases légales qui allouent les droits fondamentaux, autant aux Espagnols qu’aux étrangers qui se trouvent dans le pays. Cependant, lors de l’élaboration et de l’approbation de la Constitution de 1978, la configuration migratoire dans le pays était marquée principalement par l’émigration plutôt que par l’immigration, fait qui est transcrit distinctement dans le texte constitutionnel. En matière de mouvement des personnes, la priorité accordée à la situation des émigrants espagnols se reflète dans un article, le 42, entièrement dédié à telle question. En ce qui concerne la condition des étrangers, le texte constitutionnel se limite à délimiter leur statut et à énoncer les droits qui leur sont reconnus et ceux qui ne le sont pas . Dans le texte constitutionnel aucune référence n’est faite aux questions relatives à la politique d’immigration, c’est-à-dire aux conditions d’entrée et de sortie des étrangers du territoire national. À ce propos, on doit souligner un autre aspect extrêmement frappant à la lumière de la situation actuelle : aucune mention n’est faite par rapport au statut régulier ou non des immigrants, vu que les droits sont octroyés indistinctement à tout étranger présent en Espagne.

Une genèse étrange 

À partir de l’entrée en vigueur de la Constitution espagnole, sept ans doivent passer pour voir se développer une loi qui établisse un cadre systématique de la question de l’immigration. Les signaux d’activité politique relative à l’immigration dans la période entre la Constitution de 1978 et la LOEX de 1985 sont très limités. La première intervention en la matière date de 1980, quand les procédures administratives pour l’obtention du permis de travail et du permis de séjour sont unifiées. Au mois de mai 1981, le parti au pouvoir à ce moment-là, l’Unión de Centro Democrático (UCD), présente au Parlement une proposition de loi organique en la matière. Ce premier effort politique postfranquiste pour dessiner le cadre juridique à l’égard de l’immigration manque de profondeur, autant dans l’intention que dans les résultats. D’un côté, son contenu est considéré principalement comme « une adaptation superficielle de la normative antérieure aux nécessités postconstitutionnelles » . De l’autre, le sort de cette proposition fut très éphémère car elle était appelée à être archivée sans plus de développement, notamment à cause de la priorité accordée à d’autres projets.

Cette longue période marquée par une activité assez réduite à l’égard de l’immigration, non seulement législative mais surtout politique, souligne clairement qu’à ce moment-là le phénomène de l’immigration ne représentait pas une des priorités dans la scène politique espagnole. Cependant, un changement des priorités en matière d’immigration s’opère soudain, nous en voulons pour témoin la hâte qui entoure l’approbation de la loi organique de juillet 1985. Au mois de novembre 1984, le gouvernement du PSOE (Partido Socialista Obrero Español) de Felipe Gonzáles, récemment élu, approuve un avant-projet de loi organique à l’égard de la condition des étrangers. Le 12 décembre 1984, le gouvernement approuve le projet de Loi organique sur les droits et les libertés des étrangers en Espagne (ley de extranjería) qui commence donc son cours au Parlement.

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Table des matières

Introduction
Chapitre 1 Un catalyseur externe : l’adhésion à l’Union européenne
1 – L’adoption de la Ley Organica de Extranjería de 1985
1.1 – Un cadre préexistant lacunaire
1.2 – Une genèse étrange
2 – Un effet induit du processus d’adhésion
2.1 – L’émigration espagnole
2.2 – La rencontre de deux logiques différentes
2.3 – L’influence de la libre circulation
2.4 – L’Espagne, espace de transit vers le cœur de l’Europe
3 – La LOEX, produit d’incitations externes
3.1 – La pierre angulaire de la politique migratoire espagnole
3.2 – Un corollaire : les régularisations
3.3 – Une loi « européenne », des pratiques espagnoles
Chapitre 2 Une transition aux fondements endogènes
1 – L’inversion de la « polarité migratoire »
2 – Flux et reflux de la population espagnole
2.1 – L’émigration
2.2 – L’attrait des grands centres urbains
2.3 – De l’essoufflement de l’émigration aux mouvements de retour
3 – L’accroissement progressif des migrations vers l’Espagne
3.1 – L’Espagne, pays d’immigration
3.2 – Un courant hétérogène
3.3 – Des flux largement informels
Chapitre 3 Un effet induit: la montée en puissance des migrations ouest-africaines
1 – L’inclusion de l’Espagne dans le système migratoire euro-africain
1.1 – Des dynamiques migratoires hétérogènes
1.2 – Le poids de la colonisation
1.3 – La différenciation des destinations migratoires
2 – L’Espagne, nouvelle destination des migrations ouest-africaines
2.1 – L’effet report, premier élément de changement
2.2 – L’essor de nouveaux flux en provenance de l’aire sénégambienne
2.3 – La consolidation des dynamiques migratoires
Chapitre 4 Méandres et vicissitudes de la construction d’une politique nationale
1 – Des courants contradictoires
1.1 – L’Espagne, frontière extérieure de l’espace Schengen
1.1.1 – La reformulation de la politique des visas
1.1.2 – L’approfondissement d’une fracture méditerranéenne
1.2 – La politique de résorption de l’informalité
1.2.1 – Des régularisations « extraordinaires » et cycliques
1.2.2 – Les pratiques ordinaires et banalisés
1.3 – L’émergence d’un discours politique dichotomique
2 – Une approche pragmatique de l’immigration : la loi 4/2000
2.1 – Une réappropriation nationale de la question
2.2 – Une loi migratoire issue d’un véritable débat national
3 – Une remise en question brutale : la loi 8/2000
3.1 – Un tournant décisif : El Ejido
3.2 – La victoire électorale du Parti Populaire et la révision de la loi
3.3 – Les prolégomènes de la sécurisation
Conclusion

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