Un cabinet pour une vie ? Réalisation de soi et culture de l’informel en cabinet de conseil à structure artisanale

D’après Le blog du consultant , “Le turnover moyen des cabinets de conseil en management tourne autour de 20-25% : chaque année, entre un cinquième et un quart des effectifs sont renouvelés. Ceci est supérieur à la plupart des secteurs du marché de l’emplo i, et est en quelque sorte inhérent au métier du conseil, dans lequel l’attri tion voire le burnout sont assez importants”.

Le marché du conseil est emprunt de l’idée selon laquelle les c onsultants changent très vite de poste, de cabinets de conseil, et même de métier. Le conseil e st vu pour beaucoup comme un tremplin vers une carrière en entreprise : les évolutio ns de postes sont rapides, et si certains consultants restent plus de cinq ans dans un cabinet, c ’est pour y devenir senior manager ou même associé. C’est avec cette idée en tête que je suis entrée chez Innolead en décembre 2017. J’ai alors été surprise de constater que j’étais la seule consultante jun ior parmi les quatre-vingt consultants qui composent le cabinet – par “junior”, j’entends une personne fraîchement diplômée qui a choisi le conseil comme tout premier CDI. Plus é tonnant encore, j’ai vite découvert au fil des discussions que beaucoup de consultants tr availlaient pour ce cabinet depuis… en moyenne, dix ans. Quelques semaines après mon arr ivée dans le cabinet, j’ai assisté à un pot de départ en retraite ! Enfin, summum de mon étonn ement : ces consultants n’étaient pas pour la plupart associés, ni ne jouissaient de ti tres ou d’avantages gratifiants, ni même ne dirigeaient une équipe.

Définition des termes et présentation du cadre théorique 

En définissant les termes principaux du sujet de ce mémoire et en présentant le cadre théorique – c’est-à-dire les théories et concepts clés sur lesq uels s’appuiera ma réflexion – je tenterai de rendre compte du chemin de pensée qui m’a menée à la défin ition de la problématique.

Dans l’ouvrage Cas de consulting commentés , l’entreprise est représentée sous trois dimensions : la “ réalité” – ce qu’ expérimentent effectivement les salariés -, la dimension “imaginaire” – la vision, l’ambition communiquée par la Direction -, et la di mension “symbolique” – l’ensemble de signes qui influencent la perception que le salar ié a de son expérience au sein de l’entreprise, comme par exemple les salair es, les intitulés de postes, les bureaux, ou encore la charte graphique. En analysant Inno lead sous le prisme de ces trois dimensions, j’en suis venue à la conclusion que le cabinet é tait en “hypotrophie du symbolique” – terme employé dans l’ouvrage Cas de consulting commentés pour désigner un déséquilibre au sein d’une entreprise entre les trois dime nsions, la dimension symbolique étant ici sous-représentée. En discutant avec des amis cons ultants dans de gros cabinets “Big Four” , j’ai d’ailleurs remarqué que ces cabinets sont en “hypertrophie” des dimensions  symbolique et imaginaire, ce qui veut dire qu’ils occultent la r éalité du quotidien des consultants en communiquant à outrance sur leurs ambitions et l’expérience-salarié, et en offrant aux consultants nombre d’avantages de l’ordre du symb olique : bureaux modernes, salaires attrayants, site web et charte graphique modernes, rest aurant d’entreprise, voitures, téléphones et ordinateurs de fonction… Ces avantages allant c rescendo au fur et à mesure de l’évolution des consultants. Innolead serait donc en “hypotrophie” du symbolique, alors même que ses consultants travaillent pour le cabinet depuis en moyenne bien plus longtemp s que les consultants de cabinets en “hypertrophie” du symbolique et de l’imaginaire : le symbolique ne serait donc pas une condition nécessaire ni suffisante à la fidélisation des salariés. En ce qui concerne la dimension imaginaire du cabinet Innolead, elle semble exis ter : afin de communiquer aux employés les valeurs d’entraide, de partage et d’authenticit é, la Direction organise régulièrement des “journées collaboratives” dans lesquelles le s consultants peuvent échanger autour de leurs dernières missions ou autour d’un suje t qui leur tiennent à coeur, et peuvent travailler ensemble sur un sujet donné. D’autres évé nements sont organisés, comme des petits-déjeuners ou des after works. Ces événement s sont souvent ponctués d’un petit discours de la Direction qui rappelle les valeurs du cab inet. La vision du cabinet est cependant peu claire. Je la résumerais ainsi : devenir un ca binet de conseil “humaniste”, c’est-à-dire qui contribue à une société plus solidaire et égal itaire, en conseillant les entreprises souhaitant aller dans ce sens, et en refusant de conseiller les entreprises qui cherchent à faire du profit au détriment du bien commun. Cette vi sion reflète le but à atteindre, et n’est donc pas effective aujourd’hui.

Mais si cette dimension imaginaire existe, elle est surtout effica ce sur les nouveaux arrivants : les consultants sont rapidement rattrapés par la dimension ré elle, par leur quotidien. La dimension réelle est prédominante. A ce stade de réflexion, je me suis alors fait la remarque suivante : si l’expérience sans filtre du quotidien est prédo minante pour les consultants de Innolead, et que ceux-cis restent pour la plupart de longues an nées dans le cabinet, alors cette expérience du quotidien doit être satisfaisante. En dis cutant avec plusieurs consultants pour comprendre quelle était cette expérience du quotidien sat isfaisante, je me suis alors rendue compte que l’expérience du quotidien était vécue de fa çon très différente selon les personnes, mais que chacune y trouvait son avantage. En effet l es modes de fonctionnement n’étant pas explicites – pas de structure de prop osition commerciale type, pas de documents de recommandations ou de retour d’expérience s ur telle offre ou tel client.. – et la pression sur le chiffre d’affaire ou encore sur les horaires étant très faible, chaque consultant peut organiser son quotidien comme il le souha ite, peut facilement se faire “staffer” sur des types de missions qui lui conviennent, et peut choisir d’avoir des activités en-dehors du travail sans crainte d’être réprimand é, “à condition que le travail soit fait”. Concernant la pression faible sur le chiffre d’affaire, il me semble intéressant d’apporter quelques précisions. C’est lors de l’entretien annuel avec so n manager que chaque consultant décide de son objectif économique à atteindre – ce qui correspond, pour un métier de consultant, au montant généré par la vente de missions ou à la contribution à des missions vendues par d’autres consultants – en fonction de ses c apacités (expérience du métier, portefeuille-client…). J’ai cependant pu entendre bea ucoup de consultants parler du fait qu’ils n’atteindraient sûrement pas leurs objectifs, sans une once de crainte dans leur voix ! Chez Innolead, il semblerait acquis dans l’état d’espr it général que chaque consultant fait de son mieux, et qu’il est donc inutile de réprimander ceux q ui n’atteignent pas leurs objectifs – sous réserve que ceux-cis prouvent visuellement qu’ils font effectivement de leur mieux, en se rendant disponibles pour contribuer à des missions e t en proposant régulièrement leur aide à leurs collègues. J’ai qualifié ce mode de fonctionnement flexible d’informel. Da ns son article Les jeux du formel et de l’informel , Gilles Brougères cite Philippe Hall Coombs pour distinguer le  apprentissages formel, non-formel et informel. L’apprentissage formel est dispensé dans un contexte organisé et structuré, et est explicitement désign é comme apprentissage : il est par exemple dispensé dans une salle de classe. Il est intentionn el de la part de l’apprenant et débouche souvent sur une certification. L’apprentissage informel n’est ni organisé ni structuré, mais découle des activités de la vie quotidienne liée s au travail, à la famille ou aux loisirs. Il est en général non intentionnel de la part de l’app renant. Enfin, l’apprentissage non-formel est intentionnel de la part de l’apprenant, mais réside dans des activités qui ne sont pas explicitement désignées comme apprenantes. D’après c es définitions, nous pouvons dire que les consultants chez Innolead apprennent le ur métier de manière informelle : sans cadre, les consultants évoluent au sein du ca binet selon leurs affinités avec les collègues et les missions, et se construisent leur propre vision et approche du métier.

Ainsi, si la Direction de Innolead communique sur ses valeurs et sa vision, le fait que le cabinet soit en “hypotrophie” du symbolique laisse une grande p lace à l’expérience réellement vécue des consultants. Ceux-ci vivent alors chacun à leur manière leur expérience Innolead, avec très peu d’obligations de proces s et sans expérience-salarié préconçue, au sein d’une culture de l’informel.

Le modèle de Innolead est-il unique ? Durant un entretien semi-di rectif, un consultant me dit ceci : “On dit que chez Innolead il y a tout mais qu’il faut savoir le trouver … mais on le disait aussi dans les autres cabinets dans lesquels j’ai travaillé : je pense que c’est un des traits communs à des structures comme les nôtres. On est très artisana ux, on n’a pas du tout des process industrialisés, la rigueur des gros cabinets de cons eil”. De quel type de “structure” voulait-il parler ? Odile Henry, dans son dossier Entre savoir et pouvoir [les professionnels de l’expertise et du conseil] , distingue deux types de cabinets aux modèles contradictoires : les petites structures “fondent leur légitimité avant tout sur une compétence intelle ctuelle ou scientifique […] et embauchent surtout des cadres dont l’âge moyen se situe autour de 40 ans, les jeunes débutants sont faiblement représentés” , alors que les grosses structures “assoient leur légitimité sur des critères d’évaluation économ ique (croissance économique soutenue dans le temps, haut niveau de rémunération des cons ultants, etc) […], embauchent massivement de jeunes diplômés des grandes école s et affichent clairement leur politique de croissance externe” . Nous pouvons alors redéfinir Innolead comme un cabinet fondant sa légitimité sur sa compétence intellectuelle (approche humaine de l’accompagnement du changement grâce à des connaissances e n coaching, neurosciences, techniques de créativité et d’innovation, etc). En m’inspirant d e l’entretien semi-directif cité plus haut, je qualifierai pour la suite de ce mémoire la structure d e ces cabinets de conseil “intellectuels et scientifiques” de structure artisanale, en ce qu’ils se sont formés par la rencontre de personnes ayant une conviction et des connaissances communes.

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Table des matières

Introduction
1. Présentation du sujet
2. Définition des termes et présentation du cadre théorique
3. Problématique, hypothèses et méthodologie
4. Plan détaillé
I- Un enjeu principal à la viabilité du modèle artisanal : la fidélisation
A. Un site web qui met en valeur ses consultants
B. Des consultants porteurs de la vision du cabinet essentiels au maintien de la structure artisanale
C. Un engagement fort des salariés, malgré des tensions générées par la culture de l’informel
II- Etre un cabinet de conseil – vivier d’entrepreneurs, la réponse à l’enjeu de fidélisation
A. Un individualisme des consultants bénéfique au cabinet
B. Un système qui ne convient pas à tous les types de profils ni de personnalités ?
C. La force du modèle de Innolead : permettre aux consultants l’accomplissement de soi, professionnellement mais aussi personnellement
III- Un équilibre fragile en constante évolution : quels atouts sont essentiels pour la pérennité des cabinets de conseil aux structures artisanales ?
A. Savoir changer de modèle : une capacité d’adaptation de la Direction comme des consultants
B. Formaliser pour une culture partagée
Conclusion Générale
Bibliographie
Annexes

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