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La protection de l’attribution des compétences.
En décidant que les institutions agissent chacune dans les limites des attributions qui lui sont conférées par le traité (article 7 CE en droit européen et 6 en droit CEDEAO), les chartes constitutionnelles ont ainsi posé le principe d‟encadrement juridique des compétences de ces institutions. Les limites dont il est expressément question, empreignent en conséquence aux dites attributions un caractère exclusif qui en constitue le premier axe de protection et qui mérite d‟être revisiter dans sa signification et dans son étendue (Paragraphe I).
Il y a lieu toutefois de rappeler que sont seulement en cause, les compétences exclusives de la Communauté d‟intégration à l‟exception de celles qui restent partagées avec les Etats membres. Ces derniers peuvent donc toujours intervenir dans les domaines concernés134.
Ceci dit, l‟application normale d‟un principe dans toute sa rigueur s‟est de tout temps révélée dirimant135. Aussi les principes ont toujours été atténués pour être mieux à même de déployer leurs pleins effets. Ce pragmatisme normatif étant de rigueur aussi en droit de l‟intégration, un tempérament a été apporté au principe d‟exclusivité de compétence par la technique des délégations (Paragraphe II).
Caractère d’exclusivité des compétences
L‟exclusivité signifie que chaque institution de l‟organisation est tenue de respecter le domaine de compétence des autres institutions et de protéger aussi son propre domaine de compétence.
Mais de façon plus explicite, il peut être appréhendé à la fois négativement et positivement : c‟est alors la question de sa signification (A).
Il est important par ailleurs de relever que si par cet exclusivisme la protection des institutions est évidente, l‟extension du caractère protecteur du principe aux particuliers l‟est encore moins (B).
Le consensus, empreinte tenace d’interétatisme
Etymologiquement, le consensus est « un mot latin qui signifie « accord » au sens de sentiment commun…, lexicalisé dans la langue française au XIXe siècle sous la signification de « large accord » »250.
Se risquant disait-il à une définition, le politologue Luc VODOZ propose que le consensus est le produit d‟un mode de prise de décision par un groupe dans son ensemble, mode de décision dans lequel chacun vise à trouver la meilleure solution possible pour ce groupe tel qu‟il est à un moment donné ; ce qui implique que l‟ensemble du groupe accepte de prendre part à la mise en œuvre de la décision élaborée »251.
L‟usage actuel du mot consensus renvoie tantôt à un résultat entérinant un accord considéré comme unanime ou quasi unanime, et tantôt « comme expression d‟une opinion ou d‟un sentiment selon lequel une forte majorité est présumée pencher en faveur d‟une position donnée (voire reposant sur le constat de l‟absence d‟une opposition réelle) »252. Il désigne le « substitut informel d‟un vote comme mode d‟adoption d‟une délibération à laquelle certains participants ne veulent formellement, ni s‟associer, ni faire obstacle, acceptant qu‟elle soit adoptée sans vote …»253.
En ce qui nous concerne et du point de vue procédurale, le consensus est une méthode de prise de décision par laquelle, les membres d‟une assemblée quelconque débattent librement d‟une question à résoudre ou d‟une décision à prendre en vue d‟obtenir un accord unanime ou quasi unanime du fait d‟une absence d‟opposition dirimante. En définitive, on partage l‟acception qu‟il renvoie à un « accord informel proche de l‟unanimité »254et avec lequel d‟ailleurs il se confond souvent.
En effet l‟unanimité s‟analyse en un procédé de votation par lequel la décision est prise s‟il y a « réunion de la totalité des voix ou des suffrages, de l‟ensemble des opinions, sur l‟objet de la délibération »255.
En droit international classique, une conviction est que l‟égalité souveraine des Etats ne s‟accommode mieux qu‟avec l‟unanimité qui régulièrement s‟assimile et se confond avec le consensus. Au regard de leurs effets respectifs, et même perçus comme gages de respect de la souveraineté des Etats (Paragraphe I), ces modes d‟expression de volonté constituent dans une certaine mesure, la manifestation d‟un droit de véto (Paragraphe II).
Le consensus comme garant de la souveraineté étatique.
Tout comme le principe d‟unanimité qui pour sa part intègre le vote, le consensus semble être le procédé le plus apte à ménager les souverainetés étatiques. Pour s‟en convaincre, nous examinerons l‟assertion à travers la notion même de consensus (A), et encore mieux dans sa mise en pratique (B).
La notion de consensus.
Dans le domaine politique et plus précisément dans celui de la gouvernance publique, les décideurs sont souvent confrontés dans leurs choix et stratégies à des incertitudes difficiles à arbitrer, donc à surmonter. Celles-ci sont encore plus malaisées à résoudre dans la prise d‟une décision collective256 , là où le choix ou la stratégie doit être assumée par plusieurs acteurs, c‟est à dire quand il s‟agit d‟un organe ou d‟une institution délibérante. Dans ces cadres, la décision devient alors délicate à prendre puisque censée réduire au maximum et la fois les incertitudes individuelles et l‟incertitude collective. Le lien entre efficacité décisionnelle et taille du groupe n‟est en effet pas discutable.
En Psychologie sociale on a pu définir la prise de décision comme « une convergence d’interactions cognitives et visuelles, planifiées ou opportunistes, où des personnes acceptent de se rassembler pour un objectif commun… dans le but de prendre des décisions ». Voir Abdelkader. Adla, Aide à la Facilitation pour une prise de Décision Collective : Proposition d‘un Modèle et d‘un Outil, Toulouse, Université Paul-Sabatier, coll. « Thèse de doctorat », 2010.
Consensus approximatif, ou consensus sommaire), en anglais, « rough consensus ». C‟était dans le cadre de la description de ses propres procédures à l‟intention des groupes de travail qui le composent.
Pour cet organisme, il s‟agissait lors des prises de décision par consensus, d‟indiquer le « sentiment du groupe » concernant le sujet en cours d’examen, sentiment défini comme l’« opinion dominante » au sein des participants telle que la détermine la personne qui préside la réunion. Ainsi et du point de vue procédurale, l‟IETF décrit ce qu‟il appelle consensus approximatif comme suit :
Les groupes de travail prennent des décisions au travers d’un processus de consensus approximatif ». Le consensus IETF ne requiert pas que chaque participant soit d’accord, bien que cela soit bien entendu préférable. De façon générale, l’opinion dominante du groupe de travail doit prévaloir (cependant, cette « dominance » ne doit pas être déterminée sur la base du volume ou de l’insistance, mais plutôt selon une impression plus générale d’accord). Le consensus peut être déterminé au travers d’un vote à main levée, ou de n’importe quel autre moyen sur lequel le groupe de travail est d’accord. Il convient de noter que 51 % des voix ne peut être considéré comme un « consensus approximatif », et qu’en sens inverse, 99 % est mieux qu’approximatif. C’est au président de déterminer si un consensus approximatif est atteint. ».
Nous devons reconnaitre que le procédé a l‟avantage d‟être plus rapide dès lors qu‟une confiance contrôlée pourrait être faite à la personne qui préside, et qui s‟assure d‟une large majorité placée au moins à équidistance des deux bornes extrêmes (plus 50% à moins 99%). Il a aussi l‟avantage de combiner discussions ouvertes et vote indicatif à l‟issu desquels est prise la décision définitive. Pour en revenir à la notion de consensus en général, il faut rappeler qu‟en relations internationales, l‟Etat membre n‟est en effet lié que parce qu‟il l‟a voulu, la décision n‟étant censée prise que parce qu‟elle ne recueille aucune opposition. Ainsi la conviction est faite que la souveraineté serait préservée. Le procédé est d‟autant plus protecteur de la souveraineté étatique que l‟Etat membre peut bloquer toute décision que lui semblerait non conforme à ses intérêts en s‟y opposant.
Il est vrai par ailleurs que c‟est un processus par lequel on s‟installe dans une discussion en suivant une logique d‟un « nous ensemble » plutôt que celle d‟un toi contre moi ». De ce point de vue il s‟avère conciliatrice dès lors que face à une pluralité d‟options possibles (propositions des participants), le produit attendu serait non pas une agrégation des préférences possibles, mais plutôt le résultat d‟une rationalité autonome, construite autour des meilleures idées et volontés exprimées.
La démarche implique donc le compromis. Plutôt qu’une décision mécaniquement adoptée par une majorité, le consensus suggère l’agrégation de plusieurs opinions souvent divergentes, et implique donc un cheminement d‟ensemble, une approche progressive vers une solution satisfaisante pour le plus grand nombre de participants. Evidemment, il ne signifie pas que forcément tout le monde doit être satisfait du résultat, mais implique plutôt que tout le monde estime le résultat acceptable, que la majorité est satisfaite, et qu‟enfin, la minorité ne se sent pas imposée une décision.
Les acteurs doivent donc apporter un soin particulier à la démarche en s‟efforçant de limer autant que possible les divergences au profit des similitudes, de ne pas s‟éloigner de la réalité objective que renferme la question en cause. C‟est autrement dit faire sienne la loi du « juste milieu » (entendu dans le sens que tout excès d’un côté doit être ramené à la raison par le côté opposé), ce qui objectivement « répond à la courbe de Gauss où les 20 % restant sont quantité négligeable et de ce fait, inutiles à conserver »257. Le consensus est ainsi un compromis correspondant à une situation de « gagnant-gagnant ».
En somme, chaque proposition doit être évaluée pour ce qu’elle est, et non pour ce que chacun en imagine, l’imagination portant le plus généralement sur l’émetteur de la proposition en lui collant peut être une visée qui n‟est pas toujours le cas.
Certains considèrent que dans la situation où un compromis gagnant-gagnant ne peut être construit, on peut alors enregistrer les dissensions (dissensus), celles -ci étant considérées comme les opinions les plus proches de la réalité décrite, et donc plus susceptibles de faire avancer le problème. Cette solution peut satisfaire la majorité des participants au débat.
D’autres considèrent qu’il s’agit alors d’un échec de consensus, car chacune des parties étant restée sur ses positions, que le problème débattu n’est pas réellement réglé.
Ceci dit, la recherche du consensus permet d’éviter que la majorité impose ses décisions à la minorité, puisque le véto permet à chacun de refuser une solution qui ne lui convient vraiment pas (à condition de ne pas en abuser, auquel cas on serait dans « une autre forme de dictature de l’individu sur le collectif) »258.
Cependant le consensus n‟est pas à confondre avec l’opinion collective qui traduit plutôt une opinion reçue (peu importe par quel procédé), autrement dit un alignement sur une orthodoxie, entendue comme ce qu‟on croit s‟inscrire dans la bonne voie, lequel alignement étant du reste généralement obtenu à partir d’une manipulation mentale ou par la propagande.
Le caractère conciliant du procédé consensuel fait qu‟il est plus adapté dans une démarche de résolution des différends non encore dégénérés, de définition des règles d‟organisation et de fonctionnement et peut être même dans les processus de définition des objectifs. Il s‟avère alors plus problématique dans une perspective de prise impérative de décision opérationnelle, ce qui se confirme d‟ailleurs dans la pratique du consensus.
La pratique du consensus.
La complexité qui transparait à travers l‟étude du mécanisme dans sa signification théorique, implique dans la quête du consensus la recherche d‟une méthode, d‟un cadre de conduite maîtrisé. Ce faisant, on doit noter que dans la pratique, plusieurs approches ont été utilisées. Mais partant de leurs éléments les mieux partagés et pour simplifier, nous proposons une procédure comprenant cinq phases qui à notre avis et quelle que soit la démarche empruntée ne sauraient faire défaut.
On doit s‟atteler d‟abord à bien définir le problème, ou la décision envisagée. Celle-ci doit aussi être juridiquement bien nommée pour éliminer au maximum les éventuelles interprétations déformantes. Cette étape préliminaire aide à faire la part des choses entre l‟enjeu commun à traiter, et les enjeux individuels présents.
Ensuite, on s‟exercera à fusionner toutes les solutions possibles (brainstorming) pour résoudre le problème ou répondre à la question. La fusion n‟est pas arithmétique mais rationnelle. Il faut donc les lister toutes, même celles qui à prime abord semblent farfelues. Ce faisant il faut discuter et débattre des propositions écrites en les expliquant clairement, en en montrant les différences, au besoin les modifier, les regrouper, et en faire une liste, la plus courte possible. Se demander lesquelles sont les plus fédératrices du groupe.
Se réserver un moment dans le processus pour les questions diverses et la clarification des situations qui semblent encore floues.
Reconnaître et accepter les objections mineures et essayer de les capter par l‟incorporation de petits amendements.
Enfin et avant d‟arrêter définitivement la décision finale, refaire un petit tour de table pour s‟assurer de la réalité du consensus.
Dans un forum interétatique, une fois la procédure définie, les opinions des représentants des Etats membres sont donc librement exprimées. Autrement il s‟agit d‟écouter tous les participants ; peut-être répondre directement ou indirectement à tous et prendre en compte tous les avis. Les susceptibilités étatiques sont donc ménagées.
Il s‟agit en somme de poursuivre la recherche d‟un compromis tout en essayant de retenir ce qui rassemble sans pour autant gommer les aspects contradictoires car le procédé peut dans certains cas être suspecté de ne pas bien respecter la diversité au sein du groupe, des opinions et des modes de fonctionnement individuel.
Dans le cadre d‟une réunion comme la CCEG composée des plus hautes autorités exécutives des Etats membres (habitués religieusement à se ménager), le consensus est encore plus difficile à rechercher sauf à produire une décision ambigüe. En effet la décision finale est censée contenter tout le monde et refléter pour chacun des Chefs d‟Etat ou de Gouvernement ce sentiment expressif d‟une fausse fierté d‟avoir été entendu et considéré par ses pairs.
C‟est pourquoi d‟aucuns estiment qu‟au sein d‟un Conseil de Ministres, un forum moins autonome, le consensus ne laisse pas suffisamment de liberté à l‟esprit du participant, et donc une fertilité pratique dans ce cadre de recherche absolue d‟un compromis acceptable, chacun cherchant à la fois à plaire à son mandant c’est-à-dire l‟Etat, et à ménager la susceptibilité des autres participants. Mais cette opinion semble assez discutable quand on sait que dans une telle rencontre de recherche de consensus bien maîtrisé, la prise en compte de l‟intérêt du mandant n‟est pas forcément exclusive d‟une recherche objective d‟un compromis rationnel et opérant.
Par ailleurs notons aussi que le consensus peut aussi être source de chantages réciproques. En effet, la possibilité d‟empêcher ou d‟atténuer la décision est susceptible d‟être utilisée par un membre comme moyen de pression sur ceux qui au contraire sont favorables à une norme efficace, afin d‟obtenir indirectement leur soutien future à un projet qui lui est cher. Mais ce risque peut se gérer aussi par l‟efficacité de la méthodologie utilisée.
Entendu dans le sens d‟unanimité comme cela arrive souvent, on peut rappeler que l‟Europe a fait les frais du consensualisme au cours des années 70 et pendant la première moitié des années 80 quand sa consécration y a eu pour conséquence une longue situation de stagnation, qualifiée par certains auteurs d‟ « eurosclérose »259.
Dans un forum interétatique, on peut donc retenir que même bien menée, la démarche consensuelle aura toujours cet inconvénient de finir souvent par une décision satisfaisant tout le monde, à travers laquelle chacun se sentirait surtout avoir été entendu et considéré par les siens.
Elle contient donc cette imperfection essentielle dans sa nature conciliatrice des différences.
La portée décisionnelle du véto
Si dans certains usages, dans certains cadres, le véto que suggère le consensualisme peut s‟expliquer par la relativité des enjeux et leur envergure, il le devient moins quand il s‟étend à une organisation d‟intégration, communauté politique par essence inscrite dans une logique à long terme, et de surcroît sur la base d‟un projet d‟unification. Et pour mieux appréhender sa portée, et partant du « comment ça se passe concrètement » que nous avons bien exposé supra, tentons de décrire le résultat que d‟habitude il produit. Ensuite, il y aura lieu d‟analyser celui-ci en rapport-comparaison avec les effets juridiques du consensus.
En matière d‟intégration, la prise de décision ne devrait pas s‟inscrire dans la logique du droit international classique consistant à « bien viser l‟effet obligatoire et, alors, subir les servitudes de l‟accord mutuel ; ou prendre la voie de simples résolutions internationales pour aboutir à des textes qui n‟ont qu‟une efficacité juridique très relative »264. Le véto rappelons-le, est un mécanisme décisionnel par lequel non seulement on peut bloquer toute décision qui n‟agrée pas, mais surtout on n‟est pas obligé d‟en fournir une justification.
Dans une organisation internationale comme la CEDEAO, ce mécanisme semble pourtant s‟inscrire dans cette orientation décisionnelle classique.
Au niveau de l‟expression de volonté commune en effet, les acteurs s‟efforcent de dissimuler le « dissensus » expression qui bien que non encore lexicalisé en français serait « utilisé pour désigner… l‟échec d‟une recherche de consensus »265.
Ainsi donc et comme déjà souligné, la décision envisagée s‟annonce d‟emblée comme susceptible de répercuter l‟approche sur la qualité de l‟acte juridique conséquent. Dès lors, et en toute conscience de cette situation dirimante, on a cru pouvoir atténuer les effets du véto en consacrant une gamme d‟instruments juridiques dont les uns sont plus souples que les autres, et donc moins susceptibles de se heurter aux inconvénients dudit mécanisme.
Dans les systèmes d‟intégration, on construit un ordonnancement juridique étagé qui permet en cas de doute sur les chances d‟un choix instrumental à s‟imposer, de le substituer à un autre et faciliter ainsi la prise de décision. Ce qui se comprend aisément dès l‟instant que les membres détiennent chacun un droit de véto, c’est-à-dire qu‟ils ont tous la possibilité de bloquer la situation, le mécanisme retenu étant que tout le monde doit être d‟accord pour que la volonté générale s‟exprime.
Ainsi et à côté des règlements, actes législatifs généraux et obligatoires, sont consacrées les directives, obligatoires certes dans les délais et objectifs qu‟ils fixent (obligation absolu de résultat), mais qui laissent aux Etats membres une liberté d‟action quant à leur application interne. Sont consacrés aussi des actes encore plus souples comme les avis et les recommandations.
Aussi et en termes d‟obligation de résultats, les directives sont privilégiées par rapport aux règlements. Encore que même en choisissant la directive en place du règlement, les acteurs s‟exercent dans ce contexte de consensus à les épurer « de tout contenu allant à l‟encontre des intérêts d‟un des Etats membres »266, sans compter les nombreux amendements expressifs de positions personnelles qui rendent la décision définitive « floue et peu opérationnelle » et donc synonyme d‟absence de décision.
Devant certaines situations, on se contente d‟avis ou de recommandation au sujet desquels aucune opposition n‟est susceptible de se produire.
Mais au bout du compte le résultat obtenu n‟est pas très éloigné de l‟absence de décision et donc de stagnation. En effet et à force de rechercher le consensus, d‟instituer donc au profit de chaque participant un droit de véto, et pour éviter de ne pas prendre au moins une décision, on choisit le soft law267, un instrument qui ne dérange personne, mais dont la force juridique est très relative. Le consensus et ou l‟unanimité n‟ont de sens que si leur usage est consacré dans les domaines et situations où les intérêts essentiels des Etats seraient en jeu, où un intérêt général indiscutable le recommande. Ils devraient donc être compris comme des mécanismes d‟exception et non le reflet de « préférences personnelles ou d‟impulsions égocentriques »268.
Les effets dirimants du consensus sont encore plus exagérés que le nombre de participants est grand. Or la CEDEAO compte 15 membres.
Si important « dans le domaine constitutionnel ou quasi constitutionnel » on ne peut comprendre la généralisation du consensus comme droit commun269de prise de décision au sein de cette organisation. Ces effets néfastes sur le processus ont souvent été décriés en matière d‟intégration. Et même dans la cadre des organisations internationales classiques, ces limites lui ont fait perdre l‟importance d‟antan.
L‟expérience en matière d‟intégration a permis d‟opérer dans l‟activité communautaire, la séparation des aspects purement techniques des aspects politiques ; ce qui a entrainé la présence de plus en plus de représentations techniques auprès des représentations politiques ou diplomatiques dans les organisations d‟intégration. Les taches techniques de ces organisations appellent plus de célérité et d‟expertise pour leur traitement et induisent donc pour la concrétisation de leurs ambitions l‟introduction de la règle majoritaire. En conséquence, et pour affronter les nouveaux enjeux de son avenir, surtout sur la scène internationale, la CEDEAO doit adapter son système décisionnel aux nécessités de l‟heure.
La règle de la majorité, un signe de vitalité supranationale
Dans le cadre d‟une assemblée délibérative, la règle de la majorité est un mécanisme de prise de décision, qui implique la fixation d‟un total de voix qui en cas de décision l‟emporte par son nombre.
En droit on définit aussi la notion en faisant état de « Total des voix qui l‟emportent par son nombre lors… du vote d‟une décision »270
Ainsi parle-t-on de majorité absolue (simple) si le total des voix est supérieur à la moitié des votes exprimés, et de majorité qualifiée si une proportion de voix supérieure à la majorité absolue est exigée pour prendre une décision. Il en est ainsi par exemple quand on parle de majorité des deux tiers, de majorité des trois cinquièmes. Il va donc sans dire que malgré les oppositions notées, une décision est prise et l‟entité est censée évoluer ainsi.
Aujourd‟hui le principe est intégré aussi bien dans les organisations internationales classiques que dans les organisations d‟intégration. On peut dire qu‟au sein de ces dernières, et même si au nom du respect de la souveraineté étatique on s‟emploie encore à cantonner le procédé dans des domaines spécifiés, la consécration est déjà heureuse.
Toujours est –il que dans une organisation d‟intégration, le procédé s‟analyse en un baromètre indiscutable d‟un dynamisme interne (Paragraphe I). Il n‟est cependant pas une panacée (Paragraphe II), c’est-à-dire la solution totale à plus de supranationalité, d‟où l‟intérêt d‟évoquer la question de ses limites.
le système majoritaire source de dynamisme interne
Nous exposerons en premier lieu l‟intérêt opératoire de ce mode de votation (A) pour mieux mettre en exergue le caractère incompréhensible des hésitations de la CEDEAO à la consacrer effectivement (B).
L’intérêt opératoire du vote majoritaire.
On a déjà fait noter qu‟un des traits fondamentaux du principe de supranationalité est « l‟admission de décisions majoritaires, ou, négativement dit, l‟absence de la règle de l‟unanimité obligatoire »271 , du consensus obligatoire. L‟intérêt opérationnel du mécanisme s‟est fait jour quand les premières organisations internationales permanentes commencèrent à responsabiliser des « techniciens » pour s‟occuper efficacement de questions techniques qui les intéressent, et qui ce faisant remplaçaient les délégués purement diplomates. C‟était le cas au sein de l‟Union Postale Universelle et des Commissions riveraines 272(article 12 du règlement intérieur de 1878 de la Commission du Danube).
Le mécanisme se caractérise plus décisivement par la possibilité de créer des obligations à l‟endroit des Etats membres, sans ou même contre leur volonté, ce qui correspond à un impératif d‟évolution.
It is necessary the body should to move that way whither the greater force carries it, which is consent of the majority. Or else it is impossible it should act or continue one body, one community which the consent of every individual that united into it agreed that it should»273.
Le plus intéressant c‟est qu‟à l‟analyse, et contrairement à une opinion répandue, le procédé ne porte pas pour autant atteinte à la souveraineté étatique. En effet c‟est la souveraineté elle-même qui s‟exprime dans l‟acceptation de la consécration du principe majoritaire.
Il ne faut donc pas confondre la possibilité pour une institution communautaire créée du reste par les Etats, de pouvoir prendre des décisions contre la volonté de ceux-ci, avec les conséquences susceptibles d‟être jugées attentatoires aux intérêts étatiques et qu‟il était impossible de prévoir au moment du consentement à la consécration. Encore que cette éventualité ne pouvant raisonnablement pas échapper aux hautes parties contractantes à un traité international au moment de la naissance de celui-ci, on peut affirmer que souveraineté et principe majoritaire sont donc parfaitement compatibles. Peut-on d‟ailleurs parler de volonté contraire au sujet des votes opposés quand les émetteurs ont consenti dans le traité de base qu‟il puisse en être ainsi ? Ces votes contraires devraient plutôt s‟analyser en prémisses suggestives de recherche de solution alternative. En effet quand la volonté contraire fait échec au projet de décision, le sujet n‟est pas abandonné pour autant mais reformulé.
C‟est la même logique de respect de la souveraineté appréhendée objectivement, qui implique l‟utilisation casuelle de chaque mécanisme décisionnel, et qui en conséquence exclue tout vote majoritaire lors des actes fondateurs des organisations internationales.
Mais une fois l‟organisation mise en place, son effectivité ne peut provenir que d‟une consécration adéquate du vote majoritaire comme « conséquence logique de l‟acte commun de fondation »274. C‟est en outre ce qui transparait dans l‟avis de John LOCKE relevé précédemment et où l‟éminent juriste enseignait que l‟unanimité conduit inéluctablement à la stagnation générale.
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Table des matières
Introduction générale
Partie I- Une prévention conçue à partir de la lutte contre le blanchiment de capitaux
Titre I- Un assujettissement professionnel à des obligations préventives anti-blanchiment
Chap. I- Une application de plein droit des obligations préventives anti-blanchiment
Sect. I- L’obligation de vigilance du professionnel assujetti
Parag. I- Une obligation à double facettes: identification et examen particulier
A. Une vigilance momentanée à l’entrée en relation d’affaire: l’obligation d’identification
1)- Le principe de l’identification personnelle
2)- Le recours à l’identification par un tiers
B- Une vigilance concomitante à l’exécution de la relation d’affaires
Parag. II- Une obligation de conservation des informations relative au client
A- La durée de conservation des informations
Sect. II- L’obligation de déclaration de soupçon
Parag. I- L’existence de la déclaration de soupçon
A- Une déclaration née initialement du soupçon
B- Une évolution vers une déclaration du doute
Parag. II- L’exercice de la déclaration de soupçon
A- Le moment et la forme de déclaration de soupçon
B- La destination de la déclaration de soupçon : la cellule de renseignement financier
Chap.II-Des obligations préventives soumises à l’application professionnelle
Sect. I- Une reprise du domaine personnel de l’assujettissement contre le blanchiment de capitaux
Parag. I- La détermination des professions assujetties
A- Les critères de désignation des professions assujetties
B- La portée de l’énumération législative des professions assujetties
Parag. II- L’étendue du domaine personnel d’assujettissement
A- L’assujettissement de la profession du chiffre: les commissaires aux comptes
B- L’assujettissement controversé des professions juridiques indépendantes
Sect. II- L’absence d’uniformité de l’assujettissement professionnel
Parag. I- L’assujettissement professionnel de droit commun: un assujettissement total
A- L’assujettissement direct des activités professionnelles à toutes les obligations préventives
B- La relation entre les obligations préventives
Parag. II- L’assujettissement professionnel dérogatoire: unassujettissementpartiel
A- Un assujettissement indirect d’une partie des activités professionnelles
B- Une restriction du domaine juridique de l’assujettissement
1)- L’exonération préventive de la procédure judiciaire
2)- L’exonération préventive de la consultance juridique
Conclusion du titre
Titre II- La nécessité d’un dispositif spécial de prévention du financement du terrorisme
Chap. I- Une nécessité justifiée par les limites préventives du dispositif anti-blanchiment
Sect. I- Les limites théoriques à la prévention du financement du terrorisme
Parag. I- Les limites conceptuelles: une conception préventive inadaptée à la lutte contre le financement du terrorisme
A- Un dispositif conçu pour la lutte contre l’origine illicite des fonds
B- Un dispositif inapte à prévenir la destination terroriste des fonds
Parag. II- Limites juridiques: un dispositif préventif faisant fi des standards juridique
A- La violation du droit au compte aux d’une discrimination
B- Un dispositif violant le principe de non-ingérence
Sect. II- Les limites pratiques à la prévention du financement du terrorisme
Parag. I- L’inapplicabilité des obligations préventives à la lutte contre le financement du terrorisme
A- Une multiplication de l’assujettissement personnel source de rigidité préventive
B- L’opportunité controversée de l’identification
Parag. II- L’inefficacité du dispositif à la prévention du financementdu terrorisme
A- Un dispositif insusceptible d’éveiller les éléments déclencheurs de la prévention
Chap. II- Une spécificité dépendant de l’approche préventive adoptée
Sect. I- L’existence d’une spécificité dans l’approche classique de type impersonnel
Parag. I- L’extension du domaine personnel de la prévention
A- Une extension aux organismes à but non lucratif
1)- La prévention en période constitutive: l’obligation d’inscription des organismes à but non lucratif
2)- Une vigilance au moment du fonctionnement des organismes à but non lucratif
B- Une extension aux systèmes alternatifs de remise de fonds
Parag. II- Le renforcement de la prévention proportionnellement à lavulnérabilité au financement terrorisme
A- Les opérations et personnes objet d’une vigilance renforcée
1)- Les opérations sensibles au financement du terrorisme
2)- Les personnes sensibles au financement du terrorisme
B- Le gel de fonds des personnes identifiées comme liées au terrorisme
Sect. II- Une relativisation de la spécificité dans la nouvelle approche fondée sur le risque
Parag. I- La naissance de l’approche fondée sur le risque
A- Les avantages de la nouvelle approche
B- L’appréciation de la notion du « risque »
Parag. II- Une modulation de la vigilance proportionnellement au degré du risque
A- Un allégement de la vilance dû à la faiblesse du risque 178
B- Un renforcement de la vigilance consécutivement à un risque élevé 181
Conclusion du titre II
Conclusion partie I
Partie II- Une répression détachée de la lutte contre le terrorisme stricto sensu
Titre I- La répression de la prévention empruntée à la lutte contre le blanchiment de capitaux
Chap. I- Le principe de la répression disciplinaire
Sect. I- Une répression disciplinaire justifiée par la nature des obligations préventives
Parag. I- Des obligations de nature déontologique légalement consacrées
A- Qualification déontologique résultant de leur caractère professionnel
B- Consécration législative des obligations préventives signe de la légalité
Parag. II-Les manquements disciplinaires aux obligations préventives
A- Les éléments constitutifs du manquement disciplinaire à la prévention
B- La connexité des éléments constitutifs du manquement disciplinaire
Sect. II- Un pouvoir de répression disciplinaire attribué à l’autorité de contrôle
Parag. I- L’absence d’uniformisation de la répression discipline
A- L’inexistence de sanctions disciplinaires uniques à toute violation du dispositif préventif
B- La diversité des autorités de répression disciplinaire
Parag. II- La judiciarisation de la procédure disciplinaire
A- Le rattachement judiciaire de la procédure disciplinaire
B- La soumission disciplinaire au droit au procès équitable
Chap. II- Les sanctions exclues de la répression du dispositif préventif
Sect. I- L’exclusion de principe des sanctions civiles
Parag. I – L’impact du dispositif préventif sur la relation d’affaires
A- La confrontation des obligations préventives aux réalités contractuelles
1)- Obligation d’identification et existence de la relation d’affaires
2)- Obligation de déclaration de soupçon et exécution de l’opération
B- La nullité de la relation d’affaires résultant du dispositif préventif
Parag. II- L’irresponsabilité civile du professionnel assujetti
A- Irresponsabilité civile de l’assujetti pour absence d’obligation de vigilance
B- Exemption de la responsabilité civile de l’assujetti déclarant de soupçon
Sect. II- L’exclusion de la répression pénale du dispositif préventif
Parag. I- Le principe de l’exclusion de la sanction pénale
A- Une méconnaissance des obligations préventives non constitutive d’infraction pénale
B- L’exonération pénale du professionnel assujetti déclarant de soupçon
1)-Exemption pénale contre l’atteinte au secret professionnel
2)- Exemption pénale contre l’exécution d’une opération suspecte
Parag. II- L’acceptation exceptionnelle de la répression pénale
A- Les infractions implicitement déduites du système préventif
B- Les incriminations pénales spéciales découlant de la violation du dispositif préventif
1)- Les infractions spéciales résultant de la prévention active du professionnel assujetti
Titre II- La rupture du lien juridique avec la répression pénale des actes terroristes
Chap. I- L’indépendance de la répression pénale de fond du financement du terrorisme
Sect. I- L’érection d’une infraction autonome de financement du terrorisme
Parag. I- Une large incrimination du financement du terrorisme
A- Le bouleversement de l’équilibre traditionnel entre les éléments constitutifs de l’infraction
1)- La dématérialisation de l’infraction de financement du terrorisme
2)- L’abaissement du niveau d’appréciation de l’élément moral
B- La responsabilisation pénale de la personne morale
Parag. II- Une incrimination apportant plus de sévérité répressive
A- La précocité répressive manifestée dans les incriminations assimilées
1)- L’érection de la tentative en infraction de financement du terrorisme
B- La dépolitisation de l’infraction du financement du terrorisme
Sect. II- La survie de la sévérité répressive à la correctionnalisation de l’infraction
Parag. I- La manifestation de la sévérité dans les sanctions extrapatrimoniales
A- Une extensibilité de la durée de l’emprisonnement
B- De longues peines complémentaires d’interdictions
Parag. II- Le relèvement des sanctions patrimoniales
A- La forte amende résultant de l’adoption de la technique du taux mobile
B- La sanction complémentaire de la confiscation spéciale
Chap. II- Le rapprochement à la procédure de la lutte contre le blanchiment de capitaux
Sect. I- L’assouplissement des règles de compétence
Parag. I- Dans l’établissement de la compétence nationale
A- L’élargissement du domaine de la compétence nationale
B- L’allégement des règles de transfert des poursuites
Parag. II- Dans l’attribution de la compétence juridictionnelle
A- Le rejet de la procédure dérogatoire applicable aux actes terroristes
B- Le retour à la compétence de droit commun
Sect. II- L’accroissement des pouvoirs d’investigation
Parag. I- Le réaménagement des actes matériels de réquisition
A- L’extension des réquisitions aux outils informatiques
B- L’encadrement juridique des réquisitions
Parag. II- L’institution d’un large système de collaboration judiciaire
A- L’incitation à la dénonciation des faits susceptibles de constituer l’infraction
B- La protection des collaborateurs de justice
Conclusion du titre II
Conclusion Partie II
Conclusion générale
BIBLIOGRAPHIE
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