L’étude des règles propres à l’initiation et au contrôle du mouvement des corps vivants est une discipline relativement récente si nous la comparons historiquement à l’étude mécanique du mouvement des solides pour lesquels la formalisation de principes fondamentaux fût proposée au XVIIème siècle par Newton. S’il a fallu attendre une période relativement récente pour voir apparaître des « équations du mouvement » en biologie, l’étude du mouvement biologique est elle, inscrite dans une longue histoire qui remonte probablement à la période de l’Egypte ancienne. En revanche, et si l’on doit à Fernel (XVIème siècle) la paternité du terme « physiologie» (la « science qui étudie les causes de l’action du corps »), ce n’est qu’à partir du début du XIXème siècle qu’émerge, dans sa forme actuelle, une physiologie du mouvement. En effet, c’est durant cette période que les bases de l’étude des déterminants structurels et fonctionnels du mouvement biologique ont été formulées dans le sens que nous connaissons aujourd’hui.
Un aperçu historique de la physiologie de la motricité
La compréhension de l’organisation fonctionnelle du système moteur repose sur l’identification de ses « agents ». Nous présenterons brièvement l’évolution des conceptions relatives aux rôles respectifs des nerfs, des muscles, des organes sensoriels pour aboutir à un schéma d’ensemble décrivant l’action intégrative du système nerveux central (SNC) dans lequel la contribution propre des centres spinaux, des régions corticales et cérébelleuses sera progressivement comprise et étudiée durant le XIXème siècle. Ainsi, nous décrirons l’évolution des concepts rendant compte de la nature et des propriétés de l’influx nerveux qui provoque la contraction musculaire. L’étude de la contribution de différents organes sensoriels à la perception du mouvement propre et du mouvement dans le monde environnant sera ensuite revue. Enfin, nous tenterons de compléter ce chapitre par une dernière partie dans laquelle nousreviendrons sur les développements conceptuels, associésaux découvertes expérimentales, relatifs à l’interaction dynamique entre l’ensemble des constituants du système moteur (structures nerveuses, spinales et supra-spinales, motoneurones, muscles…).
De l’énergie vitale au potentiel d’action : la description de la nature et du rôle de l’influx nerveux
La production et la transmission de « l’énergie » nécessaire au déplacement des segments corporels fut longtemps décrite comme la circulation de l’âme, ou plutôt des âmes (Aristote, IVème siècle avant J.C, Galien, IIème siècle), ou encore celle des « esprits » (Descartes XVIIème siècle, voir Bennett and Hacker 2002). Si plusieurs termes ont été proposé pour rendre compte de la nature de l’influx nerveux, l’importance des nerfs comme vecteurs de cette transmission d’énergie, résultant en une contraction musculaire, fut très tôt mise en avant par Galien suite aux dissections qu’il réalisa sur une grande variété d’espèces animales. En outre, suivant ses observations sur les conducteurs de chars blessés, Galien fut probablement lepremier (certains historiens attribuent cette distinction à Herasistrate, médecin égyptien de l’école d’Alexandrie IVème siècle avant J.C) à suggérer l’existence de nerfs moteurs (« l’âme motrice ») et de nerfs sensitifs (« l’âme sensitive ») qu’il décrivait comme nerfs durs et nerfs doux, respectivement.
L’étude de la fonction motrice a donc été particulièrement marquée par l’observation des propriétés de ce liant structurel assurant la communication entre différents types d’organes, le tissu nerveux. Si le fonctionnement du système nerveux a été abondamment décrit par les premiers physiologistes du XIXème siècle, quelques décennies avant eux (en 1791 précisément), Galvani mettait déjà en avant la nature électrique de l’activité nerveuse en provoquant la contraction des muscles de la cuisse d’une grenouille par une stimulation électrique. Cette première observation marquera clairement la rupture entre les conceptions issues de l’antiquité ou encore celles plus récentes de Descartes qui décrivaient l’influx nerveux comme l’écoulement d’esprits animaux (Bennett and Hacker 2002).
La démonstration expérimentale de la différenciation des fibres nerveuses selon qu’elles soient sensitives ou motrices est attribuée à deux physiologistes anglais (Bell) et français (Magendie), comme rappelé par Claude Bernard dans l’un de ses cours au Collège de France (1855). Si une multitude d’expérimentations a permis de décrire des mécanismes physiologiques « de base », tels que le réflexe myotatique par exemple, l’interprétation des résultats expérimentaux a donné lieu à d’intenses débats tout au long de ce siècle. Ceux-ci sont bien illustrés dans la mise en garde de Claude Bernard à propos du travail de «ceux, extrêmement nombreux, qui demandent à l’expérience la confirmation d’une idée fixe…ils expérimentent, non pour chercher, mais pour prouver : leurs conclusions sont posées avant que leur travail soit commencé ». Si ces critiques de l’étude expérimentale sont légitimes, elles témoignent également de la grande richesse des débats que connaît la physiologie moderne au XIXème siècle. L’étude des propriétés structurelles du système nerveux et la découverte par Schwann en 1840 de la cellule nerveuse, a ainsi progressivement évolué grâce à différentes techniques de coloration (telles que celles de Golgi au niveau des arborescences des cellules nerveuses), jusqu’à ce que Ramon y Cajal, perfectionnant les méthodes de Golgi, propose le neurone comme unité de base du système nerveux.
La nature de la communication inter cellulaire fut ensuite étudiée au niveau de la jonction neuromusculaire et Bernard décrivait l’effet bloquant du curare sur les rapports entre activités nerveuse et musculaire. Les progrès effectués en électrophysiologie depuis Galvani allaient permettre à l’allemand Emile du BoisReymond, au milieu du XIXème siècle, de mesurer pour la première fois un « courant » d’action communs aux muscles et aux nerfs stimulés, et caractérisés notamment par une première fluctuation négative. Les élèves du physiologiste allemand allaient ensuite préciser ces connaissances, et Julius Bernstein suggérait que la différence de concentration ionique qu’il avait mesuré entre l’intérieur et l’extérieur de la fibre musculaire était à l’origine du courant électrique mesuré. Entre temps, von Helmholtz (1850) estimait la vitesse de conduction nerveuse à 40 m/s. Il serait trop long ici de citer l’ensemble des auteurs ayant, par la description de plus en plus précise qu’ils firent des caractéristiques de l’influx nerveux, contribué à la compréhension de l’influx nerveux comme étant une série de potentiels d’action ; retenons que ceux-ci sont propagés le long des axones des cellules nerveuses et transmises de cellule nerveuse en cellule nerveuse, par le biais d’un mécanisme particulier, la transmission synaptique.
C’est au physiologiste anglais Sherrington que l’on doit le terme de synapse, au début du XXème siècle. La nature électrique et chimique de la transmission du message nerveux fut ensuite largement étudiée. Nous reviendrons plus amplement sur la portée des travaux de Sherrington dans le prochain chapitre. Néanmoins, si des avancées considérables ont eu lieu au tournant du XIXème siècle en ce qui concerne la compréhension de la structuration du système nerveux, la compréhension de l’organisation fonctionnelle des différentes populations neuronales au sein de différents centres nerveux demeure une question qui est aujourd’hui encore intensément étudiée ; il s’agit de comprendre l’ensemble des processus qui aboutissent à l’observation d’un influx nerveux (au niveau de ce que Sherrington appelait la voie finale commune) provoquant la contraction musculaire, et par là la génération du comportement moteur.
L’action musculaire
Si l’étude du système nerveux s’est rarement dissociée de l’étude des propriétés du système musculaire (comme nous l’avons vu précédemment avec notamment Galvani puis Claude Bernard), des concepts particulièrement importants relatifs à la compréhension de la nature de la contraction musculaire per se, méritent d’être mentionnés indépendamment des études portant sur la relation entre activité nerveuse et activité musculaire. C’est une nouvelle fois à l’école d’Alexandrie (IIIème siècle avant JC) qu’il faudrait remonter pour trouver les premiers écrits expliquant le mécanisme de la contraction musculaire (Fardeau M. 2005): Hérodote aurait décrit distinctement muscles, nerfs et tendons tandis qu’Erasistrate formulait l’hypothèse que la contraction des muscles se faisait par dilatation des muscles (Rufus, IIème siècle avant JC, aurait également décrit la fonction des muscles dans le mouvement). Galien (comme rappelé précédemment) effectua des dissections sur différentes espèces (peut être même sur l’homme) et apporta également une description fonctionnelle de la relation entre nerfs et muscles. Si l’on en croit Fardeau (lui-même se référant au travail de Needham, 1971), il faudrait faire un saut historique de plus de mille trois cent ans pour trouver des indices d’une réflexion sur l’organisation anatomique et le rôle des muscles dans la production du mouvement.
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Table des matières
1. Introduction
2. Contexte théorique
Section 2.01 Un aperçu historique de la physiologie de la motricité
2.01. a. De l’énergie vitale au potentiel d’action : la description de la nature et du
rôle de l’influx nerveux
2.01. b. L’action musculaire
2.01. c. Des organes sensoriels, de la sensation et de la régulation du mouvement
2.01. c. 1. Le système visuel, au-delà des yeux
2.01. c. 2. Le système vestibulaire
2.01. c. 3. La proprioception musculaire, articulaire et cutanée
2.01. d. Intégration sensorimotrice dans le SNC, mouvements automatiques et mouvements volontaires : vers une physiologie intégrative de la motricité
2.01. d. 1. Avant le XVIIIème siècle
2.01. d. 2. Après le XVIIIème siècle
Section 2.02 Neurosciences du mouvement : de la neurophysiologie à la « neurocomputation »
2.02. a. Bases neurales du contrôle (loco) moteur chez l’animal
2.02. b. Bases neurales du contrôle moteur chez le primate
2.02. c. Les théories du contrôle moteur
2.02. c. 1. Le problème du contrôle
2.02. c. 2. Bernstein et le problème du contrôle moteur en biologie
2.02. d. Modéliser les stratégies de contrôle moteur
2.02. d. 1. De l’équilibre dynamique du mouvement au modèle de Feldman
2.02. d. 2. Le contrôle du mouvement biologique, un contrôle optimal
2.02. d. 3. Modèles internes
2.02. d. 4. Aucun contrôle, l’émergence d’un comportement auto organisé : une approche synergétique de la coordination motrice
2.02. d. 5. Les approches mixtes
Section 2.03 Contrôle et guidage de la locomotion humaine
2.03. a. Génération et contrôle de l’acte locomoteur
2.03. a. 1. Les phases du cycle locomoteur, le cas de la marche
2.03. a. 2. Aspects (bio) mécaniques
2.03. a. 3. Aspects mécaniques (passifs) de la locomotion humaine
2.03. a. 4. Aspects physiologiques
2.03. a. 5. Invariants cinématiques et cinétiques, origines physiologique et mécanique
2.03. b. Le guidage de la locomotion humaine: génération et contrôle des trajectoires du corps
2.03. b. 1. Contrôle visuel de la locomotion humaine
2.03. b. 2. Système vestibulaire et orientation spatiale
2.03. b. 3. Proprioception et rotations
2.03. b. 4. Perturbation « multisensorielle » et contrôle des trajectoires : l’importance du contrôle du mouvement de la tête
2.03. b. 5. Navigation et mémoire spatiale
2.03. c. Objectifs du travail expérimental
3. Méthodologie générale
Section 3.01 Protocoles expérimentaux
3.01. a. Tâche
3.01. b. Sujets
3.01. c. Vitesse de locomotion
3.01. d. Géométrie des trajets locomoteurs
Section 3.02 Matériels de mesure
3.02. a. Capture de mouvement
3.02. a. 1. Calibration du système
3.02. a. 2. Enregistrement automatique du mouvement
3.02. b. Enregistrement du mouvement des yeux
3.02. b. 1. Phase de calibration
3.02. b. 2. Nature des données brutes : quelques problèmes
3.02. c. Enregistrement électromyographique
Section 3.03 Pré traitement et analyse des données
3.03. a. Prétraitement et outils de programmation
3.03. a. 1. Vicon Workstation – Vicon I.Q
3.03. a. 2. Visual Basic Editor – Excel
3.03. a. 3. 3DVL – Matlab
3.03. b. Modélisation du corps – définition des segments corporels
3.03. c. Définition de repères
3.03. d. Calcul de vitesses, d’accélération, filtrage et analyse fréquentielle
3.03. e. Décomposition du mouvement et algèbre linéaire
3.03. f. Analyse de la coordination
3.03. g. Géométrie des trajectoires
4. Conclusion