Twitter et les médias de communication de masse
« Au cours du week-end, le responsable de la campagne politique [de Trump] a pris le contrôle de son compte Twitter » (Rhodan, 2017), a déclaré l’ancien président des Etats-Unis Barack Obama en se moquant du candidat à l’élection présidentielle de l’époque, Donald Trump. Obama continue « Maintenant, si vos conseillers les plus proches ne lui font pas confiance pour tweeter, alors comment pouvons-nous lui faire confiance avec les codes nucléaires? » (Rhodan, 2017). Pour la plupart, la déclaration d’Obama est une simple moquerie sur l’incapacité de Trump à publier des informations sur Twitter, sa plate-forme préférée. Cependant, la connotation de cette déclaration va audelà de la simple moquerie ou du sarcasme. Elle montre l’importance de Twitter comme étant un outil de publication de l’information. En effet, les États-Unis ont une grande base d’utilisateurs de Twitter. Cette anecdote a mis en lumière la capacité potentielle des publications sur Twitter, à générer un impact sur les utilisateurs et a souligné ainsi l’importance du contrôle et de la révision du contenu affiché avant sa publication. Finalement, elle permet de comprendre l’influence de Twitter sur l’opinion publique, Twitter étant devenu une composante de la communication politique. Les outils de communication se présentent sous différentes formes, avec ou sans aide technologique, pour échanger des idées entre les individus. L’utilisation du langage, par exemple, est l’une des formes les plus primitives d’outils de communication. Il est utilisé pour échanger des idées entre deux personnes dans le contexte d’une conversation ou entre une et plusieurs personnes comme lors de discours publics. D’autres formes de communication reposent sur l’utilisation d’une technologie qui facilite le transfert d’informations indépendamment de la limitation de l’espace et du temps : c’est le cas des médias de radiodiffusion, des médias imprimés et d’Internet. Pour de nombreux d’autres ces technologies ont permis aux sociétés de maintenir la cohésion en orientant le public vers l’information, et en reduisant ainsi l’incertitude (Kaufer et Carley, 2012). Society not only exists by transmission, by communication, but it may fairly be said to exist in transmission, in communication. (Dewey 1916, p. 5)
Comme l’indique Dewey la société se construit dans la transmission et la communication et n’en est pas seulement le produit. Jusqu’à récemment, les industries des médias de masse ont été les seuls fournisseurs de contenus médiatiques et d’actualités pour le public. La communication informatisée, représentée par les plates-formes de communication en ligne et par la suite, les médias sociaux, apporte une autre source d’information. Ainsi, de nouveaux types de fournisseurs de contenus médiatiques, dépendant du public et non de l’industrie des médias, a révolutionné le cycle de communication au sein de la société (Wall, 2012). Ces plates-formes de communication informatisée ont mené à un certain nombre de changements culturels, sociétaux, politiques et financiers en ce qui concerne la façon dont le public consomme le contenu des médias de masse (Lee et Varey, 1999). L’écosystème des médias a donc changé et permis un accès plus large et illimité aux contenus médiatiques, autrefois contrôlés et prédéterminés par les industries des médias. L’accès universel et illimité (dans les pays riches) au contenu médiatique en ligne a donné naissance à des plates-formes de médias sociaux considérées comme des moyens essentiels de consommation et de production d’information. Ensuite, ils ont pu apprivoiser le pouvoir de la socialisation en ligne en étant utilisés comme outil de diffusion de contenus médiatiques vers un large public. Il est important de noter que la multiplication de medias existait avant l’apparation de ce qu’il est convenu d’appeler « les medias sociaux ». Pourtant, les réseaux sociaux sont une activité particulière des médias sociaux et ne sont pas synonymes de médias sociaux. Les médias sociaux désignent un ensemble de services permettant de développer des conversations et des interactions sociales sur internet ou en situation de mobilité (Cavazza, 2017)
Avant l’appartion de ces médias sociaux, la diversification de chaînes de télévision, de radio et de journaux grâce à diverses technologies, comme les satellites, avait déjà transformé le paysage médiatique. C’est dans ce contexte que la théorie de l’agenda setting va se devolopper en montrant la fin de monopole des medias de masse traditionnels et dominant sur l’opinion publique (McCombs, 2005). Pourtant, cette situation de concurrence semble avoir donner lieu à la coexistence possible de multiples sources de médias de masse, donnant lieu par la suite, à un comportement sélectif de l’audience en fonction de ses préférences. Parmi les plates-formes de médias sociaux existantes, Twitter est un outil efficace pour diffuser rapidement des informations concises aux audiences théoriquement illimitées. Depuis sa création en 2006, la capacité de Twitter à propager l’information rapidement et facilement a été utilisée pour atteindre différents objectifs selon l’intention préméditée par la source, l’utilisateur de Twitter. Les politiciens, artistes, scientifiques et autres, partagent des informations pour lancer une conversation sur la plate forme. Cependant, l’impact potentiel de Twitter dans la formation de l’opinion publique est l’un des objectifs les plus recherchés. Les personnalités politiques le savent : Twitter est devenu un élément clé d’une campagne de propagande réussie (Cross, 2011). Il peut être utilisé pour les élections présidentielles, les mouvements sociaux et la mobilisation des citoyens en général. Twitter est considéré comme l’une des plates-formes de médias sociaux les plus réussies, malgré la restriction évidente de 140 caractères par tweet qui a récemment été doublée en 2017 (280 caractères). Les utilisateurs partagent sur Twitter leurs idées et leurs pensées de manière participative, courte et rapide. Ils utilisent aussi des hyperliens pour inclure différents contenus multimédias et peuvent donc communiquer entre eux sous plusieurs formes. Une « culture participative » se serait ainsi créée (Jenkins, 2008). Une discussion plus détaillée sur cette nouvelle culture sera présentée dans le chapitre « Etat de l’art ». Le succès de Twitter peut être attribué à sa capacité à permettre à ses utilisateurs de partager des idées, des matériaux créatifs et des contenus multimédias grâce à la socialisation. Ce n’est pas un concept nouveau. Les gens se socialisent en partageant des idées, en utilisant un moyen de communication, comme par exemple la langue, qui existait bien avant l’avènement des technologies de communication qui a arbitré ce processus. Ceci est évident dans le modèle de communication de Twitter où les utilisateurs produisent et consomment du contenu sous diverses formes à travers la socialisation et l’utilisation de la forme écrite de la langue parlée, dans sa forme originale. Cela signifie qu’ils utilisent des phrases courtes et segmentées et n’utilisent pas de paragraphes. Twitter a fourni une prémisse de publication, le tweet, de discours écrits segmentés qui ne respecte pas les méthodes d’écritures sophistiquées disponibles dans d’autres sources de médias imprimés. Cela a encouragé un public de milieux sociaux et culturels différents à participer à une conversation sur Twitter. Car il est facile à comprendre et ne nécessite pas un niveau d’éducation élevé. En outre, le tweet peut contenir d’autres contenus, visuels et audio, qui rendent les tweets encore plus faciles à comprendre et plus attrayants pour les autres utilisateurs. Il garantit un processus de production qui imite celui des industries des médias de masse et qui réorganise potentiellement la hiérarchie de l’information existant sur Twitter. La socialisation en tant que mode de communication dans les médias sociaux a change la capacité des individus à s’orienter dans leur environnement. En outre, ils restent informés grâce aux mises à jour régionales et internationales existantes sur la plate-forme.
L’utilisation de Twitter pour se socialiser en ligne peut être considérée comme un comportement naturel au XXIème siècle. En général les technologies de communication médiatisent la plupart des interactions quotidiennes des individus et cela va de l’utilisation d’un téléphone mobile pour communiquer avec d’autres personnes à l’accès à Twitter pour recevoir des nouvelles et des actualisations. Propulsé par la diffusion de l’information grâce à ses capacités de socialisation, Twitter a été considéré comme l’une des plates-formes de médias sociaux les plus accessibles en 2014 (Duggan et al. 2015). On compte des millions d’accès quotidiens à l’information disponible sur Twitter, un nombre qui remet en question la rentabilité des sources de communication conventionnelles. Le succès de Twitter en tant que moyen de communication est-il attribué à l’introduction d’un nouveau modèle de communication ? L’émergence de Twitter comme une plate-forme de communication de masse remet-elle en question la validité des conceptions et des théories des médias de masse ? Or les théories des medias de masse ont été pensées principalement comme un flux unidirectionnel de l’information supposant la passivité du public. Cela a conduit certains chercheurs à signaler la disparition du pouvoir de communication de masse en tant qu’influenceur des tendances sociétales et des opinions publiques. En effet, la capacité de diffusion de l’information de Twitter lui permet d’être considéré comme une plate-forme de communication de masse répondant aux effets connus de celle-ci dont l’ « agenda setting » Fréquemment appelé « l’établissement d’ordre du jour » elle designe le pouvoir des médias de masse de décider ce que le citoyen doit penser et discuter (Martin-Lagardette, 2006). Cependant, Twitter opère dans un cadre technologique radicalement différent de celui des medias de masse. Ce cadre conceptuel (l’agenda setting) peut-il dès lors s’appliquer à Twitter ? Tel est le sujet de notre recherche. L’agenda-setting fait partie des théories qui ont été interrogées et examinées au niveau de leur efficacité et leur validité dans le nouveau domaine de la communication numérique. Maxwell McCombs, le fondateur de la théorie de l’agenda setting, a été parmi les premiers à indiquer sa disparition possible et son invalidité éventuelle dans l’environnement dominé par les moyens de communication assistés par les ordinateurs (McCombs, 2005). Des études ont ensuite tenté de contredire sa proposition en indiquant qu’il existait un transfert d’agenda entre les sources traditionnelles de médias et les sources de médias sociaux (Meraz, 2009). Cela fait référence à l’agenda setting en tant que concept valable dans les médias sociaux, y compris Twitter, puisque les agendas des médias sociaux et les agendas des médias de masse traditionnels s’influencent mutuellement. Néanmoins il est important de noter qu’affirmer l’existence du pouvoir de l’agenda setting dans les médias sociaux, en explorant le transfert des agendas entre les sources de medias de masse conventionnelles et les médias sociaux, est une analyse incomplète. Cette analyse n’explique pas la capacité de l’agenda setting à exercer une influence sur les plates-formes de médias sociaux et ignore comment il pourrait être défini et selon quelles conditions. Il existe des facteurs déterminants comme, l’ordre d’apparition, la disponibilité et la facilité d’accès au contenu qui affectent considérablement la capacité du contenu médiatique à influencer (Lee, 2005). Ces facteurs affectent la prépondérance perçue de certains contenus médiatiques (Lee, 2005). Cependant, est-ce que les hypothèses fondamentales de la théorie peuvent rester identiques ? Par exemple, le temps d’apparition des nouvelles, l’espace dédié aux nouvelles, l’emplacement des nouvelles et leur fréquence d’apparition qui assument un rôle essentiel à la création et le transfert de la prépondérance des sujets, et par conséquent, au transfert d’agenda. Ces variables peuvent être difficiles à déterminer dans un environnement qui, non seulement prend en charge, la signification bidirectionnelle de la communication, mais aussi une sélectivité et une filtration accrues de l’information disponible. Est-ce que la prépondérance des sujets, « l’issue salience » , qui depend de ces facteurs mentionnés précédemment, a la même capacité d’influence sur les médias sociaux? Est-ce que la conceptualisation originale de l’agenda setting devrait s’adapter et changer pour refléter les nouveaux défis posés par Twitter? De plus, cette nouvelle définition et ces nouvelles conditions pourraient-elles être généralisées pour englober toutes les plates-formes informatisées ou sont-elles uniquement reliées à Twitter ? Quelles sont les similitudes et les différences au niveau du transfert d’agenda de la source à l’audience parmi les médias traditionnels et les médias sociaux? Tels sont les enjeux de la recherche que nous avons conduite.
|
Table des matières
1. INTRODUCTION
1.1. TWITTER ET LES MÉDIAS DE COMMUNICATION DE MASSE
1.2. QUESTIONS DE RECHERCHE
1.2.1. QUESTIONS
1.2.2. UTILISATION DE TWITTER EN FRANCE ET AU KOWEÏT
1.2.2.1. TWITTER EN FRANCE
1.2.2.2. TWITTER AU KOWEÏT
1.3. CONCEPTION DE LA RECHERCHE
1.3.1. LE TERRAIN D’ÉTUDE
1.3.2. MÉTHODOLOGIES DE LA RECHERCHE
1.3.3. GLOSSAIRE
1.3.4. PLAN DE LA THÈSE
2. ÉTAT DE L’ART
2.1. TWITTER UN CYCLE DE COMMUNICATION SEMBLABLE À CELUI DE LA COMMUNICATION DE MASSE ?
2.2. AGENDA SETTING
2.2.1. LE BESOIN D’INFORMATION : LE BESOIN D’ORIENTATION
2.2.2. LA FONCTION DE L’AGENDA SETTING DES MÉDIAS DE MASSE : UNE VUE D’ENSEMBLE
2.2.3. L’ÉVOLUTION DES RECHERCHES DE LA FONCTION DE L’AGENDA SETTING
2.2.3.1. « FIRST-LEVEL AGENDA SETTING »
2.2.3.2. « SECOND-LEVEL AGENDA SETTING »
2.2.3.3. L’AGENDA SETTING EN PSYCHOLOGIE
2.2.3.4. LES SOURCES D’AGENDA DES MÉDIAS DE MASSE
2.2.3.5. CONSÉQUENCES COMPORTEMENTALES DE L’AGENDA SETTING
2.2.3.6. « AGENDA MELDING »
2.3. MÉDIAS SOCIAUX
2.3.1. CONTENU GÉNÉRÉ PAR L’UTILISATEUR
2.3.2. LE POUVOIR DES PROFILS PERSONNELS
2.3.3. LES MÉDIAS SOCIAUX : LA PLATE-FORME EXPLIQUÉE
2.3.4. UN CINQUIÈME DOMAINE
2.3.5. LES RECHERCHES DANS LES MEDIAS SOCIAUX
2.3.6. TWITTER
2.4. AGENDA SETTING ET TWITTER
3. LA RECHERCHE AXÉE SUR LA PLATE-FORME DE TWITTER
3.1. MÉTHODOLOGIE
3.2. RÉSULTATS POUR LA RECHERCHE AXÉE SUR LA PLATE-FORME TWITTER EN FRANCE
3.3. RÉSULTATS POUR LA RECHERCHE AXÉE SUR LA PLATE-FORME TWITTER AU KOWEÏT
3.4. INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS
4. LA RECHERCHE AXÉE SUR LES UTILISATEURS DE TWITTER
4.1. MÉTHODOLOGIE
4.2. RÉSULTATS POUR LA RECHERCHE AXÉE SUR LES UTILISATEURS DE TWITTER EN FRANCE
4.3. RÉSULTATS POUR LA RECHERCHE AXÉE SUR LES UTILISATEURS DE TWITTER AU KOWEÏT
4.4. INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS
5. CONCLUSION
Télécharger le rapport complet