La place de la différenciation pédagogique
Dès la période 2, j’ai commencé modestement à prendre en compte la diversité des besoins des élèves, en proposant aux plus rapides des exercices supplémentaires. Je prends alors la mesure que ce premier levier de différenciation est insuffisant pour gérer sereinement l’hétérogénéité d’une classe. Certes, il me permet d’apporter de l’aide aux élèves les plus en difficulté mais je ne suis pas en mesure de répondre aux nombreuses sollicitations du groupe classe. Par ailleurs, l’étayage apporté ne semble pas aussi efficace qu’espéré : malgré mes explications, le manque de compréhension est récurrent. J’ai donc un sentiment d’inachevé, d’être partout et nul part à la fois. Avec mon binôme, nous décidons alors de mettre en place de façon simultanée dans le temps plusieurs outils, pensés et construits conjointement.
– L’aide entre pairs : « j’ai besoin d’aide/je peux aider ». Lorsqu’un élève éprouve des difficultés pour réaliser une tâche, il peut inscrire son prénom sur un tableau, en précisant la tâche pour laquelle il a besoin d’aide. Un élève qui a terminé son travail peut consulter le tableau et s’inscrire pour l’aider, s’il pense avoir les compétences pour le faire. Basé sur le volontariat, ce dispositif repose sur le désir d’aider et celui d’être aidé ; il faut donc un accord réciproque entre deux élèves. L’aide entre pairs intervient généralement à la fin d’un temps d’entraînement mais aussi lors de temps d’autonomie me permettant de réguler les apprentissages pour certains élèves. Si certains se sont saisis de l’outil, d’autres en revanche ne se le sont pas appropriés.
– Des ateliers autonomes en lecture-compréhension et numération. Disponibles en fond de classe, les élèves peuvent réaliser les activités de leur choix, au rythme qu’ils souhaitent, lorsque leur travail est terminé. Une fiche de suivi me permet de savoir ce qui a été fait, ce qu’il reste à faire. Là encore, les usages sont très variés : certains élèves ont très vite investi ces ateliers tandis d’autres s’engagent dans l’activité seulement à la demande de l’enseignant.
– Des plans de travail : nous avons proposé aux élèves de réaliser sur leur temps libre des plans de travail portant sur les compétences travaillées en français et en mathématiques. Toutes les deux semaines, le contenu des plans de travail change en fonction des apprentissages de la période. Après 2 mois de fonctionnement, nous avons décidé d’arrêter car l’outil nous demandait beaucoup trop de temps de préparation et de correction et nous nous sommes aperçus que nos élèves en grande difficulté ou lents n’avaient jamais le temps de les faire malgré un temps dédié dans l’emploi du temps le mercredi matin.
– Des groupes de besoin : un temps de remédiation/régulation des apprentissages est inscrit à l’emploi du temps, tous les mercredis en fin de matinée. Il me permet de constituer des groupes de besoins répartis en ateliers. Pendant que les élèves travaillent en autonomie (ateliers de lecture-compréhension et numération), je prends en charge un atelier dirigé sur une notion à retravailler. Les ateliers tournent au bout de 20 minutes. Les groupes sont donc homogènes, ce qui me permet aussi d’approfondir certaines connaissances et compétences avec les « bons » élèves. Bien que complémentaires, j’éprouve à ce stade de l’année le besoin de trouver des outils alternatifs, plus adaptés aux élèves en grande difficulté qui occupent encore le plus clair de mon temps.
L’organisation spatiale, temporelle et matérielle
Le tutorat a été mis en place en période 4, pour les deux élèves présentés plus haut (cf. 1.3), à raison de deux séances par semaine pendant trois semaines. J’ai inscrit le dispositif à l’emploi du temps lors des séances d’étude de la langue les lundis (début de matinée) et mardis (après-midi). A cette occasion, l’aménagement de la classe, initialement en U, a été repensé en cinq îlots hétérogènes afin de faciliter les interactions entre élèves, notamment pour de l’aide informelle et pour des travaux de groupe (cf. annexe II). L’intérêt que j’y ai vu dans le cadre du tutorat était de ne pas stigmatiser les deux élèves aidés, qui conservent ainsi leur environnement de travail : les tuteurs sont placés à côté des élèves tutorés qui n’interviendront que sur des temps spécifiques. Le choix des tuteurs s’est fait sur la base du volontariat. J’ai identifié deux élèves à qui j’ai proposé d’être tuteurs. Un temps dédié en fin de période 3 m’a permis de leur expliquer en présence des deux élèves à aider, Ma. et Me., en quoi consistait ce rôle et de leur présenter la charte du tuteur (cf. Annexe III). Ces deux élèves, que je nommerai T1 et T2, ont accepté sans hésitation. Ce choix n’est pas anodin puisqu’il fait suite à une réflexion sur les « associations » possibles au regard du niveau de connaissances nécessaires pour aider ces élèves en difficulté et de leurs compétences sociales pour interagir avec eux. T1 est un élève calme et consciencieux, efficace dans son travail. Il sait se rendre disponible pour les autres et propose souvent son aide de manière informelle. Tout comme T1, T2 est un bon élève qui a le souci de bien faire, parfois trop ! Etonnamment, il manque de confiance en lui et a besoin de se rassurer sans cesse. Le placer en situation d’expert par rapport à un autre élève m’a semblé intéressant pour le valoriser mais aussi favoriser l’estime de soi. Pour des raisons logistiques et matérielles, j’ai fait le choix d’enregistrer un binôme tuteur-tutoré par séance, en plaçant mon téléphone portable sur l’îlot concerné. A l’issue de la première semaine d’observation, voyant que la mise au travail était difficile et que les interactions entre élèves étaient timides, j’ai fait le choix la semaine suivante de placer les quatre élèves en fond de classe à une table ronde et de faire une prise de son commune. La troisième semaine, pour des raisons que j’expliquerai dans l’analyse des résultats, les binômes ont continué à travailler en fond de classe mais de façon alternée.
Une hausse du niveau de motivation et des interactions plus riches
L’analyse des séances enregistrées met en évidence l’évolution dans le temps des postures d’élèves mais aussi des effets du tutorat sur la motivation des élèves aidés et les interactions entre pairs. Les figures 4 et 5 montrent qu’au bout de trois séances le niveau de motivation de Ma. et Me. pour réaliser une tâche a augmenté de manière significative et qu’il est fortement corrélé à la fréquence et à l’intensité des interactions avec leur tuteur. Dans le cas de Me., le constat est d’autant plus lisible qu’il est passé d’une posture de refus à une posture réflexive sur la tâche à réaliser. Ce changement a eu un impact sur l’atmosphère de coopération avec son tuteur, qui a pu instaurer un climat de confiance et de bienveillance lors de la troisième séance. Pour Ma., j’ai pu constater les effets du tutorat sur sa motivation dès la deuxième séance. La posture d’accompagnement de T1 est un facteur facilitant à mon sens, qui l’a incité à franchir les obstacles. Ma. est un élève qui par ailleurs interagit facilement avec les autres et qui n’exprime pas de sentiment de rejet face à l’erreur.
Conclusion
Le tutorat est un moyen parmi d’autres pour diversifier la pédagogie et gérer l’hétérogénéité d’une classe. Les bénéfices pour le tuteur comme pour le tutoré sont évidents : responsabilisation des élèves, consolidation/renforcement des connaissances, valorisation de l’image de soi, reconnaissance du droit à l’erreur, etc. Néanmoins, il ne suffit pas de placer deux élèves en situation de tutorat pour qu’il y ait interactions. L’expérimentation dans ma classe a montré que les élèves avaient besoin de temps pour « s’apprivoiser », avoir confiance l’un dans l’autre. De même, l’engagement dans la tâche et les interactions que génère le dispositif ne sont pas toujours le signe de motivation et d’appropriation des savoirs par le tutoré. Néanmoins, elle montre des résultats encourageants au regard de l’évolution des postures d’élèves face aux apprentissages, de l’augmentation du niveau de motivation et des interactions entre élèves qui s’enrichissent au fil des séances. Au regard de l’évolution positive de la pratique du tutorat observée pendant trois semaines, le dispositif mériterait d’être poursuivi afin d’évaluer plus finement les effets sur la motivation et les interactions entre élèves. Ainsi, je vois plusieurs prolongements possibles : tout d’abord l’utilisation d’un matériel d’enregistrement vidéo qui permettra d’observer le comportement de l’élève aidé face à la tâche demandée et les interactions avec son tuteur. Les regards, la gestuelle, les signes non-verbaux sont des indicateurs qui pourront enrichir la réflexion lors de prochaines observations. Ensuite, le recueil des impressions des élèves avec des questionnements plus ciblés sur la motivation et les interactions pourra être envisagé après chaque séance de tutorat sous la forme d’un entretien avec l’enseignant. Recueillir ces informations « à chaud » sera sans doute plus pertinent compte-tenu de la singularité des séances, tant dans le contenu des échanges que dans l’attitude des élèves. Enfin, et c’est sans doute le plus important, former les élèves au tutorat devra faire l’objet de séances d’apprentissage spécifiques pour l’ensemble du groupe classe. S. Connac (2017) préconise le principe de réciprocité, c’est-à-dire faire en sorte que tous les élèves soient alternativement tuteurs et tutorés car bien souvent celui qui profite le plus d’une situation de tutorat reste le tuteur. En ce sens, le système coopératif mis en place peut gommer ou au contraire accentuer des inégalités scolaires, que chaque enseignant se doit de déconstruire.
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Table des matières
Introduction
1. Le contexte de ma classe
1.1. La place de la différenciation pédagogique
1.2. La méthode Picot, outil du cycle 2 au sein de l’école
1.3. L’accompagnement des élèves en grande difficulté
2. Le cadrage théorique
2.1. Ce que disent les textes officiels
2.2. Les apports de la recherche
2.2.1. La pédagogie différenciée
2.2.2. Le tutorat entre pairs
2.2.3. La motivation en contexte scolaire
3. L’expérimentation du tutorat entre pairs
3.1. L’organisation spatiale, temporelle et matérielle
3.2. Compétences travaillées et objectifs de séances
3.3. L’analyse des résultats
3.3.1. Des postures d’élèves qui évoluent dans le temps
3.3.2. Une hausse du niveau de motivation et des interactions plus riches
3.3.3. Une dynamique enclenchée positive ressentie par les élèves
Conclusion
Bibliographie
Annexes
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