Troubles hémorragiques associés à l’hémophilie A
Hémostase chez le patient hémophile A
Le FVIII est un des composants clés du processus complexe et intriqué que constitue l’hémostase. L’hémostase comprend l’ensemble des mécanismes qui concourent à la formation d’un caillot de fibrine destiné à stopper les pertes de sang et réguler le flux sanguin (Davie et al., 1991). Ce processus est continu et en équilibre permanent. Classiquement, on distingue l’hémostase dite primaire qui inclut une étape vasculaire et une étape plaquettaire, et l’hémostase secondaire qui comporte la cascade de coagulation.
Hémostase primaire
Lors d’une lésion vasculaire, chez un individu normal, l’hémostase primaire est déclenchée en seulement quelques secondes. Elle est initiée par la vasoconstriction des vaisseaux qui ralentit le débit sanguin, permettant ainsi la stagnation locale des différents acteurs de l’hémostase. La mise à nu du sous-endothélium, constitué d’une matrice riche en collagène, déclenche alors l’adhésion et l’activation plaquettaire (Figure 1). Les plaquettes (PLT) adhèrent au sousendothélium par l’intermédiaire des glycoprotéines membranaires GPIa/IIa spécifiques du collagène. Cette adhésion est amplifiée par le VWF, sécrété par les cellules endothéliales, qui forme un pont entre les glycoprotéines plaquettaires GPIb/IX et les fibres de collagène (Furie and Furie, 1992). Les PLT activées libèrent alors des éléments vasoconstricteurs et proagrégeants plaquettaires contenus dans leurs granules. Dans le même temps, la membrane plaquettaire subit des transferts de phospholipides anioniques de la couche interne vers lacouche externe, permettant l’activation de la cascade de la coagulation et un début de génération de thrombine. Les traces de fibrine apparaissent et le “clou plaquettaire hémostatique” est formé. Chez les patients hémophiles A, l’adhésion et l’activation plaquettaire sont normales et permettent la formation du « clou plaquettaire » et la génération des premières molécules de thrombine.
Manifestations cliniques
Les manifestations cliniques associées à l’hémophilie A correspondent à des épisodes hémorragiques internes non contrôlés. La gravité et la fréquence de ces manifestations dépendent directement du taux de FVIII plasmatique circulant. Dans les formes les plus sévères de la pathologie, des hémorragies spontanées en particulier au niveau des articulations et des tissus mous (peau, tendons, ligaments, muscles, …) sont observées. Des manifestations hémorragiques notamment intracrâniennes peuvent parfois se produire à la naissance, mais en général, les manifestations hémorragiques n’apparaissent que lors de l’apprentissage de la marche. Les saignements chroniques au niveau des articulations conduisent au développement d’arthropathies fortement invalidantes, en particulier au niveau des hanches et des genoux, et à une morbidité élevée (Lafeber et al., 2008). Dans les pays développés, l’hémorragie intracérébrale est la principale cause de mortalité chez les patients hémophiles A (en dehors des maladies infectieuses telles que les infections au VIH (virus de l’immunodéficience humaine) et au VHC (virus de l’hépatite C) transmises dans les années 1980 par les traitements dérivés de plasma).
Traitements et complications
Traitement
Prise en charge actuelle
Le traitement de l’hémophilie A consiste en l’administration de FVIII exogène dit «thérapeutique » par voie intraveineuse. Ce traitement est administré soit à la demande lors d’un épisode hémorragique, soit à titre préventif par prophylaxie. Dans ce dernier cas, le protocole standard consiste à infuser 25-40 UI/kg de FVIII thérapeutique, 2 à 3 fois/semaine (Peyvandi et al., 2016a). Aujourd’hui, les patients de la plupart des pays développés ont accès à des quantités suffisantes de FVIII et sont traités en prophylaxie. Ce mode de traitement permet de prévenir les atteintes osseuses et articulaires, et améliore la qualité de vie des patients (Berntorp, 2003). Dans les pays développés, deux types de concentrés de FVIII thérapeutiques sont utilisés : soit des dérivés plasmatiques, soit des recombinants (issu du génie génétique). Les FVIII dérivés de plasma sont purifiés à partir de mélanges de plasma de milliers de donneurs sains et ont été développés dans les années 1960 (Webster et al., 1965). Mais dans les années 1980, la contamination de patients hémophiles A par le VIH et le VHC a fortement remis en question l’utilisation des produits plasmatiques. Aujourd’hui, la sélection des donneurs et les méthodes d’inactivation virale appliquées au FVIII dérivés de plasma ont pratiquement éliminé ce risque infectieux. Cependant, une incertitude demeure quant à la transmission du prion et de la maladie de Creutzfeldt Jacob (Ironside, 2010). A noter, que ces FVIII dérivés de plasma contiennent des protéines humaines « contaminantes » telle que l’albumine, la fibronectine et le VWF. La contamination de patients hémophiles par des agents infectieux a favorisé le développement industriel de FVIII recombinants clonés à partir de la séquence ADN de deux donneurs caucasiens (Viel et al., 2009). Les FVIII recombinants actuellement utilisés en France sont produits soit par des cellules CHO (Advate®, Baxter), soit par des cellules BHK (Kogenate®, Bayer et Helixate®, CSL Behring). Un FVIII recombinant délété du domaine B (Refacto®, Wyeth) est également utilisé. Récemment, un FVIII recombinant délété du domaine B produit par des cellules humaines, les HEK293 (Nuwiq® , Octapharma), a été introduit sur le marché (Casademunt et al., 2012). La demi-vie moyenne des différents FVIII thérapeutiques est d’environ 8 à 12 heures.
Nouvelles générations de FVIII thérapeutiques
Récemment, de nouvelles générations de FVIII recombinant « à longue durée de vie» ont été développées afin de diminuer la fréquence d’injections de FVIII. Pour cela, deux stratégies différentes ont été utilisées. La première est de lier de manière covalente le FVIII à différents polymères de polyéthylène glycol (PEG) par liaison à une cystéine libre (au niveau des domaines A2, A3 ou B). Actuellement, trois types de FVIII-PEG (BAY94-9027, Bayer ; Bax855, Baxalta ; N8-GP, Novo Nordisk), sont en cours d’essais cliniques (Mei et al., 2010; Tiede et al., 2013). Toutefois, l’augmentation de la demi-vie observée chez les patients pour ces trois FVIII-PEG reste assez modeste, aux alentours de 1,5 fois (~18h) (Peyvandi et al., 2016a). La seconde stratégie consiste à fusionner le FVIII au fragment Fc de l’IgG1 humaine, en tirant avantage de l’interaction du Fc des IgG avec le récepteur Fc néonatal (FcRn), mécanisme physiologique qui protège les IgG de la dégradation lysosomale. Un FVIII-Fc avec une demivie d’environ 18h a été récemment introduit sur le marché Américain (Eloctate, Biogen) (Mahlangu et al., 2014).
Complications
Actuellement, la complication la plus redoutée est l’apparition d’anticorps capables de neutraliser l’activité pro-coagulante du FVIII. De tels anticorps sont appelés « inhibiteurs » car ils inhibent l’activité biologique du FVIII substitutif (de Biasi et al., 1994; Ehrenforth et al., 1992) et rendent le traitement inefficace. Cette complication survient chez 25 à 30% des patients hémophiles A sévères, essentiellement au cours des 15 à 20 premiers jours d’exposition (Gouw et al., 2007a, 2013a, 2013b) et 5 à 10% des patients hémophiles A modérés dans les 50 premiers jours d’exposition (Eckhardt et al., 2013; Oldenburg and Pavlova, 2006). La réponse inhibitrice est évaluée par une variante de la méthode Bethesda (variante Nijmegen, (Verbruggen et al., 1995)). Le titre inhibiteur est estimé en unités Bethesda (UB), 1 UB correspondant à la dilution du plasma testé capable de neutraliser 50% de l’activité pro-coagulante du FVIII d’un plasma normal. Le seuil de positivité est fixé à 0,6 UB. Parmi les patients hémophiles A ayant développé des inhibiteurs, on distingue les « faibles » répondeurs (5UB), et les forts « répondeurs » (>5UB). Les faibles répondeurs gardent un titre inhibiteur 5UB, malgré la poursuite des injections de FVIII, tandis que les forts répondeurs présentent un titre inhibiteur qui peut augmenter après chaque nouvelle exposition au FVIII (réponse anamnestique). Dans le cas d’un patient hémophile A faible répondeur, les doses de FVIII sont augmentées pour saturer les inhibiteurs. En revanche, cette stratégie s’avère inefficace chez les patients hémophiles A forts répondeurs. Ces patients sont traités avec des agents dépourvus de FVIII, tels que des facteurs activés du complexe prothrombinique (FEIBA® ), ou du facteur VII activé recombinant (Novoseven® ). Toutefois, l’utilisation de ces produits, qui court-circuitent le FVIII dans la cascade de la coagulation, n’est pas aussi efficace que le traitement substitutif. Enfin, un protocole d’induction de tolérance immunitaire (ITI) est également proposé au patient. Ce protocole consiste en l’administration répétée de fortes doses de FVIII, pouvant parfois être associée à un traitement immunosuppresseur (cyclophosphamide). Ces traitements font disparaître les inhibiteurs chez 65-70% des patients, mais sont contraignants pour le patient et extrêmement couteux (Peyvandi et al., 2016a). Pour les 30-35% de patients chez qui les inhibiteurs subsistent, les approches actuelles sont soit une thérapie avec un anticorps monoclonal anti-CD20 (Rituximab) (Leissinger et al., 2014), soit une nouvelle ITI avec un FVIII contenant du VWF (Santagostino, 2013).
Ainsi, l’apparition d’inhibiteurs du FVIII chez le patient hémophile A pose-t-elle à la fois un problème clinique et sociétal. D’une part, la qualité de vie des patients est dramatiquement affectée, et les taux de morbidité et de mortalité augmentent (Darby et al., 2004), et d’autre part, le coût de la prise en charge de ces patients est multiplié par 3 dépassant en général les 200 000 euros par an et par patient (Gringeri et al., 2003).
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Table des matières
INTRODUCTION
I- Hémophilie A
I.1- Historique
I.2- Description
I.3- Génétique de l’hémophilie A
I.3.1- Gène du FVIII
I.3.2- Mutations liées à/responsables de l’hémophilie A
I.4- Troubles hémorragiques associés à l’hémophilie A
I.4.1- Hémostase chez le patient hémophile A
I.4.1.1- Hémostase primaire
I.4.1.2- Hémostase secondaire
I.4.2- Manifestations cliniques
I.5- Traitements et complications
I.5.1- Traitement
I.5.1.1- Prise en charge actuelle
I.5.1.2- Nouvelles générations de FVIII thérapeutiques
I.5.2- Complications
I.6- Modèle expérimentaux d’hémophilie A
I.6.1- Les modèles animaux d’hémophilie A spontanée
I.6.2- Les modèles animaux d’hémophilie A sévères générés par modification génétique
II- Le FVIII : Cycle de vie en conditions physiologiques
II.1- Structure du FVIII
II.2- Biosynthèse
II.3- Sécrétion
II.4- Les N-glycosylations du FVIII
II.5- Le complexe FVIII-VWF
II.6- Activation et inactivation du FVIII
II.7- Catabolisme du FVIII
II.7.1- Le récepteur LRP1
II.7.2- Famille des récepteurs aux LDL
II.7.3- Famille des récepteurs aux asialoglycoprotéines
II.7.4- Le Siglec-5
III- La réponse immunitaire anti-FVIII
III.1- Dynamique de la réponse immunitaire anti-FVIII
III.1.1- La réponse primaire
III.1.2- La réponse secondaire
III.2- Les facteurs de risque liés au développement d’inhibiteurs
III.2.1- Les facteurs de risque génétiques
III.2.1.1- La mutation du gène F8
III.2.1.2- Les allèles HLA de classe II
III.2.1.3- Les gènes de l’immunité
III.2.2- Les facteurs de risques environnementaux
III.2.2.1- Intensité et modalité du traitement
III.2.2.2- Statut inflammatoire du patient
III.2.2.3- La source de FVIII thérapeutique
III.3- Acteurs cellulaires et moléculaires impliqués au cours de la réponse immunitaire anti-FVIII
III.3.1- L’endocytose
III.3.1.1- Les cellules présentatrices d’antigènes
III.3.1.2- Les voies d’endocytose du FVIII et les motifs du FVIII impliqués
III.3.1.3- Les signaux de danger
III.3.2- La réponse lymphocytaire T CD4+
III.3.3- La réponse lymphocytaire B
III.3.3.1- La réponse lymphocytaire B primaire
III.3.3.2- La réponse lymphocytaire B mémoire
III.3.3.3- Réponse lymphocytaire B chez la souris hémophile A
III.3.3.4- Focus sur la signalisation du BCR et la Bruton’s tyrosine kinase
III.3.4- Les anticorps anti-FVIII
III.4- Stratégie thérapeutique face à la réponse immunitaire anti-FVIII
III.4.1- Stratégies thérapeutiques actuellement utilisées en clinique
III.4.1.1. L’induction de tolérance immunitaire
III.4.1.2. La déplétion des lymphocytes B
III.4.2- Les nouvelles approches/cibles thérapeutiques
III.4.2.1. Inhibition de l’endocytose du FVIII par les CPAs
III.4.2.2. Inhibition de l’interaction LT CD4+/CPAs
III.4.2.3. Inhibition des lymphocytes B
III.4.2.4. Induction de tolérance par « manipulation » du système immunitaire
III.5- Objectif de ma thèse
CONCLUSION
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