L’oralité
On regroupe généralement sous le terme d’oralité les fonctions dévolues à la bouche. Ainsi, d’un point de vue purement physiologique, on y distingue les fonctions de respiration, de déglutition, d’alimentation, mais aussi de phonation. Si l’on se place du côté de la psychanalyse, la bouche est considérée comme la limite entre le soi et le non soi (Golse et Guinot, 2004). Elle a un rôle primordial dans la construction de la personne. Catherine Thibault (2007) nous dit ainsi que « l’oralité est fondatrice de l’être ». Selon Véronique Abadie (2012), « l’oralité est un terme issu du vocabulaire psychanalytique qui désigne l’ensemble des fonctions dévolues à la bouche, en particulier l’alimentation et le langage. » L’oralité est un monde qui fascine les professionnels de l’enfance car elle implique des notions aussi variées et fondamentales que les fonctions sensorimotrices fœtales, l’adaptation à la vie extra-utérine, la fondation du lien mère-enfant, l’adaptation de l’enfant à ses besoins nutritionnels ainsi que sa construction physique, psychique, relationnelle et socioculturelle. Ses mécanismes de fonctionnement sont complexes, et les connaissances concernant le développement, la physiologie et la régulation de l’oralité alimentaire du jeune enfant doivent encore être approfondies
Formation de la cavité bucco-nasale
La cavité bucco-nasale primitive, appelée aussi stomodaeum, se forme au cours des deux premiers mois de l’embryogénèse. Elle est le résultat de la convergence de cinq bourgeons d’ectoderme, ébauche de la peau. Le développement embryonnaire du massif facial a lieu lors de la troisième semaine, au moment de la neurulation, étape embryonnaire au cours de laquelle le cerveau et les structures faciales se différencient. A la fin du premier mois de l’embryogénèse, cinq bourgeons faciaux primordiaux (le bourgeon frontal, les bourgeons mandibulaires et les bourgeons maxillaires) délimitent le stomodaeum. La tête s’individualise lorsque l’embryon mesure un peu moins d’un centimètre. Au cours du deuxième mois, les extrémités du bourgeon frontal s’épaississent pour former les bourgeons nasaux internes et externes. La bouche, le nez et les yeux apparaissent. Les deux bourgeons mandibulaires fusionnent pour donner naissance au menton, à une partie des joues et à la lèvre inférieure. Le nez, la lèvre supérieure, l’arcade dentaire supérieure et le palais primaire se forment grâce à la fusion des deux bourgeons nasaux internes. Chaque bourgeon mandibulaire fusionne avec le bourgeon maxillaire qui lui correspond, et chaque bourgeon nasal externe fusionne avec le bourgeon maxillaire correspondant constituant le massif latéral de la face. Le massif médian fusionne de chaque côté avec le massif latéral (Couly, 1996).
La déglutition fœtale
Selon Véronique Abadie (2012), la déglutition est la fonction qui fait passer l’aliment de l’extérieur vers le tube digestif. Elle est commune à tous les êtres du règne animal. Lors de la septième semaine de vie embryonnaire, le tronc cérébral reçoit les premières afférences sensorielles en provenance de la zone oro-pharyngée. Vers la neuvième semaine, les premiers automatismes oraux apparaissent et la tête commence à se redresser. Lors de la dixième semaine, la langue descend de la fosse nasale primitive dans la bouche, ce qui permet la fermeture de la voûte palatine. Vers la onzième semaine, les premières déglutitions apparaissent et vers la douzième semaine, les papilles gustatives sont formées, les mouvements de lapement de la langue et la déglutition sont efficaces. Le fœtus déglutira alors des quantités de plus en plus importantes de liquide amniotique. Au moment du terme, on estime qu’il déglutit entre 1,5 et 3 litres de liquide amniotique par vingt quatre heures. La succion non nutritive, qui n’implique ni déglutition, ni fermeture laryngée préventive des fausses routes, est composée de trains de succion plus rapides que ceux de la succion nutritive. Elle apparaît tôt, dès la 27-28ème semaine d’âge gestationnel. La succion nutritive, en revanche, exige une parfaite coordination entre la succion, la déglutition et la ventilation. Elle n’apparaît qu’à partir de 33-34 semaines, pour devenir mature dans les premières semaines de vie néonatale.
La déglutition du nouveau-né
A la naissance, le bébé est mis au sein et goûte le lait maternel dont les premières sécrétions s’appellent le colostrum. Le passage d’un milieu aqueux à un milieu atmosphérique nécessite un changement de stratégie pour déglutir le lait : les mouvements de lapement ne suffisent plus, le bébé doit mettre le mamelon en bouche, aspirer le lait et le propulser vers l’estomac. L’observation de prématurés de moins de 34 semaines qui n’ont pas encore acquis la succion nous montre que cette maturation intervient vers les dernières semaines de vie intra-utérine. La succion est un acte complexe qui demande un équipement neurologique et anatomique intact. Elle est amorcée ou inhibée par une série de réflexes oraux dits « archaïques » (Saint-Anne Dargassies, 1979) :
• Les points cardinaux : lorsque l’on caresse la joue du bébé, celui-ci tourne la tête du côté de la stimulation. Cet automatisme est une réponse à une stimulation tactile pour aller chercher le mamelon. L’odorat joue aussi un rôle essentiel dans son déclenchement. De plus, quand on touche la lèvre supérieure de l’enfant, cela entraîne une légère ouverture de la bouche et une propulsion des lèvres et de la langue : l’enfant se prépare à mettre le mamelon en bouche.
• Le nauséeux : c’est un automatisme de protection qui consiste à inhiber ou inverser le réflexe de déglutition dès que le système sensoriel gustatif a identifié une substance différente du lait. La différence peut se situer au niveau de la température, de la consistance ou du goût.
• L’automatisme d’orientation de la langue : si on stimule le bord droit ou gauche de la langue proche de la pointe, la masse linguale se dirige du côté de la stimulation.
• La pression alternative : elle est aussi appelée réflexe de morsure ou réflexe de jaillissement. C’est un geste qui consiste en une alternance d’ouverture et de fermeture verticale bien rythmée de la mandibule lors des succions. Ce geste permet de faire pression sur le mamelon au moment de la fermeture de la mandibule pour faire jaillir le lait.
• Le réflexe de succion : il se déclenche lors de l’introduction d’un doigt dans la bouche. Le doigt est vigoureusement comprimé par une aspiration.
• Le réflexe de toux : c’est un réflexe de protection contre les fausses routes laryngées. Lors de la succion nutritive, le nouveau-né exécute une séquence rythmée de trois à quatre coups de pression alternative. Lors de chaque coup, les lèvres sont bien insérées autour de la tétine, les joues se contractent et la mâchoire, en se refermant, fait jaillir le lait. La langue fait alors son travail de pompe avec des mouvements antéro-postérieurs rythmés et de type péristaltique. La pointe, qui est en légère protrusion, et les bords, qui peuvent se mettre en gouttière, enserrent la tétine et l’écrasent au palais. Une dépression intra-buccale se fait, le lait est accumulé vers la partie postérieure de la cavité buccale, mais il n’est pas encore dégluti : le voile du palais, qui est complètement abaissé, entre en contact avec la base de la langue séparant la cavité buccale de l’oropharynx, ce qui permet à l’enfant de respirer pendant cette séquence. Après quelques mouvements de pression alternative, la partie postérieure de la cavité buccale, qui forme une sorte de réservoir, est remplie de lait (Kramer, 1896). Lorsque la séquence est terminée, la langue, d’un coup de piston vigoureux contre le palais, propulse le lait vers l’arrière, créant une hyperpression l’entraînant vers l’oropharynx. La respiration s’arrête et, dès que le lait est entré dans l’œsophage, la respiration reprend, une nouvelle séquence débute et ainsi de suite. La première partie de la succion, qui correspond au remplissage de la bouche, peut être définie comme le temps de préparation buccale. La deuxième partie, qui consiste à propulser le lait vers le pharynx, correspond au temps buccal proprement dit. Ce temps ressemble beaucoup au temps buccal de l’adulte. Seul le temps de préparation buccale va fondamentalement évoluer dans le développement normal. La succion nutritive néonatale possède des particularités fonctionnelles qui sont liées, entre autres, à l’anatomie de la cavité buccale et du carrefour aérodigestif du nourrisson. La constance de l’occlusion labiale sur la tétine impose une respiration nasale. Ainsi, le bébé n’aura la capacité de respirer par la bouche, en-dehors des cris, qu’après l’âge de 2 mois. De plus, l’espace libre de sa cavité buccale est restreint en raison du volume relativement important de la langue. Le larynx est haut situé et le voile du palais proportionnellement long, ce qui permet sa mise en contact avec l’épiglotte lors de la déglutition et permet de mieux protéger les voies aériennes. En effet, le risque de fausses routes est plus important à ce moment-là, car le bébé ne peut pas décider du moment où il se met en apnée pour avaler. Dans un réflexe mature, l’apnée doit survenir à la fin d’une expiration. Chez le prématuré, cette apnée est d’abord aléatoire, puis survient pendant l’inspiration, puis en début d’expiration et enfin en seconde moitié d’expiration. La succion non nutritive est, quant à elle, très différente de la succion nutritive. La succion non nutritive n’est pas affectée par l’alimentation ni la sensation de satiété. Elle est plus superficielle et composée de mouvements de pression alternative deux fois plus nombreux que dans une succion nutritive
Le babillage
Vers l’âge de 3 mois, le nourrisson est capable de se ventiler par la bouche. Il met en place des mécanismes respiratoires et phonatoires qui lui permettent de contrôler des émissions de plus en plus longues et ressemblant de plus en plus à sa la langue maternelle. Les cris se transforment petit à petit en proto-syllabes. Grâce à la corticalité, la double stratégie alimentaire apparaît et les émissions sonores du larynx changent : le larynx descend progressivement et libère un espace en arrière de la langue qui sert de résonateur. La partie postérieure de la langue devient mobile, ce qui permet de nouveaux sons. Le babillage se développe en trois étapes successives :
• Le babillage rudimentaire (3 à 8 mois) : à partir de 3 mois, l’enfant imite les sons émis par l’adulte lorsqu’ils appartiennent à son répertoire. Vers 6 mois, les premières combinaisons de sons de type consonne et voyelle apparaissent : ce sont des protosyllabes, composées d’assemblages difficilement segmentables, l’articulation étant encore assez lâche.
• Le babillage canonique (5 à 10 mois) : l’enfant produit des syllabes dupliquées bien formées, de type consonne et voyelle. Vers 6-8 mois, il développe des traits prosodiques, mélodiques et rythmiques spécifiques à sa langue maternelle. La progression est continue, les mélodies deviennent de plus en plus riches et variées. Le babillage canonique est, selon Thibault (2007), « le point culminant du développement des vocalisations prélinguistiques ». L’enfant organise aussi le « regard conjoint », preuve de sa sensibilité à ce que l’adulte lui montre (Cabrejo-Parra, 2004).
• Le babillage mixte (9 à 18 mois) : l’enfant commence à produire des mots à l’intérieur du babillage, c’est le proto-langage. Vers 11-13 mois, tous les sons que l’enfant produit appartiennent à sa langue maternelle. Il utilise de plus en plus souvent les gestes et les changements d’intonation pour donner du sens à ses proto-mots.
Prévention chez les nouveau-nés à terme
Catherine Senez (2002) propose de mettre en place un protocole de stimulation du goût et de la succion chez tous les nourrissons de 0 à 2 mois sous alimentation artificielle. Ce protocole a pour but de rythmer les journées de l’enfant avec 6 à 8 stimulations par jour calquées sur les heures de tétée, mais aussi de permettre une maturation du goût et de la succion pendant la période d’alimentation entérale afin de préparer l’enfant à s’alimenter oralement. Ce protocole consiste à « stimuler l’enfant toutes les trois heures avec l’auriculaire trempé dans le lait (maternel si possible) en donnant une pression franche et ferme sur la langue, tout en la frottant d’arrière en avant » (Senez, 2002). On fait ensuite pivoter le doigt pour le mettre paume au palais en entraînant la succion par des mouvements d’arrière en avant. On laisse le doigt inerte dès que des mouvements de succion active sont perçus. L’opération doit être réitérée plusieurs fois pendant le remplissage de l’estomac. Catherine Senez (2002) préconise de respecter tous les jours les mêmes horaires et de ne débuter les essais au biberon que lorsque l’enfant a renforcé sa succion et commencé à bien tirer sur le doigt lors des stimulations
|
Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE THEORIQUE
I. L’oralité
A. Développement de l’oralité
1. Formation de la cavité bucco-nasale (cf. annexe 1)
2. Anomalies de développement
a) Défauts de fusion du palais primaire
b) Défauts de fusion du palais secondaire
3. Développement de la succion et de la déglutition
a) La déglutition fœtale
b) La déglutition du nouveau-né
c) Transition vers la déglutition de l’adulte
d) La déglutition de l’adulte
4. Acquisition des goûts alimentaires
B. Oralité primaire et secondaire
1. Oralité primaire (cf. annexe 2)
a) Le cri
b) La succion
2. Oralité secondaire (cf. annexe 3)
a) La double stratégie alimentaire
b) Le babillage
c) La praxie de mastication et les premiers mots
II. Les troubles de l’oralité
A. Etiologie
1. Causes organiques
2. Causes neurologiques
3. Causes psychogènes
4. Troubles de l’oralité causés par une nutrition artificielle
a) Définition et procédures
b) Complications liées à la nutrition artificielle
5. Troubles de l’oralité causés par une hypersensibilité nauséeuse
a) Développement de l’enfant et réflexe nauséeux
b) Hyper-nauséeux, troubles alimentaires et langage
B. Evaluation et prise en charge
1. Evaluation orthophonique
a) Echelles d’évaluation
b) Bilan orthophonique
2. Prise en charge orthophonique
a) Désensibilisation de l’hyper-nauséeux
b) Rééducation des enfants IMC et polyhandicapés
C. Prévention des troubles de l’oralité
1. Prévention chez les prématurés
2. Prévention chez les nouveau-nés à terme
3. Geste d’aide à la succion
4. Prévention des troubles de l’oralité consécutifs à la nutrition artificielle
METHODOLOGIE
I. Problématique et hypothèses de recherche
II. Population d’étude
A. Les médecins généralistes et les pédiatres
B. Les services de néonatologie
III. Outils méthodologiques
A. Mode d’administration
B. Période
C. Le questionnaire
1. Types de questions (François de Singly, 2012)
2. Organisation des questions
3. Présentation et analyse du questionnaire destiné aux pédiatres et aux généralistes
4. Présentation et analyse du questionnaire destiné aux services de néonatologie
IV. Mode de traitement des données
A. Le codage des questionnaires
B. Le codage des questions
C. Le codage des réponses
1. Dans le questionnaire destiné aux pédiatres et aux généralistes
2. Dans le questionnaire destiné au personnel des services de néonatologie
V. Précautions méthodologiques
RESULTATS ET ANALYSES
I. Analyse des données
II. Conclusion des résultats
III. Elaboration de la plaquette d’information
A. Support et forme
1. Choix du support
2. Mise en forme
B. Contenu
1. Textes et illustrations
2. Structure de la plaquette
3. Utilisation
IV. Discussion
A. Examen des hypothèses de recherche
B. Limites de l’étude
1. Le questionnaire
2. La population d’étude
3. La plaquette
C. Pistes de recherche
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
Télécharger le rapport complet