La paralysie cérébrale (PC), qui survient dans 1 naissance sur 500, représente le handicap physique le plus courant chez l’enfant (Novak et al., 2017). Elle regroupe un ensemble de troubles permanents du développement du mouvement et de la posture, entraînant une limitation de l’activité. Ces troubles découlent d’atteintes cérébrales non progressives survenues lors du développement fœtal ou de la prime enfance. Les troubles moteurs de la PC sont souvent accompagnés de perturbations de la sensibilité, de la perception, du fonctionnement cognitif, de la communication, du comportement, ainsi que d’épilepsie. Secondairement, des problèmes musculo-squelettiques peuvent apparaître (Rosenbaum et al., 2006).
Les enfants paralysés cérébraux risquent de développer des troubles de l’alimentation et de la déglutition (TAD). Leurs prévalences moyennes respectives sont de 53,5% et 50,4% et sont corrélées au degré d’atteinte globale de l’enfant (Speyer et al., 2019). Chez l’enfant paralysé cérébral, les TAD, autrement appelés troubles de l’oralité alimentaire, renvoient à des perturbations des temps buccal et pharyngien de la déglutition, résultant de troubles de la posture, du tonus et de la sensibilité (Senez, 2020).
Une prise en soins de ces troubles dès le début de la vie de l’enfant permet d’orienter favorablement sa future vie alimentaire (Senez, 2020). Le médecin prescripteur a un rôle capital dans le dépistage précoce de ces troubles et dans la prescription de soins adaptés aux particularités de l’enfant. Pourtant, comme l’a montré Quesnel (2014), si beaucoup de pédiatres et médecins de protection maternelle infantile (PMI) sont avertis de l’existence de ces troubles chez l’enfant paralysé cérébral, moins de 40% des médecins généralistes interrogés dans l’enquête menée en Haute-Normandie évoquent la PC comme étiologie possible d’un trouble de l’oralité alimentaire.
Paralysie cérébrale
Le diagnostic de paralysie cérébrale est posé dans 58% des cas avant 1 an, dans 23% des cas entre 1 et 2 ans et dans 19% des cas au-delà de 2 ans (Hubermann et al., 2015). Les atteintes motrices peuvent être de type spastique, ataxique et dyskinétique (comprenant la dystonie et la choréo-athétose) (Trabacca et al., 2016). Les atteintes mixtes et les variations de tonus sont fréquentes. Une description topographique de l’atteinte est souvent utilisée : un membre touché dans la monoplégie, un côté du corps dans l’hémiplégie, tous les membres affectés dans la diplégie, avec une prédominance de l’atteinte aux membres inférieurs, trois membres affectés dans la triplégie et les quatre membres ainsi que le tronc touchés dans la quadriplégie (Graham et al., 2016).
Alimentation et déglutition
Alimentation
Selon Speyer et al. (2019), l’alimentation correspond aux processus d’allaitement au sein ou au biberon, de transition vers une alimentation solide et/ou à la mise en place des conditions nécessaires pour l’apport alimentaire buccal d’aliments ou de liquides. Elle comprend l’interaction enfant-aidant.
Déglutition
La déglutition fait référence au transport des aliments solides, des liquides et de la salive, depuis la cavité buccale jusqu’à l’estomac (Speyer et al., 2019). La déglutition comprend 3 phases, :
– La phase orale, divisée en 2 phases distinctes : la phase de préparation (A), correspondant à la mise en bouche et à la mastication des aliments afin de constituer un bol alimentaire homogène et insalivé ; la phase orale propulsive (B), correspondant à la propulsion du bol alimentaire vers l’arrière de la cavité buccale, au niveau de l’oropharynx. Cette phase, volontaire chez l’adulte, est réflexe chez l’enfant jusqu’à la disparition des réflexes archaïques, à quelques mois de vie. Les phases suivantes sont réflexes (Bleeckx, 2012 ; Matsuo et Palmer, 2008).
– La phase pharyngée (C et D) est initiée par le réflexe de déglutition, déclenché par le passage du bol alimentaire au-delà des piliers antérieurs du pharynx. Elle correspond au cheminement du bol alimentaire depuis le pharynx jusqu’au sphincter supérieur de l’œsophage, par péristaltisme des muscles constricteurs du pharynx. La protection des voies respiratoires est assurée par l’élévation du voile du palais, l’abaissement épiglottique, l’adduction des cordes vocales et l’ascension laryngée (Bleeckx, 2012).
– La phase œsophagienne (E) correspond au trajet du bol alimentaire du sphincter supérieur de l’œsophage jusqu’à l’estomac, lieu de la digestion (Bleeckx, 2012).
Atteintes de la sphère bucco-faciale de l’enfant paralysé cérébral
Atteintes motrices
La PC résulte d’une atteinte neurologique centrale, dont découle la pathologie motrice globale caractérisée par les troubles moteurs, du tonus et de la posture. Ces derniers ont des répercussions sur les effecteurs bucco-faciaux (Crunelle, 2012). On constate également chez ces enfants la persistance de réflexes archaïques tels que le réflexe de succion et le réflexe de morsure (ou réflexe de pression alternative). Ces derniers vont parasiter voire compromettre la mise en place des mouvements bucco-faciaux nécessaires à l’alimentation (Senez, 2020).
Atteintes sensorielles
La réponse motrice n’apparaît qu’après une stimulation sensorielle : motricité et sensorialité sont liées. Cette dernière peut être altérée chez l’enfant paralysé cérébral du fait d’une dysoralité sensorielle (Senez, 2020). On peut retrouver :
– Une hyposensibilité, qui entraîne une diminution ou une absence de réaction aux stimulations buccales. Une grande quantité de nourriture est alors nécessaire afin de déclencher le réflexe de déglutition, majorant le risque de fausse route (FR). Le réflexe nauséeux peut être absent (Crunelle, 2012).
– Une hypersensibilité, qui entraîne un refus de l’enfant du contact alimentaire, manifesté par des pleurs, des schèmes d’extension (Crunelle, 2012). Cette hypersensibilité s’accompagne d’une exacerbation du réflexe nauséeux, rendant difficile l’apport alimentaire par voie buccale (Senez, 2020).
Conséquences fonctionnelles sur l’alimentation et la déglutition
Chaque enfant paralysé cérébral, avec ses atteintes motrices et/ou sensorielles, a des TAD spécifiques, en termes de type de difficulté et de degré de sévérité (Arvedson, 2013). Les TAD de l’enfant paralysé cérébral sont proportionnels à son GMFCS (Gross Motor Function Classification System) , coté de 1 à 5 (Asgarshirazi et al., 2017).
Lors de la mise en bouche, la langue, de par la faiblesse de la commande de son apex et sa protrusion due à la persistance du réflexe de succion, entraîne des difficultés de saisie buccale (Le Métayer, 1994 ; Senez, 2020). La mastication est difficile pour 65% des enfants paralysés cérébraux (Andrew et al., 2012). Les difficultés à constituer un bol alimentaire homogène s’expliquent par la limitation des mouvements de diduction de la mâchoire et par une contraction musculaire excessive. La faiblesse de l’apex lingual réduit les mouvements de rotation linguale (Le Métayer, 1994). Des fuites de nourriture et de liquides peuvent survenir du fait de troubles du tonus labial, jugal et de la protrusion linguale (Andrew et al., 2012). Cette difficulté de rétention peut être accentuée par l’hyposensibilité (Senez, 2020). Les difficultés de propulsion du contenu intrabuccal vers l’arrière de la cavité buccale, associées à un tonus labial faible entraînent une accumulation de salive dans la partie antérieure de la cavité buccale, à l’origine d’un bavage (Arvedson, 2013 ; Matsuo et Palmer, 2008).
La plupart des enfants paralysés cérébraux ont un réflexe de déglutition correct (Le Métayer, 1994). Pourtant, des troubles de la déglutition (ou dysphagie) sont fréquents chez ces derniers (Speyer et al., 2019). En effet, les troubles moteurs et sensoriels de la phase orale de la déglutition retardent l’initiation de la phase pharyngée (Arvedson, 2013). Cette atteinte de la phase orale, retrouvée chez 93,8% des enfants paralysés cérébraux, peut être à l’origine d’une dysphagie oropharyngée (Benfer et al., 2014). Suite au retard d’initiation de la phase pharyngée, on peut observer une dispersion du bol alimentaire dans le pharynx sans que la protection des voies respiratoires ne soit assurée, ou une déglutition partielle (Benfer et al., 2014). Des FR peuvent survenir avant, pendant ou après la déglutition. Des résidus restés collés au pharynx, associés à la motilité pharyngée réduite, peuvent en effet être à l’origine de FR (Arvedson, 2013). Ces dernières sont soit massives, par aspiration de l’aliment sous les plis vocaux et nécessitant une extraction d’urgence, soit minimes, avec pénétration de résidus au-dessus des plis vocaux (Crunelle, 2012 ; Matsuo et Palmer, 2008).
|
Table des matières
INTRODUCTION
Partie A : Partie théorique
1 Introduction
2 Paralysie cérébrale
3 Alimentation et déglutition
3.1 Alimentation
3.2 Déglutition
4 Atteintes de la sphère bucco-faciale de l’enfant paralysé cérébral
4.1 Atteintes motrices
4.2 Atteintes sensorielles
4.3 Conséquences fonctionnelles sur l’alimentation et la déglutition
4.4 Conséquences somatiques et psychosociales
4.5 Impact sur le développement de la parole
5 Prise en soins des troubles de l’alimentation et de la déglutition (TAD) chez l’enfant paralysé cérébral
5.1 Prise en soins transdisciplinaire
5.2 Prise en soins nécessairement précoce
5.3 Rôle de l’orthophoniste dans les TAD
6 Médecins : rôle et formation
6.1 Rôle du médecin dans les TAD
6.2 Formation médicale initiale
6.3 Développement professionnel continu
7 Problématique et hypothèses
Partie B : Matériel et méthode
8 Méthodologie expérimentale
8.1 Population d’étude
8.2 Matériel : questionnaire
8.3 Mise en œuvre : vidéo de sensibilisation
8.4 Stratégies d’analyse des données
Partie C : Résultats et discussion
9 Résultats
10 Discussion
11 Conclusion
CONCLUSION
Bibliographie
Sommaire des tableaux et figures
Sommaire des annexes