TROUBLE DU DÉFICIT DE L’ATTENTION AVEC OU SANS HYPERACTIVITÉ (TDAH)
Motricité
La motricité se définit par la capacité d’exécuter des mouvements de façon coordonnée pour produire une action fluide et efficace afin de maitriser une tâche particulière (Goldstein & Naglieri, 2011). Il y a deux types de motricité soient : la motricité fine et la motricité globale. Dans le cadre de cette étude, nous traiterons uniquement de la motricité globale et celle-ci regroupe les activités motrices sollicitant l’ensemble du corps (Rigal, 2003). Le développement de la motricité globale permet l’exécution d’habiletés fondamentales de locomotion (p. ex. ramper, marcher, courir et sauter), de transmission de force (p. ex. pousser, soulever, botter et lancer) et de changement de positions (p. ex. pivoter, faire une roulade et se balancer). De plus, la motricité globale permet d’avoir un meilleur contrôle sur son corps et a un impact sur le développement des capacités affectives, intellectuelles et sociales (Dugas & Point, 2012). Les lignes qui suivent traiteront de l’évolution du développement moteur, des déterminants de la motricité globale et de l’impact du TDAH sur celle-ci.
Développement moteur
Tout au long de la vie, l’être humain se développe et s’adapte à son environnement en modifiant son comportement moteur (Cech & Martin, 2012). Ces changements sont le résultat de l’apprentissage et de l’interaction entre des facteurs biologiques (p. ex. l’âge, la croissance et le genre) et environnementaux (p. ex. la stimulation par l’entourage) (Cech & Martin, 2012; Rigal, 2003). De façon générale, les performances motrices s’améliorent avec l’âge pour atteindre un plateau chez le jeune adulte, puis elles diminuent chez l’ainé (Cech & Martin, 2012; Leversen, Haga, & Sigmundsson, 2012). Le développement moteur se fait dans une séquence relativement similaire chez tous les individus, mais il y a une variation individuelle dans l’acquisition des capacités (Cech & Martin, 2012). Par exemple, plus un individu s’exerce à une activité, plus l’adresse et la qualité d’exécution du mouvement s’améliorent (Rigal, 2003). Le développement moteur relève de la maturation des structures des systèmes nerveux central et périphérique. Ces structures incluent les fonctions exécutives nécessaires au mouvement (p. ex. la mémoire de travail, la planification, l’organisation d’un comportement orienté vers un but, l’attention et l’inhibition). Leur maturation, chez le jeune adulte, est corrélée avec une augmentation de la myélinisation et de la synaptogenèse dans le lobe frontal (De Luca et al., 2003). À l’inverse, leur déclin chez l’ainé est proportionnellement corrélé avec un changement dans la matière blanche sous-corticale du lobe frontal (De Luca et al., 2003). De Luca et ses collaborateurs (2003) ont évalué la performance des fonctions exécutives chez 194 individus de différentes catégories d’âges (8-10 ans, 11-14 ans, 15-19 ans, 20-29 ans, 30-49 ans et 50-64 ans). Leurs objectifs étaient de déterminer le moment où ces fonctions sont actives, qu’elles se stabilisent puis qu’elles sont en déclin. Ils ont établi que la majorité des fonctions exécutives sont immatures chez l’enfant (8-10 ans), elles se développent à l’adolescence (11-19 ans) et elles sont généralement matures chez le jeune adule (20 à 29 ans). À l’âge adulte (30-49 ans), les fonctions exécutives se stabilisent avant de se décliner chez les 50 à 64 ans. Pour ce groupe d’âge, la mémoire de travail est inférieure à celle des adolescents de 11 à 14 ans (De Luca et al., 2003).
Le contrôle et l’apprentissage moteurs permettent d’acquérir des synergies de mouvements fonctionnels, efficients et fluides. Ainsi, il est possible de réagir efficacement aux perturbations intrinsèques et extrinsèques afin d’atteindre les objectifs spécifiques à une tâche (Cech & Martin, 2012). Les compétences motrices se développent de manière séquentielle. L’évolution de la motricité se divise en trois principales étapes: l’acquisition de la marche, l’acquisition de compétences motrices fondamentale et le perfectionnement des habiletés motrices (Rigal, 2003).
La première étape se manifeste de la naissance jusqu’à la maitrise de la marche, soit environ 15 mois (Rigal, 2003). Dans les trois premiers mois du nourrisson, les mouvements sont principalement des réflexes. À un an, il est généralement capable de rouler, s’assoir, se glisser, se tenir debout et de marcher (Cech & Martin, 2012).
La deuxième étape, qui correspond à l’acquisition des habiletés fondamentales (p. ex. courir, sauter, lancer, frapper, attraper, patiner, nager et skier), se termine vers 6-7 ans (Rigal, 2003). Il s’agit de la période critique d’apprentissage. C’est-à-dire, la période pendant laquelle les comportements moteurs peuvent être appris de façon favorable. Pour acquérir les comportements, l’enfant doit s’exercer régulièrement sous la stimulation de son entourage (Paoletti, 1999). Pour chaque habileté, il y a un stade de développement. Le stade initial correspond aux premières tentatives du comportement moteur. Le mouvement est saccadé et difficile à reconnaitre étant donné la présence de mouvements parasites. La coordination et la fluidité du mouvement sont plus marquées pendant le stade intermédiaire mais le mouvement n’est pas encore optimal. C’est pendant le stade final que le mouvement devient très bien coordonné, facile et gracieux. Le mouvement est alors efficient et se fait de façon automatique (Cech & Martin, 2012; Paoletti, 1999).
La troisième étape commence vers 6-7 ans puis s’étend dans les années qui suivent (Rigal, 2003). La performance motrice atteint généralement un pic à la fin de l’adolescence. Les gains sont positivement corrélés avec la pratique du comportement moteur, une part importante de l’apprentissage (Cech & Martin, 2012).
Déterminants de la motricité globale
La condition physique est influencée par des facteurs physiologiques, métaboliques et morphologiques (Cech & Martin, 2012). Selon les définitions de l’activité physique et du sport du President’s Concil on Physical Fitness and Sports (Corbin et al., 2003), les marqueurs d’une bonne condition physique sont : la composition corporelle, la capacité cardiovasculaire, la flexibilité, l’endurance et la force musculaire. Ils sont influencés par six déterminants de la motricité globale soient : l’agilité, la coordination, l’équilibre, la puissance, le temps de réaction simple et la vitesse (Corbin et al., 2003). Les individus qui ont une meilleure maitrise de ces déterminants sont plus susceptibles de s’engager dans une activité régulière, d’avoir une meilleure condition physique et sont moins à risque de développer des maladies chroniques (Corbin et al., 2003). Voici une traduction libre des descriptions de chacun des déterminants de la motricité globale, tirés des lignes directrices en matière d’activités physiques de l’organisme américain (Office of Disease Prevention and Health Promotion [OPPH], 2009), :
• Agilité : « réfère à la capacité de changer rapidement la position de l’ensemble du corps dans l’espace avec rapidité et précision ».
• Coordination : « réfère à la capacité d’utiliser les sens tels que la vue et l’ouïe, ainsi que les parties du corps dans l’exécution d’actions motrices avec fluidité et précision.
Il existe plusieurs types de coordination comme la coordination main-œil (p.ex. lancer une balle) et la coordination pied-œil (p. ex. botter un ballon) ».
• Équilibre : « réfère à la capacité de maintenir le corps en équilibre. Il peut être statique ou dynamique ».
• Puissance : « réfère à la vitesse à laquelle une force peut être appliquée ».
• Temps de réaction simple: « réfère au temps écoulé entre la stimulation et le début de la réaction ».
• Vitesse : « réfère à la capacité d’exécuter des actions motrices rapidement ou dans
une courte période de temps. Il y a plusieurs types de vitesse comme la vitesse de course, la vitesse de nage, la vitesse segmentaire des membres inférieurs et des membres supérieurs ».
L’influence de l’IMC sur la motricité
Il a précédemment été montré que la surcharge pondérale a un impact négatif sur la motricité des enfants et des adolescents (Okely, Booth, & Chey, 2004). Plus spécifiquement, les enfants et les adolescents en surpoids ou obèses performent moins bien dans les tâches locomotrices que leurs pairs plus minces. Les auteurs expliquent cette différence, entre autres, par la difficulté à déplacer une plus grande masse corporelle contre la gravité (Cortese et al., 2015; Okely et al., 2004).
L’influence du TDAH sur la motricité
La majorité des enfants ayant un TDAH éprouvent des difficultés motrices (OPPH, 2009). Dans les études, la prévalence de troubles moteurs varie entre 30% et 52% chez les enfants ayant un TDAH (Fliers et al., 2009). Les principaux troubles moteurs concernés sont la motricité fine, la coordination et l’équilibre (Chaix & Albaret, 2008). La cooccurrence du TDAH et des difficultés motrices a des impacts sévères dans le quotidien de ces enfants et est un facteur de risque de problèmes psychiatriques et d’abus de substances (Barkley, 1990; Fliers et al., 2008; Goulardins, Marques, Casella, Nascimento, & Oliveira, 2013). Les différentes causes étiologiques ainsi que les théories explicatives permettent de mieux comprendre l’influence du TDAH sur la motricité.
Causes étiologiques
D’abord, le volume réduit du cerveau et le délai de maturation du cortex préfrontal chez les enfants ayant un TDAH peuvent expliquer en partie les troubles moteurs (Goulardins et al., 2013; Rasmussen & Gillberg, 2000). La région frontale est le siège du cortex moteur, responsable des fonctions exécutives, de la planification motrice et du contrôle moteur, dont l’inhibition comportementale (Emond et al., 2009; Shaw et al., 2007). C’est également dans le lobe frontal qu’à lieu l’évaluation des récompenses (Emond et al., 2009). Il y a donc un lien à établir entre les troubles de motricité et la théorie de déficit d’inhibition comportementale de Barkley (Fliers et al., 2009) et celle de l’aversion du délai de Sonuga-Barke (1997). Ce lien sera exploré ci-dessous. Ensuite, le système dopaminergique est aussi un acteur important du contrôle moteur (Sonuga-Barke et al., 1992). Il a été établi que la réduction de l’action dopaminergique entraine une inhibition de l’action motrice dans certaines pathologies comme par exemple, la maladie de Parkinson (Fliers et al., 2009). D’ailleurs, la médication pour le TDAH, agissant sur la recapture de la dopamine, semble avoir un impact favorable sur le contrôle de la motricité chez certains enfants. L’amélioration de l’attention causée par le méthylphénidate aurait un lien direct sur la performance motrice (Chéron & Bengoetxea, 2006).
Théories explicatives
Le modèle à deux voies de Sonuga-Barke (2003), présenté à la figure 3, intègre les concepts de déficit de l’inhibition comportementale de Barkley (1997) et celui de l’aversion du délai de Sonuga-Barke (Sonuga-Barke et al., 1992). Ces deux concepts intègrent les différentes causes étiologiques pour expliquer l’impact du TDAH sur la motricité.
La première voie du modèle correspond à l’altération des fonctions exécutives, causée par un déficit d’inhibition comportementale. Les fonctions exécutives impliquées dans la théorie de Barkley (la mémoire de travail, l’autorégulation des affects, l’internalisation du langage et la reconstitution) ont un impact direct sur la motricité puisqu’elles sont nécessaires à la réalisation d’une action motrice complexe orientée vers un but (Barkley, 1997). Dans cette théorie, Barkley affirme qu’une amélioration de l’inhibition comportementale pourrait normaliser ces fonctions exécutives et il en résulterait un meilleur contrôle moteur. La mémoire de travail permet d’être plus sensible aux rétroactions lors de l’exécution d’une action motrice orientée vers un but. Ainsi, l’individu peut utiliser les rétroactions de ces expériences précédentes pour adapter son comportement moteur à la situation actuelle (Barkley, 1997). L’autorégulation des émotions permet de maitriser les informations internes (pensées et émotions) afin de réagir adéquatement à la tâche. Son amélioration permet d’inhiber les réponses non orientées vers le but et de conserver un niveau de motivation suffisant pour maintenir une action motrice de façon prolongée (Barkley, 1997). L’internalisation du langage est la capacité de se poser des questions et d’intégrer des consignes. Elle permet d’augmenter le raisonnement et la compréhension des consignes nécessaires à la planification d’actions motrices complexes (Barkley, 1997). Enfin, la reconstitution est la capacité de décomposer un évènement en séquences et de les synthétiser en un nouveau comportement. Elle permet d’exécuter plus facilement de nouvelles séquences motrices (Barkley, 1997).
La deuxième voie du modèle réfère à la théorie motivationnelle de Sonuga-Barke (Barkley, 1997). Selon cette théorie, le comportement d’un individu ayant un TDAH est influencé par une aversion du délai qui peut induire une diminution du niveau de performance (Sonuga-Barke et al., 1992). Comme l’attente est insupportable pour l’individu ayant un TDAH, il va choisir la réponse motrice immédiate même si celle-ci est inadaptée par rapport au but. De plus, les individus ayant un TDAH ont de la difficulté à persévérer dans des tâches longues qui demandent une attention soutenue (Sonuga-Barke et al., 1992). Ce qui pourrait aussi expliquer la difficulté à conserver un niveau de motivation adéquat pour maintenir une action motrice prolongée. Enfin, la capacité à tolérer un délai avant une gratification est nécessaire pour exécuter des stratégies de régulations comportementales (Carrier, 2013).
Impact des comorbidités et de la médication
En plus des causes étiologiques du TDAH, d’autres facteurs peuvent expliquer en partie l’altération des capacités motrices. Il s’agit, entre autres, de la présence de comorbidités et de la prise de médication.Dans un premier temps, certaines comorbidités peuvent avoir une influence sur la motricité des individus ayant un TDAH. Par exemple, un niveau d’anxiété élevé peut diminuer la performance motrice lors d’une évaluation (Mullen & Hardy, 2000). L’obésité, dont la prévalence est plus élevée chez les individus ayant un TDAH, est également une comorbidité pouvant altérer la motricité (Cortese et al., 2015; Okely et al., 2004).Dans un deuxième temps, la médication peut aussi avoir une influence sur la performance motrice. Dans la littérature, l’influence des médicaments n’est toutefois pas clairement définie (Brossard-Racine, Shevell, Snider, Bélanger, & Majnemer, 2012). Les résultats semblent varier en fonction du type de tests moteurs utilisés et de la gravité des symptômes des participants. (Kaiser, Schoemaker, Albaret, & Geuze, 2015). Dans leur revue de la littérature, Kaiser et ses collaborateurs (2015) rapportent que la médication stimulante améliore l’équilibre dynamique et le temps de réaction simple.
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Table des matières
INTRODUCTION
TROUBLE DU DÉFICIT DE L’ATTENTION AVEC OU SANS HYPERACTIVITÉ (TDAH)
1.1 DESCRIPTION
1.2 ÉPIDÉMIOLOGIE
1.2.1 LA PRÉVALENCE
1.2.2 LES COMORBIDITES
1.3 ÉTIOLOGIE
1.3.1 DÉVELOPPEMENT NEURO-ANATOMIQUE
1.3.2 LES FACTEURS GÉNÉTIQUES
1.3.3 LES FACTEURS ENVIRONNEMENTAUX
1.3.4 LES FACTEURS PSYCHOSOCIAUX
1.4 PRINCIPALES THÉORIES EXPLICATIVES
1.4.1 DÉFICIT D’INHIBITION COMPORTEMENTALE
1.4.2 L’AVERSION DU DÉLAI
1.4.3 LE MODÈLE À DEUX VOIES
1.5 TRAITEMENTS
1.5.1 LES THERAPIES D’APPOINT
1.5.2 L’APPROCHE PHARMACOLOGIQUE
1.5.3 L’APPROCHE PHYSIQUE
MOTRICITÉ
2.1 DÉVELOPPEMENT MOTEUR
2.2 DÉTERMINANTS DE LA MOTRICITÉ GLOBALE
2.3 L’INFLUENCE DE L’IMC SUR LA MOTRICITÉ
2.4 L’INFLUENCE DU TDAH SUR LA MOTRICITÉ
2.4.1 CAUSES ETIOLOGIQUES
2.4.2 THÉORIES EXPLICATIVES
2.4.3 IMPACT DES COMORBIDITÉS ET DE LA MÉDICATION
MÉTHODOLOGIE
3.1 OBJECTIFS ET HYPOTHÈSES
3.2 PARTICIPANTS
3.3 DESCRIPTION DE L’ÉTUDE
3.3.1 AGILITÉ
3.3.1.1 La course navette de 5 mètres
3.3.1.2 La course à pas chassés
3.3.1.3 La course en cercle
3.3.1.4 La course en slalom
3.3.2 COORDINATION
3.3.2.1 La coordination main-oeil.
3.3.2.2 La coordination mains-pieds
3.3.3 ÉQUILIBRE
3.3.3.1 L’équilibre statique les yeux ouverts
3.3.3.2 L’équilibre statique les yeux fermés
3.3.3.3 L’équilibre dynamique (instable)
3.3.4 VITESSE SEGMENTAIRE
3.3.4.1 La vitesse des membres supérieurs
3.3.4.2 La vitesse des membres inférieurs
3.3.5 TEMPS DE RÉACTION
3.4 STATISTIQUES
RÉSULTATS
4.1 PORTRAIT DE L’ÉCHANTILLONNAGE
4.1.1 ÂGE
4.1.2 MESURES ANTHROPOMÉTRIQUES
4.1.3 COMORBIDITÉS
4.1.4 PRISE DE MÉDICATION
4.2 IMPACT D’UN TDAH SUR LA MOTRICITÉ GLOBALE DES ADOLESCENTS
4.2.1 COMPARAISON DES PERFORMANCES AUX TESTS D’HABILETÉS MOTRICES
4.2.2 COMPARAISON DES PERFORMANCES POUR CHAQUE DÉTERMINANT DE LA MOTRICITÉ GLOBALE
4.2.3 COMPARAISON DES PERFORMANCES POUR LA MOTRICITÉ GLOBALE
DISCUSSION
5.1 PORTRAIT DE L’ÉCHANTILLONNAGE
5.2 IMPACT D’UN TDAH SUR LA MOTRICITÉ GLOBALE DES ADOLESCENTS
5.3 LIMITES IDENTIFIÉES
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
ANNEXE A: PROTOCOLE D’EVALUATION DES HABILETES MOTRICES
BIBLIOGRAPHIE
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