Trouble de la personnalité antisociale et comportements violents
Les résultats d’une méta-analyse récente suggèrent que, chez ceux ayant un TPA, le risque de commettre des comportements violents est plus élevé que chez ceux présentant tout autre diagnostic de trouble de la personnalité (Yu, Geddes, & Fazel, 2012). De plus, le TPA serait la catégorie diagnostique la plus fortement associée au risque d’être impliqué dans des incidents violents, d’en commettre de façon répétitive, de blesser la victime ou d’être soi-même blessé (Coid et al., 2006). Parmi un groupe de détenus ayant commis des crimes violents graves, ceux ayant un TPA avaient les plus hauts niveaux de violence et un tiers disaient être violents sur une base régulière (Nathan, Rollinson, Harvey, & Hill, 2003). Des résultats semblables ont été observés dans la population générale, alors que plus de la moitié des personnes ayant un diagnostic de TPA avaient commis un acte violent dans les cinq dernières années et plus du quart avaient blessé quelqu’un (Coid et al, 2006). Il faut toutefois demeurer prudent quant à l’interprétation de ces résultats étant donné que les études citées précédemment n’ont pas évalué un possible diagnostic de psychopathie chez les participants présentant un TPA. Néanmoins, les résultats des rares études à distinguer TPA et psychopathie démontrent que le TPA seul est un prédicteur significatif du nombre de condamnations pour des crimes violents.
Dans deux de ces études, le groupe de détenus ayant à la fois un diagnostic de TPA et répondant aux critères de la psychopathie était celui ayant reçu le plus grand nombre de condamnations pour crimes violents. Toutefois, le groupe présentant un TPA sans psychopathie avait un nombre significativement plus grand de condamnations pour ce type de crime que le groupe des participants ne répondant aux critères d’aucun de ces troubles (Kosson, Lorenz, & Newman, 2006; Riser & Kosson, 2013).
Le TPA et la psychopathie sont souvent confondus, mais il importe de bien les distinguer dans un souci de précision. La définition de la psychopathie s’inscrit dans une approche davantage clinique de la personnalité antisociale (Hart & Hare, 1998). Alors que le TPA, tel que décrit dans le DSM-5, consiste avant tout en une énumération de comportements observables reliés à la délinquance, la définition de la psychopathie va plus loin en décrivant une organisation distincte de la personnalité et un mode de fonctionnement associé, incluant des comportements antisociaux. Ainsi, ces troubles sont reliés, mais non interchangeables.
La plupart des psychopathes rencontrent les critères du TPA mais la majorité de ceux ayant ce trouble de la personnalité ne sont pas des psychopathes (Hare, 1996, 2003). Même s’ils constituent deux troubles distincts, le TP A et la psychopathie sont peu souvent différenciés dans les études. Les chercheurs se concentrent généralement sur l’un ou l’autre, le plus souvent sans exclure les participants qui répondent aux critères diagnostiques des deux troubles, ce qui crée de la confusion quant aux caractéristiques qui leurs sont associées (De Brito & Hodgins, 2009).
Définition de la psychopathie Cleckley fut certainement l’un des auteurs les plus influents dans la définition de la psychopathie telle qu’on la connait aujourd’hui. Dans son livre The Mask of Sanity (1976), il propose les 16 caractéristiques suivantes qui, d’après son expérience clinique, décrivent le mieux les psychopathes: charme superficiel et bonne intelligence; absence de délires ou de tout autre signe de pensée irrationnelle; absence de nervosité ou de manifestations psychonévrotiques; rarement porté au suicide; comportement antisocial non motivé; pauvreté du jugement et incapacité d’apprendre de ses expériences; sujet sur qui on ne peut compter; comportement fantaisiste et peu attirant lorsque sous l’effet de l’alcool, voire même sans l’effet de l’alcool; vie sexuelle impersonnelle, banale et peu intégrée; incapacité de suivre quelque plan de vie que ce soit; fausseté et hypocrisie; absence de remords et de honte; réactions affectives pauvres; égocentrisme pathologique et incapacité d’aimer; faible capacité d’introspection; incapacité de répondre adéquatement aux manifestations générales qui marquent les relations interpersonnelles (considération, gentillesse, confiance, etc.).
Pour Cleckley, la sous-réactivité émotionnelle et l’absence de véritable relation sociale sont des caractéristiques déterminantes de la psychopathie; c’est leur présence qui distinguerait les véritables psychopathes des antisociaux. À première vue, les psychopathes démontrent une apparence de bonne santé mentale; ils semblent généralement bien adaptés, en plus de faire une excellente première impression et de paraître particulièrement agréables. Par contre, une analyse plus poussée révèle une profonde inhabileté à entrer en relation avec les autres et une incapacité à ressentir de l’empathie. Les psychopathes s’avèrent incapables d’éprouver des émotions profondes, qu’elles soient positives ou négatives; les symptômes de la psychopathie seraient le résultat de ce déficit affectif (Cleckley, 1976).
Avec l’Échelle de Psychopathie (Psychopathy Checklist – Revised, PCL-R; Hare, 2003), Hare a opérationnalisé les critères de la psychopathie afin d’en améliorer l’évaluation. Pour ce faire, il s’est inspiré de la description de Cleckley, mais aussi des caractéristiques des psychopathes mises de l’avant dans la littérature par différents auteurs. Les caractéristiques retenues ont ensuite été vérifiées empiriquement. La PCL-R est actuellement le principal instrument d’évaluation pour le diagnostic de la psychopathie et ce, tant à des fins de recherche que d’évaluation clinique.
Les critères de la PCL-R se divisent en deux facteurs. Le premier facteur décrit essentiellement les caractéristiques interpersonnelles et affectives associés à la psychopathie et regroupe les critères suivants: loquacité et charme superficiel; surestimation de soi; tendance au mensonge pathologique; duperie et manipulation; absence de remords et de culpabilité; affect superficiel; insensibilité et manque d’empathie; incapacité d’assumer la responsabilité de ses faits et gestes. Le deuxième facteur comprend les critères liés au mode de vie antisocial et aux comportements antisociaux: besoin de stimulation et tendance à s’ ennuyer; tendance au parasitisme (c’est-à-dire à vivre aux crochets des autres); faible maîtrise de soi; apparition précoce de problèmes de comportement; incapacité de planifier à long terme et de façon réaliste; impulsivité; irresponsabilité; délinquance juvénile; violation des conditions de mise en liberté conditionnelle; diversité des types de délits commis par le sujet. Deux autres critères sont inclus dans la PCL-R mais ne sont pas compris dans l’un des deux facteurs, soit la promiscuité sexuelle et les nombreuses cohabitations de courte durée.
Globalement, les psychopathes apparaissent comme des êtres égocentriques, manquant profondément d’empathie et incapables de développer des relations affectives chaleureuses avec les autres. Ce sont des personnes qui fonctionnent sans les contraintes d’une conscience et n’éprouvent pas de remords. Elles font preuve d’un comportement interpersonnel trompeur et n’hésitent pas à outrepasser les contrats sociaux, que ceux-ci soient moraux ou légaux (Hare, 1993, 2003; Hare & Neumann, 2006). La plupart des auteurs s’entendent pour dire que la pauvreté des affects et une profonde inhabileté à se soucier de la souffrance des autres, soit un manque d’empathie émotionnelle, sont des caractéristiques déterminantes de la psychopathie et la distinguent du TPA.
La psychopathie apparait comme une combinaison du TPA et du trouble de la personnalité narcissique (TPN), plus précisément une association des comportements antisociaux du TPA et des traits de personnalité interpersonnels et affectifs s’apparentant à ceux retrouvés dans le TPN (Hart & Hare, 1998; Logan, 2009). De fait, le premier facteur de la PCL-R corrèle positivement et de façon modérée à forte avec le TPN, tandis que le deuxième facteur corrèle positivement et fortement avec le TPA (Hart & Hare, 1989; Hart, Hare, & Forth, 1994). Les critères diagnostiques du TPN sont présentés au Tableau 4 (AP A, 2015, p. 787-789). Les personnes ayant un TPN apparaissent comme égocentriques et arrogantes, présentent un sentiment de grandiosité et de supériorité ainsi qu’une grande dépendance à l’admiration des autres. Elles sont aussi émotionnellement superficielles, sont incapables d’empathie ou d’engagement dans une relation, méprisent les conventions sociales ainsi que les droits des autres et font preuve de jalousie excessive contre laquelle elles se défendent en dévaluant les autres ou en les exploitant (Kemberg, 1998; Millon, 1998). De plus, le narcissisme pathologique serait associé de façon très importante aux comportements violents (Logan, 2009).
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Table des matières
Introduction
Contexte théorique
Le trouble de la personnalité limite
Définition du trouble de la personnalité limite
Trouble de la personnalité limite et comportements violents
Le trouble de la personnalité antisociale
Définition du trouble de la personnalité antisociale
Trouble de la personnalité antisociale et comportements violents
La psychopathie
Définition de la psychopathie
Psychopathie et comportements violents
L’impulsivité
Définition de l’impulsivité
Impulsivité et comportements violents
Impulsivité, trouble de la personnalité limite et comportements violents
Impulsivité, trouble de la personnalité antisociale et comportements violents
Impulsivité, psychopathie et comportements violents
Objectifs et hypothèses
Méthode
Participants
Instruments de mesure
Structured Clinical Interview for DSM-IV (SCID-II)
Barratt Impulsiveness Scale version Il (BIS-11)
MacArthur Community Violence Instrument (MacCVI)
Variables
Analyses
Résultats
Analyses descriptives
Analyses corrélationnelles
Régressions logistiques polytomiques
Discussion
Comportements violents graves
Comportements violents généraux
Forces et limites
Perspectives futures
Conclusion
Références
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