Troisième niveau de compréhension: « Le pouvoir de la distanciation»

Troisième niveau de compréhension: « Le pouvoir de la distanciation»

Le premier axe : La construction de la pratique

À mes débuts: Nous sommes en 1983 Officiellement, c’ est à l’ automne 1983 que j’apprivoisais pour la première fois un milieu de travail, parmi les travailleurs syndiqués. Je détenais un statut de travailleuse contractuelle pour une période de 10 mois dans un CLSC, organisme du réseau de la santé du Québec. Les valeurs et les normes de travail étaient bien différentes de mes expériences de travail communautaires pendant mon parcours scolaire (projets-carrières pour étudiants). J’ai saisi assez rapidement qu’ il ne fallait pas être trop différent, il semblait souhaitable de se fondre à cette culture de travail. Mes ambitions professionnelles se dessinaient petit à petit. J’étais tout feu tout flamme et emballée par ce premier défi professionnel. L’ un des principaux objectifs consistait à promouvoir l’ éducation sexuelle auprès des parents d’ adolescents du territoire desservi par cette organisation qui était mandatée par des directives ministérielles. Quelle opportunité, tout était à construire en éducation sexuelle! C’ était vraiment stimulant pour moi.

Déterminée, je souhaitais pouvoir implanter dans ce milieu rural la pertinence d’ action de l’éducation à la sexualité auprès des jeunes. À vrai dire, il n’ y avait pas grande chose pour m ‘ arrêter. Le chemin de cette pratique se traçait par cette détermination de promouvoir l’éducation sexuelle auprès des jeunes de ce territoire et à la fois, alimentait mon désir d’ accomplir cette action sous le regard d ‘ une mission sociale. Mes premiers balbutiements face à la réalité de la promotion de l’ éducation sexuelle auprès des jeunes, a été d’ apprendre à composer avec les préjugés suscités par ce nouveau courant scientifique, la sexologie. En effet, cette nouvelle discipline suscitait bien des interrogations, des attitudes de suspicion, entre autres chez les plus « religieux ». J’ai constaté très tôt que je me trouvais sur un terrain glissant avec cette étiquette de sexologue éducatrice et particulièrement en regard des intentions d’action de l’ éducation à la sexualité auprès des jeunes. Je me sentais comme une novice face à cette différence évidente au plan des valeurs. Un peu nerveuse, malgré tout, j ‘ entreprenais tout fièrement et avec enthousiasme ce premIer mandat dicté par les orientations du ministère de la Santé et des Services Sociaux soit: de développer des actions en planification des naissances et d’ éducation à la sexualité.

Implantation d’une action promotionnelle de l’éducation sexuelle auprès des jeunes en milieu rural En premier, j’ai choisi de rejoindre les parents d’ adolescents et d’ emblée, endosser les règles du milieu. Ces parents, je les rencontrais le soir, à l’ école de leur village. Dans certains endroits, les curés demandaient à être présents et malgré mes craintes au point de départ, j’ai trouvé en eux des alliés. Ils me reconnaissaient une crédibilité, mon discours était porteur de valeurs. Je savais que sans cette reconnaissance, je ne pouvais assurer cette intervention éducative auprès des parents. En deuxième lieu, je rencontrais les enseignants et enseignantes des cours d’ enseignement religieux catholique et d’ enseignement moral par une tournée de formation et de sensibilisation. Toutefois, une réserve transcendait l’ action … la peur de voir disparaître les valeurs chrétiennes. Une crainte que ces dernières soient remisées et ne soient plus prônées par ceux et celles qui les enseignaient, en accentuant davantage leur enseignement à l’ éducation à la sexualité. Rien d’ étonnant, en fait, cette peur venait d’ une croyance populaire véhiculée par ceux et celles qui redoutaient particulièrement l’ éducation sexuelle. Selon certains, parler de la sexualité auprès des jeunes les inciterait à avoir des relations sexuelles.

Cette représentation était redoutable malgré toutes les recherches qui démontraient le contraire et encourageaient la promotion de l’éducation sexuelle auprès des jeunes. Il fallait, déconstruire cette croyance ce qui représentait tout un défi. Parallèlement à cette démarche, le ministère de l’Éducation implantait en 1984 son programme d’ éducation à la sexualité dans un programme de formation personnelle et sociale (FPS) obligatoire pour tous les élèves québécois (Québec, ministère de l’Éducation, 1984). Néanmoins, une résistance s’ installait chez une majorité d’enseignantes du primaire; elles disaient qu’elles ne se sentaient pas compétentes pour aborder le sujet de la sexualité avec leurs élèves. Cette réaction était justifiée. Cette nouvelle tâche de l’éducation à la sexualité touchait aux valeurs personnelles en plus d’être un sujet que le personnel enseignant maîtrisait peu par absence de formation. De plus, comme les parents avaient exprimé plusieurs désaccords en lien avec ce programme, les enseignants craignaient les controverses. Des risques d’inertie planaient malgré l’implantation de ces programmes officiels. Nous n’avions aucune assurance que les jeunes reçoivent cette éducation pourtant pertinente à leur développement.

Ma contribution comme agente de changement

En avril 1984, le CLSC de Matane affichait un poste dont les exigences cadraient avec mes compétences professionnelles. Ce milieu de travail m’attirait, il se présentait dynamique et stimulant. Leur structure organisationnelle, les valeurs en approche communautaire et l’action communautaire étaient particulièrement développées. Ce milieu de travail du CLSC de Matane m’inspirait confiance par rapport aux orientations et aux valeurs sociales priorisées par cet établissement. Je me retrouvais sur les plans de mes valeurs personnelles et de mes intérêts professionnels. Juillet 1984, me voilà en poste au CLSC de Matane; je faisais partie de l’équipe du programme Planning-Sexualité-MTS. Nous étions trois membres : une infirmière, une omnipraticienne et moi, comme sexologue éducatrice. J’ai reçu un très bel accueil de la part de mes consoeurs de travail. Ici, la créativité était la bienvenue voire même un atout.

J’avais le vent dans les voiles. Malgré tout ça, j’avais l’impression de manquer de connaissances autant sur les plans du savoir que du savoir-faire. Je m’inscrivais à toutes les formations qui m’étaient accessibles et j’assumais la majorité des frais de formation; me sentant responsable de ma compétence. Je voulais savoir, je voulais comprendre, je voulais être bonne … Ce nouvel emploi était rempli de possibilités, nen ne pouvait entraver cette motivation. Par choix, j’adhérais à tout ce qm était susceptible de parfaire mes connaissances. Entre autres, la formation du certificat en santé communautaire a été particulièrement révélatrice par l’ajout d’un nouveau mentor. Ce dernier a soulevé un questionnement approprié. L’action préventive et curative de première ligne, à la suite de cette rencontre (professeur / étudiante) a été fortement secondée par une nouvelle conviction que «le changement ne pouvait se produire sans prise de conscience de sa réalité et sans reconnaissance de son besoin». Concrètement, face à cette prise de conscience, j’ai saisi que de promouvoir le changement reposait avant tout sur la valeur de respect, de l’empathie envers la capacité individuelle de choisir et d’agir.

État de la situation

Afin de maintenir mon intérêt, malgré la cessation du programme Multi-Jeunesse, réalité consécutive à la réforme Rochon, je me suis intéressée de plus en plus au transfert de compétences par l’apport de la psychologie cognitive pour le déploiement d’activités préventives en matière d’éducation à la sexualité auprès des jeunes. J’ai expérimenté auprès d’une école primaire quelques stratégies de transfert de compétences et ce milieu est devenu toute une source d’inspiration pour les interventions éducatives à réaliser. Graduellement, dans cette expérimentation, Je me familiarisais avec la réalité psychosociosexuelle des jeunes et des représentations sexuelles de ces derniers. J’étais plutôt désolée envers l’influence médiatique comme impact au développement psychosociosexuel chez les jeunes. Entre autres, l’hyper sexualisation me semblait déteindre dans les comportements sociaux et dans le discours des jeunes entre eux. La pertinence d’une intervention préventive psychosexuelle était urgente et particulièrement chez les jeunes de 10 à 12 ans. On m’ interpellait davantage pour des groupes classes de Se et 6e années afin de recadrer des comportements sexuels entre jeunes à l’école. Aujourd’hui, plus de 20 ans plus tard, le débat de cette pertinence d’action sociale en matière d’éducation à la sexualité est encore un sujet d’ actualité et retient l’ attention médiatique par le phénomène de l’ hyper sexualisation chez les filles et les garçons et par l’ expression d’une sexualité précoce chez les moins de 15 ans.

De fait, cette action est encore une fois priorisée par des orientations ministérielles (ministère de la Santé et des Services Sociaux du Québec et le ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport du Québec 2003, 2005, 2006). Nous sommes conscients, de part et d’autre, que nous devons intervenir en promotion / prévention auprès de ces derniers mais c’ est dans le comment que l’ on se questionne encore. Face à tous ces changements ministériels, s’assurer de développer des stratégies d’interventions à l’éducation à la sexualité est devenu un incontournable. Évidemment « attendre pour agir» a été une source d’impatience chez moi. Si je pouvais formuler un blâme envers les systèmes, ce serait celui d’avoir à composer avec la lenteur administrative. Par expérience à cette réalité, ce qui peut paraître une absence de planification pour la mise en oeuvre de l’ action, devient plus souvent qu’autrement de l’ inaction. Les liens sont difficiles à tisser tellement les changements sont fréquents ce qui ne nous assure pas l’efficacité et la continuité.

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Table des matières

REMERCIEMENTS
RÉSUMÉ
TABLE DES ))MTIÈRES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
LISTE DES SIGLES ET ACRONYMES
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : LA PROBLÉMATIQUE
1.1 Le premier axe d’action: La construction de la pratique
1.1.1 À mes débuts: Nous sommes en 1983
1.1.2 Implantation d’une action promotionnelle de l’éducation sexuelle
auprès des jeunes en milieu rural
1.1.3 Ma contribution comme agente de changement
1.1.4 L’action en éducation sexuelle se distingue
1.1.5 L’émergence du changement passe par les jeunes eux-mêmes
1.1.6 Impact de la réforme de la santé, la réforme Rochon
1.1. 7 État de la situation
1.1.8 Constat et positionnement vis-à-vis l’éducation à la sexualité
1.1.9 La réalité d’une pratique solo
1.2 Le deuxième axe : PromotionlPrévention
1.2.1 Une campagne de prévention toute spéciale!
1.2.2 Formatrice auprès des intervenantes des réseaux de la santé,de l’éducation et du communautaire
1.3 Le troisième axe: Cadre clinique psychosexuel de première ligne
1.3.1 Un regard de compassion comme outil essentiel à l’acte de
l’accompagnement
1.3.2 Le tiers monde affectif.
1.4 Le quatrième axe: L’émergence d’une attitude de distanciation reliée à la dimension du travail
1.4.1 Que penser de l’impact de la réforme Rochon?
1.4.2 Le chaos avec l’organisation syndicale
1.4.3 Un congé de traitement différé: Première démarche consciente de distanciation
1.4.4 Un retour au travail sous un regard plus distant
1.5 Le cinquième axe : « SOS» support professionnel.
1.5.1 Rompre avec l’isolement professionnel
CHAPITRE 2 : MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE
2.1 Le choix du paradigme de recherche ou perspective épistémologique:
La recherche heuristique
2.1.1 L’intuition dans ma démarche de recherche
2.2 Les étapes de la recherche heuristique
2.2.1 La première étape, selon Craig: Éclosion dufil conducteur
2.2.2 La deuxième étape, selon Craig: L’exploration
2.2.2.1 Les outils du parcours réflexif
2.2.2.2 La démarche d’écriture
2.2.3 La troisième étape, selon Craig: La compréhension
2.2.3.1 Mon processus d’analyse
2.2.3.2 La méthode d’analyse: L’analyse par théorisation ancrée
2.2.4 La quatrième étape, selon Craig: La communication
CHAPITRE 3 : MA COMPRÉHENSION DE MON EXPÉRIENCE DES BLESSURES PSYCHOSOCIALESAU SEIN DES ORGANISATIONS
3.1 Ma première représentation: Une réalité insidieuse ou le choc de perte de sens
3.2 Premier niveau de compréhension « Les effets des blessures: une réalité inévitable»
3.2.1 Première réaction aux blessures: Une réalité de rupture
3.2.2 Deuxième réaction aux blessures: Une réalité de perte de sens
3.2.3 Troisième réaction aux blessures: Une réalité de résonance
3.3 Deuxième niveau de compréhension: « Un regard réaliste»
3.3.1 L’apprivoisement de la peur à l’aide de l’analyse praxéologique :
« L’ouverture à soi l’ouverture à l ‘autre
3.3.2 Contrer le piège de la victimisation
3.3.3 Présence à soi, l’assurance d’un regard bienveillant au besoin de reconnaissance
3.4 Troisième niveau de compréhension: « Le pouvoir de la distanciation»
3.4.1 Identification des enjeux
3.4.1.1 Mes enjeux et les interférences
3.4.2 Les enjeux hiérarchiques
3.4.3 Regard sur l’imputabilité personnelle et l’imputabilité systémique
3.5 Quatrième niveau de compréhension: «Un espace confortable au sein des organisations»
3.5.1 Le positionnement des 3 «JE»
3.5.2 Ma découverte
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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